Sœur Renelle Lasalle a une montagne à son nom, à Saint-Michel-des-Saints, où elle a fait aménager des pistes de ski en prévision des Jeux du Québec. Élevée par un père alcoolique, elle voulait sauver le monde par le sport. C’est à travers l’éducation physique qu’elle a d’abord accompagné les jeunes sur les chemins du dépassement et de la réconciliation. Cinquante ans plus tard, on connait cette sœur des Saints Cœurs de Jésus et de Marie en Abitibi sous le nom de koukoumesh, « petite grand-mère » en langue anishinabe.
Quand elle a croisé des Autochtones pour la première fois, dans les années 1970, sœur Renelle n’aurait jamais cru qu’elle leur consacrerait plus de dix ans de sa vie.
« Je travaillais avec le mouvement Jeunesse du Monde, où l’on menait des projets de sensibilisation contre le racisme. Les Haïtiens, les Chinois, les Congolais : je les aimais. C’était facile. Mais quand je voyais arriver au village des Atikamekws qui étaient en boisson, violents avec leurs femmes, ceux-là, je ne les aimais pas. Ça m’a donné un coup : j’ai réalisé que j’étais raciste. Aimer quelqu’un qui est différent, mais près de nous, ça ne se fait pas du jour au lendemain. »
Humilité et humour
Combattre ses propres préjugés a été le premier défi relevé par sœur Renelle lorsqu’elle s’est établie près des communautés du Lac-Simon et de Kitcisakik, en 2010. Aux côtés de Monique Papati, une ainée de la communauté, elle a découvert un peuple qu’elle décrit comme foncièrement humain.
« Malgré [tous les problèmes générés par les pensionnats], on ne juge pas pour ça. On perçoit l’autre comme un humain qui a de grandes blessures. »
« Ce sont des gens d’une simplicité extraordinaire. Humains et humbles, ça vient ensemble. Ils ont beaucoup d’humour. Ce sont des gens qui ne se prennent pas pour d’autres. Un humain, ça a le droit de se tromper, de faire des erreurs et de se reprendre. Dans ces communautés, à cause de l’historique des pensionnats, il y a beaucoup de problèmes sociaux : alcoolisme, violence, inceste. Malgré tout, on ne juge pas pour ça. On perçoit l’autre comme un humain qui a de grandes blessures. »
L’expérience du pardon
La religieuse a été bouleversée de voir comment ces personnes violentées par l’Église ont une grande capacité au pardon. Elle a participé à la Commission de vérité et réconciliation lors de son passage à Val-d’Or. Sa grande amie Monique a tenu à s’assoir près d’elle en signe de pardon aux religieuses. Ce n’est pas la seule fois où sœur Renelle a vécu l’expérience du pardon.
Elle se remémore la fois où elle a visionné le film Cheval indien, qui relate le parcours du hockeyeur Richard Wagamese dans les pensionnats ontariens :
« J’étais innocente. J’avais prévu aller au cinéma pour soutenir la communauté. Je me disais que ça allait être difficile pour ces personnes de revisiter leur histoire. J’avais donc réservé un local pour que nous puissions échanger après la représentation. Je m’imaginais les soutenir. Dans la salle, il n’y avait que des gens du Lac-Simon, sauf moi et deux travailleurs sociaux. J’ai trouvé épouvantable la façon dont les religieuses, dans le film, agissaient. C’était antiévangélique. Elles étaient pour moi des traitres. À la sortie du cinéma, j’avais les émotions à fleur de peau. Je craignais que, lors de la rencontre qui suivrait, on déverse contre moi un flot de haine. »
En attendant les participants, sœur Renelle fait les cent pas devant la salle qu’elle a louée. Un Autochtone qu’elle ne connait pas s’approche d’elle. Sur un trottoir de Val-d’Or, elle éclate en sanglots.
« Il m’a dit qu’on allait rentrer à l’intérieur afin que les autres Blancs ne pensent pas qu’il m’avait fait du mal. J’étais incapable d’arrêter de pleurer. Les autres sont arrivés, m’ont entendue. Au moment où ils auraient dû me tuer, ils sont venus me consoler et me flatter le dos. Lors de nos échanges, ils n’ont pas parlé de haine. Ils ont dit que c’était le temps de se prendre en main et de changer. Ces gens-là ont tout vécu. »
Des hommes et des femmes libres
Même si, au Lac-Simon, on ne conserve aucun bon souvenir des religieuses, la communauté a tenu à mettre en nomination sœur Renelle pour la médaille du lieutenant-gouverneur, qu’elle a reçue en 2017. Quand elle a finalement quitté la communauté, en janvier 2020, on lui a organisé une grande fête. Sœur Renelle a pensé mourir d’être aimée. Ce qu’elle retient, c’est que, quand les Anishinabes aiment, ils aiment. Point.
« Pour ces gens-là, l’évangélisation est synonyme de domination. Si j’avais parlé en ces termes, on aurait entendu “colonisation”. L’Évangile, ce n’est pas ça du tout. Jésus est venu pour humaniser l’humanité. Son Royaume n’est pas fait d’églises et de grands clochers, mais de rassemblements de gens qui s’aiment, partagent, se pardonnent, guérissent. Des personnes qui ne jugent ni les voleurs ni les prostituées. Le message de Jésus Christ, c’est la liberté. Il veut que nous devenions des hommes et des femmes libres. Les vrais saints, pour moi, ce sont de grands humains, très simples, qui sont comme des enfants, libres de tout. Ils ne ressemblent pas à des statues de plâtre. »
Pour sœur Renelle, annoncer la miséricorde, c’est dire que nous sommes des humains, pas des dieux, et qu’en tant que tels nous avons le droit de faire des erreurs. Il en va de même pour l’Église, qui cherche aujourd’hui par différentes initiatives à rebâtir des ponts avec les communautés autochtones.
« Le tout premier pas est de reconnaitre qu’en tant qu’Église on a mal agi. Même si, individuellement, on n’était pas là. Même si, aujourd’hui, ce n’est pas notre faute. Il ne faut pas se défendre, par exemple, en justifiant ces gestes par les mœurs de l’époque. Pour accueillir le pardon, il faut avoir les mains vides. Et avoir confiance en la capacité de l’autre à guérir et à pardonner. »
Pour sœur Renelle, espérer, c’est voir en l’autre le meilleur et croire qu’il peut se relever.
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