« Le journalisme soucieux des hommes et du terrain disparaît : la presse perd sa raison d’être ». — Jacques-Marie BOURGET

« Le journalisme soucieux des hommes et du terrain disparaît : la presse perd sa raison d’être ». — Jacques-Marie BOURGET
Vol clandestin entre Le Caire et Sanaa où J-M Bourget s’entretient avec Yasser Arafat – 1988

« Les Crises », le site pugnace et précis d’Olivier Berruyer m’a demandé un long entretien. J’ai été terrifié car je croyais être mort et rédigé moi-même ma nécro. En fait non. Souvenir, expérience, point de vue : un moment réjouissant (pour moi) de libre parole. C’est Edouard Vuiart, journaliste aux Crises, qui s’est attelé à la complexe besogne. Les lecteurs qui ont le défaut de me lire sur le Grand Soir ont peut suivi l’histoire de ma pérégrination dans l’enquête de l’affaire Greenpeace. Il y a ici quelques explications de plus. Mais pas de révélations sur la « quatrième, cinquième sixième…ou centième équipe ». Désolé. JMB

Écrivain, journaliste, après une carrière débutée à la Nouvelle Revue Française de Gallimard, sous la direction de Jean Paulhan, il sera successivement grand reporter à l’ORTF dont il est licencié en Mai 68, puis pour L’Aurore, Le Canard enchaîné, L’Express, VSD, Paris Match, ou encore The Sunday Times et Bakchich, Jacques-Marie Bourget a couvert, entre autres événements, la guerre de Six Jours, la guerre du Viêt Nam, les guerres du Liban, la guerre au Salvador, la première et la seconde Intifada, la première guerre du Golfe, et la guerre d’ex-Yougoslavie et aussi de nombreux conflits en Afrique.

En 1985, il obtient le prix Scoop pour avoir révélé l’affaire Greenpeace (Rainbow Warrior). Dans cet entretien Les-Crises, Jacques-Marie Bourget revient notamment sur les raisons du sabotage du Rainbow Warrior, sur les pressions politiques qu’il a subies au cours de sa carrière, et sur l’état du journalisme en Occident.

Edouard Vuiart : Dans votre article récemment publié sur Les-Crises, vous affirmez que « ce n’est pas pour protéger les essais nucléaires de Mururoa que le Rainbow Warrior a été neutralisé ». Pouvez-vous revenir sur les véritables raisons de cette opération des services français ?

C’est il y a quelques mois seulement que j’ai, un peu par hasard, appris la véritable raison du sabotage du Rainbow Warrior. Cet épisode tragique également scandale d’état a deux origines.

La première est que François Mitterrand a cédé à la pression d’un état-major militaire s’estimant fatigué d’avoir à déjouer et repousser les offensives des militants de Greenpeace lors de chacun des essais nucléaires dans le Pacifique. L’énervement de l’armée était fortement entretenu et relayé par Charles Hernu le ministre de la Défense. Mitterrand a cédé, il fallait donc « neutraliser » les perturbateurs écologistes sans faire de victimes.

La seconde raison, la plus importante, est qu’à la fin de la campagne d’essais nucléaires, le « pas de tir » et la protection dont il jouissait étaient utilisés pour tester d’autres types d’armes, en particulier des missiles. La DGSE ayant elle-même infiltré Greenpeace grâce à son agent, Christine Cabon, savait que des services étrangers, en particulier britanniques, avaient fait la même chose.

Le Rainbow Warrior étant alors « bourré » d’électronique (dixit la DGSE), il était évident que tout cet appareillage devait, selon les militaires, mesurer les paramètres des armes nouvelles. Mitterrand a refusé le sabotage du bateau dans le port de Rotterdam, puis au large, pour donner le feu vert sur la Nouvelle-Zélande.

E.V. : Comment expliquez-vous que le rôle joué par vos confrères Roger Faligot, Pascal Krop et vous-même dans la révélation de l’Affaire Greenpeace soit aujourd’hui totalement absent de presque tous les récits ?

Il m’est difficile d’évoquer cet aspect sans que l’on me reproche de soigner mon ego. En fait non. Et notre « disparition » de l’histoire est facile à constater si on compare la notice Wikipédia aujourd’hui consacrée à l’affaire, avec le contenu du mémoire de master rédigé par Thibault Seurin sur le même sujet, alors qu’il étudiait à Bordeaux. On trouve ici les dates de nos différentes parutions, les interventions médiatiques de Faligot, Krop et les miennes.

Si nous avons disparu, c’est que Edwy Plenel, qui accusait alors le RPR de Nouvelle-Calédonie d’avoir fait couler le bateau, a ensuite largement communiqué sur l’existence d’une « troisième équipe ».

En réalité il y avait au moins six équipes engagées dans l’opération de sabotage. Plenel a privilégié « la troisième », celle des poseurs de mines. Cette information n’ajoutait pas grand-chose à ce que j’avais révélé, et qui m’a valu le Prix Scoop.

L’avantage de la « troisième équipe » était d’entraîner la démission de Charles Hernu, ennemi de Plenel et de son protecteur Pierre Joxe. L’autre bénéfice de cette information était d’écarter les « époux Turenge » d’une incrimination pour crime, puisqu’ils n’ont pas posé la mine…

Plenel s’est accroché à ce tremplin, avec ses réseaux et le poids du Monde, journal où il travaillait à l’époque, il a lancé sa carrière de prince des révélations. Il a imposé sa construction de l’histoire, qui collait mal avec révélations. Comme on le constate dans l’histoire, il est courant, sur les vieilles photos d’effacer ceux qui ne conviennent pas.

E.V. : En août 1985, suite à vos révélations sur l’affaire Greenpeace, vous appreniez que l’Élysée portait plainte contre VSD et vous-même. Cette pression politique a-t-elle eu un impact sur la suite de la couverture du scandale ?

Après avoir révélé que le bateau écolo avait été coulé par la France, des amis m’ont fait savoir que, par sécurité, je devais prendre du champ. Je suis parti au Darfour avec une mission qui distribuait de la nourriture. Le comique est que l’avion, un C130, qui transportait le mil pour les affamés du Darfour, était le plus souvent utilisé par la DGSE !

Via le centre international de contact aérien de Berne, j’ai eu ma rédaction « Nous avons un procès de l’Élysée ». Ça m’a fait un choc. Mais très vite le « Palais » a compris qu’il avait perdu la partie. J’avais eu raison : la DGSE avait bien coulé le bateau et l’épouse « Turenge » était un capitaine des services.

E.V. : En mai 2019, plusieurs journalistes d’investigation travaillant sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite ont été convoqués dans les bureaux de la DGSI. Face à ces pressions politiques, le travail du journaliste d’investigation n’est-il pas en danger ?

Une fois que le courant de l’information est en marche, on ne peut l’arrêter. Sur différents dossiers j’ai été plusieurs fois convoqué aux Invalides, dans l’aile où la DGSE a des bureaux et son centre d’écoutes. Pour moi ce n’était pas inquiétant dans la mesure où je ne donnais aucune prise à du chantage.

Rien dans ma vie ou mon travail qui puisse faire l’objet de pressions. Lors des différentes convocations de ce type, par les services ou la police, j’ai toujours répondu « lisez, tout est dans le journal ». Dans l’affaire de Broglie, j’ai même été menacé d’une mise en examen…

E.V. : Le 21 octobre 2000, vous avez été grièvement blessé par un tir de sniper israélien sur la Grand-Place de Ramallah en Cisjordanie. Échappant de peu à la mort, vous vous êtes ensuite lancé dans un combat judiciaire pour faire reconnaître le caractère illégal de ce tir sur un civil journaliste. Pouvez-vous revenir sur les grandes étapes de ce combat qui dure depuis plus de vingt ans ?

Tout commence en novembre 1991 quand Robert Maxwell, un oligarque britannique, propriétaire du quotidien Daily Mirror, est retrouvé noyé près de son bateau aux Canaries. Je commence mon enquête et je surprends le commandant du navire, le « Lady Ghislaine », en train de téléphoner depuis un centre public des télécoms espagnoles.

Par chance j’obtiens de la jeune femme qui tient le standard le numéro appelé par ce capitaine. Aux USA un de mes contacts bien informés me précise que ce numéro « est réservé à la CIA ». Je comprends que ce n’est pas en glissant sur le pont que Maxwell était tombé à la mer. Mais comment prouver l’assassinat ?

Au printemps 1992 un contact me signale que je peux accéder à la vidéo de l’autopsie de Maxwell. Examen réalisé à Tel-Aviv dans les locaux du Shin Bet, l’équivalent israélien de la DST, le patron de presse, de confession juive, étant enterré à Jérusalem. Après un aller-retour en avion, je récupère ce document, celui de l’autopsie filmée. Il montre que l’homme d’affaires a été assassiné.

En faillite, ayant même pillé le fonds de pension de ses employés, Maxwell était à deux doigts, pour se rétablir financièrement, de participer à la vente d’une arme de destruction massive à un pays ennemi d’Israël et donc des États-Unis, l’Irak ou l’Iran… Le vendeur étant un groupe de militaires et d’industriels de l’armement d’une URSS qui venait de disparaître et laissait le pays ouvert à toutes les folies. Depuis 1945 où, à Prague, il avait servi aussi bien la CIA que le KGB, Maxwell avait gardé de très bonnes relations chez les communistes. Il fallait le liquider.

J’ai attendu 9 ans avant de retourner en Israël, sachant qu’on allait m’interroger…

Quand j’y suis retourné enfin pour la « seconde Intifada », on ne m’a posé aucune question. Mais le 21 octobre 2000, à Ramallah en Palestine occupée, alors que j’étais tranquillement sur une place publique, un tireur m’a expédié une balle de M 16 dans le poumon gauche, juste au-dessus du cœur. J’ai eu la chance statistiquement incroyable de survivre. Aujourd’hui, handicapé, je continue de me battre par principe pour obtenir justice.

En fait je n’avais pas pris la mesure de l’implacable désir de vengeance des politiciens israéliens. C’est Jean-Paul Cousserand, alors patron de la DGSE qui, lors d’une rencontre à Karachi sur les lieux d’un attentat contre la France, m’a ouvert les yeux « Mais, Jacques-Marie, qu’êtes-vous allé faire en Israël ? Vous ne saviez pas ce qui vous attendait ? ».

E.V. : Au cours de votre carrière, vous avez couvert la guerre de Six jours ainsi que la première et la seconde Intifada. Récemment, le ministre israélien des colonies Tzachi Hanegbi a menacé Joe Biden d’une nouvelle guerre si ce dernier parvenait à renouer un accord sur le nucléaire avec l’Iran. Comment percevez-vous l’arrivée prochaine du duo Biden-Harris à la tête de la Maison-Blanche, notamment en ce qui concerne le Proche-Orient ?

Biden ne va rien changer de fondamental. Sauf adapter des méthodes moins brutales, moins caricaturales. Mais son équipe est composée de personnages aussi redoutables que les « néoconservateurs » des Bush.

Plus même, car avec un vernis indu de défenseur des droits de l’homme, Biden sera capable d’imposer n’importe quelle mesure néo coloniale et de conquête dès qu’elle sera bonne pour le capitalisme américain. Obama était un magnifique VRP, mais combien de centaines d’innocents a-t-il assassinées avec ses drones ? Aux États-Unis c’est le lobby militaro-industriel qui conduit la politique étrangère, plus que la Maison-Blanche.

À propos du comportement d’Israël, le seul changement est l’évolution de l’opinion américaine, surtout chez les jeunes. Elle soutient de moins en moins la politique suicidaire de Washington au Moyen et Proche Orient. La sortie de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran est une folie alors que, même un politicien libéral comme Macron l’a défendu.

C’est une menace de guerre soutenue par un attelage surprenant, celui d’Israël, des Émirats et des Saoudiens. L’autre nouveauté est la disparition programmée de l’énergie fossile. Le pétrole des pays du Golfe et des Saoudiens ne va plus être un enjeu à défendre coûte que coûte.

Biden va se placer au mieux afin de continuer de contrôler l’Union européenne considérée, à juste titre par Washington comme un vaste marché/colonie. L’Europe a été propulsée, j’allais dire « inventée » par Jean Monet, très proche des Américains, et par Schuman, ancien ministre de Pétain.

Lisez « L’Intégration européenne de la France » et « Aux origines du carcan européen » deux ouvrages d’Annie Lacroix-Riz et « De Vichy à la Communauté européenne », le livre d’Antonin Cohen, des ouvrages extrêmement sérieux et documentés. Ils montrent où sont les vraies racines de l’Europe.

À Bruxelles le « travail » de lobbying », auprès des organisations européennes, occupe près de 40 000 personnes. La majorité d’entre elles sont là pour imposer le désir américain.

E.V. : Face aux dérives autoritaires qui — appuyées par des technologies toujours plus liberticides — menacent les démocraties occidentales, nombreux sont ceux qui se réfèrent à George Orwell et son ouvrage 1984 pour décrire le monde de demain. Selon vous, la référence à Orwell constitue bien trop souvent une erreur d’analyse. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Lu de façon sommaire, j’ai apprécié le travail d’Orwell sur la « Common decency », et ce que je croyais être la défense des libertés. Puis j’ai découvert en Orwell un militant maladif de l’anti -communisme et un agent au service de l’Empire britannique. Ce qui est son droit.

Ce soi-disant anarchiste (ce qu’il n’est pas alors qu’il a été, par exemple, flic colonial en Birmanie) n’a toujours aimé qu’un seul ordre, celui de l’Occident. Contre la monstrueuse URSS.

Pourquoi pas ? Mais cette obsession l’a conduit par exemple, pour le compte des services du Foreign Office, à dresser une liste de supposés « communistes », comme Charly Chaplin ou Katharine Hepburn. C’est pitoyable.

Aujourd’hui nous assistons à une vague orwellienne qui inverse le sens de son œuvre. Alors qu’il dénonçait le communisme, nombre de naïfs lisent ses écrits comme une critique du « Big Brother » américain ; alors que la CIA était son support fidèle ! Il serait utile que l’éditeur Denoël republie le livre « Qui mène la danse », étude de l’universitaire britannique Frances Stones Saunders. Les intellos anglais sont plus circonspects sur le travail d’Orwell. Aujourd’hui, au « marché noir » cet ouvrage peut coûter jusqu’à 600 euros. Pour les lecteurs à l’anglais facile, il n’en coûte que 15.

E.V. : Jusqu’à présent, le Pouvoir avait le monopole de la propagande médiatique. Aujourd’hui Internet casse ce monopole en permettant la diffusion d’une information différente, une contre-propagande parfois très sérieuse, mais hélas parfois aussi mensongère. Récemment, Barack Obama est même allé jusqu’à déclarer qu’Internet était « la plus grande menace pour notre démocratie ». Est-ce que selon vous le Pouvoir va réagir à cette concurrence dangereuse pour lui, et le cas échéant, de quelle manière ?

C’est une sottise. Supprimez Internet, Orwell sera content, car, par exemple, on ne diffusera plus une once de pensée marxiste. Je plaisante.

Internet c’est comme le papier de presse, on peut, en théorie, publier ce que l’on veut. Sauf que les journaux « papier » sont tous ou presque entre les mains d’oligarques qui utilisent la presse comme moyen pour défendre leurs intérêts économiques ou faire pression sur le monde politique.

Internet a l’avantage de la gratuité, de l’universalité, de la rapidité, petit à petit ces oligarques constatent qu’ils sont doublés par le diable d’Internet. Ils vont tout faire pour le domestiquer, le bloquer, le posséder. Et la liberté sera morte.

Ce qu’il faut, c’est que des groupes citoyens prennent le pouvoir, ou tout au moins du pouvoir, à l’intérieur d’Internet. Depuis que j’ai quitté la « grande » presse, je n’ai jamais autant travaillé, publié, informé. Tout en me trompant aussi. Tout cela est impossible dans le journalisme moribond que nous proposent les amis français du MEDEF, des tueurs de presse qui sont incapables de comprendre que sans liberté, sans contradiction, les journalistes ne peuvent pas vraiment faire leur travail.

Heureusement pour les éditeurs de presse, la situation des journalistes est si précaire qu’ils ne pensent à rien d’autre qu’à plaire pour survivre, et les écoles qui les « forment » sont des machines à fabriquer des « techniciens », et non des « journalistes ». Prenez l’exemple des « envoyés spéciaux » qui vont parfois au bout du monde « couvrir » un évènement…

Naguère l’envoyé spécial ne restait jamais moins d’une semaine, parfois des mois, pour comprendre et rapporter. Aujourd’hui le « spécial » fait un aller-retour entre deux avions juste pour justifier, par « une présence », ce que son rédacteur en chef a déjà écrit dans le journal. Du journalisme de marionnettes et le « regard » est mort.

Aujourd’hui le microcosme incestueux médiatique se gargarise d’un concept qui se veut nouveau : « le journalisme d’investigation ». C’est vilain un pléonasme puisque tout journaliste, même le confrère chargé de la rubrique jardinage, doit s’informer, chercher, douter, enquêter. Tout journaliste est donc un « investigateur ». Ce mot recouvre en fait une mode nouvelle qui fait que certains magistrats, policiers ou avocats distribuent les procès-verbaux d’instruction comme des confettis à la fête foraine. De fidèles journalistes recopient le contenu de ces PV et s’auto qualifient « investigateurs ». Cette mode est une dérive très grave puisqu’elle bafoue la loi, celle du secret, et aussi la présomption d’innocence : un procès-verbal bien choisi semble vous accuser alors qu’au bout du compte, vous aurez un non-lieu ou une relaxe en cas de procès. Et vous n’aurez même pas droit à trois lignes dans la presse pour informer le public de votre innocence. Quand les journalistes se transforment en auxiliaires des policiers ou des procureurs, la liberté est en danger.

Fils d’archevêques, fils de « journalistes » : le recrutement des écoles de « journalisme est indécent, pire encore que celui des écoles d’architecture. On ne trouve-là que des enfants de la moyenne et grande bourgeoisie. Leur rêve est de diriger, d’avoir une femme blonde, une maîtresse brune, une BMW bicolore turbo 4×4, une maison dans la vallée de Chevreuse. Et qu’ on ne vienne pas leur casser les pieds avec la vérité ! Elle doit se plier au statut rêvé : argent, blonde brune et BMW.

Un jour j’ai rencontré place de la Bourse à Paris, un ami journaliste qui était devenu responsable des études au CFJ, la chic école de la presse. Je lui ai demandé s’il enseignait le doute ? Il m’a répondu, « non rien que les certitudes ». Je suis allé deux fois au CFJ, pour parler du doute. Et je suis rentré chez moi en ayant compris que ce métier était foutu.

Bon, vous allez me parler d’Internet comme enfer des fake news, comme incubateur du complotisme. Eh oui.

Mais qui est, le plus souvent derrière la fake news ou le « complot », l’univers de l’argent. Si d’un côté « fakes » et « complotismes » existent bien, il n’en est pas moins vrai qu’ils sont aussi parfois un moyen de lutter contre la vérité.

Si une information vous dérange, la descendre en flammes est facile, il suffit de la taxer de « fake ». Le capitalisme de presse a trouvé des chiens de garde pour, parfois, dire « scientifiquement », « objectivement » que la vérité est fausse. Et discréditer de vrais lanceurs d’alerte, de vrais journalistes.

En parallèle, il faut que le « nouveau journalisme » d’Internet, pour ceux qui entendent publier autre chose que des humeurs des tribunes et des blogs, trouve un public payant. Des hommes et des femmes qui acceptent de verser quelques euros puisque le journalisme est une production coûteuse. L’information gratuite n’est pas du journalisme. La preuve Bolloré et ses amis ont tenté en vain l’expérience.

E.V. : En 1939, Albert Camus écrivait : « Un journal indépendant répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des analyses l’uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces ». Comment situez-vous la « grande » presse française par rapport à cette définition de l’indépendance journalistique ?

J’ai découvert il y a peu de temps des textes de Camus sur la presse, bizarrement ils étaient restés presque clandestins et montraient un Camus peu convenable, c’est-à-dire très radical. Ses propos sont terribles par leur exigence. Le journalisme, pour lui — et modestement c’est mon point de vue — est une vocation, un engagement plus qu’un métier. Et pardon pour ces propos qui font un peu « curé ».

Le « métier » c’est le style, la patte, la clarté de l’enquête ou de l’expression, la mise en page. Mais le journalisme d’abord est une affaire de regard et de tripes. Je le répète, le « regard » est mort et c’est l’origine de la disparition, avec lui, de la presse.

J’ai un ami, disparu dans le chagrin en même temps que ces journaux qu’il aimait tant : il n’allait jamais au cinéma, car « il avait trop peur qu’il se passe quelque chose pendant ce temps-là ». Je ne suis pas un fanatique du « modèle » américain en matière de presse (elle a décrit Saddam Hussein et des Armes de Destruction Massive qui n’existaient pas. Elle s’est encore ridiculisée en accusant la Russie d’avoir favorisé l’élection de Trump) mai je garde sa devise : « Le rôle du journalisme est de réconforter les faibles et d’affliger les puissants ».

Entretien réalisé par Edouard Vuiart des « Crises »

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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