Par Dragoslav Bokan
L’Antipresse a été conçue comme une avant-garde des événements à venir. Comme si quelqu’un en 1913 ou 1914 avait écrit pour les générations de l’après-guerre, celles qui, par une projection rétroactive, liraient les nouvelles de leurs Années folles dans un journal antidaté de 5 ou 6 ans.**
Du moment que les médias tant soit peux sérieux ne servent plus à informer (écrire le présent), mais s’occupent de prévoir (l’avenir) ou d’analyser (le passé), l’Antipresse a choisi une troisième voie: narrer au présent ce qui n’est pas encore arrivé, mais qui va seulement arriver. L’Antipresse éclaire ce qui n’affleurait même pas encore au moment de la création de ce projet, qui s’est avéré assez convaincant dans son futurisme.
Le vingtième siècle nous avait déroulé une séquence prévisible des événements, surtout après la fin de la première phase de la Guerre froide et la chute tonitruante du Mur de Berlin. Une sorte d’ornière avec une direction toute tracée vers un certain horizon.
Auteurs et lecteurs sont assis dans les wagons, mais seuls les machinistes, les conducteurs du train, voient devant. Je veux parler du rédacteur en chef et de son équipe.
La destinée de Poutine, la guerre des Américains avec leur propre Etat profond, la numérisation du monde, l’avènement d’un Pape si différent (avec un prédécesseur «retraité»), le naufrage de l’UE et le Brexit, les attaques renouvelées contre le «ventre mou» du voisinage russe (Ukraine, Biélorussie, Caucase…), l’inadmissible et incorrecte popularité de Djoković, la fin de la «fin de l’histoire» de Fukuyama, la rétro-fascination d’un Henry Kissinger, les révélations toutes nues de Wikileaks, la fable sinistre du «milliard doré» et de l’«extermination souhaitable de l’humanité surnuméraire», la grande migration vers l’Europe, la plus étrange pandémie jamais vue, de nouveaux vaccins, les cartels et les territoires géo-médicaux, les offensives de la guerre aux mâles (et des conflits raciaux sans fin), la destruction totale de la classe moyenne, le discrédit public de la monarchie britannique jusqu’alors intouchable, les facéties et les surprises de Trump, le déboulonnage des monuments historiques aux USA et le retrait du drapeau (désormais interdit) du Mississippi, les nouvelles formes d’exécution capitale aux USA, les châtiments féroces pour le harcèlement et le mobbing (comme si ces faits n’avaient jamais existé avant), les succès et les chutes de la Chine, le Nobel de littérature de Handke (une exception au milieu d’une série de distinctions accordées à des pamphlétaires généralement russophobes), l’attaque du Patriarcat de Moscou par Constantinople au travers des séparatistes kiéviens — un blitzkrieg ecclésio-barbouzier fracassant la coexistence jusqu’alors parfaitement pacifique des Eglises orthodoxes locales —, la victoire des séries à gros budget sur les films de Hollywood, le premier Oscar accordé à un film non-anglophone, l’effondrement complet de l’industrie du transport et du tourisme, la montée en puissance des youtubeurs… autant de «cygnes noirs» inattendus/attendus dans un kaleïdoscope infini d’événements fabuleux de tous genres.
L’Antipresse était un message dans une bouteille que nous avons lancée loin devant nous dans l’océan du temps afin que chacun de ceux qui la ramasseront sur leur propre rive l’ouvre pour soi-même et y trouve justement les nouvelles qui le concernent à ce moment-là et les réponses qu’il cherchait. Nous avons proclamé que tout est possible mais que rien n’est certain. Qu’il est stupide de s’étonner, mais dangereux de rester blasé. Et que la mort et l’indifférence sont une seule et même chose.
Du reste, il est tellement anachronique et ennuyeux, de nos jours, de s’occuper de ce qui demain déjà sera périmé et sans intérêt, comme une paire de chaussures démodées ou une vieille voiture trop disgracieuse pour faire un oldtimer. Même l’inoxydable Simon Cowell est fatigué, le grand chef Gordon Ramsay a vieilli, et son collègue Jamie Oliver a fait faillite. Seuls Ronnie O’Sullivan et Tom Brady se maintiennent encore, comme dans leurs plus belles années. Et puis aussi, bien sûr, les empereurs indestructibles, Vladimir Poutine et Xi Jinping, infailliblement immortels et démultipliés jusqu’à la Fin des temps et à la Seconde venue du Christ.
Dragoslav Bokan est metteur en scène, scénariste et directeur de magazines en Serbie. Texte traduit du serbe par Slobodan Despot.
Photo Antonios Ntoumas/Pixabay
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