Ce 2 décembre 2020, le Sénat français a officiellement reçu Juan Guaido via vidéo conférence. A quelques jours des prochaines élections législatives au Venezuela, la volonté d’afficher notre République aux côtés de ce triste personnage a de quoi surprendre. En réalité, elle s’inscrit dans la continuité de notre diplomatie depuis près de deux ans.
Notons tout de même que les sénateurs socialistes ont déclaré que cette audition était « inopportune » à quelques jours du scrutin. Leurs homologues communistes ont qualifié la présence de Guaido de « malvenue ». Il n’empêche que le politicien vénézuélien a tout de même pu s’exprimer entre deux contre-vérités (voire calomnies) des sénateurs de droite et de LREM.
Faut-il encore rappeler qui est Juan Guaido ? Visiblement oui.
Juan Guaido est le visage d’une opération de changement de régime initié par Donald Trump, et dont héritera certainement Joe Biden. A travers une tentative de coup d’État institutionnel, celui-ci s’est auto-proclamé président par intérim du Venezuela au détour d’une rue, en janvier 2019. Le réseau de pays qui a inféodé sa politique étrangère à celle des USA l’a immédiatement reconnu comme tel, sans prendre un seul instant en compte l’opinion du Peuple vénézuélien.
Mais cette opération s’est heurtée tout autant à la résistance des Vénézuéliens qu’à celle des institutions de l’État. Le 30 avril 2019, dans un geste désespéré, le pion de Washington se lança dans une tentative de coup d’État militaire aussi éphémère qu’illusoire.
A partir du 1er mai 2019, il est devenu clair que l’opération Guaido ne déboucherait pas sur un changement de régime. La stratégie putschiste n’a pas réussi. Pour les États-Unis et leurs alliés, Guaido devient alors la façade pseudo-légale qui va justifier le pillage du Venezuela.
Mais dans le pays caribéen, le blanc-seing dont bénéficiait Guaido au sein de l’opposition commence à se fissurer. Et les premières salves ne vont pas tarder à venir de son propre camp. Le 18 juin 2019, le très droitier journal PanAm Post révèle un scandale de corruption impliquant l’entourage de l’auto-proclamé. Ses plus proches collaborateurs ont détourné l’argent destiné à de l’aide humanitaire. En septembre de la même année sont mis à jour les liens qui unissent le « leader » intérimaire de l’opposition avec le cartel narco-paramilitaire colombien Los Rastrojos. Quelques jours plus tard, le représentant de Guaido en Colombie, Humberto Calderon Berti, renonce à cette tâche avec fracas en dénonçant des malversations au sein de l’entreprise pétrochimique d’État Monomeros dont s’est emparé le clan Guaido avec la complicité de la Colombie. Les révélations de scandales ne s’arrêtent plus : racket d’entrepreneurs en Colombie et aux États-Unis, détournement des fonds humanitaires via des ONG de façades, contrebande de produits pétrochimiques, liens avec des cartels de la drogue colombiens (los Rastrojos et le Cartel de la Guajira), contrat passé avec des entreprises de barbouzes (Silvercorp) pour tenter d’assassiner le président Maduro, l’entreprise Guaido apparait au grand jour comme ce qu’elle est : une organisation mafieuse. Les États-Unis ferment les yeux sur toutes ces magouilles tant que le Gang de Guaido lui permet de piller le Venezuela au vu et au su de tous.
Mais, de plus en plus de politiciens vénézuéliens et d’élus adverses au chavisme sont écœurés par les pratiques de cette organisation mafieuse.
La question qui se pose alors est assez simple ? Quel est l’intérêt de la France de recevoir un bandit sous les ornements du Palais du Luxembourg ? Pourquoi la France s’obstine-t-elle dans cette vaine croisade alors qu’elle pourrait briller sur la scène internationale en soutenant la volonté démocratique des vénézuéliens de décider de leur futur en paix ?
En effet, de nombreux partis politiques ont décidé d’abandonner le chemin de la violence politique et de remettre l’opposition vénézuélienne sur les rails constitutionnels. Sur les 14.400 candidats en lice pour les élections législatives du 6 décembre 2020, le chavisme n’en a présenté que 554. Le calcul est assez simple. Un enfant de primaire pourrait aisément l’enseigner à de nombreux sénateurs français. L’opposition vénézuélienne est extrêmement mobilisée pour tenter de remporter la majorité au sein du futur hémicycle, mais aussi pour tourner la page de l’opération Guaido. Il semble d’ailleurs étonnant que le Sénat français n’ait pas pris la peine d’auditionner les nombreux représentants de cette opposition démocratique.
Car la tentative de coup d’État initié en janvier 2019 reposait sur un semblant de légalité. A cette date, le député Guaido occupait temporairement la présidence de l’Assemblée Nationale. A partir de janvier 2021, cet état de fait volera en éclats. Et avec lui, tout le récit élaboré, depuis Washington, pour tenter de renverser le président Maduro. Pourquoi donc la grande majorité des sénateurs français tentent-ils de maintenir une visibilité à la frange la plus extrémiste de l’opposition ? Celle qui exige plus de sanctions contre le Peuple vénézuélien et clame pour une intervention militaire et la destruction du Venezuela.
Il faut aussi rappeler que seul une quarantaine de pays (sur les 193 que compte l’ONU) se sont engouffrés avec entrain dans l’opération de changement de régime de Washington. L’immense majorité de la communauté internationale a respecté le droit international et la souveraineté du Venezuela. Avec le soutien inconditionnel à l’opération Guaido, la France a exposé son alignement derrière les intérêts des États-Unis. Une politique incompréhensible qui persiste aujourd’hui avec la venue virtuelle de Guaido au Sénat. Pourquoi donc notre pays se fait-il le promoteur des desseins diplomatiques d’un pays étranger ? Y gagne-t-on en légitimité internationale ? Certainement pas.
Il y a quelques jours, lors d’un entretien fleuve avec la revue Le Grand Continent, le président Macron a esquissé ce que devrait être les principes directeurs de la diplomatie française, et du rôle que la France devrait jouer dans le concert des Nations. C’est une initiative louable. Mais Emmanuel Macron met la charrue avant les bœufs. Avant de définir les axes diplomatiques dont la France pourrait assumer le leadership, il convient d’abord de regagner une crédibilité et reconstruire une respectabilité qui s’est effiloché dans le même temps que notre politique étrangère indépendante. Les gesticulations récentes du président français au Liban ou contre le président turque Racyp Erdogan en sont un triste exemple, et montrent à quel point, la France n’est plus guère prise au sérieux.
Et malheureusement, il n’est pas sûr que le soutien manifeste du Sénat à un délinquant international vienne redorer le blason de la République française sur la scène internationale.
Romain MIGUS
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir