« Le montant maximal des potentiels achats européens à Gilead grâce à ce contrat ? 1,2 milliard de dollars, à raison de 2.440 dollars par patient traité, selon Reuters. Un montant élevé, quand on sait que son coût de fabrication est estimé à 5.58 dollars, selon les calculs d’une équipe de chercheurs. Par crainte d’une pénurie, de nombreux États européens ont passé commande. Soit 640.000 doses (il faut six doses pour traiter un patient), comme le relate l’enquête du Monde. »
Les décideurs de la Commission européenne nous ont fait perdre un bon milliard.
Sont-ils des cons ou des salauds ?
Des abrutis ou des corrompus ?
À vous de juger.
– La Rédaction d’E&R –
Depuis le 20 novembre, l’OMS déconseille le Remdésivir pour traiter le Covid. En octobre, la Commission européenne avait signé un contrat pour permettre aux États européens d’acheter jusqu’à 1,2 milliard de dollars de ce traitement. L’institution s’est-elle fait berner ? Nous lui avons posé la question.
I – Les résultats de l’OMS : fin de partie pour le Remdésivir ?
Un tournant dans l’interminable feuilleton de la course au traitement contre le Covid-19 ? Vendredi 20 novembre, l’Organisation mondiale de la santé a rendu un avis négatif contre le Remdésivir, produit par le laboratoire américain Gilead, faute de preuves quant à son efficacité.
La recommandation de l’OMS estime que « les éléments de preuve ne laissent entrevoir aucun effet significatif sur la mortalité, le recours à la ventilation mécanique, l’accélération de l’amélioration de l’état clinique et d’autres résultats sanitaires importants du côté du patient ». Elle s’appuie sur les résultats de quatre essais cliniques internationaux – 7.000 patients au total – notamment Solidarity, l’étude de l’OMS, dont les résultats préliminaires ont été publiés le 15 octobre. Ceux-ci statuaient déjà en défaveur du Remdésivir.
L’enjeu de ces annonces est de taille et les regards se tournent vers la Commission européenne. Au mois d’octobre, cette dernière a en effet conclu un contrat avec le laboratoire Gilead, qui permet toujours aux États européens d’acheter jusqu’à 1,2 milliard de dollars de Remdésivir. De l’argent jeté par les fenêtres ?
II– Comment la Commission européenne a fait confiance à Gilead
Reprenons la chronologie des événements. Le registre de transparence de la Commission [accessible ici] rend compte des rencontres entre la commissaire européenne à la santé, Stella Kyriakides, et la direction de Gilead. Dès le 7 avril, il est question de « discussions sur les potentiels traitements et les essais cliniques en cours ». À cette époque, la France et l’Europe remettent leurs choix de traitement à Discovery et Solidarity, les deux grandes études dites « randomisées » de l’OMS dont la crédibilité méthodologique est attendue comme juge de paix.
Le 29 avril, les résultats d’une autre étude, sur le sol américain, des National Institutes of Health (dite « ACTT-1 ») sont rendus publics : s’ils ne montrent aucun effet sur la mortalité, ils évoquent une efficacité relative du Remdésivir, sur la durée de rétablissement clinique. Deux jours plus tard, tout s’accélère pour Gilead : la FDA, l’agence américaine des médicaments, délivre une autorisation de mise sur le marché d’urgence et le patron de la firme, Daniel O’Day, annonce faire œuvre de charité en… « donnant » tout son stock aux patients américains.
Retour en Europe. Le 6 mai, une visioconférence a lieu entre la commissaire à la Santé et Gilead. Les deux parties évoquent « les besoins des États membres et la distribution du Remdésivir en cas d’autorisation de mise sur le marché ». Nous voici le 25 juin, bonne nouvelle pour Gilead : le Remdésivir devient le premier traitement à recevoir une autorisation conditionnelle de mise sur le marché européen par l’Agence européenne des médicaments (EMA). 6 juillet, nouvelle visioconférence : Stella Kyriakides et Gilead planchent sur « la future stratégie pharmaceutique » des deux bords. Côté français, le 15 juillet, la France s’aligne et accorde une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) au Remdésivir. 28 juillet : la commissaire européenne Stella Kyriakides passe un contrat à hauteur de 63 millions d’euros avec Gilead, pour 33.380 patients, via l’instrument d’aide d’urgence (ESI). Un fonds qui puise dans le budget de l’Union européenne, géré de manière centralisée par la Commission pour faire face à la crise sanitaire. En août et en septembre, la Commission livre ces stocks aux États qui le demandent, dont la France.
Nous voici en octobre, et son contexte de risque de deuxième vague. Gilead souhaite fournir l’Europe mais sans signer un accord avec chacun des États. Le laboratoire et la Commission européenne procèdent alors d’une autre façon. Ils signent, le 8 octobre, un « accord de passation conjointe de marché ». Explications : ce « contrat-cadre » fournit aux États européens un accès privilégié au Remdésivir mais c’est à chacun d’entre eux de régler la note via leurs budgets nationaux. Le montant maximal des potentiels achats européens à Gilead grâce à ce contrat ? 1,2 milliard de dollars, à raison de 2.440 dollars par patient traité, selon Reuters. Un montant élevé, quand on sait que son coût de fabrication est estimé à 5.58 dollars, selon les calculs d’une équipe de chercheurs. Par crainte d’une pénurie, de nombreux États européens ont passé commande. Soit 640.000 doses (il faut six doses pour traiter un patient), comme le relate l’enquête du Monde.
Mais en plus d’être chers, ces traitements vont devenir encombrants. Une semaine après la signature du contrat-cadre par la Commission européenne, les résultats préliminaires de l’essai clinique Solidarity annoncés par l’OMS le 15 octobre soulignent l’inefficacité du Remdésivir.
La Commission n’était donc pas au courant de ces résultats à venir ? Dans une enquête sur les méthodes de Gilead, le magazine américain Science a interrogé un porte-parole de la Commission. Selon lui, les mauvais résultats de Solidarity dont Gilead a eu connaissance dès le 23 septembre, n’ont pas été révélés lors des négociations ayant donné lieu au contrat du 8 octobre. Et la Commission n’en a été informée que… le lendemain de la signature de son contrat avec Gilead.
De son côté, la firme américaine s’est justifiée de ce silence auprès de la Commission en affirmant n’avoir reçu à l’époque que des données trop « fortement expurgées » pour lui transmettre. Dans Le Monde la virologue française Marie-Paule Kieny, qui a participé à Solidarity, juge la situation :
« Il y a un problème de transparence si la société Gilead – qui connaissait les résultats – n’a pas signalé à la Commission européenne leur existence. Il est aussi regrettable que la Commission n’ait pas pris des renseignements auprès de l’OMS sur l’avancée du plus gros essai mené avec le Remdésivir. »
III– La méthode Gilead : « Solidarity a tort, l’étude ACTT-1 a raison »
Depuis le désaveu de l’OMS, Gilead continue de défendre le Remdésivir mordicus. Pour cela, la stratégie de Gilead repose sur deux piliers : la relativisation des données de Solidarity pour l’un, et la promotion systématique de l’essai dirigé par les instituts de santé américains (dit « ACTT-1 ») pour l’autre. Celui qui a permis l’autorisation de mise sur le marché de son traitement aux États-Unis et en Europe.
Pour relativiser la portée de Solidarity le jour de la sortie de ses résultats préliminaires, le 15 octobre, le laboratoire a mis en cause leur validité en affirmant qu’« on ne sait pas si des données concluantes peuvent être tirées des résultats de l’étude ». Dans une lettre ouverte, le 22 octobre, le médecin en chef du laboratoire conteste la rigueur méthodologique de l’OMS en expliquant que ses tests ont été effectués dans des « régions du monde qui ne participent généralement pas aux études mondiales », et évoque « la variabilité de la mise en œuvre de l’étude, des contrôles standards des soins et des populations de patients entre les sites d’essai ». Il vante par ailleurs l’étude américaine« ACTT-1 » avec ténacité : « Nous savons d’après l’essai « ACTT-1 » que le Remdésivir conduit à une récupération plus rapide de cinq jours chez les patients hospitalisés. »
Cet argument des « cinq jours de récupération gagnés chez les patients hospitalisés » via l’étude « ACTT-1 » est devenu l’alpha et l’oméga de la rhétorique de Gilead. Le groupe l’a également utilisé à travers les médias. Dans le magazine L’Express le 2 novembre, deux cadres du groupe américain, Diana Brainard et Michel Joly, affirment :
« L’essai dirigé par les National Institues of Health (« ACTT-1″) démontre que notre traitement réduit de cinq jours la durée des symptômes. »
De même, ils déconsidèrent à leur tour les résultats de Solidarity :
« Nous restons très prudents quant à l’interprétation des résultats de Solidarity. Nous préférons attendre qu’ils soient publiés dans une revue scientifique et validés par des pairs indépendants. (…) Pour enrôler autant de patients dont les systèmes de soins diffèrent, ils ont dépriorisé la collecte rigoureuse de données. »
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