Un texte d’Isabelle Pouliot
Après un séjour de neuf ans au Québec, l’abbé Séraphin se prépare à retourner au Cameroun, son pays natal. Quand je lui demande comment il s’est retrouvé ici, il me répond que c’est un pur hasard ! Mais après toutes ces années, il constate que c’est également un cadeau de Dieu…
Séraphin Guy Balla Ndegue est né à Yaoundé au Cameroun. Déjà vers l’âge de 10 ans, il considère l’idée de devenir prêtre. L’appel nait tout naturellement en son cœur. « C’est comme si j’étais porté par quelque chose qui ne s’explique pas, mais qui se vit. Tu sens que tu es fait pour ça. »
Après son secondaire, il choisit donc d’entrer au grand séminaire pour un cheminement de sept ans qui le mènera directement à la prêtrise.
« [Mes proches] trouvaient ça à la fois drôle et en même temps ils étaient émerveillés de me voir en habit de prêtre, car j’étais quelqu’un de très ordinaire. »
Séraphin Guy Balla Ndegue
Peu avant la fin de ses études survient un évènement qui va le bouleverser profondément. Deux de ses amis d’enfance meurent dans un accident de voiture. « J’étais supposé être dans cette voiture. » Il devait se rendre avec eux à une cérémonie d’ordination, mais au dernier moment, il ne sait trop pourquoi, il décide de ne pas y aller. Il avait 23 ans. « Ça m’a beaucoup marqué. Surtout qu’on avait cheminé ensemble jusque-là. J’ai compris qu’on ne devient pas prêtre parce qu’on le mérite. Il y a quelque chose… »
Le 9 décembre 2006, outre sa famille proche, beaucoup de ses cousins et amis avec qui il aime jouer au soccer sont présents à la cérémonie d’ordination. « Ils trouvaient ça à la fois drôle et en même temps ils étaient émerveillés de me voir en habit de prêtre, car j’étais quelqu’un de très ordinaire. »
En route vers le Canada
Deux ans après son ordination, son évêque de l’époque, Monseigneur Victor Tonye Bakotlui, lui propose d’aller étudier la théologie ou la philosophie. Mais Séraphin a d’autres aspirations… Il lui demande s’il ne pourrait pas plutôt faire des sciences sociales. D’abord très surpris, l’évêque accepte. Séraphin fait son baccalauréat et sa maitrise en anthropologie au Cameroun. Arrivé au doctorat, il souhaite le faire à l’extérieur du pays. Il commence donc des démarches pour aller en France. Entretemps, une religieuse le met en contact avec son neveu qui étudie l’anthropologie à Québec. Celui-ci l’incite à venir au Canada.
« Ben voyons ! pense Séraphin. C’est trop loin ! Je ne connais personne là-bas ! Et il fait trop froid ! » Sur les conseils du neveu, il admet que le système canadien sera sans doute plus avantageux pour lui. Mais comment aller vivre là-bas ?
Il rencontre son évêque qui lui dit : « On n’a pas de prêtre au Canada, on ne connait personne ; tu vas où ? » Séraphin admet ne pas savoir… Monseigneur Bakotlui dit au jeune prêtre de se mettre à genou et implore sur lui la bénédiction de Dieu. Il demande deux choses : que Séraphin reste en santé et qu’il rencontre des personnes qui vont l’aimer. « Et c’est exactement ce que j’ai vécu ! » s’émerveille Séraphin.
Séraphin s’envole donc pour le Canada. À son arrivée, un prêtre du diocèse de Québec vient l’accueillir à l’aéroport. Après quelques semaines, une place se libère pour lui au presbytère Saint-Yves, tout près de l’Université Laval.
L’abbé Laurier Morasse, alors curé de la paroisse, a été sa porte d’entrée au pays. « Quand il est venu me saluer pour la première fois, il n’a pas dit “Bienvenue au pays.” Il a dit : “Bienvenue dans notre famille.” Il m’a pris comme son petit frère. Il m’a énormément soutenu. »
Perte de repères
Les trois premières années sont très difficiles. Séraphin a perdu ses repères. « J’ignorais les réalités d’ici. Le mode de vie est totalement différent. Être prêtre au Cameroun, ce n’est pas la même chose qu’ici. »
Il n’avait jamais vécu d’insécurité financière. Lors de ses quatre premières années, il n’est pas possible qu’on l’engage comme vicaire pour la paroisse. Outre l’aspect financier, il trouve difficile d’être prêtre et de ne pas se sentir utile. Toutefois, cette situation lui donne le temps nécessaire pour l’aider à comprendre et à intégrer sa nouvelle réalité.
Les études à l’université lui demandent aussi une adaptation. « La scolarité est nettement plus élevée au Canada. » Selon lui, les gens sont très autonomes ici. « On ne nous dit pas quoi faire. Le rapport à l’autorité est différent. » Au début, il avait besoin qu’on lui explique les choses. « Des fois, les gens vont tenir pour acquis que tu comprends alors que tu ne comprends rien ! Ça demande d’être très éveillé. Il faut beaucoup observer, poser des questions. »
Le langage est une autre adaptation… La première chose qui le frappe en arrivant, c’est la façon de parler, l’accent. « Il faut se faire l’oreille. » Ensuite, il y a les expressions québécoises, y compris les sacres. « Moi personnellement, ça ne m’a pas heurté du tout. Je ne trouvais pas ça méchant, ça fait partie du langage populaire. Ce n’est pas intentionnellement pour manquer de respect à qui que ce soit. Je trouvais ça très original. »
Le fait d’être entouré de jeunes Québécois à l’université l’aide au niveau de l’intégration, de la langue, de l’accent, des habitudes de vie. Il leur pose des questions, leur demande de lui apprendre. Son directeur de thèse est aussi un ange sur sa route.
Québec, ville sainte
L’abbé Séraphin voit la société québécoise comme une société profondément chrétienne. « Il y a le préjugé que les Québécois ne sont pas chrétiens, ne vont pas à l’église. Une chose est d’aller à l’église et une autre est de vivre des valeurs chrétiennes. »
« On nage dans la sainteté au Québec ! »
Séraphin Guy Balla Ndegue
Il appelle même Québec « la ville sainte par excellence » ! « Il y a des saints partout : Sainte-Foy, Saint-Athanase… On nage dans la sainteté au Québec ! » s’exclame-t-il en riant ! « Ça, ça frappe ! Avec tout ce vocabulaire, ces églises, on ne peut pas faire l’hypothèse que les gens ne connaissent pas Dieu. Quand on vit avec les gens au jour le jour, on voit que les gens sont profondément chrétiens dans leur façon de faire. »
Séraphin s’intègre tranquillement à la communauté. En 2015, il devient vicaire à la paroisse où il réside. Il ne cesse de répéter combien les Québécois sont très accueillants. « Les gens m’ont accueilli ici comme un des leurs ! » Chaque fois qu’il dit la messe, les gens sont contents, ils vont le voir après, l’invitent à souper. « Parfois je manquais de place dans mon agenda ! » On lui apprend même à faire du ski !
Un regard différent
Il termine ses études en 2017, mais demeure vicaire à la paroisse. En même temps, il donne des cours au département des sciences religieuses de l’UQAM et au département d’anthropologie de l’Université Laval. Il est aussi stagiaire postdoctoral à la faculté de médecine et au département d’anthropologie de l’Université Laval, ce qui lui donne plusieurs fois l’opportunité de voyager dans l’arctique Canadien. Le fait de ne plus être étudiant lui permet de découvrir un peu plus le Canada et de poser un regard différent sur les choses.
Il voit dans le Québec une société très organisée. Sa culture différente de la nôtre ainsi que sa formation en anthropologie l’amènent notamment à poser son propre regard sur la situation de l’Église au Québec.
« Apparemment ça décline, mais pour moi, les facteurs sont surtout sociaux. » Tout d’abord, il remarque que les jeunes Québécois travaillent très fort du lundi au vendredi. Ils n’ont que la fin de semaine pour passer du temps avec leurs enfants. Ils ont aussi beaucoup de loisirs. Trouver du temps pour l’Église à travers tout cela n’est pas facile.
Il remarque aussi que la transmission de certaines valeurs et le développement de certains talents se font en dehors de l’Église. « En Afrique, si tu veux jouer au soccer, si tu veux faire des études de manière beaucoup plus rangée et efficace, c’est généralement l’Église qui a encore ces choses-là. C’est donc normal que beaucoup de jeunes y aillent. » Pour lui, l’Église d’ici doit tenir compte de ces facteurs sociaux pour créer des espaces de rencontres avec les familles.
Son autre constat est que l’écart d’âge est très grand entre le clergé et les jeunes familles. « Les jeunes attirent les jeunes. Si on a de jeunes prêtres, les jeunes couples vont venir. Ça prend des plus jeunes, même au niveau des laïcs, qui vont oser de nouvelles choses. Sans oublier nos ainés qui sont là et qui soutiennent l’Église actuellement. »
Rassembler les peuples
En 2019, à la suite du décès de son père, il commence à penser revenir chez lui. Il postule à l’Université de Yaoundé pour enseigner au département d’anthropologie et sa candidature est acceptée. Un nouveau défi l’attend là-bas…
Séraphin ne cesse de répéter combien il a été privilégié au Québec. Il remercie de tout cœur toutes les personnes qui l’ont soutenu. En repartant au Cameroun, il est plus que jamais déterminé à travailler pour la rencontre avec l’autre parce que lui-même a été accueilli.
Il est émerveillé de l’amour que les gens lui ont témoigné. « Je n’ai pas de famille au Canada, mais je ne me suis pas senti seul. N’est-ce pas un miracle ? Quand Jésus nous dit dans l’Évangile de rassembler les peuples. C’est faisable. Je l’ai vécu ici. Maintenant que je m’en vais, je dois faire de même. »
« Pourquoi je suis venu au Québec ? Parce que Dieu m’y attendait. »
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