Après avoir publié en 2014 « Le Chemin de la Cour » pour nous convaincre de l’utilité d’un nouvel outil militant capable de faire reculer le non-droit et les crimes commis par Israël -le recours à la Cour Pénale Internationale-, l’admirable et inflexible Christophe Oberlin grimpe à nouveau dans les étagères des libraires. Il nous revient avec une suite à son premier travail, convaincu que l’histoire et la justice ont avancé sur son chemin. Oberlin voit déjà « Les dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale ». Que le ciel, auquel je ne crois qu’en temps de pluie, l’entende. Mais, en effet, pourquoi négliger l’option du droit ? Le rêve d’asseoir Netanyahou à la place de Laurent Gbagbo… C’est ce long voyage, dans le temps et entre les morts, que décrit Christophe Oberlin dans ce livre publié chez Erick Bonnier. Nous avons là une vision depuis les coulisses, le plus souvent à Gaza. Et des leçons de droit qui ne sont pas l’essentiel de l’ouvrage. Dont le grand intérêt est de parler à continuo d’un drame de l’injustice, d’une tragédie de l’abandon. De ces tueries détaillées au ralenti, Oberlin nous convainc de l’urgence, nous malmène quand il décrit les familles en charpie, les immeubles écroulés, la misère, l’enfermement, les massacres. C’est le point incontestable de son livre, la traduction de l’engagement d’une vie.
Le 1er janvier 2015, le Gouvernement palestinien dépose une déclaration en vertu de l’article 12-3 du Statut de Rome reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes commis « sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Le 20 décembre 2019, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, annonce « qu’au terme d’un examen préliminaire approfondi, mené en toute indépendance et objectivité, de l’ensemble des renseignements fiables qui sont en la possession de son Bureau, ce dernier est parvenu à la conclusion que tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l’ouverture d’une enquête étaient remplis.
Cependant, compte tenu des questions juridiques et factuelles liées à cette situation, conformément à l’article 19.3 du Statut de Rome, le Procureur a demandé à la Chambre préliminaire 1 de se prononcer quant à la portée de la compétence territoriale de la CPI dans la situation en Palestine, conformément à l’article 12 2 a du Statut de Rome. »
Le 28 janvier 2020, la Chambre préliminaire numéro 1 rend une ordonnance fixant la procédure et le calendrier pour la présentation d’observations sur la demande du Procureur en vertu de l’article 19-3 du Statut de Rome, quant à la portée de la compétence territoriale de la Cour dans la situation dans l’État de Palestine. La Chambre préliminaire numéro 1 « prendra ensuite une décision sur cette question en temps voulu ». Vous aurez noté que l’adhésion de Ramallah au Traité de Rome, et par là à la CPI, est déjà vieille de cinq années. Soixante mois de crimes accumulés sous les bombes, missiles, tortures, internements arbitraires… Et rien. A La Haye le sommeil est lourd, surtout que le rude climat de La Haye exige des couettes épaisses. Qui étouffent les cris.
Dans sa dernière requête déposée de 22 janvier 2020 auprès de la Chambre d’instruction, la procureure gambienne donne un tour de vis de plus le verrou de la justice internationale : « la question de l’État de Palestine au regard du droit international ne semble pas avoir été définitivement résolue ». On trouve aux puces des timbres de 1923, de vieux passeports, des photos, des tampons, des actes notariés, des documents diplomatiques qui attestent de l’existence d’un Etat nommé Palestine… Mais madame Bensouda n’en pas été informé. Il faut qu’elle s’informe.
Cette magistrate venue de Gambie n’a jamais été élève à l’école du courage : jeune, en 1994 elle n’a pas eu besoin de s’informer longtemps avant de plonger dans le giron de Yahya Jammeh, un soudard devenu dictateur. Satrape qui, en 2015 achève son terrible règne en déclarant la Gambie « république islamique ». C’est dans l’ombre de cet homme exemplaire que la procureure Bensouda a pris des cours de prudence. Ainsi donc, habitués au déni, au piétinement, les Palestiniens doivent attendre une fois encore afin de savoir s’ils existent. La dame invite la Cour à dire que « pour les seuls besoins du Statut » la Palestine est un État selon les principes et les règles du droit international. »
La documentation sur les crimes commis par Israël est plus lourde que trois chars Merkava, elle est à ciel ouvert puisque c’est de là-haut que tombent les bombes. Pourtant les Palestiniens ont le devoir d’être patients, méthodiques, de relever les indices, de noter les heures, les lieux, les blessures, les morts, les identités. Ils doivent faire de la police scientifique et de la médecine légale. Ils le font. De trop rares et exemplaires ONG israéliennes tentent de leur venir en aide. C’est le cas de « Breaking the Silence » quand elle publie les témoignages de 60 soldats et officiers ayant participé à l’opération « Bordure protectrice ». Le monde entier a pu voir des soldats israéliens abattre des hommes comme les cibles d’un stand de tir. Avec à côté d’eux un public enchanté du spectacle. Opération « Bordure protectrice » qui a duré cinquante et un jours a provoqué la mort de plus de 2 200 Palestiniens et celle de 72 Israéliens (1).
Pour revenir au courage, si fou, de Fatou Bensouda, pour se donner un amortisseur de plus, elle a conseillé à la Cour d’ouvrir le débat sur le to be or not to be de la Palestine à tous ceux qui le souhaiteraient : Etats, associations, spécialistes du droit international, personnalités. En termes habillés de feutre ces contributeurs sont qualifiés d’ « amis de la Cour ». Après une pré-sélection entre tous ces amis, les contributions définitives (30 pages maximum ) ont été déposées à la CPI avant le 15 mars dernier. Dans le lot de ces éclairants, en fanal de tête, on trouve l’inoxydable Robert Badinter. On comprend mieux que cet homme exemplaire n’ait pas trouvé le temps de moriginer sa femme, Elisabeth, alors que son trust familial « Publicis » assure la propagande de la grande démocratie saoudienne si habile à découper yéménite et journaliste en morceaux.
Et que nous dit le grand Robert sur Israël à la CPI ? « La Cour Pénale Internationale n’a pas juridiction sur les crimes prétendus avoir été commis en Cisjordanie, incluant Jérusalem Est et la bande de Gaza (« Gaza »). Le terme « Etat » selon l’article 12(2) (a) du Statut de la Cour signifie que l’Etat est souverain, or la Palestine ne l’est pas. La Palestine n’est pas un « Etat » au regard de l’article 12 (2) (a) du Statut par sa simple adhésion au Statut de Rome. Ce n’est pas à la CPI de déterminer si la Palestine est un Etat souverain selon le droit international, ou si l’enquête en question s’applique « sur le territoire de » la Palestine alors que les parties sont engagées à trouver une solution négociée sur le statut d’Etat et les frontières. La Palestine ne remplit pas les critères d’un Etat selon le droit international. Et la seule façon d’enquêter sur des crimes commis dans ce cadre est constituée par la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Les accords d’Oslo s’imposent à la juridiction de la Cour. »
Ne tentez pas de comprendre, c’est confus. L’important est de savoir qu’en dehors d’un changement d’imprimante, le texte est identique à la prose de Netanyahou. Le droit-de-l’hommisme, c’est parfait pour condamner tous les crimes de monde, sauf ceux d’Israël.
Et l’avenir dans tout ça. Oberlin voit donc les dirigeants israéliens avec les chaînes au pieds. Sa lecture et celle d’un droit bien appliqué. Faut-il rêver ? Pour l’instant la CPI procrastine, fait des ronds sur elle-même. Bensouda, qui va quitter La Haye, se sent déjà dé-confinée du grand et triste building de verre proche de la mer. Ceux qui sont dans l’embarras sont les magistrats de la Cour qui doivent répondre si oui ou non la Palestine est un Etat. S’ils disent non la CPI qui a déjà une crédibilité proche de zéro, explose. Avis donc aux « amis » de la CPI, à ceux qui possèdent un outil qui permette de perdre du temps de façon démocratique. Le temps que la Palestine se vide des ses êtres et de son âme.
(1) http://www.courrierinternational.com/article/gaza-temoignage-de-soldat…
Jacques-Marie BOURGET
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir