Très longue interview des deux as du renseignement français, Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), et Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) dans Le Figaro du 13 novembre 2020, anniversaire sanglant du massacre du Bataclan et des terrasses (137 morts, 413 blessés graves et des centaines de traumatisés). Nous ne pouvions pas laisser nos lecteurs en dehors de la politique de lutte contre le terrorisme qui sévit en France. Voici le résumé de ces 10 pages de questions réponses.
Le Figaro commence par un topo sur la situation générale :
Les foyers djihadistes sont multiples, l’État islamique cherche à se reconstituer et la menace d’une attaque plus sophistiquée n’est pas exclue. Alors que les attentats de type « low-cost » sont presque indétectables, les patrons du renseignement pratiquent l’« union sacrée » et l’affirment : « Nous n’avons plus de secret l’un pour l’autre. »
Comprendre que trop longtemps, les nombreux services de police ou de gendarmerie et d’antiterrorisme, de sécurité intérieure et extérieure se sont fait non pas la guerre, mais n’ont pas toujours échangé leurs données. C’est une partie de l’explication officielle des « failles » qui ont conduit en 2015 aux deux attentats de janvier et novembre, failles qui ont été consignées dans les rapports de la commission parlementaire sous contrôle étatique (un député PS et un député LR).
D’où la création de mécanismes de coordination, le renforcement de la coordination nationale antiterroriste (CNRLT) et la désignation de la DGSI, en juin 2018, comme « chef de file » de la lutte antiterroriste sur le territoire national. Toutes ces mesures ont abouti à un décloisonnement total de l’information, à tous les niveaux de la hiérarchie. En matière de lutte antiterroriste, nous n’avons plus aucun secret l’un pour l’autre.
La France a donc créé en plus de toutes ses officines des « mécanismes de coordination », un machin de plus dans le mille-feuilles antiterroriste. On le voit, les attentats de 2015 ont engraissé la machine administrative (2000 agents en plus pour la DGSI qui a doublé son budget en 5 ans), mais les Français ne savent toujours pas pourquoi des soldats armés n’ont pas pu pénétrer au Bataclan dès les premières fusillades : ils sont restés l’arme au pied, en attente d’un ordre d’intervention qui ne viendra jamais.
Bernard Émié intervient pour sa partie, le renseignement extérieur :
Depuis plusieurs années, la DGSE a également été renforcée quant à ses moyens notamment par la dernière loi de programmation militaire. Nous avons gagné 1300 agents depuis dix ans et nous sommes désormais plus de 7 000. Avec la DGSI, nous partageons tout et, de « cousins éloignés », nous sommes devenus des « frères complices ». Un plan d’action contre le terrorisme a été adopté en 2018. Au sein du ministère des Armées, sous l’autorité de la ministre Florence Parly, la DGSE a été désignée chef de file de la lutte antiterroriste à l’extérieur de nos frontières, pour coordonner l’action de l’ensemble des services de renseignement du ministère des Armées en lien avec le Commandement des opérations spéciales. Avec l’aide essentielle de nos partenaires internationaux, soit des dizaines de services de renseignement étrangers, et en complément de ce que fait la DGSI, la DGSE déploie l’ensemble de ses capacités pour identifier des projets terroristes visant la France et les empêcher.
Au fait, pourquoi la France est-elle visée par le terrorisme islamiste ou dit islamiste ?
Parce que notre pays, sous l’influence de ses dirigeants depuis Nicolas Sarkozy, n’a fait que suivre la politique atlanto-sioniste ou américano-sioniste qui consiste à punir les pays musulmans depuis le 11 Septembre, ou plutôt à faire de l’Islam le grand ennemi de la civilisation occidentale. On remarque que ce terrorisme, que personne ne nie, est financé par l’Arabie saoudite en majorité, et aussi par le Qatar, qui a commencé à retirer ses billes de cette sale affaire. Ces deux pays ont agi en coordination avec les grandes nations occidentales qui luttent contre le terrorisme islamiste, celui qui a débuté en Afghanistan dans les années 80 avec de l’idéologie et des combattants tout droit venus d’Arabie saoudite (ou financés ailleurs), ou comment exporter le danger wahhabite dans les pays que l’Empire avait besoin de déstabiliser…
Bref, le terrorisme islamiste est une conséquence de la politique de choc civilisationnel menée par les pays occidentaux inféodés à l’Empire, et depuis le couple Chirac-Villepin, la France a perdu toute autonomie en la matière. Elle suit le principe de guerre contre le terrorisme, qui s’est fabriqué un ennemi qui est aujourd’hui devenu réel même si, quand on zoome sur ses soutiens, on retrouve toujours un lien avec services occidentaux, et cela inclut Israël.
Monsieur Émié n’est donc pas en cause, il travaille sous les ordres des présidents successifs de la République, mais le chaos malien où 5000 de nos forces s’embourbent, ou s’ensablent, est l’image même de ce combat militaire sans fin qui n’a de solution que politique. L’enchaînement des questions-réponses n’est pas sans intérêt, mais des questions restent sans réponse, car il s’agit de choix politiques. Par exemple, accepter de recevoir des Français qui ont participé aux combats contre l’armée syrienne, en surveiller certains, en emprisonner d’autres, et les relâcher par petits paquets. Nicolas Lerner :
Notre défi est donc double : assurer un haut niveau de suivi des quelque 8 000 radicalisés repérés sur le territoire national tout en détectant les nouveaux porteurs de menaces grâce à nos capteurs techniques mais, surtout, au renseignement humain, déployé au plus près du terrain. Mais les services n’agissent pas seuls : les réflexes de signalement sont importants. Après les attentats de 2015 et 2016, les appels affluaient au numéro vert dédié. Ils ont tendance à diminuer ces derniers mois… Chacun doit se sentir acteur de la lutte antiterroriste.
Allons-y pour la délation, la 5e colonne et tout le bastringue, mais pourquoi accepter des tueurs sur notre sol, qu’ils soient français ou pas français ? Des tueurs, c’est fait pour tuer. Émié nous explique que les attentats low cost (il pense à ceux de Nice et Conflans en 2020) ne doivent pas faire oublier la possibilité d’attentats de plus grande envergure.
Il est vrai que les attentats de type « low-cost » sont quasiment indétectables car ils nécessitent une faible planification. Mais le travail que nous avons mené, tant sur le plan du renseignement que de l’entrave, a rendu plus difficile pour des organisations comme l’État islamique la possibilité de mener une attaque complexe et planifiée, même si c’est toujours imaginable. La menace « endogène » se fonde sur des réseaux d’endoctrinement et de manipulation qui ciblent des individus souvent très jeunes, inconnus de nos services et en général radicalisés très récemment. Pour les détecter, il est capital de surveiller des liens sur les réseaux sociaux et les agences de propagande d’al-Qaida, de l’État islamique, voire des réseaux hostiles de francophones retranchés sur les théâtres du djihad.
Rappelons à monsieur Émié que beaucoup de ceux qui sont passés à l’acte, et qui sont passés par la case prison, ont été formés en prison au contact de radicalisés influents, que le renseignement connaît très bien, pour ne pas dire plus. Question : pourquoi rapprocher les petits truands (qui deviendront des hybrides à la Kepel) des vrais islamistes radicalisés ? Ce fut le cas de Chérif Kouachy et d’Amedy Coulibaly, formés par Ahmed Beghal, pour ne parler que d’eux… Extrait de Wikipédia :
Dans un document du 26 juillet 2013, le parquet de Paris définit Amedy Coulibaly et Chérif Kouachi, les futurs auteurs des attentats de janvier 2015 à Paris, comme « les « élèves » de Djamel Beghal »12. Néanmoins, « le lien entre les visites de Kouachi et Coulibaly dans le Cantal et les attaques de janvier me paraît impossible et rien, à ce jour, ne les démontre » assure Bérenger Tourné, l’avocat de Djamel Beghal. « Il est, en revanche, plausible que leurs relations avec mon client aient renforcé leur conviction religieuse ».
Il purge une peine de 10 ans à la prison de Vezin-le-Coquet, en Ille-et-Vilaine. Son appel est rejeté en décembre 2014. Libérable au plus tard à l’été 2018, Djamel Beghal se dit en juin 2017 favorable à une expulsion vers l’Algérie au terme de sa peine, y jugeant la situation politique plus apaisée et moins dangereuse pour lui. Il est remis en liberté le 16 juillet 2018 et est immédiatement expulsé vers l’Algérie, puisqu’il n’a plus la nationalité française.
À son arrivée à Alger, Djamel Beghal a été placé en garde à vue puis incarcéré 18 mois, comme l’a révélé le Mensuel de Rennes en septembre 2020. Il a ensuite comparu à son procès en appel d’une condamnation à 20 ans de prison par contumace, prononcée en 2003, pour son appartenance au Groupe islamique armé algérien (GIA). L’audience s’est tenue le 23 décembre 2019, devant le tribunal criminel de Dar El Beida. Djamel Beghal a été acquitté et libéré.
Pour services rendus ?
Nous attaquons la suite, qui est plus politique, et une réponse de Lerner nous a fait tiquer à propos du terrorisme « d’ultradroite », autrement dit islamophobe. Dans un contexte où le Président en personne a parlé de la menace islamiste et de séparatisme, les propos du numéro un de la DGSI interrogent.
En réaction à ces attaques, ne craignez-vous pas un Christchurch à la française de la part des suprématistes ?
Il est important de rappeler tout d’abord que, depuis 2015, la France a été frappée par 20 attentats. 19 autres attaques ont échoué et, depuis 2013, 61 projets ont été déjoués par l’action coordonnée des services antiterroristes. Pour autant, les Français ne sont jamais tombés dans ce qui me semble être le double piège tendu par les terroristes : celui de la division et celui de l’amalgame, qui pourraient amener certains à désigner comme coupables des groupes de personnes à raison de leur nationalité ou de leur religion, alors même que la très grande majorité des personnes de confession musulmane pratiquent leur foi de manière totalement pacifique, dans le respect – et sous la protection – des lois de la République. Si les Français ne sont pas tombés dans ce piège, certains, de manière isolée ou au sein de petites cellules, pourraient être tentés de « se faire justice eux-mêmes », ajoutant ainsi de la haine à la haine. C’est pourquoi la DGSI, et l’ensemble de ses partenaires intérieurs, consacrent d’importants moyens au suivi des groupuscules d’ultradroite. Depuis deux ans, la DGSI a ainsi déjoué cinq projets d’attentats émanant de ces activistes, dont certains visaient la communauté musulmane.
Le piège de la division et de l’amalgame ? Mais Macron est tombé en plein dedans, sous la poussée des nationaux-sionistes à l’extérieur (l’axe Zemmour-Goldnadel-Habib) et à l’intérieur du gouvernement (Castex-Darmanin) ! Nos dirigeants parlent de plus en plus ouvertement de guerre contre l’islamisme, mais il ne faut pas amalgamer islamisme et islam. Avec des propos aussi flous et paradoxaux de la part des officiels, pas étonnant que Zemmour fasse un carton chez les identitaires.
La suite pourra paraître farfelue, comme le contrôle aux frontières au niveau européen alors que l’UE ouvre grand ses frontières à tous les vents, et parmi les migrants, on l’a vu avec l’attentat de Nice, se glissent des loups plus ou moins solitaires. Lerner :
En France, 2015 a constitué un tournant. À l’échelon européen, cette rupture remonte aux attentats du 11 septembre 2001. Depuis lors, les services n’ont cessé d’accroître leur coopération. Comme avec nombre de partenaires internationaux, la coopération est aujourd’hui en Europe d’une fluidité remarquable et d’une efficacité redoutable, comme en atteste la réussite du Groupe Antiterroriste (Gat), qui réunit l’ensemble des services intérieurs. Je salue aussi l’intensification des échanges avec un certain nombre d’organes de l’Union, comme Europol, mais aussi les initiatives pour renforcer le contrôle aux frontières extérieures. Pour autant, de nombreux chantiers demeurent comme par exemple l’interopérabilité des fichiers européens ou la lutte contre les discours de haine sur internet.
Les « discours de haine », un cri qui vient de l’Intérieur et un refrain qui vient du CRIF : où commence la haine, ou finit-elle ? C’est avec ce genre de concepts plus politiques que militaires qu’on peut se fourvoyer, et transformer la lutte contre le terrorisme en lutte contre la liberté d’expression, soit la répression des opposants français au pouvoir, qu’il soit visible ou invisible. Lerner reconnaît pourtant que le politique n’est pas exempt de tout reproche dans la montée de la haine islamique anti-française… Mais il préfère dire que la politique nationale est « instrumentalisée » par nos ennemis :
Ces discours de haine antifrançaise sont indéniablement un facteur aggravant de la menace. Lorsqu’on instrumentalise et déforme à dessein la politique conduite par la France, on porte une part de responsabilité dans l’élévation du niveau de menace.
Lerner fournit des chiffres informations sur les détenus dits dangereux déjà libérés ou libérés de nos prisons dans les jours prochains :
Au 10 novembre, du fait de l’engagement des services du ministère de l’Intérieur et de la Justice pour identifier et arrêter les personnes dangereuses, les prisons françaises comptent 503 détenus « TIS », condamnés ou mis en cause pour des faits de terrorisme. À cela s’ajoutent 758 détenus pour des faits de droit commun mais radicalisés ou soupçonnés de radicalisation. Depuis 2015, plus de 150 détenus « TIS » ont été libérés à la fin de leur peine. Tous ont été pris en compte par les services de renseignement. Dans l’avenir, les prévisions font état de 64 libérations de détenus « TIS » en 2021 et 46 en 2022. Plus les années vont passer, plus les services seront confrontés à des détenus endurcis, condamnés à des peines plus lourdes. Je veux saluer l’étroitesse du partenariat qui nous lie aujourd’hui avec le PNAT et le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), tous les deux créés sous ce quinquennat. C’est le même niveau de confiance qui nous lie au service central du renseignement territorial (SCRT) et à la direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPP). Pour faire face à ce que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, nous a assigné comme une priorité, nous éloignons de France les détenus étrangers et avons augmenté les moyens humains de surveillance. Grâce au suivi départemental opéré par chaque préfet, grâce également à la mise en place d’une cellule nationale de suivi des sortants de prison dépendant de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), tout est mis en œuvre pour qu’aucune libération de détenus radicalisés n’intervienne sans que soit assuré un suivi par un service de renseignement.
Nous terminerons cette analyse sur la menace que fait planer la nouvelle politique antiterroriste sur les libertés individuelles et là, on ne parle pas que des libertés des détenus ou des fichés « S » surveillés, on parle de tous les Français, et particulièrement de ceux qui ne se reconnaissent pas dans la politique extérieure et intérieure macronnienne.
Je partagerai une expérience : à l’été 2017, j’assistais le ministre de l’Intérieur dans le débat parlementaire de la loi SILT, qui a permis de sortir de l’état d’urgence sans affaiblir les services. Au sein de l’hémicycle mais aussi au dehors, certains s’étaient émus du risque d’atteintes aux libertés individuelles. Trois ans après, qui peut sérieusement penser que ce texte, mis en œuvre de manière ciblée, a mis en danger nos libertés individuelles ? Loin d’affaiblir la République, les lois récentes l’ont tout au contraire confortée, en conférant plus de moyens aux services, sans céder en rien à nos valeurs fondamentales ni constituer une menace pour nos libertés.
Ce que Lerner ne dit pas, c’est tout l’arsenal juridique français et européen qui a enserré la liberté d’expression depuis trois ans, avec la loi Avia par exemple, qui n’est qu’une loi CRIF. Rien que la chasse aux sorcières – même pas terroristes ! – sur le Net confirme nos soupçons : la lutte antiterroriste permet tout, comme le Patriot Act de Bush Jr après le 11 septembre.
DGSE et DGSI
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation