30 novembre 2020
Dans un long article publié sur Linkedin mais aussi en interne, le général d’armée François Gieré, inspecteur général des armées-Gendarmerie (IGA-G) se penche de manière approfondie sur la militarité de la Gendarmerie, un sujet particulièrement opportun dans le contexte actuel.
“Alors que certains craignaient la disparition de son statut de force armée suite à son transfert au ministère de l’Intérieur en 2009, son identité militaire s’est vue au contraire renforcée en droit et s’exprime au quotidien au travers des missions très variées qu’elle exécute sur l’ensemble du territoire national et au-delà” écrit en préambule le second général cinq étoiles de l’Arme.
“Il m’a donc semblé important, à un moment où les crises se succèdent, de rappeler les fondements de la “militarité” de la Gendarmerie, en quoi elle constitue un outil précieux au service de la Nation et comment préserver cette singularité afin de continuer à #RépondrePrésent” précise le général François Gieré.
“Privée de son statut militaire, la Gendarmerie ne pourrait se maintenir durablement dans certaines zones désertées et ne pourrait par conséquent plus assurer la sécurité des 95% du territoire dont elle a la responsabilité avec la même efficacité” assure notamment l’ancien directeur des opérations et de l’emploi.
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De l’identité militaire de la Gendarmerie
Du point de vue juridique, la militarité de la Gendarmerie est doublement affirmée par le législateur au travers de la combinaison de la loi du 25 mars 2005 portant statut général des militaires et de la loi du 3 août 2009 relative à la Gendarmerie nationale.
L’article premier du statut général des militaires fixe la mission – la défense de la patrie, la défense des intérêts supérieurs de la nation – et énonce l’exigence de l’état militaire : l’esprit de sacrifice en toutes circonstances, y compris le sacrifice suprême. L’article 7 ajoute une sujétion à servir en tous temps et en tous lieux. Enfin, l’article 8 consacre les principes d’obéissance et de la responsabilité dans l’exécution de la mission.
Parallèlement, la loi du 3 août 2009 relative à la Gendarmerie nationale consacre son rattachement au ministère de l’Intérieur mais consolide son statut de force armée et confirme l’étendue de ses missions, tant civiles que militaires. La Gendarmerie y est précisément définie comme “une force armée instituée pour veiller à l’exécution des lois” et non comme une “police militaire” ou même une “force de police à statut militaire”.
DISPOSER D’UNE FORCE À LA FOIS PROCHE DE LA POLICE ET DES ARMÉES EST UN ATOUT INDÉNIABLE POUR LA NATION DANS LE CONTINUUM DÉFENSE-SÉCURITÉ.
général François Gieré
Cette dualité des normes juridiques s’illustre par exemple, et alors même que le code de déontologie du ministère de l’Intérieur est commun aux gendarmes et policiers, au travers de l’article R 434-31 du code de la sécurité intérieure qui dispose que l’état militaire des gendarmes exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême – le colonel Beltrame en est l’héroïque illustration -, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. Il est également fait mention à l’article suivant que le gendarme, soldat de la loi, est soumis aux devoirs et sujétions prévus par le statut général des militaires défini par le code de la défense, ainsi qu’aux sujétions spécifiques liées aux conditions de l’exercice du métier de militaire de la Gendarmerie.
DANS LES FAITS, LA MILITARITÉ DE LA GENDARMERIE NE FAIT AUJOURD’HUI PLUS DÉBAT ET LUI CONFÈRE DE NOMBREUX ATOUTS OPÉRATIONNELS : DISPONIBILITÉ, RÉACTIVITÉ, PROXIMITÉ
Cette disponibilité, cette réactivité et cette immersion au sein de la population sont avant tout rendues possible par le statut militaire des gendarmes et l’organisation de force armée de la Gendarmerie :
– En effet, la singularité du statut militaire (esprit de sacrifice, discipline, disponibilité, loyalisme, neutralité) garantit souplesse et simplicité d’action, par un équilibre précieux entre des restrictions assumées et consenties (pas de liberté de domicile ni d’affectation qui permettent par la mutation en tous lieux et la CLNAS associée de couvrir les 3 200 unités territoriales ; pas de limitation du temps de travail – et donc pas d’heures supplémentaires – mais encadrement du temps de repos ; pas de droit syndical mais système de concertation ; pas de liberté d’adhésion aux partis politiques, qui fonde la loyauté du gendarme ; hypothèse du don de sa vie portée dans le contrat initial signé par tout gendarme) et des mesures de reconnaissance et de compensation (retraite, bénéfice des campagnes, décorations) ;
– Par ailleurs, dans le respect de l’autorité administrative et judiciaire exercée par les préfets et les magistrats et en lien très étroit avec la police nationale, l’organisation de force armée fait le choix de la plénitude des responsabilités territoriales et de la déconcentration des pouvoirs des chefs militaires plutôt que l’organisation en silos des responsabilités qui peut s’avérer complexe notamment en temps de crise.
Un service public de proximité
La finesse et la cohérence du maillage territorial de la Gendarmerie permises par le statut militaire contribuent à l’égalité des territoires et des citoyens devant le service public de sécurité, principe fondamental de notre démocratie républicaine.
PRIVÉE DE SON STATUT MILITAIRE, LA GENDARMERIE NE POURRAIT SE MAINTENIR DURABLEMENT DANS CERTAINES ZONES DÉSERTÉES ET NE POURRAIT PAR CONSÉQUENT PLUS ASSURER LA SÉCURITÉ DES 95% DU TERRITOIRE DONT ELLE A LA RESPONSABILITÉ AVEC LA MÊME EFFICACITÉ.
Moins proche, elle serait en outre moins disponible, sauf à voir ses effectifs considérablement augmenter. Or, les atouts de cette proximité, qui permet de #RépondrePrésent au plus profond des territoires, se sont encore illustrés très récemment au travers des évènements dramatiques survenus dans l’arrière-pays niçois après le passage de la tempête Alex. Alors que leur brigade venait d’être emportée par les eaux et que toutes les voies de communication étaient coupées, les militaires de Saint-Martin-Vésubie, ayant mis en sécurité l’armement et les transmissions de leur unité, ont pu très rapidement porter secours aux habitants du village.
La militarité : un atout face aux crises qui se multiplient
Le statut militaire des gendarmes apporte des garanties capacitaires sur tous les types de situations de crise, y compris les plus intenses et durables. Dans les crises de l’échelon intermédiaire, c’est-à-dire dans la zone interstitielle des situations de crise de moyenne ou de haute intensité qui ne sont plus policières mais pas encore militaires, la Gendarmerie est un atout précieux évitant de recourir à l’engagement des armées sur le territoire national.
LE MAILLAGE TERRITORIAL DE LA GENDARMERIE ET SA CAPACITÉ DE MONTÉE EN PUISSANCE, NOTAMMENT GRÂCE À UN CORPS DE RÉSERVISTES OPÉRATIONNELS DENSE ET BIEN ÉQUIPÉCONTRIBUE ÉGALEMENT À LA CAPACITÉ DE GESTION DE CRISE
Cette présence territoriale de proximité permet de faire valoir une réponse en chaque endroit, dans la profondeur du territoire.
Son statut réaffirmé lui permet de maintenir des liens forts avec les armées
La conception de la manœuvre et une culture opérationnelle de la planification sont partagées par les Armées et la Gendarmerie nationale. A cet égard, la mise sur pieds d’un centre national des opérations (CNO) à la DGGN représente un signal fort. Un accord de coopération leur permet de formaliser des relations construites dans la proximité et la confiance.
PARADOXALEMENT, CES RELATIONS N’ÉTAIENT PAS AUSSI PRÉGNANTES LORSQUE LA GENDARMERIE ÉTAIT AU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE.
Cela s’avère aujourd’hui particulièrement utile à l’État et à la population lorsque, par exemple, des catastrophes naturelles en métropole ou dans les outre-mer nécessitent la conjugaison de moyens militaires des armées et de la Gendarmerie. Cela a été le cas lors du passage sur les Antilles de la tempête Irma en septembre 2017. D’importants moyens humains et matériels de la Gendarmerie ont été rapidement projetés sur place grâce à une excellente coopération logistique avec les armées. Une fois sur place, gendarmes et militaires de l’armée de Terre ont contribué ensemble à la sécurisation des zones dévastées.
LA MILITARITÉ DE LA GENDARMERIE, BIEN QUE PROFONDÉMENT ANCRÉE DANS SON HISTOIRE ET DANS SES VALEURS, DOIT-ÊTRE EN PERMANENCE RENFORCÉE ET VALORISÉE POUR FAIRE FACE AUX ÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ
Une militarité confrontée aux mutations sociétales
Les valeurs militaires doivent faire face aux “ismes” : l’individualisme, le communautarisme, le matérialisme ou l’hédonisme. C’est un phénomène que l’on retrouve également en Gendarmerie, sans doute avec une intensité moindre qu’au regard du reste de la société mais supérieure par rapport aux forces armées, en raison de l’immersion sociale de la Gendarmerie, de ses missions et de son activité “policière”. Pour garantir sa militarité et mettre à disposition de notre appareil de sécurité nationale les “soldats de la loi” des années à venir, la Gendarmerie doit intégrer ces évolutions générationnelles en s’appuyant dans ses formations et au quotidien sur 5 piliers intangibles : le sens de la mission et de l’engagement, un esprit de corps adossé à une ouverture d’esprit, une cohésion de la Gendarmerie résultant de la qualité de la concertation et de la confiance dans la hiérarchie, la préservation d’un ascenseur social dynamique au sein de l’institution et le souci de la qualité de vie comme des conditions de travail des personnels mais aussi de leurs familles.
Les armées font le constat du besoin d’un renforcement de “ l’épaisseur humaine” de leurs cadres, confrontés très tôt à des situations particulièrement complexes et traumatisantes, alors même que les générations actuelles démontrent d’une façon générale une moindre maturité. Leurs conclusions aboutissent à des réformes conséquentes (“esprit guerrier”, préparation au combat de haute intensité, “ESCC2030”, etc.). La Gendarmerie partage ce constat et mène des réflexions en conséquence.
La banalisation de la militarité : un piège à éviter
Une attention particulière doit être portée aux risques ou aux tentations de banalisation de la militarité de la Gendarmerie, que ces tentations soient externes
(normes inadaptées aux contraintes particulières des militaires, contraintes budgétaires pesant sur les formations militaires initiales ou continues) ou internes (réduction de la mobilité professionnelle ou assouplissement du logement obligatoire en caserne). Ne pas banaliser ni laisser s’altérer l’identité militaire est essentiel en raison des valeurs qui y sont attachées et que l’on retrouve à l’article L.4111-1 du code de la défense : esprit de sacrifice pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyauté et neutralité.
Nous pouvons y ajouter d’autres valeurs communément partagées par les forces armées : réactivité, adaptabilité, sens de la mission, robustesse, sens du devoir, force maîtrisée, loyauté, éthique et déontologie, résilience des hommes et des structures. Les gendarmes peuvent en effet être amenés à faire le sacrifice de leur vie pour la Nation : cela revêt un intérêt considérable pour la sécurité de nos concitoyens et justifie pleinement que la mission spécifiquement militaire de défense des intérêts fondamentaux de la Nation, qui est le cœur même de la Gendarmerie, soit sacralisée.
Recrutement et formation : les deux piliers de l’efficacité militaire
Le recrutement et la formation sont les premiers échelons de préservation de la militarité. Les gendarmes étant le produit des évolutions sociétales et sociales, les générations actuelles étant à la recherche de sens, la stratégie de recrutement requiert d’insister sur le sens du métier, le sens de l’engagement et le sens du service de la population–. Les personnels de la gendarmerie étant également issus de parcours individuels très variés – ce qui est une force pour l’institution –, la communication liée au recrutement doit par conséquent recourir à des canaux de communication adaptés à tous, utilisant un langage audible pour les futurs candidats, sans travestir pour autant le message ni ce qu’est l’institution, sur le modèle des campagnes de recrutement de l’armée de Terre.
S’agissant de la formation elle-même, des Assises se sont tenues le 21 mai 2019 à la direction générale de la Gendarmerie nationale. Une des conclusions fut que la formation initiale devait insister auprès des recrues sur les valeurs et les objectifs de militarité, de robustesse et de résilience.
LE MAINTIEN DE LA FORMATION MILITAIRE DANS LE CURSUS DE LA FORMATION INITIALE DES OFFICIERS ET DES SOUS-OFFICIERS EST AINSI UN GAGE FONDAMENTAL DE MILITARITÉ ALORS QUE L’ON PEUT ÊTRE OPTIMISTE S’AGISSANT DE LA PERSISTANCE DE LA MILITARITÉ, LES GENDARMES ÉTANT PAR PRINCIPE ET DANS LEUR TRÈS GRANDE MAJORITÉ ATTACHÉS À LEUR ÉTAT MILITAIRE
De plus, ces dernières années, la défense du sanctuaire national est redevenue une priorité face à la pression terroriste et l’apparition d’une radicalisation violente. Institution militaire légitime et reconnue, la Gendarmerie, s’inscrit naturellement dans la défense de ce sanctuaire et prend toute sa place dans ce combat inscrit dans la durée.
Une militarité perçue de façon différente selon les missions
La militarité du gendarme est vécue avec plus ou moins d’intensité selon son affectation, sa mission. Pour les gendarmeries spécialisées, tout comme la prévôté, immergées au sein des armées, cela va de soi. Il en est de même pour la gendarmerie mobile, avec son organisation de type militaire (escadron, peloton, groupe), engagée outre-mer et au besoin dans les opérations extérieures. Cela est encore plus prégnant pour les unités d’intervention (GIGN, pelotons de sûreté portuaire, unités de protections des centrales nucléaires, etc.). Si la conscience de la militarité de la gendarmerie départementale est sans doute plus diffuse, celle-ci tend cependant à se renforcer, ne serait-ce qu’en raison des enjeux du terrorisme conduisant à durcir ses capacités d’action (antennes GIGN déconcentrées, PSIG “SABRE”). De la “police des campagnes”, la gendarmerie départementale dont la majorité des territoires se situe aujourd’hui en zone périurbaine, glisse vers le “contrôle de zone” sur des territoires désormais irrigués par des flux divers (routiers, ferroviaires, fluviaux, maritimes et aériens) dont elle doit assurer la surveillance.
La préservation et le renforcement de la concertation
L’originalité du dialogue interne de la Gendarmerie – le système de “concertation” – a fêté en 2019 ses 30 ans et a fait, à l’occasion du rattachement, dix ans plus tôt, son entrée dans un ministère de l’Intérieur accordant traditionnellement une grande place aux syndicats de police. La concertation, outil désormais reconnu et utilisé par le ministre de l’Intérieur, responsable du dialogue social au sein de son ministère, est un point d’ancrage fort à la communauté militaire. La condition militaire repose en effet sur de nécessaires compensations et la reconnaissance de la Nation. De plus, l’exigence de “parité globale de traitement” entre policiers et gendarmes est particulièrement importante depuis le rattachement de la Gendarmerie à l’Intérieur. Au fil des crises qui ont marqué son histoire récente (1989, 2001), la Gendarmerie a su faire évoluer, par touches successives, son dispositif de concertation, et ce toujours dans le respect de sa militarité et de ses valeurs.
Prévôts de la Gendarmerie (Photo Sirpa Gendarmerie)
A n’en pas douter, ces évolutions se poursuivront encore avec pour seule ambition de toujours moderniser cet outil afin qu’il constitue un modèle empreint de maturité et tourné vers la défense de l’intérêt général, un véritable levier pour la performance, un facteur de cohésion. Dans l’esprit du plan GEND 20.24 porté par le général d’armée Christian Rodriguez, Directeur général de la Gendarmerie nationale (DGGN), le dialogue interne doit permettre enfin à tous les militaires de la Gendarmerie, quels que soient leur grade et leur statut, de s’engager ensemble et en confiance.
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