par Alexandre Lemoine.
Le cessez-le-feu décrété enfin dans les montagnes du Caucase est évidemment réjouissant. Cependant, en saluant la suspension des activités militaires on se demande : pour combien de temps ? Hélas, l’histoire très ancienne du Haut-Karabakh représente une chronique où les épisodes de conflits sanglants et de confrontation désespérée sont bien plus nombreux que les épisodes de paix et de calme.
Quant à savoir pour quel peuple ce territoire est « autochtone », arménien ou azéri, les deux seraient déçus. Les premiers à y vivre étaient des peuples inconnus qui, selon les historiens, ne faisaient même pas partie de la famille indo-européenne. Toutefois, ils ont cédé ensuite la place aux ancêtres des Arméniens actuels, sachant que c’était bien avant notre ère. C’est à cette époque que dans le Caucase existait la Grande Arménie, dont faisaient partie ces territoires appelés Artsakh. Mais après sa chute a commencé un vrai « manège » de changement de seigneurs et de conquéreurs, de principautés, de royaumes et de khanats.
Des Arabes, des Turcs seldjoukides, des Turcomans, des Mongols nomades… L’Artsakh faisait partie de la Perse, de l’Albanie caucasienne, se trouvait sous le règne des Bagratides, des Selefids, des Beglerbeks et des Mélikats. Il était traversé par des sentiers nomades et militaires d’un grand nombre de peuples et de tribus, aussi bien connus qu’inconnus. Tous ces nombreux déménagements et « reformatages géopolitiques » se déroulaient selon les traditions de l’époque – c’est-à-dire par le feu et l’épée.
À la charnière des XVIII-XIXe siècles, le Karabakh, tout comme toute l’Arménie, s’est retrouvé dans un entourage hostile principalement musulman. Ni la Perse ni qui plus est l’Empire ottoman avec sa politique expansionniste agressive couplée à une violence extrême à l’égard des « infidèles » ne pouvaient être considérés comme de bons voisins. Tout comme les autres peuples du Caucase, les habitants de l’Artsakh, qui se sont retrouvés au sein du khanat du Karabakh, ont trouvé leur salut dans l’Empire russe, au sein duquel ils ont été acceptés en 1805.
Après quoi, la paix et le calme se sont instaurés sur le territoire du Haut-Karabakh pendant plus d’un siècle. La population arménienne a cohabité normalement avec l’azerbaïdjanaise, et il n’était question d’aucune confrontation entre eux. Cela a duré jusqu’à l’effondrement de l’Empire, qui a plongé toutes les nations qui le peuplaient dans le gouffre de guerres fratricides. La première guerre arméno-azerbaïdjanaise a éclaté en 1918 et a duré jusqu’en 1920. À l’époque déjà derrière Bakou se trouvait la Turquie, qui avait promis à l’Azerbaïdjan tout son soutien et son aide pour établir le contrôle total du Haut-Karabakh, et qui tenait ses promesses avec beaucoup de zèle.
Pendant quelques années le Caucase et la Transcaucasie se sont transformés en chaudron en ébullition avec la capture de « territoires litigieux », des coups d’Etat, des révoltes, des mouvements de guérilla et simplement des guerres de tous contre tous. Les Britanniques et les Américains avaient tenté d’y défendre leurs intérêts. Mais le plus activement le faisaient les Turcs qui cherchaient à compenser par l’activité dans cette région les immenses pertes territoriales et économiques subies à l’issue de la Première Guerre mondiale.
Tout cela a duré tant que l’URSS ne s’est pas occupée des « périphéries nationales ». L’arrivée de la 11ème armée de l’Armée rouge a mis un terme à l’effusion de sang dans le Caucase. A ce moment la Turquie était absolument intéressée par une alliance avec la RSFSR et ne s’était pas opposée à l’établissement du pouvoir soviétique sur les territoires de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan.
La question concernant l’appartenance du Haut-Karabakh à l’une des nouvelles républiques soviétiques était réglée longuement et difficilement. Sergueï Kirov, l’un des conseillers les plus proches de Joseph Staline, s’occupait personnellement de la démarcation des frontières dans la région. Après de longues hésitations, le choix a été fait au profit de la création de la région autonome du Haut-Karabakh au sein de l’Azerbaïdjan. Sachant que selon les recensements de la population de l’époque, la majorité absolue de la population de la région était bien arménienne. Néanmoins, pendant 65 ans ce territoire a de nouveau oublié les sons de tirs et d’explosions, le sang arménien et azéri a cessé d’y couler. La « haine interethnique » n’avait pas sa place en URSS, elle n’existait donc pas.
La flamme du conflit s’est ravivée au début des années 1990. Les activités militaires, qui sont restées dans l’histoire comme la Première guerre du Karabakh, étaient précédées par une escalade progressive mais inéluctable et grandissante de la tension, contre laquelle le gouvernement soviétique de l’époque n’a rien voulu ou pu faire. Très probablement les deux. Le mouvement pour « l’autodétermination du Haut-Karabakh », qui a commencé par des manifestations et des rassemblements pacifiques, a rapidement dégénéré en émeutes et en affrontements ethniques faisant des victimes. Et les canons se sont mis à parler en 1991, après l’effondrement définitif de l’Union soviétique.
Ce conflit, qui s’est terminée par une trêve en 1994, a débouché sur la formation de la République du Haut-Karabakh sous sa forme actuelle, sous laquelle elle a existé jusqu’à cette année. Il s’avère que Bakou ne s’est pas résigné à la défaite et aux pertes territoriales, et qu’il s’est bien préparé pour la revanche – du moins bien mieux qu’Erevan. Aujourd’hui, la paix a été rétablie sur la terre d’Artsakh martyrisée. Rétablie une fois de plus par la Russie. Conformément aux accords conclus, les militaires russes devront jouer le rôle de casques bleus dans cette région au moins pendant cinq ans. Espérons que ce ne sera pas encore le prologue d’une nouvelle guerre.
source : http://www.observateurcontinental.fr
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International