Rupture de l’accord sur le nucléaire iranien, à qui la faute ?

Rupture de l’accord sur le nucléaire iranien, à qui la faute ?
Rupture de l’accord sur le nucléaire iranien, à qui la faute ?

par Morgan Lotz.

Le 8 mai 2018, le président américain Donald Trump choisit de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire en dépit des protestations de la communauté internationale et annonce le rétablissement des sanctions américaines contre l’Iran. Les tensions vont dès lors s’intensifier, paraissant à plusieurs reprises atteindre un point de non-retour faisant craindre l’éclatement d’un conflit armé. Pourtant, malgré ce qu’un certain courant iranophobe peut affirmer, l’entière responsabilité de cette situation incombe aux États-Unis qui décidèrent de gâcher l’un des plus grands succès diplomatiques de ce début du 21ème siècle, faisant fi du strict respect de l’Iran envers ses engagements.

Les premières sanctions américaines furent décrétées dès 1979 avec le gel de 12 milliards d’actifs financiers détenus par l’Iran. Bien que les officiels américains déclarent avoir restitué la quasi-totalité de ces avoirs, les gouvernements iraniens successifs ont contesté ces déclarations et estiment à 10 milliards le nombre d’actifs encore gelés. De plus, les États-Unis se servirent de 65 millions de dollars parmi ces avoirs à la suite d’une prise en otage de trois ressortissants américains au Liban en justifiant cela par un « soutien iranien » des ravisseurs.

En 1984, les États-Unis instaurent un embargo sur les armes et l’interdiction d’émettre des crédits financiers servant les intérêts iraniens. En 1995, deux nouveaux embargos américains sont décrétés : le premier en mars sur le pétrole et le second en mai sur l’ensemble des relations économiques et commerciales avec l’Iran. L’année suivante, en 1996, la loi Amato-Kennedy interdit à toute entreprise étrangère d’investir en Iran pour un montant supérieur à 20 millions de dollars dans le secteur hydrocarbure. À ce titre, la multinationale française Total sera obligée de payer aux États-Unis 300 millions de dollars – les Américains nommeront cette opération un « accord à l’amiable »…

En 2004, l’interdiction de la coopération scientifique avec les chercheurs iraniens et la restriction sur le commerce d’équipements aéronautiques est décidée, puis, en 2006, une restriction concernant les services financiers américains fournis à l’Iran voit le jour en septembre et la résolution 1737 décrétée par l’ONU en décembre interdit la fourniture de matériels et technologies liés au domaine nucléaire, ainsi que le gel de capitaux d’entreprises et de personnes liés aux recherches nucléaires iraniennes.

En 2007, un embargo est décrété par l’Union Européenne concernant les armes, le matériel de surveillance des télécommunications, le matériel de maintien de l’ordre et le matériel nucléaire.

Lorsque l’Iran inaugure le 17 février 2008 la Bourse Internationale Iranienne du Pétrole (en anglais IIPE, Iranian International Petroleum Exchange) dans le but d’échanger ses produits pétroliers avec sa devise nationale, le rial, plutôt qu’avec le dollar comme cela se pratique dans le monde entier, les États-Unis n’acceptent pas la création de cette bourse et décrètent aussitôt un nouvel embargo à l’encontre des sociétés internationales qui commercent avec l’Iran. En effet, l’obligation pour tous les pays du monde de régler les produits pétroliers en dollars les force à acheter ces dollars auprès de la Réserve Fédérale des États-Unis, seule institution autorisée à émettre la monnaie nationale étasunienne. La Bourse Internationale Iranienne du Pétrole permettant de fixer un nouvel indice de référence pour fixer le prix du pétrole et cela dans une devise autre que le dollar américain, les États-Unis y voient une menace contre leur monopole imposé et leur mainmise sur les ressources pétrolières mondiales.

En 2012, l’Union Européenne décrète une nouvelle interdiction concernant l’importation d’hydrocarbures iraniens et l’exportation à destination de l’Iran de matériaux miniers, d’équipements navals et de métaux précieux. De plus, les actifs financiers iraniens sont gelés, les transports aériens de frets provenant d’Iran sont interdits d’accès et le commerce avec l’Iran de pièces et de services de maintenance aériens sont interdits. La même année, le Congrès américain vote le National Defense Authorization Act destiné à restreindre la possibilité des banques iraniennes d’utiliser des services financiers étrangers pour exporter les hydrocarbures iraniens. L’année suivante, il vote le renforcement des sanctions déjà existantes.

La stratégie américaine de diabolisation de l’Iran se heurte à la réalité des faits

Le président américain George W. Bush désigne en janvier 2002 l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord comme appartenant à ce qu’il nomme « l’Axe du Mal ». Selon lui, ces pays « menacent les États-Unis » et « encouragent le terrorisme » (sic!). Cependant, comment ne pouvons-nous pas nous sentir interpellés devant la réalité ?

Ce sont les États-Unis qui entreprennent depuis les années 1990 des actions militaires contre l’Iran.

Ce sont les États-Unis qui envoient leurs drones survoler l’Iran depuis 2003.

Ce sont les États-Unis qui refusèrent d’accorder des visas à la délégation du Parlement iranien souhaitant participer à une rencontre parlementaire internationale des Nations Unies en septembre 2005. Les visas seront finalement accordés trop tard et la délégation ne pourra assister à cette rencontre. Une fois de plus, les États-Unis bafouent le droit international qu’ils prétendent défendre : le règlement de l’ONU est formel, les États-Unis sont obligés d’accorder des visas aux représentants de n’importe quel pays membre sans restriction possible.

Ce sont les États-Unis qui font pression sur l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique) lorsque la secrétaire d’État Condoleezza Rice déclare en juin 2005 que son directeur Mohammed El-Baradei doit « durcir sa position à propos de l’Iran » au risque de ne pas obtenir de troisième mandat à sa direction.

Ce sont les États-Unis qui veulent la guerre et la préparent activement. L’ancien officier de la CIA Philip Giraldi rapporte en août 2005 les propos du vice-président Dick Cheney ordonnant au STRATCOM la préparation d’un « plan d’urgence à appliquer en réponse à une attaque terroriste de type 11 septembre sur les États-Unis… [y compris] une attaque aérienne massive sur l’Iran en employant des armes nucléaires tactiques et des armes conventionnelles… sans qu’il soit nécessaire que l’Iran soit effectivement impliqué dans des actions terroristes contre les États-Unis ».

Ce sont les États-Unis qui menacent l’Iran et harcèlent le peuple iranien en déclarant que « toutes les options, y compris l’usage unilatéral de la force et d’armes nucléaires d’agression, sont sur le tapis », violant ainsi le Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires qu’ils ont pourtant signé et ratifié.

Ce sont les États-Unis qui refusent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à protéger leur souveraineté en déclarant « un Iran possédant l’arme nucléaire n’est pas acceptable ».

Ce sont Israël et l’Arabie Saoudite qui refusent de voir l’équilibre géopolitique du Moyen-Orient changer et évoluer vers la paix en critiquant et en refusant toute tentative d’accord et de dialogue, de même que la conversation téléphonique entre les présidents américain Barack Obama et iranien Hassan Rohani aux derniers jours des négociations de l’accord sur le nucléaire iranien.

Ce sont les États-Unis qui exacerbent les tensions lorsque l’Iran accepte l’inspection de ses sites nucléaires par l’AIEA. Eux-mêmes en font-ils autant ?

Ce sont les États-Unis qui ont un budget militaire quarante fois supérieur à celui de l’Iran.

Ce sont les États-Unis qui évoquent contre l’Iran « une campagne navale et aérienne de bombardements contre son infrastructure nucléaire ».

Comment devant ces faits s’obstiner dans un discours idéologique à sens unique définissant l’Iran comme le danger absolu ?

La signature de l’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015 : le Plan d’Action Global Commun (PGAC)

En juillet 2015, la situation change lorsqu’est signé le Plan d’Action Global Commun (PAGC en français), permettant de trouver une solution concernant le contrôle des activités nucléaires iraniennes et la levée des sanctions imposées par les États-Unis. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies (la France, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et les États-Unis), l’Allemagne et l’Iran signent cet accord. Les sanctions européennes sont alors temporairement allégées et l’ONU adopte la résolution 2231 : la fourniture d’armements lourds doit être autorisé par les Nations Unies mais la livraison de missiles balistiques reste interdite de même que le secteur nucléaire est soumis à de multiples restrictions et de nombreux contrôles de l’AIEA sont effectués.

Cet accord peut se résumer en trois points :

  • une limitation du programme nucléaire iranien :
    • 1) les centrifugeuses ne peuvent excéder 5060 exemplaires contre 19 000 dont seul le modèle IR-1 est autorisé. Le reste est stocké à Natanz sous scellés de l’AIEA.
    • 2) le stock d’uranium enrichi est limité à 300 kilogrammes et ne doit pas excéder un enrichissement de 3,67% pendant 15 ans. Le surplus est expédié hors d’Iran.
    • 3) la production de plutonium est limitée : la centrale à eau lourde d’Arak est modifiée afin de ne plus produire d’eau lourde d’une part et aucune centrale produisant de l’eau lourde ne peut être construite pendant 15 ans d’autre part.
  • une levée des sanctions internationales contre l’Iran : les principales sanctions contre l’Iran doivent être levées dans les secteurs de l’énergie, des transports et de la finance, des actifs financiers et des hydrocarbures. Certains échanges concernant les logiciels et les métaux restent cependant concernés par l’embargo. L’Union Européenne supprime son embargo contre les produits pétroliers iraniens.
  • un renforcement des contrôles : l’Iran accepte les inspections intrusives et renforcées des inspecteurs de l’AIEA pendant les 15 années de l’accord et jusqu’à 20 ans pour le parc de centrifugeuses et 25 ans pour la production de concentré d’uranium (surnommé « yellowcake »).

En dépit des accords signés, la réalité montre que les États-Unis ne levèrent que peu de leurs sanctions et surveillent étroitement leurs entreprises travaillant avec leurs homologues iraniennes.

La rupture américaine de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement injustifié  des sanctions

Lorsque Donald Trump décida de quitter unilatéralement cet accord, il prit soin de rétablir les sanctions déjà existantes. L’utilisation du dollar est interdite dans les transactions commerciales avec l’Iran et un nouvel embargo concerne les secteurs aériens, miniers et pétroliers. En conséquence de quoi l’Iran porte plainte contre les États-Unis devant la Cour Internationale de Justice en juillet 2018 dans le but de « faire rendre des comptes aux États-Unis pour leur réimposition illégale de sanctions unilatérales ». Les conséquences sont nombreuses, à commencer par l’inflation des prix et les nombreuses difficultés de la vie quotidienne que subit le peuple iranien. Jamais les sanctions imposées par les États-Unis n’ont été si dures : l’importation en Iran de biens alimentaires et de médicaments est formellement interdite ! L’ONG Human Right Watch dénonce d’ailleurs cette situation intolérable, particulièrement lorsqu’elle provient d’un pays se disant « civilisé » et « œuvrant pour les Droits de l’Homme » (sic!).

Ce retrait de l’accord sur le nucléaire est totalement injustifié. Les contrôles menés par l’AIEA et leurs rapports sont formels : l’Iran a toujours respecté ses engagements.  L’Iran n’a pas stocké plus de 300 kilogrammes d’uranium enrichi et celui-ci n’a jamais dépassé 3,67% d’uranium 235 contenu. Le 16 janvier 2016, l’AIEA publie un rapport attestant que l’Iran respecte ses engagements. Le 11 février 2018, le stock d’eau lourde a été vérifié à 117,9 tonnes et le stock d’uranium enrichi est descendu à 109,5 kilogrammes conformément aux engagements iraniens pris lors de la signature du PGAC. Il ne s’agit pas là d’allégation ou de propagande, il s’agit du rapport de l’AIEA qui certifia formellement du respect iranien des exigences préliminaires formulées par le PGAC : plusieurs milliers de centrifugeuses furent déconnectées, le réacteur situé à Arak fut mis hors d’état de fonctionnement et l’uranium enrichi en excès vendu à la Russie. L’une des premières mesures lors du rétablissement des sanctions fut d’interdire la vente de cet uranium : comment dès lors respecter ses engagements en ne pouvant plus vendre un surplus devant obligatoirement être vendu ?

De nouvelles sanctions sont imposées par les États-Unis en septembre 2019 afin de bloquer les dernières sources de revenu de la Banque Centrale d’Iran et du Fond national de développement. Jamais les sanctions ne furent aussi dures à l’encontre de l’Iran, ce que confirme le président américain Donald Trump non sans une cynique et méprisable fierté. Et contrairement aux allégations américaines qui prétendent que le domaine médical n’est pas touché, les Iraniens ne pourront acheter aucun bien médical durant la pandémie de covid-19. Au nom de la liberté et des droits de l’Homme…

Morgan Lotz, Iranologue et fondateur de www.negah.fr

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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