par Leslie Varenne
Au cours des dernières années, dans presque tous les pays d’Afrique de l’Ouest s’est opéré un net recul démocratique qui a connu son acmé lors des récentes élections. Ce retour à une forme d’autocratie présente de lourdes menaces sécuritaires et paralyse le nécessaire développement. Il est toujours difficile de généraliser une problématique à un ensemble de pays quand chacun d’eux a son histoire et ses spécificités propres. Il est aussi délicat d’évoquer une régression démocratique dans certains États comme le Togo, la Côte d’Ivoire ou la Guinée Conakry, qui n’ont jamais connu d’élections pacifiques et transparentes dans leur histoire. Cependant, il est incontestable que dans cette partie du continent se produit un net recul des libertés, un affaiblissement, voire dans certains pays une néantisation, des institutions qui engendre une totale dérégulation du jeu démocratique. Même des États qui étaient jusque-là érigés en modèles semblent entraînés par cette lame de fond…
Ghana, Bénin, drapeaux en berne…
Quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle du 7 décembre au Ghana, les journaux évoquaient encore ce pays en termes élogieux : « un modèle démocratique », un « îlot de démocratie ». Et c’était vrai. Depuis vingt ans, les scrutins étaient crédibles et pacifiques. Sauf que 2020 a dérogé à cette règle, des violences ont engendré cinq morts et une vingtaine de blessés. Le Président sortant Nana Akufo Addo a été déclaré vainqueur avec 51,59% des voix, un score très serré que son challenger, l’ancien Président John Dramani Mahama, ne reconnaît pas. Ce n’est pas la première fois que des résultats sont contestés, cela avait déjà eu lieu en 2012, quand Akufo Addo refusait de concéder la victoire à Dramani Mahama. Mais cela s’était réglé sans incident devant la Cour suprême. Qu’en sera-t-il cette fois, alors qu’il y a eu des victimes, le déploiement de l’armée dans certaines zones et que Jerry Rawlings, la figure tutélaire garante des alternances pacifiques, est décédé en novembre dernier ?
Le Bénin aussi faisait figure de bon élève. Dans les années 1990, il avait été le premier à organiser une conférence nationale souveraine et même si le chemin vers la démocratie n’a pas été une longue route pavée de roses, les alternances pacifiques y ont été possibles. Les choses ont commencé à changer en 2016 avec l’arrivée du Président Patrice Talon qui, sous couvert de remettre de l’ordre dans le pays, a bouleversé les règles du jeu démocratique. En 2019, il a changé le code électoral, rendant kafkaïenne l’inscription aux législatives. Résultat : seuls deux partis proches du pouvoir ont pu concourir, les cinq autres formations de l’opposition ont été retoquées par la Commission électorale nationale autonome (CENA). Puis, la même année, avec une Assemblée nationale à sa main, le Président Talon a modifié la Constitution qui était pourtant un facteur de stabilité depuis trente ans. Dans un entretien au Monde, Dieudonné Houinsou, de l’ONG Social Watch Bénin, fait ce constat : « Cour constitutionnelle, justice, Assemblée nationale : il n’y a plus aucune institution de contre-pouvoir dans notre pays. Le Président a tous les pouvoirs. » Dans ces conditions l’élection présidentielle d’avril 2021 n’est-elle pas déjà jouée ?
Le fait du prince
Le schéma mis en place au Bénin est valable pour d’autres pays, comme l’ont démontré les récents scrutins en Côte d’Ivoire et en Guinée Conakry. Toutes les institutions précitées sont phagocytées par les pouvoirs, y compris les fameuses commissions électorales « indépendantes » qui ne sont plus en mesure de jouer leur rôle d’arbitre impartial. La tradition des coups d’État militaire, nombreux dans cette région, s’est transformée en une vague de coups d’État institutionnels avec les « tripatouillages » des Constitutions. Si ces dernières continuent à exister sur le papier, dans les faits, elles sont vidées de leur substance et ne subsistent que pour donner un vernis démocratique et permettre aux organisations internationales et régionales de fermer les yeux et d’adouber le nouveau roi. Parfois, les princes ne se cachent même plus et transforment les lois fondamentales de la manière la plus grossière. En Côte d’Ivoire, par exemple, la Constitution de 2016 a été modifiée en mars 2020 par une simple loi. Le vice-Président n’a plus à être élu sur le même ticket que le Président, ni à être présent lors de l’investiture, il est simplement choisi par le chef de l’État sans qu’une date ne soit fixée pour sa nomination. Cette sorte de démocratie « Canada dry » s’illustre parfaitement avec la mode des coups K.O, ces victoires improbables remportées pourtant dès le premier tour et validées par les commissions électorales indépendantes et les Cours constitutionnelles. Viennent ensuite les investitures, ces grand-messes entre homologues et diplomates qui, faute d’onction populaire, ont pour mission d’apporter une touche de légitimité.
Spirale infernale
Que peuvent faire les formations politiques et les citoyens lorsque tous les pouvoirs régaliens sont concentrés dans une seule main ? Au Niger, où l’élection présidentielle aura lieu le 27 décembre et où la candidature de l’opposant Hamadou Hama a été retoquée par la Cour constitutionnelle, les oppositions tentent de se battre légalement. La journaliste Nathalie Prévost, fine analyste de ce pays, décrypte : « Ils déposent requête sur requête auprès de la Cour ; ils multiplient les contentieux juridiques, les recours, pour essayer de pousser le pouvoir dans ses retranchements et démontrer la partialité de la Cour et de la Commission électorale nationale indépendante et leur manque de loyauté vis-à-vis du peuple nigérien. »
Ailleurs, et la liste des pays commence à être longue, la lutte est devenue impossible, les marches pacifiques sont réprimées par l’armée et/ou les milices, la désobéissance civile est judiciarisée, les opposants sont emprisonnés. Faute de légitimité populaire, ces pouvoirs « contiennent » le peuple en usant de tout l’appareil répressif. Plus le Président a été mal élu, plus il réprime et ce sont presque toujours les mêmes prétextes : regroupements de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’État, etc. Au Togo, deux personnalités de la société civile ont été arrêtées récemment pour ces motifs ; en Côte d’Ivoire, deux chanteurs de zouglou ont écopé d’un an de prison avec sursis parce les paroles de leur chanson ne plaisaient pas au procureur, du jamais-vu… La situation est presque pire qu’avant les années 1990, du temps des partis uniques et des présidences à vie.
Faute d’espoir en des lendemains meilleurs, la jeunesse prend le chemin de l’exil et ce n’est probablement pas un hasard si les deux pays d’où proviennent le plus de migrants clandestins qui arrivent sur le sol français sont les Ivoiriens et les Guinéens. D’autant que pour ripoliner leur image à l’international et faire oublier leur illégitimité, les nouveaux monarques dépensent sans compter. Plus le coup K.O est difficile, plus l’élection est chère. Autant d’argent qui ne va ni à l’éducation, ni à la santé, ni au développement des pays, ce qui contribue à l’affaiblissement de l’État. Et plus celui-ci est fragile, plus il ouvre des failles dans lesquelles vont s’engouffrer les djihadistes, les rébellions, les tensions entre communautés. Le vortex vers l’abîme est enclenché.
Tous ces schémas sont classiques et les processus connus, pourtant cela se produit dans l’indifférence générale. Au même moment, les pays occidentaux comme les institutions internationales répètent plus fort que jamais leur attachement à leurs valeurs « démocratie, État de droit, droits de l’Homme ». Le 7 décembre, l’Union européenne (UE) s’est dotée d’un nouvel outil, « un plan d’action pour les droits de l’Homme et la démocratie ». Ce cadre de sanctions interdira désormais aux responsables de « violations graves » d’entrer dans l’UE et leurs avoirs pourront être gelés.
Reste à définir ce qui sera interprété comme une « violation grave » et si la gravité des faits s’appliquera selon la doctrine « géométrie variable« , en fonction des liens d’amitié ou des relations géopolitiques. Cela semble déjà être le cas puisque Jean-Yves le Drian, qui a voté le texte avec tous ses homologues de l’UE, s’est rendu dès la semaine suivante en Côte d’Ivoire pour assister à l’investiture d’Alassane Ouattara.
Pour rappel, les manifestations contre le troisième mandat du Président ivoirien ont fait 85 morts et 482 blessés. Le 9 novembre dernier à Daoukro, un jeune homme, Nguessan Koffi Toussaint, qui protestait contre l’élection d’Alassane Ouattara, a été décapité et ses bourreaux ont joué au foot avec sa tête. Les criminels sont identifiables sur les images. Un mois et demi plus tard, aucune enquête n’a été ouverte et les coupables ne sont pas recherchés…
source:https://www.iveris.eu/
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