France : le délire — Djamel LABIDI

France : le délire — Djamel LABIDI

Peut-on évoquer la liberté d’expression et un droit dit du blasphème pour justifier les caricatures du Prophète faites et refaites par l’hebdomadaire « Charlie Hebdo » en France ? C’est en tout cas le discours tenu par certains cercles intellectuels et politiques français dans une atmosphère qui frise le délire, en pleine épidémie du Covid 19.

La guerre contre l’Islamisme donne lieu a une croisade, cette fois-ci pour la liberté d’expression. Cette liberté va être mythifiée, idéalisée, absolutisée. Bref, on va faire finalement exactement ce qu’on reproche aux autres à propos de la religion, on va sacraliser la Liberté. Elle devient, à son tour, sujet à fanatisme.

Pour les besoins de la cause, la révolution française de 1789 est convoquée, ce qui n’a pas toujours été le cas si on se souvient de la campagne hostile et des railleries des mêmes cercles contre les « Gilets jaunes », lorsque ceux-ci revendiquaient leur filiation à 1789. Il est cette fois-ci affirmé sans cesse, sur tous les médias, que la révolution de 1789, a institué un « droit au blasphème ». Or ça n’est pas vrai. La révolution française a supprimé « le délit de blasphème », ce qui est tout autre chose, tout en précisant que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi  » (article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).

On voit donc ce glissement qui s’opère aujourd’hui, comme souvent dans un artifice idéologique, entre la notion de délit et celle de droit. C’est une vaste entreprise de désinformation à laquelle participe aussi des intellectuels et des leaders politiques. « Liberté que de crimes on commet en ton nom », pourrait-on dire alors.

Le bateau ivre

Dans le discours dominant actuel en France, la liberté est présentée, comme une fin en soi. Elle est comme un bateau ivre, dérivant sur la mer, n’ayant d’autre destination, d’autre raison d’être que lui même. Mais la liberté, pour quoi, pour quelles raisons, quels desseins, quels buts. La liberté de tuer, de dominer, d’insulter, d’humilier, d’abaisser, d’exploiter, de faire le mal ?

Une question essentielle est alors éludée, celle des limites à la liberté. Toute chose ne peut exister que si elle a des limites : les pays, et là cela s’appelle des frontières, le système solaire, les galaxies, les atomes, le corps de chacun, la vie elle-même. La liberté, aussi, comme tout ce qui est, n’a d’existence que si elle a des limites.

Et elle n’a de sens que si précisément il y a des interdits. La législation partout, comme les Constitutions, comme les lois sont pleines de limites à la liberté, y compris à la liberté d’expression : racisme, antisémitisme, homophobie etc. La liberté est donc toute relative. Ce n’est probablement pas un hasard, si à la faveur de cette épidémie du Covid 19, s’est manifestée la plus grande efficacité des sociétés qui veillent à un équilibre entre les libertés d’une part et la solidarité, l’altruisme, le respect de l’autre, d’autre part.

Sommes-nous donc devant une aberration de la pensée, une irrationalité totale chez ces défenseurs autoproclamés de la civilisation et qui oublient qu’un comportement civilisé, humain, éduqué, est tout entier fait de limites et que là est précisément la différence avec la barbarie. Ceux-là mêmes pourtant, qui refusent toute limite à la liberté d’expression, comme cela a été le cas sur les caricatures du Prophète, sont ceux là qui savent très bien en mettre quand ils le veulent. La législation française s’est même distinguée, sous leur influence, par des dispositions qui répriment certaines libertés d’expression ou de pensée, comme par exemple toute remise en cause de la Shoah, et ce qui a été appelé « révisionnisme ». Ils sont donc allés ainsi jusqu’à limiter la liberté de recherche historique en considérant que sur ce point, la Shoah, l’Histoire est dite une fois pour toute. Il y a aussi toutes ces limites qu’ils s’ingénient à mettre dans des débats byzantins et sans fins sur le Hidjab, le Niqab, les signes extérieurs d’appartenance religieuse, et sur les lieux d’interdits, l’espace publique, l’école, le travail etc.

La liberté et le droit



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On retrouve les mêmes problèmes de rationalité et de cohérence dans la question du « droit au blasphème ». Ce « droit » est revendiqué en relation avec la liberté d’expression. Il est présenté comme une conséquence naturelle de cette liberté. Pourquoi ? En fonction de quelle logique. Quel rapport y a-t-il entre ceci et cela ? Il n’y a nulle part écrit un tel droit, dans aucune législation, Constitution, déclaration des droits de l’homme. La liberté est une chose. Le droit en est une autre. D’ailleurs le but de toute législation, de tout Etat de droit est de dire le droit c’est-à-dire d’organiser les libertés, de dire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, c’est à dire d’organiser à la fois leur exercice et leurs limites.

Parler de « droit au blasphème » est, d’ailleurs, en soi une absurdité logique. Pour un non-croyant le blasphème, par définition, n’existe pas. Il y est donc indifférent. Il n’existe donc que pour le croyant. Alors pourquoi donc le non croyant proférerait-il un blasphème puisqu’il est indifférent à cette notion. Dans quel but ? Quelle est son utilité ?

Il ne peut donc n’y avoir qu’un dessein, celui de la provocation. Charlie Hebdo ne s’en est d’ailleurs pas caché, persuadé, lui, qu’il y a des provocations bénéfiques, salutaires. Mais se plaindre ensuite de réaction à cette provocation n’a pas de sens puisque c’est le but précisément recherché. Un professeur va-t-il devoir montrer à ses élèves musulmans les caricatures de Charlie Hebdo pour les guérir du fanatisme dont ils sont suspects génétiquement, et pour leur apprendre la tolérance ? Ou bien va-t-il alors leur demander, par respect pour eux, de sortir de classe comme s’il savait déjà que c’était une provocation, une agression ? Respect pour eux mais pas pour l’école qui n’est dés lors plus laïque puisqu’elle fait des différences. Ou alors va-t-il-leur demander de baisser les yeux en silence et de taire l’humiliation qu’ils pourraient ressentir. Ce serait là une autre défaite mais cette fois–ci, celle de l’homme ou de la femme fiers et dignes qu’ils devront être et que doit leur apprendre à être l’école.

Et faudra-t-il qu’à chaque caricature corresponde un incident ou même, absurdement, un attentat, et qu’à chacun de ceux-ci corresponde une nouvelle caricature, et ainsi sans arrêt. On pourrait parler ici d’infantilisme si ce n’était aussi tragique.

Ainsi donc, les défenseurs d’une liberté d’expression sans limites dressent eux-mêmes des limites à la liberté d’expression. Mais simplement, ces limites sont à géométrie variable. Une question alors s’impose. Pourquoi, ce deux poids, deux mesures ? Tout banalement, ici comme en tout temps, parce qu’il a une fonction politique et sociale : la domination et son corollaire la répression. On aboutit alors à ce paradoxe que la répression annoncée contre l’islamisme, se manifeste ou se cache dans le droit revendiqué, proclamé, de faire le procès de l’Islam en tant que religion, et même dans la revendication libertaire du blasphème à son égard. La lutte contre l’islamisme débouche alors fatalement sur celle, tout court, contre l’Islam, en tant que religion, au moment même où on s’en défend. Et cette hostilité à l’Islam est alors perçue en tant que telle par les musulmans, qui ne s’embarrassent pas des subtilités et des nuances du langage mais partent des faits. Les mesures contre  » le séparatisme musulman » annoncées par le Président Macron, en sont d’ailleurs la preuve. Tout en proclamant lutter contre le communautarisme musulman, elles le renforcent par leur caractère discriminatoire puisqu’elles ne concernent qu’une religion, l’Islam.

Il se produit alors une inversion. La victime est désignée comme coupable. Singulièrement, cette théorie des victimes, « qui n’ont pas forcément raison » a été beaucoup développée ces dernières années. Elle a été semble-t-il lancée par le philosophe Alain Finkielkraut à travers ce qu’il a appelé « la dictature des victimes » au sujet des Palestiniens. Il défend le paradoxe que c’est Israël qui est, en réalité, la victime des Palestiniens. Cette théorie a été reprise, par la suite à de multiples occasions, comme contre le mouvement des « Gilets jaunes », coupables d’être victimes des violences policières, ou à propos des banlieues et des « quartiers difficiles », coupables d’être victimes de leur marginalisation sociale, d’en être eux-mêmes responsables, d’organiser des « territoires séparés de la République » et de fomenter une guerre civile.

On a alors là peut être le secret du délire dont on parlait au début de l’article : le déni de la réalité, une vision inversée de celle-ci, et les peurs fantasmatiques et obsessionnelles qui en découlent.

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

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