La Science Fiction, laboratoire sociologique

La Science Fiction, laboratoire sociologique

Mon propos pour cet article sera de vous parler de la Science Fiction comme média culturel, dont l’intérêt est de comprendre notre présent à l’aune de nos espérances et nos craintes pour l’avenir. Pour ce faire, je m’appuierai davantage sur les pères de la science fiction que sur des références plus contemporaines. Mais il est aussi nécessaire de bien définir ce qu’on appelle la « science fiction », celle-ci prenant ses racines dans les récits d’aventures fantastiques, et donc dans la section romanesque de la littérature.

Wikipédia écrit : « La science-fiction est un genre narratif principalement littéraire et cinématographique structuré par des hypothèses sur ce que pourrait être le futur ou ce qu’aurait pu être le présent voire le passé (planètes éloignées, mondes parallèles, uchronie, etc.), en partant des connaissances actuelles (scientifiques, technologiques, ethnologiques, etc.). Elle se distingue du fantastique qui inclut une dimension inexplicable et de la fantasy qui fait souvent intervenir la magie. » Bien entendu, la science fiction peut ne pas forcément rendre des comptes scientifiques à tout moment, mais donnera une explication tangible et logique sur le sujet spécifique que l’auteur veut traiter. L’intérêt est que par cet exercice de prospective, les idées et principes politiques et/ou philosophiques peuvent être expérimentés dans des mises en situation.

Le monde de demain 
Ainsi Isaac Asimov, à travers les robots, dépeint des modèles de société radicalement différents. Et démontre à travers sa réflexion les périls de la technologie.

En effet dans son cycle sur les robots, Asimov nous fait découvrir à travers les yeux d’un enquêteur de police de la Terre une culture différente dans chaque roman. Dans le premier, le crime est celui d’un « spatien », terme désignant les humains de la première grande diaspora stellaire afin d’échapper à la surpopulation terrestre ; ceux-ci, après avoir trouvé et conformé des mondes nouveaux à leurs besoins, y ont développé des modes de vie et des technologies très avancés, usant sans complexe ni contrainte de robots afin de les servir, là ou sur Terre ceux-ci ne sont utilisés que dans des rôles purement industriels et extérieurs aux villes.

A travers les yeux de l’inspecteur Bailey, nous découvrons donc une planète Terre où les humains se sont enfermés sous terre dans d’immenses cités de béton et de métal, abandonnant progressivement la surface et laissant les mines et autres extractions de ressources à des robots ; paradoxe, les humains sont dépendants de cette utilisation des machines pour faire fonctionner leurs cités. Celles-ci sont surpeuplées et grouillantes de vie, la nourriture est synthétique et rationnée, les familles vivent dans des logements restreints souvent limités à une salle commune et deux ou trois chambres. Les repas sont pris en communauté de quartier dans des réfectoires immenses, les ablutions sont faites dans des douches et des toilettes publiques, ou des tabous sociaux culturels spécifiques se sont développés. Le terrien est robophobe, et toute tentative d’introduire davantage de robot dans la société est complexe et demande beaucoup de diplomatie. Ils sont en outre agoraphobes et n’aiment pas la lumière vive. Enfin, ils vivent de façon très communautaire et ont des liens familiaux très forts.

Asimov se garde bien de nous donner son opinion, mais au fur et à mesure de ses voyages dans les romans, il nous donne à réfléchir sur le chemin pris par le peuple de la Terre, qui ne peut amener à terme qu’à une lente décadence et à la fin de l’espèce sur la planète, en particulier due à l’enfermement et à une mentalité très introvertie et peu aventureuse. Dans le tome suivant, fort de sa réputation après l’enquête sur Terre, des Spatiens demandent son expertise sur l’une de leur colonie, où le mode de vie est radicalement à l’opposé de celui de son monde natal. Pensez-vous ! Là où sur Terre les humains vivent à 20 milliards entassés dans des villes surpeuplés et rationnés, les Spatiens de ce monde ne sont pas plus de 10 000 habitants, chacun possédant un territoire immense.

Ceux-ci ne peuvent supporter la présence réelle d’autres humains autour d’eux, dû à un hygiénisme exacerbé, mais aussi au fait qu’un humain est jugé comme « incontrôlable », au contraire du robot régi par les trois lois, qui est parfaitement sans danger. Afin de palier à ce problème, cette population a fait du mariage une obligation, où les couples sont désignés par affinité génétique, le sexe est une corvée peu renouvelée dans le couple, et les enfants sont retirés rapidement du ventre maternel pour être placés en couveuse pour une gestation artificielle automatisée. Les humains nécessaires pour s’occuper de cette marmaille peu appréciée sont encore une fois soumis à un service obligatoire bref. L’aboutissement d’une société hygiéniste, eugéniste, et égoïste.

Sur un autre monde spatien, la promiscuité est plus grande et l’omniprésence de robots est moins palpable ; la technologie de ce monde et du précédent a largement permis de doubler voire de tripler la longévité, les naissances sont très contrôlées, cependant les mœurs sont différentes, la sexualité et les ébats sont parmi les occupations « sociales » les plus répandues, le mariage est une formalité administrative, les enfants sont là aussi écartés de leur famille rapidement, l’inceste n’est ni rare ni réprimé s’il ne donne pas lieu à la procréation, car la notion eugéniste est très présente, et les spatiens sont très vigilants en ce qui concerne leur « santé génétique ».

Ce petit portrait rapide afin de vous montrer la diversité culturelle et sociale que peut projeter une œuvre de science fiction. Il faut aussi comprendre le double message que peuvent passer ces ouvrages. Ainsi, Asimov dans Les robots fait certes du robot aux trois lois une prouesse technique et un outil hors du commun, mais met en garde contre celui-ci : non pas que dans ses romans un robot ait déjà tué volontairement un être humain (sans trop raconter les intrigues, aucun robot ne tue volontairement, soit il est rendu complice contre sa volonté, soit il est manipulé dans ce sens), mais Asimov en fin d’histoire nous fait bien comprendre que les robots sont mauvais pour l’homme parce qu’ils sont justement trop bons pour lui : entre les humains de la Terre enfermés dans ses villes sans même vouloir en sortir, et dépendants au premier degré des ressources que des robots industriels leur prodiguent, et les colonies spatiennes où les hommes s’appuient tellement sur ceux-ci qu’ils en viennent à ne pas supporter leurs congénères, car non soumis à des lois pour brider leur comportement et vivant dans des milieux tellement confortables que toute volonté d’expansion et de mouvement est bannie.

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Isaac Asimov au travai 

Utopie robotique

Il faut aussi comprendre que les robots d’Asimov sont des Intelligences Artificielles mais pas du type que l’on peut imaginer : ces IA ne sont pas « intelligentes » leurs capacités proactives sont limitées, et leurs perception du monde est empirique. Ainsi, quand Bailey questionne son compagnon d’aventure, le robot anthropomorphe R.Daneel, sur ce que signifie pour lui la justice, celui-ci lui répond que la justice, c’est appliquer les lois du lieu ou il se trouve ; ce n’est donc pas la création d’une intelligence supérieure à celle de l’homme qui est une menace mais la création d’outils trop efficaces et qui nous remplacent dans trop de domaines différents.

Il existe d’autres exemples de romans souvent classés dans les dystopies (à l’inverse des utopies) : Barjavel dans Ravage montre la destruction d’une civilisation hautement technologique, et comment un groupe, en adoptant ce que de nos jours nous appellerions la décroissance, parvient à survivre, là ou d’autres en viennent à régresser jusqu’aux comportement animaux les plus basiques.

Dans Le meilleur des mondes d’ Aldous Huxley c’est toute une société consumériste et clonée qui est racontée. La population est divisée en 3 castes rigides :

Les Alphas : Élite artistique et intellectuelle de cette société, les plus humains parmi les humains, nés sous éprouvette en individus uniques et parfaitement développés, grands jouisseurs de plaisirs hédonistes.

Les Bétas : Administrateurs et fonctionnaires, ils naissent par groupes génétiques de 5 ou 6. On leur impose volontairement des états de carence lors de leur gestation afin de les maintenir dans un état mental restreint et un physique malingre et fragile. Leur éducation est orientée de façon à les éloigner le plus possible de la curiosité suscitée par l’art et les sciences complexes, tout en les poussant à vouer une grande admiration aux Alphas.
Les Gammas : Manutentionnaires, ouvriers et classe laborieuse, sortent par centaines des mêmes souches génétiques, ils sont des clones au mental enfantin dans des corps d’hommes et de femmes abrutis par des drogues légales et des divertissement abrutissants, ils ne sont de toute manière pas aptes à comprendre autre chose.

Bref, l’univers de la SF ne se limite pas à des univers utopiques comme Star Trek ou Star Wars, ou d’autres romans. La critique y est acerbe envers la société vécue par les auteurs Bien entendu, la version utopique est proche des idées modernes. Et si les romans qui la constituent sont aussi palpitants et intéressants, souvent ils s’appuient sur des pré-requis encore inexistants et donc inapplicables à notre société.

Dans Star Trek ou Star Wars et quelques autres, ces sociétés fonctionnent grâce à des technologies très avancées, acquises au contact de peuples venus d’autres mondes, et bien entendu à la simple découverte de ces peuples on force l’humanité à se redéfinir d’une autre manière. Or, aussi beaux que soient leur idéaux, pour l’heure nous ne devons nous en remettre qu’à nous-mêmes. Leurs lacunes s’appuient sur des principes qui sur le papier sont nobles, mais ne reposent sur rien d’assez réel, ce qui amène aux problèmes actuels en politique et en société.

Pierre

rob

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À propos de l'auteur Rébellion

Rébellion est un bimestriel de diffusion d’idées politiques et métapolitiques d’orientation socialiste révolutionnaire.Fondée en 2002, la revue Rébellion est la voix d’une alternative au système. Essentiellement axée sur les sujets de fond, la revue est un espace de débats et d’échanges pour les véritables opposants et dissidents. Elle ouvre ses colonnes à des personnalités marquantes du monde des idées comme Alain de Benoist, David L’Epée, Charles Robin, Pierre de Brague, Thibault Isabel, Lucien Cerise … Rébellion se veut également un espace « contre-culturel » au sens large (arts, littérature, musique, graphisme).

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