Afin de respecter l’échéancier imposé par la Cour supérieure du Québec dans son jugement Truchon, le gouvernement fédéral essayera de forcer son nouveau projet de loi portant sur l’aide médicale à mourir (AMM) à être approuvé par le Parlement dans les prochaines semaines. Elle devrait en réalité retourner à la planche à dessin et recommencer à zéro.
Truchon a trouvé que certaines sections de la loi fédérale sur l’AMM qui exigeait que la mort soit “raisonnablement prévisible” enfreignaient des droits protégés par la Charte. Le but principal du nouveau projet de loi est de donner accès à l’AMM à des personnes souffrantes de maladies chroniques ou handicapées, même si leur mort naturelle n’est pas imminente. Le projet de loi supprime aussi une période de réflexion pour les personnes qui sont proches de leur fin de vie, même si Truchon n’exige rien de la sorte.
Ce projet de loi transformerait l’AMM d’une procédure pour faciliter la mort en une thérapie terminale pour les souffrances de la vie — mais seulement pour certains. Effectivement, seules les personnes avec des maladies chroniques et des handicaps se verront maintenant offrir l’AMM, même si elles ne sont pas proches d’une mort naturelle.
Le projet de loi introduit pour eux une période d’évaluation de 90 jours, combinée avec une évaluation d’éligibilité par un.e professionnel.le avec expertise dans la condition du/de la patient.e. Ceci devrait assurer que les personnes soient informées de traitements alternatifs à l’AMM. Mais contrairement à tout autre pays au monde, ce projet de loi manque d’exiger que tout autre traitement médical qui soulagera la souffrance soit rendu disponible et essayé préalablement, avant de donner l’autorisation aux médecins de mettre fin à la vie d’un.e patient.e.
Autrement dit, ce projet de loi priorise la mort plutôt que la vie. Tout en projetant de l’empathie pour la souffrance souvent sévère, le projet de loi confirme un préjugé capacitiste qu’un handicap ou une maladie chronique rende la vie intolérable ou d’une moindre valeur. Promouvoir la participation du système de santé dans un programme mettant fin à la vie de ces personnes constitue une forme de discrimination mortelle. En effet, le nouveau projet de loi sur l’AMM enlève aux personnes handicapées ou avec des maladies chroniques la protection contre une mort prématurée que la restriction de l’AMM au contexte de fin de vie offre aux autres.
Certaines critiques considèrent que la période d’évaluation de 90 jours est trop longue pour les personnes qui veulent mourir, mais c’est en vérité brutalement inadéquat comme mesure de protection. Quand une personne fait face à un changement bouleversant, sous la forme d’une maladie ou d’un handicap, il peut prendre bien plus longtemps que trois mois pour renouveler sa perspective sur la vie — et tout aussi longtemps, sinon plus, pour accéder aux supports médicaux et financiers nécessaires.
Guérir d’une blessure à la colonne vertébrale ne commence souvent pas dans les trois premiers mois, mais une personne affectée par une blessure aussi bouleversante, qui est souvent accompagnée de dépression, pourrait obtenir l’AMM avant que des ajustements de vie et des supports essentiels puissent commencer à lui donner espoir.
Plusieurs personnes handicapées requièrent des soins à long-terme spécialisés, mais plus de 3,000 personnes attendent au Québec pour accéder à des CHSLD. Des soins à domicile ou une aide à la vie autonome, en haut et en large préférés par des personnes vivantes avec un handicap, et aussi plus sécuritaires dans le contexte de la pandémie, ne sont même pas disponibles dans plusieurs provinces.
Le temps d’attente médian pour accéder à des cliniques de douleur spécialisées était de 5.5 mois en 2017-2018 au Canada, et certains attendent jusqu’à quatre ans, ce qui rend l’accès à l’AMM bien plus efficace que d’obtenir des traitements pour une douleur souvent débilitante.
La présente pandémie, qui affecte les personnes vivantes avec un handicap ou une maladie chronique de manière disproportionnée, aiguise toutes ces inquiétudes.
Plusieurs experts et l’Organisation mondiale de la santé ont lancé des avertissements concernant l’effet dévastateur de la solitude, de l’isolation sociale et de la réduction des soins sur la santé mentale de personnes âgées et autres personnes vulnérables durant la COVID-19. Des rapports récents dans les médias signalent déjà les façons par lesquelles le désespoir financier, la solitude et l’isolation parmi les personnes vivantes avec un handicap poussent certain.e.s au bord du précipice à demander l’AMM.
L’introduction d’une expérimentation sociale en élargissant l’AMM à un moment où les personnes vulnérables le sont plus que jamais ne représente pas une politique progressiste —c’est de l’irresponsabilité.
Nous encourageons les parlementaires à prendre au sérieux l’aspect discriminatoire de l’expansion de l’AMM. Ce n’est pas pour rien que la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées des Nations Unies a déclaré qu’offrir l’AMM pour des raisons de handicaps en dehors de la fin de vie viole les droits de l’homme. Le contexte de la pandémie confirme l’importance de renforcer les mesures de sauvegarde pour les personnes vivantes avec un handicap ou une maladie chronique, au lieu de les réduire. Ceci précisément pour assurer à ces personnes une protection égale contre une mort prématurée et pour affirmer notre croyance collective en la valeur égale de leurs vies.
Le Parlement devrait renvoyer le gouvernement au tableau d’esquisse plutôt que de se laisser prendre en otage par un échéancier que le gouvernement lui a imposé en ne pas faisant appel du jugement dans Truchon.
Trudo Lemmens est le Chaire Scholl en droit et politique de la santé à la Faculté de droit de l’Université de Toronto. Il a été témoin expert pour le Procureur Général fédéral dans le cas Truchon.
Leah Krakowitz-Broker est une étudiante au JD à la Faculté de droit de l’Université de Toronto.
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