Cet article est une reprise d’un article publié en novembre 2018. C’était au début des GJ et la presse leur était hostile. Il a fallu plusieurs mois pour que les médias, talonnés par les réseaux sociaux, consentent à parler de violence policière et à en montrer. Aujourd’hui, des journalistes sont matraqués, gazés, nassés, embarqués, inculpés comme des vulgaires « Jojo le Gilet jaune ». Il sont attaqués par les policiers quand ils filment.
On pourrait reprendre le fameux poème du pasteur Martin Niemöller (« Quand ils sont venus me chercher… »). Mais la fin n’est pas bonne : il reste du monde pour protester avec les journalistes. LGS le fait, mais n’absout ni n’oublie.
MV
J’ai (je devrais probablement dire : j’avais) un ami journaliste, militant syndical élu au niveau national, qui a connu les foudres et un procès de son employeur. C’est dire s’il fait la différence entre journalistes et propriétaires des médias. C’est dire s’il pense aussi que les journalistes ont le droit et le devoir de faire face au patron, pour défendre leurs intérêts et/ou faire valoir l’idée qu’ils se font de leur métier.
Je lui avais fait parvenir le billet de Théophraste : « Comment un journaliste de BFM-TV a failli mourir (de peur) à Toulouse. »
On y lisait comment un journaliste toulousain, qui avait pourtant camouflé le logo de BFM-TV de son micro a été reconnu par les gilets jaunes (« la bave aux lèvres ») qui l’ont conspué, insulté (une vidéo le montre), frappé (selon ses dires). Il a été sauvé, dit-il, par ses deux gardes du corps.
Et Théophraste de se demander pourquoi un journaliste, s’il est reconnu dans sa ville, s’expose au lynchage (c’est le mot employé par les médias) malgré ses précautions, s’il n’est pas flanqué de deux gardes du corps.
La « victime » a déposé plainte. Ses confrères le défendent tous, sans chercher à savoir ce qui a bien pu provoquer la colère de la rue. Quelqu’un a parlé d’esprit de clan. Un lecteur souligne que leur esprit de clan s’arrête aux portes de l’ambassade de l’Equateur à Londres (Cf. Julian Assange dont ils se fichent tous, et qui est le plus grand des journalistes vivants).
Un autre lecteur écrit :
« Ce qui est hallucinant, c’est qu’on voit des matraquages des manifestants, parfois des vieux, souvent à terre, souvent traînés comme des sacs de patates, souvent en sang, et que nos journalistes en rendent compte froidement, sans passion, sans laisser percer le moindre bout de commencement d’amorce de désapprobation. Bien contents que nous sommes s’ils ne dénoncent pas les victimes.
C’est bien d’ailleurs ce qu’ils font parfois, comme Pujadas qui avait condamné les « violences » de prolos qui ont jeté à terre des ordinateurs après avoir tout perdu.
Mais qu’un journaliste dans la manif soit « agressé verbalement » par des manifestants exaspérés par les mensonges de la presse des 9 milliardaires, voilà qui est intolérable. Il ne faut pas les toucher (tant mieux) ni mal leur parler (tant pis). Les gueux ont encore le droit de les regarder sans baisser les yeux, mais cela va-t-il durer ? ».
Sur un plateau de télé, le cinéaste (et grande gueule infatuée) Romain Goupil a montré comment il était habilité à faire taire un gilet jaune mandaté par d’autres que lui.
Je rappelle au passage ce qui a déjà été dit ailleurs : le journalisme est un contre-pouvoir. Le seul qui n’a pas de contre-pouvoir. Malheur à qui veut en instaurer un ! Et malheur aux journalistes honnêtes : ils se mettent en danger comme un syndicaliste en usine.
Intervenant dans le débat qui a suivi l’article du Grand Soir, j’ai écrit :
« Les journalistes de deux chaînes de Bolloré (BFM et CNews) qui portent plainte à Toulouse contre les pauvres revêtus de gilets jaunes auront des témoins pour le procès, ils produiront des vidéos.
Le problème est le suivant : quand des manifestants pacifiques se font crever un oeil, ouvrir le cuir chevelu, traîner à terre par les policiers, les journalistes sont là. Mais rarement ils iront témoigner pour le peuple devant un tribunal.
Pire, si un vieux ou une vieille se fait tabasser devant eux, ils filment sans essayer d’intervenir. Filmer, c’est leur job et le journaliste efface l’être humain. [J’ajoute ici : Il y a un dessin, comme ça, où l’on voit des passants filmer avec leur smartphone un homme qui se noie].
Ils sont douillets et prétendument épris de justice, mais ils supportent stoïquement la souffrance des gens du peuple et l’injustice infligée aux pauvres.
A ce jour, on a vu des policiers (peu nombreux) enlever leur casque, d’autres enfiler des gilets jaunes, on n’a pas vu un seul journaliste des grands médias prendre ses distances avec la répression. On en a vu se faire matraquer par la police, mais c’est contre les prolos qu’ils portent plainte. Cherchez l’erreur et essayez de les aimer ».
Un autre lecteur encore, par ailleurs journaliste qui a travaillé pour les plus grands médias me demande au téléphone : « Tu as déjà joué à chat perché ? Ben, les journalistes sont toujours perchés. En haut. Intouchables ».
Mon ami le syndicaliste ne l’entend pas ainsi : « Maxime ce que tu écris est en grande partie faux, sinon honteux. Avant d’écrire renseigne-toi ».
C’est justement ce que j’ai fait. Et je rétorque donc à mon ami, en aggravant mon cas que « L’esprit de clan des journalistes est un problème. A côté de ceux qui font honnêtement leur travail, comme toi, une bande de militants droitiers enfument, font monter les haines contre les sans-dents et leurs représentants… ».
En retour, contre mes écrits « honteux », il passe à l’attaque ad hominem, en guise de débat d’idées :
« As-tu déjà été confronté à ce genre de situation ? Entouré de plusieurs dizaines de personnes qui te menacent ? Moi oui. Apparemment toi non. C’est facile de faire l’amalgame derrière son ordi bien au chaud. Tu ne connais rien au travail de terrain, ne confonds pas « Les médias » avec ses salariés qui travaillent sur le terrain et ne demandent qu’à remplir leur mission ». Et on « n’a pas attendu Maxime Vivas pour se poser (et poser) des questions sur les dérives de la presse. Nous nous battons chaque jour ».
Ici, on touche à la négation de toute critique. En quelque sorte : qui es-tu pour juger ce film, cette interprétation musicale, ce tableau, ce match, ce plat ? Si tu n’as pas filmé, interprété, peint, couru dans un stade, cuisiné, tu n’as pas le droit de parler de ces sujets. On imagine mal pire censure.
Derrière mon ordi, je commence donc à avoir bien chaud aux oreilles et je dois sortir mes états de service de combattant du terrain en lui écrivant :
« Ton : “ C’est facile de faire l’amalgame derrière son ordi bien au chaud. Tu ne connais rien au travail de terrain”, est de trop. J’ai connu la rue et couru devant des CRS (pas Forquès. Lui, il court devant le peuple et va se réfugier derrière les CRS place du Capitole).
Moi aussi, j’ai été “entouré de dizaines de personnes menaçantes”. En général elles avaient des matraques et des casques, elles me délogeaient d’un centre de tri occupé par des postiers : j’étais leur secrétaire de section CGT.
Enfin, s’il faut étaler ses diplômes de courage, j’étais en Grèce au moment de la dictature des colonels pour mettre en place des réseaux de résistance et d’évasion. J’ai personnellement sorti par la Yougoslavie un militant communiste à qui j’avais fourni des faux papiers. C’était aussi risqué qu’un filmage des gilets jaunes à Toulouse. Je n’étais pas bien au chaud derrière un ordi, ni planqué derrière la puissance de BFM pour traîner des pauvres (dont certains sont sans doute syndicalistes) devant un juge ».
Là, mon interlocuteur m’annonce la fin du dialogue. Je le regrette parce que, malgré plusieurs relances, je n’ai pas réussi à lui faire dire ce qu’il pense d’un nouvel enfumage : Barthélémy Bolo, de BFM-TV, avait menti sur le dépavement des Champs-Elysées qu’il attribue à tort aux manifestants, alors qu’il s’agissait de travaux.
Barthélémy Bolo invoque une « erreur » (peu professionnelle) sur le dépavement. Elle peut, à la rigueur, être oubliée. Mais le lascar a prétendu, en plus, sans l’avoir vu (et pour cause !) que les gilets jaunes avaient jeté ces pavés sur les boutiques et les forces de l’ordre. Là, il y a une invention, un désir de nuire, une tromperie des téléspectateurs. Dans une entreprise, un tel boulot volontairement saboté entraîne le licenciement. Il s’en tire donc bien.
Mais, comme Forquès (1), de Toulouse, il a bobo. Aujourd’hui, il ne supporte pas les critiques et porte plainte (2) pour « menaces » et « harcèlement ».
Car, ose-t-il écrire « On ne peut pas laisser passer ça, il ne faut pas que les gens se sentent en impunité. »
Il donne un exemple :
Claire T.@Zipzip37
• 25 nov. 2018
@BFMTV @B2Bolo votre reportage sur les pavés arrachés sur les Champs-Elysées alors que ce sont les travaux de la piste cyclable est d’une malhonnêteté incroyable ! Vous faites de la Fake news tranquillou !
Ainsi, quelques mails reçus pour le recadrer seraient plus graves que sa fake news de nature à présenter les gilets jaunes comme des brutes et à justifier une future répression plus violente des CRS, répression que l’opinion approuverait.
Il devrait fonder un syndicat des porteurs de plaintes contre les pauvres en gilet jaune avec son confrère Jean-Wilfrid Forquès de Toulouse qui porte plainte contre les Smicards ou chômeurs toulousains en gilets jaunes.
Finalement, on finira par se demander si le plus dangereux, dans les manifs, ce sont les CRS ou les journalistes de BFM-TV et consort.
Troisième fake news de BFM-TV, la fable du salut nazi du gilet jaune passant devant l’écran. En fait, il fait le geste de salut à César en disant « Ave Macron ». Mais en coupant le son, on a le salut à Hitler.
Qu’un journaliste de BFM-TV (Eric Brunet) traite les électeurs de la FI d’abrutis, que le mot soit repris dans un dessin du (nullissime) Xavier Gorce, dessinateur du Monde, qui traite les gilets jaunes de troupeaux d’abrutis, que Plantu ne dessine pas un syndicaliste CGT autrement qu’avec un nez rouge et un litron de vin en main, cela est tolérable puisque les cibles ne sont pas journalistes, ce sont les émetteurs qui le sont. Ils le sont, couverts par la profession.
Il est temps de créer le conseil de déontologie des médias. Les journalistes de terrain ont tout à y gagner
Un lecteur du Grand Soir raconte cette scène dont il a été témoin le jour de l’enterrement de Fidel Castro. Deux journalistes de BFM-TV s’agaçaient, à Santiago de Cuba, de l’émotion ambiante :
« Alors maintenant il faut trouver un dissident » dit l’un. « Ça n’a pas l’air facile », répond l’autre. « Appelons Paris, conclut le premier. Et mon lecteur d’ajouter qu’il s’est fait violence pour « ne pas leur hurler à la gueule : à l’enterrement de la Reine d’Angleterre, vous allez chercher un républicain, bandes d’ordures ? ».
Et pour finir (mais on y passerait une semaine), cette anecdote contée par Viktor Dedaj et que je rapporte de mémoire (il rectifiera si je la dénature) : Il parle avec un journaliste de TF1 qui l’assure de sa parfaite liberté. Voyons, dit Viktor, prenons un exemple : Vous êtes en direct devant le parlement cubain. Pouvez-vous dire : Je me trouve devant le parlement du régime communiste cubain ? Bien sûr, dit l’homme libre de chez Bouygue. Parfait. Maintenant, vous êtes devant la Maison Blanche. Pouvez-vous dire : Je me trouve devant la présidence du régime capitaliste états-unien ? Ah, mais non !
Et pourquoi, s’étonne Viktor, faussement candide mais intérieurement satanique ? Ben, ça n’est pas la même chose.
Ha ! Ha ! (car il vaut mieux finir sur un éclat de rire que sur un ulcère possible à l’estomac).
Maxime VIVAS
Notes :
(1) Forquès, journaliste intouchable car impartial et professionnel, devrait s’abstenir de retweeter (comme ci-dessous) un fake d’Aphatie qui ampute le début et la fin d’une phrase de Mélenchon pour lui imputer la violence contre les journalistes, alors que l’auteur appelait au contraire au sang-froid.
« Jean-Wilfrid Forquès a retweeté
jean-michel aphatie Compte certifié @jmaphatie 26 nov.
La haine des médias est juste et saine, a dit le penseur. Voilà le résultat. « Gilets jaunes » : la violence contre des journalistes « prend une ampleur inédite » — via @lemondefr »
(2) A ce jour, cinq journalistes de CNews et BFMTV ont porté plainte pour « violences aggravées », « menaces de mort », « tentative d’agression en réunion », samedi et dimanche. Mentir sur les luttes, frapper au portefeuille les sans-le-sou et espérer un bon accueil dans la rue, n’est-ce pas trop demander ?
Ici, et dans tout ce que je viens d’écrire, c’est moi qui défends les journalistes, qui cherche à les protéger. Contre leurs patrons et contre eux-mêmes.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir