Le conflit à haute intensité limitée du Haut Kara-Bagh a démontré qu’un conflit à sommes nulles peut longtemps bloqué peut être réglé par des moyens militaires. Cette leçon émanant de la nouvelle doctrine militaire turque a été suivie avec le plus grand intérêt par de nombreux pays ayant des conflits frontaliers ou des zones en litiges. L’usage par l’Azerbaïdjan de tactiques combinant les drones d’attaque Bayraktar et les forces spéciales, notamment turques mais avec l’apport de mercenaires, s’est avéré fort concluant pour débloquer un conflit vieux et bloqué depuis plusieurs décennies en dépit de nombreux efforts de médiations.
Le conflit du Haut Kara-Bagh est devenu naturellement une source d’inspiration au conflit oublié du Sahara Occidental, vieux de plus de quarante-cinq ans et totalement bloqué au niveau des Nations-Unis depuis un cessez-le-feu conclu en 1991 après une guerre oubliée et hautement mobile ayant duré seize années.
Les récents incidents survenus dans le poste-frontalier de Guerguerat à l’extrême Sud du Sahara Occidental et au Nord de la ville mauritanienne de Nouadhibou auguraient d’une reprise des hostilités d’autant plus que les Nations Unies retardent la nomination d’un envoyé spécial. Pour le Maroc qui occupe les 3/4 du territoire de l’ancienne colonie espagnole, derrière un immense mur de sable parsemé de bases militaires, la zone de Guerguerat revêt une importance capitale dans l’extension de son commerce avec l’Afrique subsaharienne. Pour les indépendantistes Sahraouis, qui ont l’habitude de parcourir la « zone libre » des confins algériens jusqu’à l’océan atlantique à la frontière mauritanienne, l’intervention du Maroc au-delà du mur de sable est un casus belli.
Or ces événements interviennent dans un contexte fort troublé et instable marqué par une crise politique sans précédent aux États-Unis, une vacance du pouvoir en Algérie, pays qui soutient les indépendantistes Sahraouis depuis le début du conflit, une crise économique et sociale explosive au Maroc, une guerre sans fin au Sahel et unr Libye de facto morcelée et théâtre d’ingérences militaires multiples.
Ce conflit oublié au potentiel hautement dangereux car il met en opposition la rivalité géopolitique des deux plus grands pays du Maghreb, pourrait déstabiliser l’ensemble de l’Afrique du Nord et porter un coup fatal et final à l’Union européenne.
En dépit de la guerre informationnelle, diplomatique et cybernétique marocaine constante et ininterrompue contre l’Algérie, une véritable guerre entre ces deux pays est hautement improbable pour le moment même si le conflit du Haut Kara-Bagh a donné des idées sur l’opportunité d’une lutte asymétrique de nouvelle génération qui a largement démontré son efficacité au Haut Kara-Bagh.
Le rôle des Émirats Arabes Unis dans la résurgence de ce conflit oublié semble déterminante. Après être intervenus massivement dans la guerre en Libye, les Émirats Arabes Unis semblent disposés à financer un effort de guerre que l’économie marocaine est totalement incapable de supporter. Les Émirats pourraient même offrir au Maroc le rôle que la France lui assurait dans le domaine aérien durant les années 70 et 80 (les Mirage français assuraient le CAS ou Close Air Support aux forces marocaines durant la guerre contre le Polisario de 1975 à 1986) ou y transférer des sociétés de sécurité privée ou armée de mercenaires comme l’ex-Blackwater. Cette attitude des Émirats intervient après une brouille subite avec l’Algérie que certains observateurs lient avec des soubresauts au sein du sérail algérien mais surtout les enjeux cachés de la guerre en Libye.
De son côté, le Polisario qui a proclamé la République Arabe Sahraouie démocratique et populaire en 1976 et mené une guérilla extrêmement mobile de 1975 à 1991 face à une armée marocaine en position statique retranchée derrière un immense mur de sable conçu par les israéliens, ne dispose plus de l’expérience acquise durant ces seize ans de lutte mais peut s’inspirer de l’exemple des Houthis yéménites mais le manque d’armement et l’absence d’un encadrement pourrait limiter la reprise de la guerre à une série d’escarmouches visant quelques points du mur de défense marocain. A moins que cette fois-ci, le Maroc avec l’aide de ses allies traditionnels ne décide de passer à l’offensive et tenter de reprendre des territoires désertiques et vides impossibles à capturer sans une logistique très contraignante et une usure importante des hommes et du matériel.
Le Maroc a toujours accusé l’Algérie d’être une partie de ce conflit tandis que cette dernière a toujours nié cette accusation en arguant que la question du Sahara Occidental relève de la commission de décolonisation des Nations Unis et n’a jamais fait partie d’un quelconque contentieux entre les deux pays maghrébins. Dans les faits, l’Algérie a toujours soutenu le front Polisario mais l’aide qu’elle à octroyé a ce mouvement a drastiquement baissé depuis les années 90 quand l’Algérie avait sombré dans une guerre civile d’une décennie. Depuis trente ans, cette question semble avoir été oubliée en Algérie et il n’y a que des sites marocains déguisés en sites algériens qui évoquent cette question à des fins de propagande.
L’inimitié nouvelle entre l’Algérie et les Émirats Arabes Unis s’est avérée très dangereuse pour un pays comme l’Algérie, englué dans une crise politique complexe et réduisant son potentiel réel et annihilant toute possibilité d’évolution. Le Maroc dont le régime vit également une sorte de vacance de pouvoir que pallie la présence d’un cabinet de l’ombre très proche d’Israël et de sa diaspora séfarade se trouve soutenu par des pays comme l’Arabie Saoudite, la France, les Emirats Arabes Unis, l’Espagne, les État-Unis (surtout si Biden remporte la présidentielle), la France et Israël et dispose de ce fait d’un réseau de lobbying assez influent pour un petit pays de la taille du Maroc. De son côté, le Polisario a perdu l’appui de la Libye de l’ex-régime de Gaddafi et s’il est toujours soutenu par Alger, ce soutien est beaucoup plus diplomatique et symbolique que militaire. Au final, l’objectif est de rappeler au monde l’existence de ce conflit trop souvent oublié ou méconnu mais une surprise n’est pas à exclure compte tenu de l’expérience du Haut Kara-Bagh.
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