« Notre long cauchemar national est terminé. »
Ainsi s’exprimait le président Gerald Ford à l’occasion de son entrée en fonction, suivant la démission de son prédécesseur Richard Nixon dans la foulée du scandale du Watergate. Si les comparaisons entre l’actuel président sortant et Nixon sont nombreuses, l’état de soulagement qui a suivi leur échec arrive sans nul doute au premier rang.
En effet, l’extrême tension qui a caractérisé le climat politique de la société américaine dans les quatre dernières années semble être devenue insoutenable. Dans une élection historique — aux airs de référendum sur la présidence actuelle — avec un taux de participation record, l’électorat américain a rejeté l’actuelle présidence par une majorité appréciable, aussi bien dans le vote populaire qu’au collège électoral.
Les classes laborieuses à majorité blanche qui avaient été séduites en 2016 par le Parti républicain n’ont pas suffi à assurer au président la victoire cette fois-ci. Les trois États de la Rust Belt qui lui avaient donné le pouvoir en 2016 se sont retournés contre lui alors que le Parti démocrate de Joe Biden a fait des percées historiques dans la Sun Belt.
Division et unité
Bien entendu, le président n’a pas concédé la victoire. Il s’accroche désespérément au pouvoir en s’engageant dans une guérilla judiciaire au terme de laquelle un succès est improbable. Et évidemment, la plupart des membres de son parti peinent à le contredire.
Cela n’a pas empêché le président élu, Joe Biden — deuxième président catholique, après Kennedy — de tenir un discours de victoire le 7 novembre dernier, jour où la plupart des grands médias nationaux l’ont déclaré gagnant. Le contraste entre le président actuel et le président qui vient d’être élu ne peut pas être plus saisissant. Sur un ton ferme mais empathique, Biden appelle la nation à la guérison et l’unité. Il lance aux soutiens de son opposant un appel au calme et à la réconciliation, se définissant comme un président pour l’ensemble de la société américaine.
L’attitude de Biden n’aurait surpris personne il y a seulement quelques années. Pourtant, elle résonne à cette heure comme un signe de contradiction dans un climat de polarisation extrême et de radicalité idéologique où la place pour le civisme et le respect des institutions va en s’amenuisant.
L’attitude de Biden n’aurait surpris personne il y a seulement quelques années. Pourtant, elle résonne à cette heure comme un signe de contradiction dans un climat de polarisation extrême et de radicalité idéologique où la place pour le civisme et le respect des institutions va en s’amenuisant.
En ce sens, Joe Biden répond d’une manière étonnamment rafraichissante aux impératifs du moment. Certes, un homme âgé qui a passé les cinquante dernières années de sa vie dans l’arène politique, un modéré dont personne ne saurait se satisfaire ni se scandaliser, n’est pas à première vue un candidat au gout du jour.
Joe Biden
Ce qui le distingue avant tout, plutôt que son positionnement sur l’échiquier politique, c’est le caractère tragique de son existence et la sensibilité humaine, l’empathie, qui en découle.
Âgé de 30 ans, Biden perd en 1972 sa femme et sa fille dans un accident de voiture, dans les semaines entre son élection et son entrée en fonction. Il devra éduquer seul ses deux fils survivants, avant de retrouver l’amour avec son actuelle épouse, Jill Biden, quelques années plus tard. Entre temps, Biden voyagera quotidiennement de la capitale nationale jusque dans son état de résidence, le Delaware, pour assurer le soin de ses enfants.
Pendant plusieurs décennies l’un des sénateurs les moins fortunés, Biden sera défini par son expérience formatrice au Sénat, au sein duquel plusieurs collègues, démocrates et républicains, lui apporteront un soutien fraternel en plus d’une collaboration politique. Biden garde de cette époque la conviction que les compromis sont à la fois possibles et désirables, une disposition partagée dans la société américaine, mais méprisée dans la classe militante et parmi les élites médiatiques.
En 2015, une tragédie familiale frappe à nouveau Joe Biden. Il perd son fils ainé, Beau Biden — un vétéran de la guerre d’Irak et son héritier politique —, qui meurt d’un cancer du cerveau. Cet évènement et son deuil le conduiront à ne pas se présenter pour succéder à son ami et allié, Barack Obama.
Le jeune Joe Biden était connu pour son ambition et ses talents de communicateur — acquis après un long travail pour surmonter son bégaiement — mais aussi pour sa propension au dérapage verbal. Les deux premières campagnes présidentielles dans lesquelles il s’est engagé — en 1988 et en 2008 — ont été pour lui des défaites humiliantes dont il s’est relevé pour devenir, au soir de sa vie, l’un des hommes politiques les plus aimés de la population.
Restauration de l’amitié civique
Alors que les États-Unis sont plongés dans un état de fracture sociale intense, dans une crise sanitaire sans précédent, dans le pire désastre économique depuis la Grande Dépression, dans une tragédie écologique mondiale et dans un déclin relatif devant des puissances émergentes comme la Chine, nombreux sont ceux qui, de toutes parts, ont voulu saisir cette occasion pour mettre de l’avant des solutions politiques et idéologiques radicales.
Or, Joe Biden ne propose pas de grandes transformations, qu’elles soient sociales, économiques ou institutionnelles, mais plutôt la restauration des structures formelles et informelles qui ont donné aux États-Unis leur unité. Son slogan de campagne, « restaurer l’âme de l’Amérique », joue sur une thématique spirituelle de nos jours peu commune chez les démocrates, de plus en plus acquis à des foyers de population urbains et sécularisés.
Dans son discours de victoire, Biden aborde sans le nommer le thème de l’amitié civique, qu’il souhaite voir renaitre. Il le fait en mettant de l’avant certaines thématiques bibliques ou liturgiques. Il conclut celui-ci en récitant un hymne — On Eagle’s Wings — composé par le prêtre Michael Joncas :
Et il t’élèvera sur les ailes de l’aigle,
Te portera sur le souffle de l’aube,
Te fera briller comme le Soleil,
Et te tiendra dans la paume de Sa main.1
Espérer un peu de guérison
Évidemment, comme tout président, Joe Biden, prompt aux tergiversations, sera insatisfait. Sur les questions sociales en particulier, il est porteur d’une perspective libérale qui laissera insatisfaits les segments plus conservateurs de la population, tout en demeurant suspects aux yeux de la gauche de son parti. Par rapport aux questions économiques, ses idées libérales, mondialistes, favorables au libre-échange et à la coopération internationale — même avec la Chine — sont en baisse dans de larges pans de la population.
Sur les questions institutionnelles, la confiance de Biden en la coopération avec l’opposition républicaine et son attachement aux normes en place à l’époque où il était législateur trahissent pour plusieurs une déconnexion avec les pratiques beaucoup plus combatives d’aujourd’hui. Biden croit profondément dans le pouvoir des relations interpersonnelles pour faire avancer ses idées politiques et en l’importance de représenter la dimension émotionnelle, et même spirituelle, de l’existence dans l’espace politique.
En cela, et malgré ses nombreuses faiblesses, nous pouvons raisonnablement espérer un peu de cette guérison qu’il promet, un peu de ce civisme qu’il représente, un peu de cette amitié renouvelée qu’il désire.
Heureux que Le Verbe existe ? Nous (sur)vivons grâce aux dons généreux de personnes comme vous. Merci de nous aider à produire des contenus de qualité toujours gratuits.
- “And He will raise you up on eagle’s wings,
Bear you on the breath of dawn,
Make you to shine like the sun,
And hold you in the palm of His Hand.”
Source: Lire l'article complet de Le Verbe