L’auteure est membre du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté – Centr’ERE, UQAM et du regroupement Des Universitaires (desuniversitaires.org).
12e d’une série de 13 articles sur les 101 idées pour la relance (https://bit.ly/3eIEURx)
Cet interminable épisode de pandémie nous aura-t-il permis d’éprouver suffisamment le besoin de liens entre nous et avec le monde vivant, pour nous inciter à transformer enfin nos façons de vivre ici, ensemble[1]?
Certes, il reste des zones d’incertitude quant à l’origine exacte du virus, quant à ses modes de propagation, ses mutations, la diversité de ses manifestations et le sauvetage par un vaccin. Mais nous connaissons de mieux en mieux les liens étroits entre les zoonoses et la destruction des écosystèmes, la perte d’habitats, le trafic d’animaux et les pratiques d’élevage intensif : on comprend maintenant que tout cela affecte Une seule santé[2], la nôtre et celle de toute la communauté du vivant. Nous assistons par ailleurs à l’évidente progression du changement climatique sur notre seule planète, qui brûle bien fort en ce moment. Nous reconnaissons désormais les liens entre ces problèmes, entre la destruction progressive des fondements de la vie et nos modes de « développement ».
Et puis, nous avons vu comment la crise sanitaire a su mobiliser toutes les énergies politiques. Lorsqu’un gouvernement se saisit vraiment d’une question, les mesures ne se font pas attendre. On se demande alors pourquoi ne pas déployer autant d’attention et de ressources à contrer la détérioration accélérée des conditions mêmes de la santé globale?
On en convient : l’éducation est un secteur d’intervention prioritaire en matière d’environnement. Mais pourquoi tant tarder à intégrer formellement et adéquatement une éducation relative à l’environnement au sein des curriculums, du préscolaire à l’université? Pourquoi ne pas soutenir davantage les initiatives des milieux d’éducation non formelle – les associations, les ONG, les écoquartiers, les parcs, les musées et autres? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais il devient encore plus pertinent et urgent de les poser. Les enjeux socio-écologiques que soulève la pandémie actuelle ajoutent à l’argument.
Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’alourdir la grille horaire avec une nouvelle matière ou de saupoudrer un thème ici et là, mais plutôt d’intégrer un champ de réflexion et d’action à l’ensemble de l’action éducative. Et l’école en particulier ne peut pas éluder sa responsabilité fondamentale, celle de contribuer au développement d’une écocitoyenneté : une citoyenneté consciente, critique, bienveillante, capable de participer aux débats en matière d’environnement et de se mettre en projet. L’écocitoyenneté se construit dans la délibération à propos de ce monde vivant que nous partageons. Au-delà des gestes individuels – ceux de l’écocivisme –, c’est avant tout un creuset où se développe un pouvoir-agir collectif.
« On ne peut pas penser à l’école d’après avec la pédagogie d’avant », affirme Philippe Meirieu[3] : « Va-t-on, enfin, faire de l’écologie autre chose qu’un « supplément d’âme », raccordé tant bien que mal aux programmes canoniques ? Il faudrait dépasser le simple stade d’enseignements ou de projets ponctuels qui laissent penser qu’on peut sauver la planète en introduisant quelques enclaves vertueuses ». Il faudrait permettre à nos enfants, poursuit-il, de faire l’expérience d’une transformation profonde de leur rapport au monde. C’est un projet éducatif bien exigeant mais incontournable et stimulant. Et cela, plusieurs enseignant.e.s et autres acteurs, actrices de la sphère éducative l’ont compris depuis longtemps : malgré le carcan du monde institutionnel, des initiatives inspirantes ont pu se déployer, qu’il importe de célébrer et de diffuser.
Il faut savoir que le Québec a déjà été un leader en matière d’éducation relative à l’environnement. Dès la création du ministère de l’Environnement en 1979, un Service d’éducation relative à l’environnement a été mis en place, soucieux de promouvoir une synergie entre les acteurs des milieux de pratique, d’offrir de la formation et des ressources, de s’engager aussi en recherche. Au ministère de l’Énergie et des Ressources, un Service de l’éducation et de la conservation a également produit du matériel pédagogique et formé du personnel de différents milieux. Et puis en 1991, un Comité interministériel d’éducation relative à l’environnement a réuni quatre ministères: Éducation, Environnement, Ressources naturelles et Agriculture, Pêcheries et Alimentation. De telles initiatives structurantes ont permis de dynamiser ce champ d’action éducative prioritaire. Malheureusement, avec le virage vers le développement durable – dans la foulée du Sommet de Rio en 92 – ces structures ont été dissolues.
Le contexte actuel nous invite à repenser une telle perspective trop souvent associée à un « développement économique soutenu », et à stimuler le déploiement d’une éducation relative à l’environnement qui rejoigne les différentes dimensions de notre rapport au monde vivant. Entre autres, le confinement invite à valoriser les « pédagogies du dehors », visant à recréer les liens d’appartenance à la nature, au milieu de vie. Et la dimension éminemment politique de la crise actuelle interpelle plus que jamais le développement d’une écocitoyenneté à travers des projets collectifs signifiants. Même les petits sont parties prenantes de leur monde, de leur « cité », à leur mesure.
C’est en ce sens qu’il convient d’attirer à nouveau l’attention sur la récente proposition de Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté[4], qui résulte des travaux d’un collectif d’acteurs provenant de divers milieux d’éducation formelle et non formelle. Un ensemble de pistes d’action y sont proposées, concernant entre autres, l’enrichissement des programmes d’études, la formation du personnel de l’éducation, le travail collaboratif au sein de la « communauté éducative », la (re)mise sur pied d’un comité interministériel travaillant de pair avec les acteurs de terrain, la valorisation de l’expertise existante, le soutien aux initiatives, etc. Une Coalition[5] s’est mise en place pour appuyer cette Stratégie. Un premier cycle de rencontres nous a permis de présenter ce plan aux décideurs du monde de l’éducation et de l’environnement. Devant l’inaction, il faut certes poursuivre. Le contexte actuel[6] justifie encore davantage une telle proposition.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal