Les mots en r comme « race », « racisme » et « raciste » sont vagues, ambigus, difficiles à saisir. Toutefois, ils sont immensément populaires et certains groupes – dits racisés – s’en servent comme mots de guerre pour mener de façon fort émotive leurs luttes politiques et idéologiques.
Les biologistes nous disent, eux, qu’il n’existe pas de races chez l’espèce humaine. Cependant, les conflits et les guerres raciales existent. Ils sont fréquents et ils peuvent être d’une rare violence.
Sur le plan sociologique et dans la pensée des gens, il semble évident que les races existent. Les sociologues qui étudient la dynamique des conflits sociaux sous ce rapport nous disent que la notion de race inclut les postulats suivants :
que les races existent ;
qu’elles se distinguent les unes des autres par des caractéristiques observables ;
que ces caractéristiques sont enracinées et durables ;
qu’elles portent souvent sur des aspects physiques, comme la couleur, mais qu’elles peuvent inclure toutes sortes de caractéristiques qui servent à différencier les groupes les uns des autres ;
que ces caractéristiques peuvent être signifiantes au point d’expliquer certaines conduites, traditions, états d’esprit et consciences particulières ;
que ces caractéristiques et différences tendent à complexifier et à antagoniser les rapports entre différents groupes humains ;
que les enjeux de ces rapports conflictuels et souvent violents portent principalement sur le « pouvoir, le contrôle et la domination ».
Tout le monde ne peut pas être raciste
Ces postulats posent des prérequis qui peuvent conduire à certaines formes de racisme, mais ils ne permettent pas de les identifier ou de les confirmer. Si tel était le cas, à peu près tout le monde serait raciste, y compris les antiracistes véhéments et les victimes des « micro-agressions » dites raciales qui s’indignent et s’insurgent de façon très émotive dans nos universités.
Le racisme étant une idéologie axée sur le « pouvoir, le contrôle et la domination », il commence à prendre forme lorsque les supposées races sont classées dans un ordre préférentiel sur une échelle de valeurs. On peut alors distinguer les races dites supérieures des races dites inférieures. Certains diront que ces inégalités raciales sont importantes, alors que d’autres prétendront tout le contraire. Les premiers iront jusqu’à dire que les races dites supérieures sont justifiées d’être mieux traitées que les autres. C’est à ce moment qu’une idéologie raciale tend à s’organiser en un système donnant lieu à différentes formes d’injustice. Le racisme est bien davantage qu’une petite histoire de mots blessants. Ainsi, les lois et les règlements ne sont pas appliqués de façon uniforme. Certains législateurs iront jusqu’à adopter intentionnellement des lois injustes et franchement discriminatoires. Au Canada anglais, de nombreuses lois à caractère racial ont été votées en ce sens au siècle dernier. Aujourd’hui, le Canada anglais cherche désespérément à nier son passé sulfureux en pointant systématiquement des regards accusateurs du côté des Canadiens français du Québec, les vrais « nazis, racistes et xénophobes » du Canada. Pourtant, les archives de l’histoire prouvent très exactement le contraire.
Dans certains cas, les États racistes vont mettre en place toute une série de mesures de répression violente. Pire encore, certains vont jusqu’à exterminer physiquement des races jugées sans valeur ou tenues pour dangereuses. Rappelons pour la petite histoire que, à une certaine époque, des membres de la « minorité historique anglaise » du Québec parlaient publiquement de stériliser les femmes canadiennes-françaises. Cette forme de racisme extrême est infiniment plus grave que l’usage de mots dits blessants dans le cadre d’une démonstration essentiellement pédagogique.
La xénophobie n’est pas du racisme
Précisons également qu’il y a une différence de la plus haute importance entre racisme et xénophobie. Le premier est de l’ordre des idées, alors que le deuxième est de l’ordre des émotions et de la peur. Historiquement, les étrangers, peu importe leur couleur ou leur origine, ont toujours été tenus pour dangereux. Et c’était le cas. Aussi loin que l’on peut remonter dans l’histoire, les hommes se sont toujours protégés des étrangers en érigeant des palissades autour de leurs villages. Plus tard, ils érigeront des enceintes de pierres. Au Moyen Âge, toutes les villes et villages étaient protégés par des forteresses. Tous avaient d’excellentes raisons de se méfier et d’avoir peur des étrangers. L’être humain a toujours été l’animal le plus dangereux de la création. Avec son gros cerveau et son agressivité hors du commun, il s’est malheureusement montré bien plus efficace dans le mal que dans le bien. Au XXe siècle, au moins 100 millions de personnes sont mortes de la violence de leurs semblables.
En fait, la xénophobie est bien davantage un réflexe naturel de peur ou d’insécurité qu’une maladie mentale. Le xénophobe ne recherche ni le pouvoir, ni le contrôle, ni la domination sur les autres. Il se moque des « micro-agressions » dont certaines âmes sensibles s’indignent avec fracas pour attirer l’attention sur eux. Le xénophobe veut simplement tenir les étrangers à distance pour rester à l’abri des risques qu’ils représentent pour sa sécurité. Le multi-culturalisme pose aujourd’hui un défi énorme à la convivialité entre des hommes et des femmes venus des quatre coins de la planète. Les chartes peuvent garantir des droits et libertés, mais aucun législateur ne peut ordonner l’amitié, la confiance et la solidarité sociale. Il peut encore moins ordonner de cesser d’avoir peur d’étrangers qu’on ne connaît pas ou peu. Le fonds de l’âme humaine s’est formé dans la nuit des temps et il est inaltérable. Le multi-culturalisme rend les choses difficiles puisque seul un « ajustement parfait » des rapports sociaux permet de réaliser un ordre de justice qu’on appelle la paix et l’harmonie sociale. Le multi-culturalisme est l’idéologie parfaite pour « désajuster » des rapports sociaux qui sont déjà si longs et si difficiles à établir. Seul Jésus dans l’Évangile et certains militants de Québec solidaire prétendent que tous les hommes sont tenus de s’aimer les uns les autres.
Il est important de souligner qu’avant 1945 le mot « raciste » n’existait pas. Cependant, la chose, elle, existait et avait été observée dans d’innombrables situations, poussées à des accès de folies extrêmes. Toutefois, le mot « racialiste » existait. Il était apparu en Angleterre au milieu du XIXe siècle. En tant que branche de l’anthropologie, le racialisme portait sur l’étude des différences biologiques entre les groupes humains afin de les classer sur une échelle de valeurs. À l’époque de l’Empire britannique, il était important de démontrer que les Anglais formaient une race naturellement destinée à gouverner les peuples arriérés pour le plus grand bien de l’humanité.
Une science anglaise
Ce sont donc les Anglais qui vont se passionner pour cette science nouvelle qu’ils avaient fondée au milieu du XIXe siècle. Ils avaient mis beaucoup de temps et d’énergie à la développer et à la diffuser dans le monde, et ce, jusque dans les années 1930. Certains anthropologues étrangers vont suivre l’évolution de ces travaux, mais ils seront nombreux à qualifier cette entreprise de pseudo-science au motif qu’elle s’avérait fondée sur des postulats erronés. Par exemple, les anthropologues allemands vont prendre connaissance des publications des Anglais, mais au lieu de s’en inspirer, ils vont communiquer avec les « racialistes » anglais pour tenter de leur faire comprendre qu’ils étaient sur une fausse piste et que les efforts qu’ils consacraient à ces travaux étaient une pure perte de temps. Mais les Anglais vont persister et, en Allemagne, les choses vont en rester là jusqu’en 1925.
À cette époque, c’est Adolf Hitler, avec son livre Mein Kampf, qui va donner un nouveau coup d’envoi au racialisme développé par les anglo-saxons. Dans son livre, il s’est largement inspiré des théories de l’Américain Madison Grant dont le livre, The Passing of the Great Race, avait été vendu à plusieurs millions d’exemplaires depuis 1916. Traduit en allemand en 1924, Hitler va non seulement s’en inspirer pour appuyer ses idées politiques et raciales, mais il va même écrire à l’auteur pour le féliciter pour son chef-d’œuvre et l’informer qu’il s’était beaucoup servi de « cette bible » pour rédiger son propre livre.
Les avancées scientifiques du racialisme au Canada
Au Canada, les théories « racialistes » anglo-saxonnes vont se répandre dès le milieu du XIXe siècle par des livres, des articles de journaux et de magazines venus d’Angleterre. Il y a eu un engouement immédiat pour ces théories scientifiques si commodément axées sur le pouvoir, le contrôle et la domination. N’étaient-ils pas embarrassés de devoir partager le pouvoir avec les Canadiens français, « race ignare et paresseuse » ? Le Canada était un pays multiracial où les anglo-saxons revendiquaient le droit d’imposer leur domination. En 1868, des jeunes intellectuels d’un groupe appelé Canada First ont commencé à écrire des essais sur la supériorité raciale des peuples nordiques. Bien entendu, les mots « raciste » et « racisme » n’étaient pas utilisés parce qu’ils n’existaient pas encore, mais les Britanniques canadianisés du début de la Confédération se disaient particulièrement fiers d’appartenir à la plus grande race du monde. Ils se vantaient de cette supériorité raciale chaque fois qu’il y avait un public pour les entendre. Ils le faisaient même durant les séances du Parlement fédéral à Ottawa. Certains prétendaient même qu’on ne devrait confier aucun porte-feuille à des ministres canadiens-français en raison de leur infériorité manifeste sur le plan racial. Cet état d’infériorité les rendaient inaptes à exercer les plus hautes fonctions dans l’État. Dans leur vanité, ils allaient jusqu’à prétendre que la race anglo-saxonne était destinée à dominer le monde entier. De nombreuses lois vont être changées ou adoptées pour respecter le droit naturel de dominance de la plus grande race du monde. On peut donc dire que ce « racialisme » scientifique était en train de s’imposer sous forme de système au Canada. À Ottawa, les juges de la Cour suprême tenaient compte de ces théories à la mode pour rendre des jugements en faveur des droits du fédéral, c’est-à-dire là où les membres de la race supérieure contrôlaient et dominaient tout.
Au Québec, il n’y avait que les membres de la « minorité historique anglaise » qui s’intéressaient à ces théories axées sur le pouvoir, le contrôle et la dominance. Chez les Canadiens français, ces théories étaient ouvertement dénoncées par l’Église qui les tenait pour anti-chrétiennes. Elles ont été strictement mises à l’index. Aucun livre ne pouvait être vendu ni aucun article publié pour en faire la promotion. Ces théories raciales n’ont fait qu’élargir le fossé entre les deux populations. Encore aujourd’hui, la Grande bibliothèque nationale du Québec n’a encore aucun exemplaire du livre de Madison Grant qui s’est pourtant vendu à six millions d’exemplaires.
Bref, les théories raciales ont été glorifiées et appliquées pendant près d’un siècle au Canada anglais, mais tenues pour immorales et anti-chrétiennes au Canada français. On peut encore aujourd’hui trouver des exemplaires du livre de Madison Grant à la bibliothèque générale de l’Université McGill et dans toutes les bibliothèques des universités du Canada, sauf dans les bibliothèques des universités francophones du Québec. Signe qu’il y a au Canada deux états d’esprits, deux consciences particulières, deux civilisations difficiles à concilier.
Contrairement au Parlement fédéral et à plusieurs parlements provinciaux, l’Assemblée nationale du Québec n’a jamais adopté la moindre loi fondée sur des théories raciales dans le but de nuire à des groupes dits racisés ou de priver leurs membres du droit à une pleine égalité devant la loi.
Les pires « nazis, racistes et xénophobes » de l’histoire
Malgré tout, ce sont les Canadiens français du Québec qui, depuis le début des années 1960, ont été l’objet d’innombrables accusations de racisme de la part de ces mêmes Canadiens anglais qui avaient si goulûment adhéré et mis en pratique les théories sur la suprématie raciale des anglo-saxons pendant près d’un siècle. Paradoxalement, dès le moment où ces théories sont devenues publiquement odieuses, nos racistes « repentis » vont se retourner contre les Canadiens français du Québec pour les éclabousser, les rabaisser, les déshonorer de toutes les façons possibles en les traitant copieusement de « nazis, de racistes et de xénophobes ». Ce n’est pas peu dire. Nos racistes « repentis » se sont mis à les comparer, pour des raisons « de pouvoir, de contrôle et de domination », aux plus odieux criminels de toute l’histoire de l’humanité. Ainsi, à part les nazis qui ont assassiné des millions d’innocents, l’humanité n’aurait jamais connu de peuple plus moralement dégénéré que les Canadiens français de la province de Québec. La meilleure manière d’offenser, d’agresser et de traumatiser un peuple, c’est d’en faire une cible facile sur laquelle chacun peut défouler sa haine pour mieux affirmer sa supériorité morale. Alors, d’où originent ces gentilles comparaisons avec les pires criminels de l’histoire ?
Jacques Parizeau met le feu aux poudres
Le vocabulaire méprisant à l’endroit des Canadiens français du Québec va se mettre à changer durant les années 1960. Plus précisément à partir de 1962. Cette année-là, un jeune économiste audacieux, naturellement porté aux grandes idées et aux grandes réalisations, Jacques Parizeau, avait proposé au gouvernement de créer une caisse de dépôt et de placement pour la province. Une telle institution, créée par l’Assemblée nationale du Québec, devait permettre à l’État de réunir sous une seule direction la gestion de la plus grande partie des économies collectives des Québécois.
Sur le plan constitutionnel, la création d’une telle institution se trouvait entièrement à l’intérieur des compétences de la province en matière de « propriété et de droits civils », compétence que l’on retrouve à l’article 92 (13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cependant, l’idée de créer une institution susceptible de devenir un levier économique puissant pour la province a provoqué un véritable vent de panique du côté du Canada anglais. Pour comprendre une telle réaction, il faut se souvenir que le racisme est d’abord et avant tout une affaire de « pouvoir, de contrôle et de domination ». En 1867, le Canada anglais avait reconnu aux Canadiens français le droit d’exister et de vivre de façon relativement autonome dans leur province, mais pas forcément celui de prospérer et de s’affirmer dans la durée. Leur province se devait d’être pauvre, de vivoter à même les aumônes que le gouvernement fédéral voudrait bien lui verser. Des Canadiens français pauvres, ignares, et paresseux étaient une idée parfaitement acceptable pour le Canada. Mais qu’ils puissent un jour se doter d’un puissant levier économique n’avait jamais effleuré leur esprit. D’où le vent de panique, d’où les commentaires méprisants qui ont commencé à fuser de partout.
Le Canada démasque enfin les vrais méchants
Le commentaire le plus émotif et le plus absurde exprimé par un membre du gouvernement fédéral à Ottawa a été celui de Judy LaMarsh, nommée ministre de la Santé et du Bien-être social par Lester B. Pearson en 1963. Selon elle, si le Canada permettait au Québec de se doter d’une telle institution financière, la province mettrait peu de temps « à devenir semblable à l’Allemagne nazie ». Une telle puissance donnerait naissance à un régime totalitaire et ça serait le début de la fin pour le Canada. En réalité, la crainte était que si le Québec devenait une puissance économique, le Canada risquerait de perdre « le pouvoir, le contrôle et la domination » qu’il a exercé sur cette province depuis 1867, pour ne pas dire depuis 1840. Cette comparaison avec l’Allemagne nazie et l’assassinat de millions de personnes innocentes – comparaison si juste aux yeux des Canadiens – a marqué les esprits ; elle a créé un réflexe mémoriel qui n’allait plus disparaître. Les mots « Québec » et « nazisme » se sont soudés, ils sont devenus indissociables. De là, tous les beaux slogans sur le Québec et les Canadiens français. D’où les litanies diffamatoires et méprisantes qui nous frappent à tout moment. Tout ce que nous faisons et qui peut être ressenti comme une « agression » nous vaut d’être traités sans ménagement de « nazis, de racistes et de xénophobes ». Chacun peut varier légèrement la formule selon son inspiration ou l’impact de l’« agression » ressentie. Bref, à tout moment, on nous lance en pleine face l’injure de notre soi-disant état de dégénérescence morale. Nous sommes présentés comme des infra-humains, moralement comme une bande de nazis. Auparavant, nous n’étions que de simples « ignares et des paresseux dignes de disparaître de la surface de la terre ». Maintenant, peu importe ce que nous disons, peu importe ce que nous faisons, nous sommes instantanément associés aux pires criminels de l’histoire. Ce réflexe est incrusté dans la mémoire procédurale du Canada anglais. C’est une arme à bon marché, de maniement facile que chacun peut utiliser à sa convenance. On peut attaquer, blesser et détruire tout ce qui est québécois en toute bonne conscience et sans la moindre responsabilité. En fait, il s’agit d’un racisme paradoxal extrême. Le racisme, nous l’avons dit et nous le répétons, est une idéologie mue essentiellement par l’idée de « pouvoir, de contrôle et de domination ». Quant à la xénophobie, c’est une peur exagérée qui relève essentiellement du domaine des émotions. C’est un phénomène naturel et universel qui a toujours existé et qui ne va jamais disparaître. Tous les hommes accordent une importance considérable à leur sécurité.
Frapper et se défouler pour mieux nier sa propre violence
Le racisme paradoxal, c’est l’hypocrisie des racistes qui accusent les autres de racisme pour concentrer leur attention sur une cible évidente et facile à atteindre. Ainsi, le Québec a été transformé en bouc émissaire que l’on cherche à associer aux auteurs des pires crimes contre l’humanité et sur lequel le Canada anglais peut frapper et défouler toute sa violence.
Plus encore, ce sont maintenant les immigrants et les ethnies que nous avons accueillis il y a dix, vingt ou trente ans qui ont rejoint le cortège solennel de notre mise à mort rituelle, mise à mort qui se répète un peu trop souvent. Il faut quelqu’un, un vrai méchant, sur lequel on peut frapper, se défouler sans éprouver le moindre sentiment de culpabilité. Il ne peut y avoir de mal à haïr et à vouloir détruire l’incarnation même du mal. Sous ce rapport, notre destin n’est pas très reluisant.
Christian Néron
Membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste et Historien du droit et des institutions.
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