Les Etats-Unis ont repris et intensifié les provocations de la Guerre Froide dans les eaux territoriales revendiquées par la Russie, dans l’Extrême-Orient russe. Mais en envoyant un navire de guerre près des côtes de la Russie, ils poussent encore plus Moscou vers l’alliance avec Pékin.
Mardi 24 novembre 2020, Vladivostok, la ville principale de l’Extrême-Orient russe était toujours en train de lutter contre les conséquences d’une incroyable tempête de glace qui avait laissé des milliers d’habitants sans électricité, sans chauffage et sans eau. Un autre drame se déroulait le même jour, à l’insu de la population, un drame provoqué par l’homme celui-là, à moins de cent kilomètres au large de la ville. Deux grandes puissances, les Etats-Unis et la Russie étaient engagées dans une épreuve de force navale.
Le 24 novembre 2020, le destroyer lanceur de missiles « USS John McCain » entrait dans les eaux territoriales revendiquées par la Russie, la Baie de Pierre le Grand, dans la mer du Japon (connue également comme la mer de l’Est) pour conduire une « opération de liberté de navigation » visant à défier les « revendications maritimes excessives de la Russie ». Le navire américain a été intercepté par le destroyer anti sous-marin russe « Amiral Vinogradov » qui, selon le ministère de la Défense russe a menacé le « John McCain » d’une manœuvre d’abordage, le forçant à quitter les eaux russes. Le ministère a déclaré que : « après la mise en garde de « l’Amiral Vinogradov » qui avait changé de trajectoire, l’USS John McCain a rejoint les eaux internationales ». De son côté, le commandement de la 7e Flotte américaine a nié cette expulsion : « les Etats-Unis ne cèdent jamais à l’intimidation et ne sont jamais forcés d’accepter des revendications maritimes illégitimes, comme celles faites par la Fédération de Russie ».
Le statut légal de la « Baie de Pierre le Grand » où la rencontre s’est déroulée, est controversé. En 1957, Moscou a décrété sa propre juridiction sur la baie en tant que « mer intérieure » de l’Union Soviétique », une revendication que les Etats-Unis n’ont jamais reconnue. Pendant la Guerre froide, les USA ont régulièrement défié l’URSS en envoyant des navires près des côtes pacifiques de la Russie dans des opération de « liberté de navigation ». La dernière de ces opérations s’est déroulée en 1987. Ensuite, pendant plus de trente ans, les Etats-Unis ont cessé de défier ouvertement la Russie dans la Baie de Pierre le Grand. Mais les incursions au large de Vladivostok ont recommencé en décembre 2018. Quelqu’un au sein de l’administration américaine avait sans doute décidé qu’il était temps de rappeler à la Russie le principe de la liberté des mers. La visite impromptue du « John McCain » est le deuxième incident de ce type en deux ans.
La rencontre précédente, au large de Vladivostok, s’était terminée à peu près sans problèmes, le navire de la marine américaine franchissant brièvement la limite des eaux revendiquées par la Russie avant de s’éloigner. Mais une fin pacifique n’est absolument pas garantie dans ce cas de figure. Le destroyer russe « Amiral Vinogradov » qui a escorté le « John McCain », selon toute vraisemblance, ne bluffait pas quand il a indiqué son intention d’aborder le navire américain. On ne peut pas douter que le commandant du navire russe avait reçu pour instruction, de forcer celui qui était perçu comme un intrus, hors des eaux russes par tous les moyens possibles, à l’exclusion de l’ouverture du feu. On notera en passant que, dans cette rencontre, les deux navires étaient à peu près de tailles égales, ce qui signifiait des chances égales en cas de collision.
Les marins russes ont quelque expérience dans l’abordage de navires de guerre américains en mission de « liberté de navigation ». Dans les derniers jours de la Guerre froide, en février 1988, des navires soviétiques étaient délibérément entrés en collision avec le croiseur américain « Yorktown » et le destroyer « Caron », quand ceux-ci étaient entrés dans les eaux territoriales soviétiques en Mer Noire. Ce n’est pas par hasard que les médias russes ont consacré de nombreux articles à cet épisode oublié, le présentant comme un acte héroïque.
Depuis le début de la crise ukrainienne en 2014, il y a eu un nombre important de rencontres dangereusement proches, entre les forces russes et américaines, en mer, en l’air et sur terre. Dans un des épisodes maritimes, en juin 2019, le même destroyer « Amiral Vinogradov » avait rencontré l’USS « Chancelorsville » en mer des Philippines, changeant brusquement de trajectoire et forçant le navire américain à renverser la vapeur à plein régime, pour éviter la collision.
La volonté russe de s’en prendre aux navires américains pourrait sembler illogique, étant donné la grande différence des forces navales entre ces deux pays. Dans ce cas particulier, la Flotte russe du Pacifique basée à Vladivostok est très loin de la puissance de la 7e Flotte américaine basée dans le port japonais de Yokosuka. Il suffit de savoir que la Flotte du Pacifique russe n’a pas reçu une seule unité nouvelle depuis la fin des années 80. Il s’agit maintenant simplement d’une force chargée de garder les côtes de l’Extrême-Orient russe. L’emploi de tactiques d’intimidation vis à vis des forces américaines dans ce cas, et dans d’autres cas de bravades similaires, est une façon, pour la Russie, de compenser ses faiblesses d’équipement par la démonstration d’une détermination supérieure. Et plus ces rencontres se produisent près des frontières russes, plus la détermination russe se renforce. Dans la rencontre avec le « John McCain » dans les eaux proches de Vladivostok, l’équilibre de détermination penchait à l’évidence du côté de la Russie.
Il y a une autre dimension stratégique, peut-être plus importante encore, dans ces manœuvres d’intimidation russo-américaines. Pendant longtemps, Washington a cherché à convaincre Moscou que la Chine était le danger principal pour l’Extrême Orient russe (l’Occident a récemment ajouté à ce « récit », la menace chinoise pour l’Arctique russe). Mais, de manière assez ironique, ce sont les navires américains qui viennent défier la marine russe au large des côtes russes. C’est le meilleur moyen de renforcer la coopération stratégique sino-russe. Des opérations de « liberté de navigation » sino-russes au large de l’Alaska, d’Hawaï ou d’Okinawa ne sont peut-être pas si loin. La détermination russe et le développement de la marine chinoise seraient une bonne combinaison.
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