Il y a 30 ans, le 28 novembre 1990, 28 militaires afro-mauritaniens étaient exécutés sommairement par leur hiérarchie à Inal, dans l’ouest du pays. Ce massacre est symptomatique des graves violations des droits humains commises durant ce qui sera appelé plus tard le « passif humanitaire » ou les « années de braise ».
À la fin des années 1980, la Mauritanie, pays à majorité arabe et berbère alors dirigé par le colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, est marquée par de fortes discriminations raciales à l’égard des communautés noires.
En 1986, plusieurs cadres des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM), un mouvement d’opposition fondé clandestinement en 1983, publient le Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé, dans lequel ils décrivent les persécutions subies par les « Afro-Mauritaniens », terme générique englobant les minorités (noires) halpulaars, soninkés et wolofs.
C’est dans ce contexte que le gouvernement déclare, le 28 octobre 1987, avoir découvert et empêché l’exécution d’un coup d’État fomenté par une cinquantaine d’officiers halpulareen, parmi lesquels figurent des signataires du manifeste.
À la suite d’un procès expéditif devant une cour spéciale de justice, trois d’entre eux sont condamnés à la peine capitale le 3 décembre 1987 et exécutés trois jours plus tard.
Même si le point de départ du « passif humanitaire » est sujet à débat, ces exécutions constituent les prémisses d’une campagne de répression plus large visant la communauté afro-mauritanienne dans son ensemble.
En 1989, prenant pour prétexte un incident transfrontalier, les autorités expulsent plus de 60 000 Afro-Mauritaniens vers le Mali et le Sénégal.
Dans le même temps, environ 3 000 militaires afro-mauritaniens sont mis aux arrêts entre octobre 1990 et mi-janvier 1991. Selon les estimations, entre 500 et 600 d’entre eux sont exécutés ou décèdent des suites de tortures.
Le point culminant de cette répression est sans aucun doute le massacre d’Inal, lorsque 28 soldats noirs sont pendus dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990.
Le camp d’Inal, situé dans le désert près de la frontière avec le Sahara occidental, a joué un rôle majeur dans la mise en œuvre des purges au sein de l’armée.
Sur les 250 soldats à y avoir été transférés, seuls 96 auraient survécu, d’après les estimations de Mahamadou Sy, lui-même rescapé du camp.
Les premières informations sur ces exactions ont commencé à émerger à partir de mars 1991, quand les premiers prisonniers ont commencé à être libérés après l’entrée en vigueur d’une grâce présidentielle.
À l’occasion des 30 ans du massacre d’Inal, MENA Rights Group et le Cadre de concertation des rescapés de Mauritanie (CCR-M) ont publié un rapport public sur l’absence de résolution du « passif humanitaire ».
Un « tabou national »
Après avoir nié, dans un premier temps, l’existence de ces crimes, les autorités ont promulgué en 1993 la loi n° 93-23 qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour toutes les infractions qu’elles auraient pu commettre dans le cadre de l’exercice de leur fonction entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992.
Le texte précise en effet que « toute plainte, tout procès-verbal et tout document d’enquête relatifs à cette période et concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie sera classé sans suite ».
Faute de pouvoir introduire des recours au niveau interne, les victimes et leurs ayants droit n’ont pas eu d’autres choix que de se tourner vers les juridictions internationales.
En 2000, la Mauritanie a été condamnée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) en raison de ses graves violations du droit à la vie et du droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
À la suite d’une plainte déposée par deux victimes, Ely Ould Dah, officier de renseignement à Jreïda au début des années 1990, a été arrêté en France en 1999.
En 2005, il a été condamné par contumace à dix ans de réclusion criminelle par la cour d’assises de Nîmes pour des actes de torture et de barbarie.
Les violations commises durant le « passif humanitaire » demeurent encore aujourd’hui un véritable tabou national, comme l’a constaté le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme dans son rapport publié à la suite d’une visite dans le pays en 2014.
Même si durant la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz (2009-2019), les autorités ont reconnu d’une manière vague et générale que des agents de l’État avaient commis de graves abus – une prière commémorative a été organisée à Kaédi en 2009 –, elles n’ont pas pris les mesures nécessaires permettant de faire en sorte que les auteurs de ces violations répondent de leurs actes. Certains responsables occupent toujours des postes au sein de l’administration de l’État.
Sourd aux recommandations
Lorsque les associations de victimes, comme la Coordination des organisations des victimes de la répression (COVIRE), le Collectif des orphelins des victimes civiles et militaires (COVICIM) et le Collectif des veuves des victimes militaires et civiles des événements de 1989-1991, organisent de leur propre initiative des cérémonies mémorielles, ces dernières sont systématiquement entravées.
Ainsi, samedi dernier, 36 personnes ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de marcher en direction de la tribune officielle où le président Mohamed Ould Ghazouani, en poste depuis août 2019, assistait à un défilé militaire organisé à l’occasion de la fête nationale.
Un projet de loi a été déposé par la députée Anissa Ba (issue de l’opposition) visant à abroger loi n°93-23 et instaurer une Haute Commission pour la vérité et la réconciliation, mais le Parlement ne semble pas pressé de se prononcer sur le texte.
De son côté, le gouvernement continue de rester sourd aux recommandations formulées par les instances onusiennes l’appelant à abroger la loi d’amnistie afin d’établir la vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables et de leur imposer des peines appropriées, ainsi que de pourvoir à une réparation intégrale de toutes les victimes et de leurs ayants droit.
Bien que le racisme ait diminué en intensité depuis le début des années 1990, les causes structurelles ayant débouché sur le « passif humanitaire » demeurent une réalité.
Les populations noires restent en effet largement exclues des affaires politiques et publiques, notamment dans les postes de responsabilité et de décision au sein de l’administration, de l’armée et de la police. Nul doute que si le gouvernement entend réellement lutter contre les discriminations raciales, il ne pourra faire l’économie d’une politique mémorielle.
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