Par Vincent Gouysse. Pour www.marxisme.fr
Quand on parle du fascisme, ils est d’abord essentiel, comme pour l’étude de la réalité économique et sociale soviétique, de s’attacher à s’élever au-dessus des mythes colportés par les médias et l’enseignement bourgeois. De leur point de vue, le fascisme serait d’abord synonyme de nazisme, et serait également le frère jumeau du « communisme », et en particulier du stalinisme, qui serait également le fruit d’une démence humaine… La naissance du fascisme ne serait pas inhérente au capitalisme, mais serait un « accident de l’Histoire » ayant émergé à cause de la prétendue folie d’un homme. On se garde bien d’expliquer comment cette folie a pu ensuite étreindre de vastes couches de la société allemande… Le fascisme serait caractérisé par le racisme (l’antisémitisme notamment) et la violence systémiques. En bref, le fascisme est ravalé à une dimension aussi idéaliste que psychologique ignorant les forces structurelles économiques et sociales qui ont présidé à son émergence en tant que force politique de premier plan.
Selon la définition léniniste, le fascisme est la dictature terroriste ouverte du Capital contre les travailleurs. Aux sources du fascisme se trouve d’abord le capitalisme monopoliste qui a émergé après la crise économique mondiale de 1870. Cette crise a considérablement accru la concentration capitalistique et accélérée la formation d’entreprises monopolistes géantes, et aboutit à la fusion du Capital bancaire et industriel. C’est la naissance du Capital financier qui acquiert dès lors un poids prépondérant dans l’économie des pays capitalistes avancés et dont Lénine a si bien analysé les tendances innées à la réaction dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Pour ces monopoles géants organisés à l’échelle de leur pays, la conquête des marchés extérieurs (approvisionnement en matières premières à bas coût et extension des débouchés pour les exportations), est devenue l’enjeu majeur de leur développement, afin de tenter de surmonter les conséquences économiques et sociales de la production marchande qui a témoigné, avec la naissance et la répression sauvage de la Commune de Paris, que le cadre national était devenu trop étroit pour permettre aux forces productives de continuer à se développer sans ruiner toujours d’avantage le prolétariat en aggravant les conditions de son exploitation, avec à la clef la périlleuse menace de l’explosion sociale.
Afin d’octroyer à ses esclaves salariés des conditions d’exploitation plus confortables et donc de lui forger des chaînes dorées sans pour autant mettre à mal ses profits, la bourgeoisie monopoliste commença à utiliser son empire colonial pour y extorquer des surprofits croissants et tenter d’y exporter le surplus de capitaux excédentaires. Mais l’Allemagne, dotée d’une puissance industrielle de premier plan, était très mal pourvue en colonies, notamment par rapport à la France et à l’Angleterre. C’est la volonté de repartage du gâteau colonial à son profit par la force qui détermina le Capital allemand à engager la première confrontation mondiale inter-impérialiste (1914-1918). La défaite conjuguée au prix exorbitant des réparations économiques payées aux vainqueurs ainsi que les répercussions mondiales de la crise économique de 1929, s’accompagnèrent d’une poussée du mouvement ouvrier révolutionnaire allemand. Nous donnons ci-après un chant de combat majeur du KPD datant de 1932 et intitulé « Chant de combat contre le fascisme » :
En voici la traduction française de ce chant allemand:
Chant de combat contre le fascisme
Qui paie l’argent pour Hitler et sa compagnie ?
Ce sont les grands profiteurs de l’industrie des canons
Leur parole c’est l’assassinat des travailleurs, ils chantent les jours sanglants.
Résiste, armée des travailleurs, lance la contre-attaque !
Balayons la duperie du Front de Fer, et ceux qui bernent le prolétariat
Seul nous aide le Front rouge uni du travailleur, paysan et soldat
Hors de la vielle illusion, le Front uni marche
Sous le drapeau rouge qui porte faucille et marteau. [REFRAIN]
Les réformistes braillent : Hitler ne doit pas arriver au pouvoir !
Mais qui donc, pour commencer, a déblayé le chemin aux fascistes ?
Severing interdit l’Union des Combattants du Front Rouge, mais jamais l’Armée brune
Voilà pourquoi que soit déclaré le combat, que soient envoyés au diable les dirigeants du SPD !
[REFRAIN]
Et si menacent les hordes de Hitler, l’Union de combat se tient prête.
Alors ça sera la fin des assassinats, alors viendra une autre époque !
Quand ensemble avec l’Union soviétique nous aurons mis fin aux agissements des bourreaux,
Et la force unie des travailleurs brise le front brun !
[REFRAIN]
En ce qui concerne l’ascension au pouvoir du Parti nazi en étroite collusion avec le Capital financier allemand, nous renvoyons à l’ouvrage excellemment documenté de l’historien Jacques R. Pauwels : « Big Business avec Hitler » (Editions Aden, 2013), un intitulé qui se traduit à la fois par « Le grand Capital avec Hitler » et « De bonnes affaires avec Hitler »… Pour en résumer succinctement l’essence, le premier enseignement du fascisme est que « le nazisme d’Hitler, et le fascisme en général, sont une manifestation du capitalisme – et le capitalisme pourrait très bien engendrer à nouveau des formes de fascisme ». L’auteur décrit d’abord la situation de la République de Weimar où les syndicats avaient leur mot à dire et où les employeurs devaient faire des concessions au monde du travail et se plaignaient constamment des lourdes « charges sociales » :
« Ils se plaignaient de la politique sociale ainsi que fiscale […] les salaires étaient trop élevés à leur goût, les heures de travail trop courtes […] Ils se lamentaient de la tendance allant vers un État-providence, ils disaient même vivre dans un État contrôlé par les syndicats […] Ils n’aimaient pas la démocratie et continuaient à préférer la monarchie […] Ils étaient convaincus que le système politique [de Weimar] avait une influence néfaste sur la compétitivité de l’industrie allemande ».
En d’autres termes, la sempiternelle plainte des capitalistes en manque de profits… Une situation qui, comme le souligne Jacques Pauwels était d’autant plus intolérable que l’Allemagne était dépourvue de colonies et devait payer des réparations à la France et à la Belgique synonymes de « saignée financière dont l’industrie, naturellement, dut contribuer à supporter les frais ». Le Capital rêvait alors « d’un régime autoritaire et militariste » capable d’imposer « aux travailleurs allemands la discipline de fer nécessaire » et de « déclencher une guerre « revancharde », « qui concrétiserait les rêves expansionnistes de la grande industrie », une guerre qui, comme Hitler le préconisait dans Mein Kampf (1925) visait à doter l’Allemagne de colonies arrachées au territoire soviétique. Cette guerre de conquête du « Lebensraum » (c’est-à-dire « l’espace vital » dont avait besoin le Capital financier allemand pour rayonner à l’échelle internationale) devrait aboutir « à la destruction totale de l’Union soviétique, le pays qui incarnait la révolution et qui fonctionnait comme source d’inspiration et comme guide pour les révolutionnaires en devenir de leur propre pays ».
Des millions d’allemands misérables seraient alors envoyés coloniser cette « terre de l’Est », rendue vierge, une marche vers l’Est qui était entre autre inspirée de « la très brutale conquête du Wild West par les Américains au XIXe siècle, conquête qui fit forte impression sur Hitler lui-même »… Fils de notable, recevant dès les années 1920 « un soutien financier considérable de bienfaiteurs richissimes », Hitler était parvenu à « se faire coopter par la grande bourgeoisie » et était devenu dès le début des années 1930 un multimillionnaire servi par des domestiques et possédant une grosse Mercedes, à l’instar des grands capitalistes de l’industrie et de la finance. Hitler « ne fut jamais socialiste », « avait en sainte horreur tout ce qui était socialiste » et déclara à de multiples reprises vouloir « l’éradication de la conception marxiste du monde », « comme il l’écrivit dans un mémorandum adressé à des industriels, le 22 octobre 1922 ».
« Mais il se rendait compte que l’esprit du temps était anticapitaliste et qu’une étiquette socialiste, une identification aux travailleurs et un jargon révolutionnaire lui seraient utiles pour racoler des électeurs. À l’époque, une bonne partie de la petite bourgeoisie était aussi vaguement socialiste, anticapitaliste, ou « anti-ploutocrate ». Hitler n’était ni un démocrate ni un défenseur de la cause du peuple, mais un « populiste », qui prétendait défendre les intérêts du peuple et parler en son nom. Il était un démagogue, qui manipule le peuple, et un démagogue de talent ».
C’est à partir de la crise de 1929 que le grand Capital allemand désigna Hitler comme son futur « homme fort », alors que le parlement allemand présidé par le junker prussien ultraconservateur Hindenburg était systématiquement paralysé et devenu incapable de légiférer, faute de majorité parlementaire stable.
Si la démagogie national-socialiste de Hitler parvînt à séduire une fraction des travailleurs et des chômeurs, les travailleurs n’en restèrent pas moins toujours fortement sous-représentés dans l’électorat nazi en proportion de leur poids démographique : les travailleurs ne représentaient en effet que 30 % de son électorat, contre un poids démographique de 45 %. Le Parti nazi recrutait ainsi essentiellement son électorat au sein des classes bourgeoises et petite-bourgeoises.
Aux élections législatives de novembre 1932, le KPD d’Ernst Thälmann récolta près de 17 % des suffrages et remporta une centaine de sièges au Reichstag. Surtout, il consolida sa position de troisième formation politique majeure du pays, avec une dynamique positive, à l’inverse de celle des partis nazi (NSDAP) et social-démocrate (SPD) qui reculèrent : le Parti nazi perdit en effet 34 sièges et 2 millions d’électeurs. Le NSDAP, comme le soulignait alors Goebbels dans son journal, en sortait ruiné et moralement miné.
Les capitalistes allemands voyaient alors la terrifiante perspective tracée par le magnat de presse américain William Randolph Hearst qui s’inquiétait à la fin de l’année 1932 de voir se réaliser la perspective d’une union du KPD avec les « éléments vraiment socialistes à l’intérieur du SPD » :
«Ils formeront ainsi une force irrésistible. Ils renverseront le capitalisme en Allemagne. » Des diplomates américains en poste en Allemagne craignaient également que de nombreux nazis désillusionnés ne rejoignent le parti communiste et qu’ainsi « la faillite des nazis engendre le succès des communistes ».
Pour le grand Capital allemand, il était devenu urgent de supprimer les libertés et le parlement bourgeois, ainsi que de réprimer le puissant mouvement communiste marxiste-léniniste. Pour couper court à cette menace, Hindenburg nomma Adolf Hitler chancelier le 30 janvier 1933. La terreur s’abattit presque immédiatement sur le KPD, mensongèrement accusé d’avoir incendié le Reichstag. Au début du printemps 1933, les nazis avaient déjà jeté en prison, tué et torturé plusieurs dizaines de milliers de communistes allemands. De mars à novembre 1933, plus de 2 000 militants communistes furent assassinés et au moins 60 000 furent incarcérés. Hitler semblait alors avoir tenu la promesse faite aux capitalistes allemand, « d’éradiquer le marxisme de la vie politique allemande ». En juin 1933, Hitler décida également de l’interdiction du SPD après que ses parlementaires aient refusé de voter en faveur de la « loi d’habilitation » qui lui donnait carte blanche pour légiférer par décret. Quoiqu’il en soit, avec l’instauration du fascisme, la bourse de Berlin reprit des couleurs et s’envola littéralement de janvier à mars 1933. « La hausse des valeurs boursières entre la mi-janvier et la mi-mars 1933 fut considérable, et les grandes entreprises ayant des liens étroits avec le NSDAP captèrent la plupart des gains, quelque 358 millions de RM, soit 93 % du total de 383 millions ». Voilà posé l’essentiel du cadre historique qui conduisit à l’instauration du fascisme en Allemagne. Comme le souligne Jacques Pauwels avec une grande perspicacité, la plupart des grands capitalistes allemands eurent l’intelligence de ne jamais adhérer au NSDAP et « auront tout le loisir, à l’issue de douze années d’une dictature nazie dont ils avaient pourtant été les parrains, de se dissocier du nazisme et des nazis, de rejeter tous les crimes sur le dos d’Hitler et de plaider pieusement « non coupable ». »
A l’occasion d’une conférence organisée le 27 janvier 1932 à Düsseldorf par Thyssen et rassemblant plusieurs centaines d’industriels, Hitler avait dévoilé son programme qui y reçut un « excellent accueil » : il nia d’abord « catégoriquement que le NSDAP défende les intérêts des travailleurs et qu’il vise des objectifs socialistes » et expliqua « qu’il croyait dur comme fer au principe de la propriété privée », leur promit la mise au pas des syndicats, le blocage des salaires, l’augmentation de la durée du travail et une réduction « considérable » des charges sociales, en d’autres termes, le paradis ! Ceci étant dit, le soi-disant « anticapitalisme » du national-socialisme était seulement dirigé contre le « capitalisme juif » « cupide » « aux doigts crochus », c’est-à-dire le Capital étranger… De même, son « socialisme » était « national », et « n’avait rien à voir avec le marxisme » désigné comme le « socialisme juif », « une idéologie malsaine, corruptrice, imaginée par Marx, un membre du « peuple international », entendez : les juifs ». Les capitalistes allemands ne pouvaient donc que soutenir Hitler avec le plus grand enthousiasme…
« Tout comme la direction d’une entreprise ne pouvait être confiée aux travailleurs, ajouta Hitler, la direction d’un État ne pouvait être confiée à la masse populaire, comme c’était le cas dans une démocratie. La démocratie en politique, dit-il, correspondait à la propriété commune des entreprises dans l’économie, autrement dit, au communisme. Inversement, à la propriété privée dans l’économie, donc au capitalisme, convenait un système politique autoritaire. Le système démocratique de Weimar devait par conséquent être balayé au profit d’une dictature, de sorte qu’un « homme fort » fiable pût faire ce qui devait être fait – au profit de l’industrie, bien entendu. Et Hitler s’engagea à faire ce qu’on ne pouvait attendre de la démocratie de Weimar : éradiquer le marxisme, soumettre le peuple allemand à une discipline de fer, mener une politique économique qui accroîtrait la rentabilité des grandes entreprises, anéantir l’Union soviétique… Les personnes présentes réagirent au discours d’Hitler par « une tempête d’applaudissements interminable ». Thyssen écrivit plus tard que « ce discours avait fait une profonde impression sur les industriels rassemblés et qu’à sa suite d’importantes contributions financières de la part de l’industrie lourde affluèrent dans les caisses du Parti national-socialiste ».
Si la bourgeoisie « démocratique », qui a réduit l’idéologie nazie à un antisémitisme abstrait au-dessus des classes, aime si peu que les travailleurs se plongent dans la lecture des écrits fondateurs du nazisme, ce n’est pas tant parce qu’elle craint de leur faire de la publicité, que parce qu’elle craint d’y voir exposées un peu trop crûment sa propre idéologie ainsi que ses aspirations les plus profondes… L’antisémitisme, populaire au sein des couches petite-bourgeoises, permit en outre aux nazis de forcer les hommes d’affaires juifs « de vendre leurs avoirs pour trois fois rien à des acheteurs « aryens » » « souvent par des extorsions au style gangster » : « Le big business y gagna la part du lion. Les grandes entreprises telles que Mannesmann, Krupp, Thyssen, Flick, et IG Farben, et les principales banques telles que la Deutsche Bank et la Dresdner Bank, en furent les plus importants bénéficiaires ».
Quant à la démagogie « anticapitaliste » déployée par les nazis pour attirer la fraction la plus naïve des travailleurs, elle fût rapidement démentie par la pratique au sein même du NSDAP dont l’aile gauchisante constituait « une faction dont les membres prenaient au sérieux les discours sur le socialisme, l’anticapitalisme et la révolution ». Recrutés « parmi les chômeurs et la classe moyenne inférieure », les SA formaient la milice du NSDAP qui avait notamment été utilisée contre la milice d’auto-défense du KPD. A la fin du mois de juin 1934, Hitler fit assassiner Ernst Röhm et plusieurs chefs de la SA et de l’« aile gauche » nazie comme Gregor Strasser qui commençaient à exiger des mesures anticapitalistes. La purge politique que constitua ce massacre est connue sous le nom de « Nuit des longs couteaux »…
Les communistes assassinés et croupissant dans les bagnes nazis, « les industriels allemands étaient extrêmement satisfaits » « que la crainte du camp de concentration eût rendu les travailleurs allemands aussi dociles que des moutons » et Hitler avait désormais les mains libres pour mettre en œuvre la seconde partie du programme de la grande bourgeoisie allemande : la préparation de la future guerre coloniale d’extermination contre l’URSS. Cela nécessitait une politique énergique de réarmement, « au fond keynésienne », que les puissances occidentales soi-disant démocratiques prirent soin de ne surtout pas entraver… Durant la période 1933-1938, les dépenses militaires de l’Etat allemand passent de 2,7 à 22,5 milliards de RM. Si en 1938, l’indice de la production industrielle allemande représentait 214 % de son niveau de 1932, celui de la production du complexe militaro-industriel en représentait pour sa part 2 600 % ! Alors que les dépenses militaires ne représentaient que 4 % du budget de l’Etat allemand en 1932 et moins d’un pourcent du PIB, elles représentent désormais 50 % des dépenses du Reich et 20 % du PIB allemand en 1938 !
En 1936, le lobby pétro- et électrochimique allemand (qui compte IG Farben) parvient à convaincre Hitler que « l’augmentation de la production de caoutchouc et de carburant synthétiques » « allait accroître le rythme de l’armement au point que la guerre pourrait débuter plus tôt qu’avec les plans « du charbon et de l’acier » » et « devait permettre d’entamer la guerre en 1940 au plus tard ». Le « Plan de quatre ans » des nazis, quoique « son nom fut inspiré des plans quinquennaux de l’Union soviétique », amena à ce que « la vie économique de l’Allemagne tomba entièrement sous le contrôle des grandes entreprises » privées du complexe militaro-industriel. Les quelques entreprises d’Etat crées par les nazis ne le furent, comme ce fût le cas pour la Hermann-Göring-Werke, que parce qu’elles étaient « importantes du point de vue militaire, mais peu rentables sur le plan économique et, par conséquent, inintéressantes pour le secteur privé ». Les nazis obtinrent également d’importants emprunts de l’étranger, notamment de Suisse et des USA. La dette de l’Etat allemand passa de 2,95 à 12 milliards de RM durant la période 1933-1936. En 1939, elle se montait désormais à 30,8 milliards de RM. Enfin, en 1942, elle se chiffrait à 142 milliards de RM et de toute évidence « ce n’était pas l’État nazi qui dominait les grandes banques et entreprises allemandes, mais les grandes banques et entreprises allemandes qui dominaient l’État nazi »…
Quels bénéfices apporta donc le keynésianisme militaire des nazis aux travailleurs allemands ? Elle leur apporta d’abord la promesse future de mourir par millions, dans une guerre barbare de conquête et d’anéantissement à laquelle rêvaient les capitalistes occidentaux depuis la naissance de l’URSS. Avant cela, elle ne leur apporta que les tourments habituels du capitalisme « libéré » de son carcan social : le programme de réarmement permit certes de résorber le chômage de masse qui passa de 5,5 millions en 1933 à 40 000 en 1939, mais les travailleurs allemands perdirent tous les droits sociaux conquis de haute lutte avant 1933 et virent leurs conditions de travail se dégrader, ce qui « se refléta dans une hausse ininterrompue des accidents et des maladies du travail sous le IIIe Reich, de quelque 930 000 cas en 1933 à 2,2 millions en 1939 » : « En ce sens, la « sécurité économique sous le national-socialisme », comme le fait remarquer un historien allemand, fut « le prélude à la mort – la mort dans les tranchées ». » Quant aux salaires, s’ils représentaient 63 % du revenu national en 1933, cette part s’était effondrée à seulement 57 % en 1938 alors même que la durée moyenne du travail des ouvriers allemands fût portée de moins de 43 heures en 1933 à 47 heures en 1939, et jusqu’à 60 heures pendant la Guerre !…
Les capitalistes allemands et leurs sponsors occidentaux attendaient de cette dernière « la fin du communisme en Russie et probablement partout ailleurs, et donc une victoire, sur une échelle mondiale et supposée définitive, du capitalisme sur le mouvement ouvrier, une victoire du « capital » sur le « travail ». Hitler, pour une telle prestation, aurait mérité la profonde gratitude et l’admiration de tous les industriels et banquiers du pays » ainsi que des capitalistes des autres pays car « les grands seigneurs de l’industrie haïssaient l’Union soviétique qui constituait un système alternatif à l’ordre capitaliste international et servait en même temps de source d’inspiration pour les « rouges » dans leur propre pays ».
« Or, en Allemagne, Hitler avait montré comment on pouvait se débarrasser des communistes. On comptait sur lui pour délivrer le monde entier de la peste communiste en détruisant l’Union soviétique, ce nid exécré de juifs et de rouges. Aux yeux des nombreux industriels américains qui voyaient les choses sous cet angle, la détermination d’Hitler à déclencher une guerre contre l’Union soviétique n’était absolument pas troublante, mais constituait au contraire une raison de plus de l’admirer. Sans compter qu’on espérait, en détruisant l’Union soviétique, récupérer les investissements considérables que des sociétés américaines comme Singer avaient réalisés dans l’empire du tsar et qui avaient été perdus au moment de la révolution russe ».
Les milieux d’affaires américains réagirent ainsi « avec enthousiasme » devant la « conjoncture économique très favorable » ouverte par l’attaque d’Hitler contre la Pologne le 1er septembre 1939, la bourse américaine enregistra ainsi « sa hausse la plus importante en deux ans ». La Pologne, pour laquelle les capitalistes anglo-français, pourtant liés par un traité d’assistance mutuel, se gardèrent bien de lever le petit doigt, était en effet sur le chemin du « Lebensraum » hitlérien situé plus à l’Est…
« D’après son biographe, David Lanier Lewis, [Henry] Ford exprima l’espoir « que ni les alliés ni les puissances de l’Axe ne gagnent la guerre », et il proposa que les États-Unis « pourvoient d’armes les alliés aussi bien que les puissances de l’Axe jusqu’à ce que les deux camps s’effondrent complètement épuisés ». Le patriarche du big business américain pratiqua ce qu’il prônait et fit en sorte que ses usines aux États-Unis et à l’étranger fournissent du matériel de guerre aussi bien aux Allemands qu’aux Britanniques. (…) Finalement, il convient de mentionner que l’aide prêt-bail à l’Union soviétique tant encensée fut à tout le moins neutralisée par l’aide officieuse, discrète, mais néanmoins considérable, consentie aux Allemands par les entreprises américaines. En 1940 et 1941, les trusts pétroliers américains accrurent le volume de leurs très rentables exportations vers l’Allemagne, et des quantités colossales de pétrole furent livrées à l’Allemagne nazie via des pays neutres comme l’Espagne. La part américaine dans l’importation par l’Allemagne d’huile lubrifiante pour moteurs, par exemple, augmenta spectaculairement, passant de 44 % en juillet 1941 à 94 % en septembre de la même année. Sans l’huile et le carburant en provenance des sources américaines, les nazis n’auraient jamais pu attaquer l’Union soviétique, conclut l’historien allemand Tobias Jersak, une autorité dans le domaine du « carburant du Führer ». »
Le complexe militaro-industriel de l’impérialisme américain fût sans conteste le bénéficiaire exclusif de cette Guerre qui lui permit non seulement d’engranger des profits colossaux et de surmonter les deux séismes économiques mondiaux de 1929 et 1937 tout en devenant l’élément moteur et le secteur directeur du Capital financier US. L’idéologie fasciste des élites américaines les poussa à un retournement d’alliances immédiat contre l’URSS après 1945, non seulement afin de tenter d’endiguer l’essor du mouvement communiste international et de la lutte de libération anti-coloniale, mais aussi (et surtout) afin de continuer à fournir des débouchés suffisants à son complexe militaro-industriel… Le même problème de débouchés se posa de nouveau pour l’impérialisme américain quand le social-impérialisme soviétique s’effondra. C’est finalement la « guerre contre le terrorisme », une guerre permanente à l’échelle mondiale, qui continua alors à fournir aux élites fascistes US le prétexte pour faire tourner à plein régime leur industrie de la mort. Comme le remarque avec lucidité Jacques Pauwels, qui est également l’auteur de l’excellent ouvrage « Le mythe de la bonne Guerre – Les Etats-Unis dans la Seconde Guerre Mondiale » (Editions Aden, 2005), « les grandes entreprises américaines ont développé une sorte d’addiction à la guerre ». Nous tenons à insister sur les réflexions complémentaires de grande qualité que fait ensuite Jacques Pauwels pour lequel « la présidence de George W. Bush », présentait « d’étonnantes similitudes avec une dictature fasciste » :
« Par analogie avec le Coca-Cola, on peut dire que le régime Bush fut une sorte de « fascisme light », caractérisée par des arrestations arbitraires pour une durée indéterminée dans des camps de concentration comme Guantanamo, des tortures, un programme d’armement à grande échelle dans lequel les grandes entreprises (et surtout les trusts pétroliers et les fabricants d’armes) ont gagné gros, une politique économique désastreuse qui a engendré une colossale dette publique, un démantèlement des services sociaux, une propagande honteusement mensongère, des guerres impérialistes meurtrières, des boucs émissaires (visant cette fois non pas les juifs ou les communistes, mais les Arabes et les musulmans) et – last but not least – des limitations draconiennes de la liberté des citoyens aux États-Unis mêmes, sur la base de lois d’exception prétendument provisoires, mais, de fait, permanentes. Malgré les espoirs engendrés par l’élection de Barack Obama, ce genre de « fascisme light » n’a pas été supprimé par le successeur de Bush. Le système politique américain, une oligarchie prétendant être une démocratie, a tout comme Janus deux visages. On nous en présente habituellement le visage démocratique, symbolisé par le grand sourire d’un président ; mais nous avons pu voir l’autre visage du système américain. (…) Aujourd’hui, aux États-Unis, la guerre est un instrument pour redistribuer les richesses des plus pauvres vers les plus riches, exactement comme sous le IIIe Reich hitlérien. Le cas du gouvernement de George W. Bush n’a illustré que trop clairement qu’en ce début de XXIe siècle les États-Unis sont toujours une oligarchie à façade démocratique. L’élite du pouvoir, le big business, y reste toute-puissante ».
On pourrait ajouter que sous la présidence pseudo-populiste du milliardaire Donald Trump, qui avait promis de restaurer le « rêve américain » et de rendre les USA « Great again », le complexe militaro-industriel US a continué à réaliser d’excellentes affaires, et les travailleurs américains ont de leur côté continué à se paupériser et à se précariser, et rien ne peut laisser penser qu’il en ira différemment avec le tandem Joe Biden-Kamala Harris…
A moins que la profonde crise économique de déclassement des puissances impérialistes occidentales conjuguée à la montée en puissance irrésistible de l’impérialisme chinois, dont le complexe militaro-industriel n’est à l’inverse pas directeur et qui dispose de puissants atouts commerciaux structurels pour conquérir de nouveaux marchés et n’est donc pas encore porté sur les méthodes de domination coloniales, ne viennent menacer dans un avenir proche la poursuite ininterrompue de huit décennies « d’addiction guerrière » des élites US dont la mentalité, tout comme celle de leurs laquais européens, n’a rien à envier à celle des nazis…
En ce qui concerne la France, dont le rôle du complexe militaro-industriel est lui aussi directeur, on retrouve là encore ce lien étroit unissant les milieux d’affaires avec le fascisme, ainsi que l’amnistie quasi-générale qui a été délivrée dans l’immédiate après-guerre aux capitalistes français par des historiens partiaux, à l’évidence « sous influence », comme l’a démontré sans concession l’historienne Annie Lacroix-Riz dans des ouvrages récents excellemment documentés : « Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy » (Paris, Armand Colin, 1999) ; « L’Histoire contemporaine sous influence » (Paris, Le Temps des cerises, 2004) ; « Le choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930 » (Paris, Armand Colin, 2006) ; « De Munich à Vichy : l’assassinat de la Troisième République, 1938-1940 » (Paris, Armand Colin, 2008) ; « Les élites françaises entre 1940 et 1944 : de la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine » (Paris, Armand Colin, 2016) ; « La non-épuration en France de 1943 aux années cinquante » (Paris, Armand Colin, 2019).
Le fascisme est donc l’idéologie innée et naturelle du Capital financier. Or c’est ce dernier qui domine la vie économique et politique mondiale depuis plus d’un siècle. Sous l’impérialisme, on observe donc une tendance toute aussi naturelle à la réaction… La domination du Capital financier peut à l’occasion décider de l’écrasement par la force des couches prolétariennes et petite-bourgeoises si les circonstances l’exigent. L’absence d’un puissant mouvement communiste marxiste-léniniste n’invalide pas la menace grandissante du recours aux formes fascistes dures, qui est de plus en plus jugé nécessaire par le Capital financier occidental dans son cadre national afin d’exiger du prolétariat tertiarisé longtemps privilégié et de la petite bourgeoisie le sacrifice de l’intégralité de leurs « chaînes dorées » et de leur niveau de vie, un confort qu’il n’est de toute façon plus en mesure de payer sans risquer l’éclatement de la bulle du marché de la dette souveraine.
Le racisme institutionnel et la violence extrêmes ne sont pas la substance du fascisme, mais des épiphénomènes du fascisme à une époque où les collisions de classes avaient une acuité sans précédent. L’existence de l’URSS et sa liaison avec le mouvement ouvrier international posaient alors un défi immédiat au Capital financier des pays impérialistes dominants qui voyait en elle tout au moins un ferment majeur susceptible de menacer leur propre stabilité sociale, voire une menace immédiate pour l’existence du capitalisme lui-même.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le mouvement communiste international a en effet connu un reflux sans précédent au cours des dernières décennies, sous le double impact de la victoire de la contre-révolution en URSS et de la mise en place de la nouvelle division internationale du travail caractéristique de « l’industrie de bazar » qui a convertit à grande échelle le prolétariat occidental en un prolétariat bourgeois ayant intégré les principaux traits de l’idéologie petite-bourgeoise. L’enjeu contemporain immédiat n’est donc pas celui de la destruction du système mondial de l’impérialisme. Cela détermine pour une bonne part les formes nouvelles que peut prendre le fascisme. Le recours à l’antisémitisme et à la haine de l’islam n’en peuvent pas moins servir à la classe dominante de tremplin pour propulser l’une ou l’autre variante de fascisme au pouvoir et surtout pour lancer les masses populaires dans des guerres intestines destinées à faire diversion.
Dans les périodes de relative prospérité économique, le Capital financier peut parfaitement maintenir une démocratie de façade tout en s’assurant une représentation directe de ses intérêts au sein de l’Etat bourgeois grâce à l’arrivisme, au lobbyisme et à la corruption systémiques caractéristiques du parlementarisme bourgeois. L’octroi de concessions économiques mineures face à la petite bourgeoisie et aux masses exploitées indigènes lui permet d’ordinaire de s’assurer de leur soumission et de leur loyauté vis-à-vis de « l’intérêt national supérieur », quand bien même celui-ci s’exprime par le recours systématique au colonialisme… Mais en temps de crise, quand la masse de surprofits extorqués en vient à stagner ou à se réduire, en d’autres termes quand sa part de marché internationale est menacée, le Capital financier ne supporte plus la moindre concession économique ni la moindre contradiction idéologique, fusse-t-elle petite-bourgeoise et circonscrite au champ des libertés individuelles et de la démocratie bourgeoises.
Aussi, il est essentiel de comprendre que le fascisme est en fait systémique depuis bien longtemps pour les « démocraties » occidentales dans leur politique extérieure : qu’est-ce que le colonialisme (fut-ce-t-il « justifié » par de fumeux prétextes « démocratiques », « sécuritaires » ou même « humanitaires »), sinon du fascisme ? En 1934, Staline soulignait d’ailleurs que le fascisme était caractérisé autant par la réaction intérieure qu’extérieure.
« A cet égard, la victoire du fascisme en Allemagne, il ne faut pas la considérer simplement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et comme le résultat des trahisons perpétrées contre elle par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme. Il faut la considérer aussi comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que la bourgeoisie n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir, dans sa politique intérieure, aux méthodes terroristes de gouvernement ; comme un signe attestant qu’elle n’a plus la force de trouver une issue à la situation actuelle sur la base d’une politique extérieure de paix, ce qui l’oblige à recourir à une politique de guerre ».
Aussi, réduire le fascisme à sa seule dimension intérieure, c’est méconnaître son assise et son ampleur réelles : le fascisme, c’est le pouvoir direct du Capital financier qui se traduit par la réaction intérieure et/ou extérieure. La mise en place de régimes fascistes visant à sécuriser l’aire d’influence américaine et réprimant dans le sang les travailleurs et leurs organisations syndicales et politiques (à l’instar de Soeharto en Indonésie en 1965 et de Pinochet au Chili en 1973) témoigne de la constance de l’idéologie fasciste des puissances impérialistes occidentales et de leur personnel politique.
Sous la démocratie bourgeoisie, au sein même des pays impérialistes dominants, existe donc une forme latente et permanente du fascisme, qui n’attend qu’une situation de crise pour germer et « s’épanouir ». Le fascisme revêt ainsi des formes variées, allant des plus « light » (avec une répression ciblée circonscrite aux dissidents jugés dangereux et mise en œuvre dans la coulisse) aux plus « hard » (le nazisme).
De nombreux pays impérialistes en déclin sont en fait de facto déjà des régimes fascistes « light » ou « soft », qui emploient déjà (de longue date) les méthodes fascistes du colonialisme à l’international tout en conservant, jusqu’à aujourd’hui, le masque de la démocratie bourgeoise dans leur cadre national. Une façon pour le Capital financier occidental contemporain de ne pas apparaître aussi crument fasciste que sa source d’inspiration idéologique nazie…
Une vue rétrospective du siècle passé témoigne éloquemment du fait qu’au sein des régimes soi-disant démocratiques, comme les USA et la France, la tentation d’appliquer les méthodes fascistes à leur cadre national a souvent été très forte. Dans les années 1930, en France comme aux USA, le Capital financier rêve d’instaurer un pouvoir fort comme celui de Hitler, et seul le péril rouge, c’est-à-dire le crainte d’être balayé par une révolution sociale radicale, l’a fait hésiter : c’est en effet quitte ou double !
Dans les années de l’immédiat après-guerre aux USA, les relents anti-communistes systématiques de l’administration Truman sont suivis de l’hystérie Maccarthyste (1950-1953). Elle s’accompagne d’une explosion néo-fasciste criminalisant les intellectuels communistes et les progressistes américains. Dès 1947, sont instaurées des commissions visant à repérer et à écarter les fonctionnaires fédéraux coupables de collusion avec l’Union Soviétique. En février 1950, le sénateur républicain Joseph McCarthy lance une véritable chasse aux sorcières en publiant une liste de fonctionnaires du département d’État qu’il accuse d’être des « communistes notoires » et des « agents de Staline » coupables de collusion avec l’Union Soviétique…
Deux ans plus tard, un fonctionnaire américain peut être soumis à une enquête policière et révoqué sur un simple soupçon de sympathie avec l’URSS ! La répression Maccarthyste culmine enfin le 19 juin 1953 par l’exécution d’Ethel et Julius Rosenberg sur la chaise électrique, les époux étant accusés d’avoir aidé l’URSS à se doter de l’arme atomique. La mort de Staline et les espoirs de « détente » (c’est-à-dire de contre-révolution), feront un peu redescendre la pression et l’hystérie anti-communiste des élites américaines… La France n’est pas non plus en reste puisque les évènements de 1968 voient également le pouvoir gaulliste interdire par décret plusieurs organisations d’extrême gauche le 12 juin, à l’instar du PCMLF créé à la fin de l’année 1967, qui dénonce alors « le danger fasciste » et les « accents d’apprenti dictateur » de De Gaulle. Le Parti communiste marxiste-léniniste de France, qui compte plusieurs milliers de membres, est alors forcé de plonger pour plusieurs années dans la clandestinité. L’un de ses principaux dirigeants, François Marty, meurt en 1971 dans les circonstances (au demeurant suspectes) d’un accident de la route…
Quant au cadre extérieur, l’emploi des méthodes coloniales fascistes y est une constante, que ce soit pour les USA (dont le complexe militaro-industriel et la stratégie d’occupation militaire du monde ont eu besoin d’agressions militaires continuelles depuis 1945), ou pour la France, bien déterminée à ne pas perdre la main sur ses colonies, sources du précieux surprofit permettant d’entretenir son « État-providence » ainsi que la cohorte de social-chauvins à sa solde (massacre de dizaines de milliers de patriotes algériens à Sétif, Guelma et Kherrata en mai-juin 1945, massacre de dizaines de milliers de patriotes malgaches de mars 1947 à novembre 1948, Guerre d’Indochine, Guerre d’Algérie, etc.) La vérité est que le fascisme est déjà là, depuis des décennies, sous une forme nouvelle, aseptisée et rendue « présentable » (une forme moderne et presque « séduisante »), car maquillée des traits du démocratisme bourgeois, et que ce sont les Partis au pouvoir du grand Capital « démocratiquement » élus qui l’incarnent. Il suffira de regarder comment la macronie, ce ramassis de carriéristes médiocres, de bureaucrates et d’énarques politiques recyclés provenant de tous horizons, dirige la France contre les intérêts fondamentaux immédiats des masses populaires, réprime dans le sang les gilets jaunes, instaure une dictature sanitaire bidon (mais sécuritaire réelle !), et poursuit l’occupation coloniale de la France-à-fric, pour réaliser à quel point le fascisme émerge naturellement au sein de la démocratie bourgeoise, et plus encore quand elle est confrontée à la crise économique…
La seule différence fondamentale avec le fascisme « soft » des dernières décennies, est que la violence principale tend à ne plus être dirigée contre l’étranger (puisque la politique coloniale de l’Occident, battue en brèche, est en sursis, sans oublier son industrie indigène laminée fantomatique réduite à quelques niches technologiques d’ailleurs aujourd’hui frappées par la crise), mais de plus en plus contre les couches les plus larges de ses masses populaires indigènes, petite bourgeoisie comprise ! En effet, si les gros capitalistes occidentaux ne sont plus en mesure de défendre leur part de marché internationale, ils exigent de l’accroître sur le plan national, par la « reconquête » d’une main d’œuvre aussi soumise que bon marché dont il est devenu aujourd’hui essentiel de détruire les « chaînes dorées »…
Et c’est à travers ce prisme qu’il faut considérer la gestion en apparence totalement incompétente, mais en fait délibérément criminelle, de la pandémie de COVID-19, qui est appelé par le Capital financier occidental, à justifier le vaste déclassement économique qui a débuté.
En définitive, il apparaît que peu de questions (à l’exception peut-être de celle du socialisme scientifique), ont été autant embrouillées par la bourgeoisie que celle du fascisme. Le problème du fascisme est qu’il est pandémique depuis des décennies et qu’il revêt en fait plusieurs formes sur le plan intérieur : pacifiques quand les esclaves ont le ventre plein, consomment et sont dociles, et plus autoritaires quand les conditions économiques en viennent à se dégrader, comme c’est le cas aujourd’hui… En France, la « droite » comme la « gauche » rentrent dans ce cadre du fascisme « light ». Aux USA, les deux grands partis aussi. Le fascisme, ce n’est pas que la forme extrême que l’on a retenu du nazisme, qui avait d’ailleurs plusieurs facettes : le nazisme ne peut lui-même être réduit à la brutalité physique ouverte et généralisée qu’a connu le peuple soviétique, en tant que peuple slave « inférieur », tout juste bon à réduire en esclavage…
Le fascisme revêt aussi une importante dimension psychologique, d’ailleurs depuis longtemps dominante en Occident. Sous le régime de Vichy, c’est-à-dire celui de l’occupation relativement « civilisée » de la France, la violence n’était pas l’aspect principal ni exclusif pour la grande masse des français non-juifs et non-communistes : les occupants semblaient courtois et disciplinés (parfois davantage que les « libérateurs » US dont la gente féminine française « libérée » a souvent fait les frais). Sous le régime d’Occupation, la peur et le couvre-feu suffisaient d’ordinaire à assurer la discipline de soumission ainsi que la paix sociale.
Ce constat était vrai jusqu’au début de l’année 1943 qui vit la Résistance à l’occupant prendre des proportions de plus en plus vastes après la victoire soviétique de Stalingrad qui redonna espoir aux peuples des pays occupés et vit également l’occupant instaurer le STO pour suppléer aux nouveaux contingents de travailleurs allemands forcés de rejoindre le Front de l’Est laminé pour y servir de chair à canon.
La dimension psychologique essentielle du fascisme, c’est la nécessité de la manipulation permanente de l’opinion publique, ce qui passe évidemment par le mensonge, le délitement croissant du niveau de l’enseignement, mais aussi par la nécessité de substituer à la réflexion… le divertissement ! C’est indéniablement Joseph Goebbels qui a le mieux résumé et systématisé ces méthodes désormais éprouvées. Pour ce hobereau fasciste diplômé de philosophie et de psychologie qui fût le chef de la propagande nazie durant la Seconde Guerre Mondiale, le mensonge et l’abrutissement sont les deux mamelles de la manipulation des masses :
« Plus un mensonge est gros… plus il a de chances d’être cru ! Mentez, mentez, mentez, encore et toujours, il en restera bien quelque chose ! »
« Je veux qu’on ne tourne actuellement pour les français que des films légers, superficiels, divertissants, mais stupides… Le peuple français s’en contentera sûrement ! »
Quand on regarde d’un œil lucide la formidable machine médiatique mise en œuvre par le Capital financier occidental au cours des décennies qui ont suivi la Libération, il apparaît évident que le nazisme peut aller se faire rhabiller. Notre réalité contemporaine, qui est celle du formatage et de l’abrutissement en profondeur des larges masses exploitées longtemps privilégiées, fait de ses moyens de conditionnement et de coercition idéologiques un… nain ou un amateur !
« Radio Paris », c’est quotidiennement sur toutes les chaînes et dans tous les journaux 24 heures sur 24 ! C’est à la fois les mensonges éhontés de BFM-TV, les non-dits du JTV de TF1, le sport et la TV-réalité, et même les émissions sophistiquées d’ARTE visant à réécrire l’Histoire et à diaboliser le communisme ou les concurrents de l’Alliance Atlantique… Quelle remarquable division du travail d’abrutissement idéologique des esclaves salariés !
« Le fascisme ─ Ennemi de la culture ». (Prorokov, 1939) Un gorille « civilisé » massacrant les œuvres de Maxime Gorki, Albert Einstein, Romain Rolland, Karl Marx, Charles Darwin, Heinrich Heine, Voltaire, etc. Quel que soit le masque qu’il arbore ─ ancien ou « moderne », barbare ou « civilisé » ─, le fascisme se nourrit de l’ignorance « cultivée » par la culture bourgeoise et les préjugés social-réformistes ainsi que des préjugés racistes et social-chauvins les plus réactionnaires pour maintenir par tous les moyens possibles les masses populaires exploitées sous l’influence et donc sous la domination de la bourgeoisie. Le contraste est saisissant avec la réalité de l’Union Soviétique, bien décidée à doter les masses populaires d’armes spirituelles, une volonté illustrée ici par une affiche de 1952 : « Aime les livres, source de connaissance ». (Maxime Gorki) De même, Staline définissait dès 1932 les écrivains comme étant « les ingénieurs de l’âme humaine ».
Le fascisme est l’ennemi de la culture, car il a besoin de masses populaires aussi incultes que ductiles : il lui faut des esclaves faciles à manipuler. Un esclave qui se libère dans sa tête est un esclave susceptible de se révolter et de se battre pour se libérer de ses chaînes dans le monde matériel. C’est pourquoi le capitalisme, même lorsqu’il a besoin d’une main d’œuvre bien formée pour conquérir une position privilégiée dans la division internationale du travail grâce à son leadership scientifique et technologique, ne saurait complètement faire l’économie d’une part de mensonge et de manipulation, notamment dans le domaine des sciences sociales (à l’instar de la philosophie, de l’économie et de l’histoire). Mais c’est quand l’impérialisme est confronté à la crise structurelle, que le mensonge et la manipulation envahissent toutes les sphères de la société et de la connaissance, sciences naturelles comprises, à l’instar de la fable pseudo-scientifique du réchauffement climatique d’origine anthropique. Le mensonge devient alors pandémique et leur maintien devient l’enjeu majeur et la condition du maintien de la domination idéologique des classes possédantes.
La lutte pour le contrôle de l’information prend alors des formes aiguës et peut alors décider les classes dominantes à recourir à la censure et à l’autodafé, comme dans l’Allemagne nazie et l’Amérique Maccarthyste où l’on brûlait les « livres rouges », communistes et progressistes, jugés dangereux pour la jeunesse… Seul le média internet offre ainsi quelques espaces de libertés d’expression résiduels encore accessibles aux larges masses exploitées, du moins aussi longtemps que Facebook, Twiter et Cie ne sont pas étroitement intégrés aux rouages de la manipulation et de la censure, un processus du purge des voix alternatives aujourd’hui en cours… Tel est le sens général des tentatives croissantes de verrouillage de l’internet contemporain par les élites occidentales et de l’ouverture de la « chasse aux complotistes ».
De ce fait, les puissances impérialistes occidentales sont déjà, dans les faits, des régimes fascistes « light », ayant des décennies durant réservé l’essentiel de la violence à la sphère des relations internationales. Mais de plus en plus, leur fascisme tend à revêtir des formes « hard », c’est-à-dire étendues aux masses populaires de leur propre sphère nationale, à mesure que la crise économique et sociale de déclassement va crescendo, et ce d’autant plus que le recours aux agressions militaires extérieures devient de plus en plus périlleux et contre-productif, économiquement comme géopolitiquement parlant.
Face à cette montée des formes fascistes de gouvernance de plus en plus agressives, il ne faut pas baisser les bras et faire de notre mieux. Car, comme le disait si bien Berthold Brecht, « ceux qui luttent, ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu » ! Dans ce combat, il est à l’évidence essentiel de ne pas idéaliser les décennies précédentes de fascisme « light », aussi décomplexé sur le plan international (merci au social-chauvinisme endémique des peuples des pays colonisateurs !) que larvé et dormant dans le cadre national… La base économique et politique de ce fascisme est strictement la même que celle du fascisme « hard » qui a commencé à se mettre en place : un personnel politique complètement dévoué au tout puissant lobbying du Capital financier ! En France, le Capital financier n’a pas (encore) besoin de Marine Le Pen, héritière de l’ancienne variante populiste du fascisme, pour exécuter la sale besogne, il dispose en effet déjà d’un larbin docile à ses ordres, biberonné chez les Rothschild et Docteur ès manipulations…
Fin 2018, en pleine crise des gilets jaunes, Le Monde faisait scandale en représentant le président Macron avec les codes graphiques du nazisme. Un avertissement évident au personnel politique des élites à ne pas apparaître comme trop autocratiques et répressifs : il peut être périlleux de jeter de l’huile sur le feu quand la fronde sociale s’exprime massivement… Et si la réalité du néofascisme avait déjà dépassé la fiction ?!… C’est en tout cas ce qu’indique la dictature sanitaro-sécuritaire aujourd’hui en cours de construction !
La crise économique structurelle sans précédent dans laquelle viennent d’entrer les pays impérialistes occidentaux promet indéniablement une nouvelle flambée du fascisme qu’il sera extrêmement complexe de combattre efficacement aussi longtemps que les couches prolétariennes et petite-bourgeoises en cours de déclassement nourriront des illusions sur la réalité actuelle et future de leur propre situation. La seule perspective est de parvenir à reconstruire simultanément les organisations communistes révolutionnaires et le mouvement de masse antifasciste. Quoiqu’il en soit, ce dernier sera dans l’impossibilité de se développer à grande échelle sur une voie résolument antifasciste aussi longtemps que les travailleurs n’auront pas réussi à reconstituer une avant-garde révolutionnaire consciente et organisée.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec