Par Ali Abunimah
Source : Electronic Intifada, 5 novembre 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Une caricature représentant le Président français est piétinée lors d’une manifestation contre les propos de Macron considérés par beaucoup comme dénigrant le Prophète Mohammed et les musulmans, près de l’ambassade de France à Jakarta, en Indonésie, le 2 novembre.
Il est généralement facile d’ignorer les articles de blog ampoulés du chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell.
Mais celui publié mardi, intitulé « Nous devons lutter ensemble contre le terrorisme islamiste », ne pouvait être négligé.
Il fait suite aux récentes attaques meurtrières perpétrées par des jeunes hommes agissant seuls en France et en Autriche.
Borrell écrit que cette « vague de terrorisme » a « ciblé les fondements de nos sociétés laïques et démocratiques ».
« Nous devons identifier précisément le type de terrorisme auquel nous sommes confrontés », ajoute Borrell. Il propose ensuite ce raisonnement alambiqué :
Nous l’appelons généralement terrorisme islamiste parce que ses auteurs et partisans prétendent commettre ces actes de terreur au nom de l’Islam. Mais nous devons éviter d’identifier ce terrorisme à l’Islam. Ce serait aussi faux que d’identifier le terrorisme de l’ETA, heureusement vaincu en Espagne, avec tout le peuple basque en le désignant comme du « terrorisme basque ».
Dans ce que Borrell considèrerait sans aucun doute comme un argument contre l’islamophobie, il affirme que « ce terrorisme ne fait référence qu’à l’extrémisme de quelques personnes, qui cherchent de fausses justifications à leur folie dans l’une des grandes religions du monde ».
Le groupe nationaliste basque ETA a recouru à la violence au nom du peuple basque et afin d’ériger une patrie basque.
En effet, comme le note Borrell, cela ne signifie pas qu’ils représentaient tous les Basques, tout comme les assaillants solitaires en France et en Autriche ne représentent pas tous les musulmans, ni même aucun.
Donc si Borrell rejette l’utilisation du terme « terrorisme basque », pourquoi insiste-t-il pour parler de « terrorisme islamiste » ? Malheureusement, il ne fournit pas de réponse claire.
Il est à noter que si l’UE insiste pour qualifier les actes de violence commis par les musulmans d’ « islamistes », elle refuse d’identifier les victimes du terrorisme comme musulmanes lorsqu’elles sont ciblées en raison de leur religion.
Après le massacre de mars 2019 dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, par un suprémaciste blanc australien, Federica Mogherini, prédécesseur de Borrell en tant que chef de la politique étrangère de l’UE, n’a même pas mentionné que les victimes étaient des musulmans rassemblés pour prier dans les mosquées.
Cette omission choquante –qui était commune aux déclarations de nombreux dirigeants européens– contraste avec la façon dont l’UE mentionne avec diligence la religion des victimes lorsqu’elles sont chrétiennes ou juives.
Hypocrisie concernant Israël
Bien qu’il fasse une exception pour stigmatiser le « terrorisme islamiste », Borrell affirme que « tous les dirigeants du monde doivent unir leurs forces pour condamner clairement toute violence au nom de n’importe quelle religion ».
Alors, dans quelle mesure l’UE est-elle à la hauteur de cette exigence ? Il n’est pas surprenant que l’hypocrisie la plus claire se manifeste dans l’approche de l’UE envers Israël.
L’armée israélienne et les colons armés commettent régulièrement des violences à grande échelle contre les Palestiniens au nom du « peuple juif » et à la poursuite de ce qu’Israël interprète comme des valeurs juives.
Israël justifie sa colonisation violente de la terre palestinienne occupée en termes spécifiquement religieux.
L’année dernière, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU que Dieu avait donné la « Terre d’Israël », ce qui signifie toute la Palestine historique, aux Juifs.
Il a même brandi une copie de la Bible et a déclaré : « Ceci est l’acte de propriété notre terre.»
Israël a inscrit cette théologie juive dans sa loi constitutionnelle.
Sa soi-disant loi sur l’État-nation stipule qu ‘ « Israël est l’État-nation du peuple juif, dans lequel il remplit son droit naturel, religieux et historique à l’autodétermination ».
La loi définit également « la colonie juive comme une valeur nationale ».
Les massacres habituels de Palestiniens par Israël sont perpétrés afin de maintenir Israël en tant qu’ « État juif » à majorité juive.
Un haut responsable israélien a même affirmé que Benjamin Netanyahou n’était pas simplement le Premier ministre d’Israël mais le « chef du peuple juif » dans le monde entier, une sorte de pape juif.
Mais je ne trouve aucune trace de l’UE condamnant les crimes incessants d’Israël en tant que « crimes juifs » ou, disons, du « terrorisme judaïste ».
Je ne dis certainement pas que l’UE devrait le faire.
Amalgame entre sionisme et judaïsme
C’est Israël et les adhérents de son idéologie politique sioniste qui insistent pour brouiller la distinction entre le judaïsme et le peuple juif d’une part, et l’État israélien, d’autre part.
L’UE insiste également pour assimiler Israël aux Juifs et au judaïsme.
Cela est évident à la fois dans son approche de la lutte contre l’antisémitisme et dans son appui explicite à la prétention d’Israël d’être un « État juif ».
Pourtant, s’agissant de la violence d’Israël –sur laquelle même Israël insiste sur le fait qu’elle est commise avec une sanction biblique au nom des Juifs du monde entier–, l’UE évite tout étiquetage religieux de ce type.
Les Palestiniens, en revanche, ont toujours refusé de confondre Israël avec les Juifs, ou de tenir les Juifs collectivement responsables des actions d’Israël.
Même l’organisation politique et de résistance palestinienne Hamas a affirmé dans sa Charte mise à jour en 2017 qu’elle « ne mène pas une lutte contre les Juifs parce qu’ils sont Juifs mais mène une lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine ».
« Ce sont les sionistes qui identifient constamment le judaïsme et les Juifs avec leur propre projet colonial et leur entité illégale », a déclaré le Hamas.
Nier l’islamophobie
L’insistance anti-musulmane de Borrell sur la formule « terrorisme islamiste » tout en omettant de décrire la violence d’inspiration religieuse commise par des Juifs en des termes similaires n’est pas le seul problème de son article.
Il condamne les appels dans le monde entier au boycott des produits français en raison des commentaires des dirigeants français sur l’Islam, ainsi que des « discours de haine » sur « la situation des musulmans en Europe ».
Borrell défend fermement les dirigeants français contre les « campagnes manipulatrices sur les réseaux sociaux » et insiste sur le fait que l’UE « protège la liberté de tout le monde de croire et de pratiquer la religion ».
Ce déni de la réalité selon laquelle les musulmans de toute l’Europe sont confrontés à une haine et à une discrimination persistantes est démenti par les recherches de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne elle-même.
Selon une enquête de 2017, près d’une femme musulmane sur trois en Europe qui porte parfois des « vêtements traditionnels ou religieux » a été victime de harcèlement en public au cours des 12 mois précédents.
Une autre recherche que j’ai trouvée répertoriée sur le site Web de l’Agence est une étude de 2017 parrainée par la Fondation allemande Bertelsmann.
Elle a constaté que dans toute l’Europe, « le rejet des voisins musulmans est répandu ».
Ce « rejet des musulmans est particulièrement fort en Autriche » et en Allemagne, où « 19% des répondants non musulmans expriment un refus d’avoir des voisins musulmans ».
Dans l’ensemble, l’étude a révélé que « les musulmans, avec les réfugiés qui ces dernières années sont venus en Europe principalement de pays à majorité musulmane, font partie des groupes sociaux les plus rejetés. »
La guerre de la France contre les musulmans
Ironiquement, selon l’étude de Bertelsmann, la France était le pays le moins intolérant, où seuls 14% des non-musulmans ne voudraient pas de voisins musulmans.
C’est peut-être parce que les citoyens français ne détestent pas assez les musulmans aux yeux des dirigeants français que le Président Emmanuel Macron et son gouvernement ont lancé une guerre culturelle totale contre les musulmans en tant que musulmans.
Cela va de l’insistance à dénigrer constamment les croyances des musulmans au nom de la « liberté d’expression », à l’introduction de nouvelles lois contre le « séparatisme » qui visent les musulmans. [Sans parler de la volonté insensée de Macron de réformer l’Islam.]
L’une de ces lois soumettrait les gens à des amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros et à des peines d’emprisonnement s’ils refusaient d’être traités par un médecin d’un sexe différent.
Le gouvernement Macron mène également une chasse aux sorcières contre des groupes de la société civile musulmane dont les dirigeants n’ont été accusés d’aucun crime.
Le chef d’une organisation caritative, BarakaCity, demande maintenant l’asile politique en Turquie.
Macron œuvre même à fermer le CCIF, un groupe de défense des droits civiques qui documente l’islamophobie.
Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré le CCIF « ennemi de la République ».
C’est le même ministre qui a récemment identifié un autre ennemi dangereux qui, selon lui, alimente la radicalisation : la disponibilité d’aliments halal et casher dans les supermarchés.
L’horreur de Darmanin pour les produits halal et casher rappelle que même si ce sont les musulmans qui sont aujourd’hui la cible de la haine officielle française, cette haine n’est pas si éloignée de la haine historique de la République française envers les Juifs. [Le ministère de l’Intérieur et ses sbires semblent traquer et harceler les musulmans avec le même zèle qu’ils ont traqué les Juifs de 1940 à 1944].
Ignorer le retour de flamme
Le chef de la politique étrangère de l’UE, Borrell, a raison sur un point : nous devons nous demander pourquoi de telles attaques se produisent.
Il blâme tout, de la « politique identitaire » à la « désinformation et aux discours de haine sur Internet ».
Pourtant, il se tait sur un facteur sans aucun doute important : ces attaques sont au moins en partie le retour de bâton des politiques américaines et européennes d’armement et de financement de groupes autoproclamés « djihadistes » de la Libye à la Syrie.
Les guerres par procuration que cette ingérence douteuse a alimentées ont chassé des millions de personnes de leurs pays, créant une crise de réfugiés qui a été facilement exploitée par des politiciens d’extrême droite et islamophobes dans les pays occidentaux.
Voir Nasrallah : la guerre déclarée par Macron à l’Islam est vouée à l’échec
Il s’agit d’une reprise de la politique américaine désastreuse d’armer les soi-disant moudjahidines en Afghanistan en tant que proxies anti-soviétiques dans les années 1980, une politique qui a conduit directement aux attentats du 11 septembre 2001.
Le tueur adolescent tchétchène de l’instituteur français Samuel Paty, par exemple, aurait été en contact avec des militants à Idlib, le dernier bastion restant en Syrie pour les groupes liés à Al-Qaïda armés et soutenus par les États-Unis et leurs alliés, dont les régimes du Golfe, la Turquie, Israël et la République française.
Un examen honnête des résultats des guerres et des interventions européennes est bien plus difficile que de blâmer, comme le fait Borrell, « un affrontement entre civilisation et barbarie ».
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