Ce n’est pas un secret : les catholiques américains ont contribué à la victoire de Donald Trump en 2016. Le président n’a jamais cessé depuis de s’attirer les grâces de l’électorat chrétien en se faisant le porte-étendard du mouvement pro-vie. L’avortement semble donc revêtir une importance particulière dans le choix électoral de la plupart des chrétiens, voire des catholiques. Le Québec est toutefois moins divisé sur cet enjeu : les catholiques américains vivant au Québec sont-ils différents ? À qui ira leur vote ? Le Verbe a discuté avec trois d’entre eux.
À la mi-octobre, au moment de l’entrevue, Shannon Johnson, 25 ans, et Denise Pierre, 41 ans, avaient déjà envoyé leur bulletin de vote. Toutes deux proviennent de familles évangéliques profondément républicaines, l’une du Texas et l’autre de Seattle. Elles sont maintenant toutes les deux catholiques. Et pourtant, leurs opinions politiques sont bien différentes.
Thomas Franche, aussi au seuil de la quarantaine, a quant à lui délibérément choisi de ne plus voter depuis son arrivée au Québec en 2009. Non pas par abstention, mais parce qu’« il ne souhaite pas entretenir deux citoyennetés et qu’il n’a pas le temps pour suivre deux politiques ». Il a exercé son droit de vote la dernière fois aux États-Unis, en 2008, en appuyant Cynthia McKinney, une femme noire candidate pour le parti écologiste américain.
Cette fois, il aurait voté pour Trump, même s’il ne l’apprécie pas particulièrement : « Je ne pense pas qu’il va rendre le pays extraordinaire, mais je pense qu’il est le moins pire. Aujourd’hui, nous sommes dans une bataille que je qualifierais de spirituelle entre la mondialisation et le nationalisme (je n’aime pas ce terme, c’est plus profond) et les démocrates représentent la mondialisation à l’extrême. Je suis pour la protection des plus vulnérables et la liberté des peuples. »
Être ou ne pas être pro-vie
Il peut être étonnant d’entendre un catholique qui ne se positionne pas politiquement en fonction de l’avortement. Cet enjeu est-il secondaire pour lui ?
« Non. C’est juste que je ne vote pas en fonction d’un seul enjeu. C’est très bien d’être contre l’avortement. J’étais pour il y a quelques années et ma position a changé, mais on ne peut pas tout réduire à cet enjeu même s’il est important. C’est un sujet trop sensible aujourd’hui pour qu’il y ait un changement réel : personne ne va l’abolir. »
Shannon, à ce sujet, pense également que personne ne renversera Roe v. Wade. C’est même une aberration pour elle que de nombreux chrétiens sacrifient toutes leurs autres valeurs pour ce seul enjeu :
« Beaucoup pensent qu’il est mieux d’assumer les travers de Trump parce qu’il mettra fin à l’avortement. Si nous ne pouvons pas supporter la vie dans toutes ses étapes, ça ne fait pas de sens de se concentrer sur l’avortement. C’est une problématique importante : je suis pro-vie et je crois qu’il y a de bonnes raisons philosophiques (pas seulement religieuses) pour rendre l’avortement illégal. Or, la lutte politique n’est pas une bonne stratégie : misons plutôt sur l’éducation, la prévention, supportons les femmes, assurons des soins adéquats, etc. »
Pour Denise, maman de neuf enfants qui fait l’école à la maison, son vote pour Trump va de soi : « Le parti républicain est traditionnellement celui pour lequel votent les chrétiens en raison de son respect pour la liberté religieuse, des valeurs familiales et du respect de la vie de la conception jusqu’à la mort naturelle. »
Selon elle, ce serait même aller contre la foi catholique (et sa conscience) que de voter pour un candidat ou un parti qui irait contre les principes pro-vie, prioritaires à tout autre enjeu. « Ce serait comme encourager ou supporter un mal moral », ajoute-t-elle.
Elle considère que les comportements de Trump, qu’elle qualifie de « grossiers ou d’impolis », ne sont pas des éléments qui justifient de ne pas voter en accord avec sa foi.
Une vision binaire du monde
En 2016, le manque d’intégrité de Clinton a notamment découragé Shannon de voter. Or, avec le recul, elle regrette de ne pas avoir encouragé les démocrates ; cette année, elle ne vivra pas ce regret. Bien qu’elle ne se sente pas entièrement en phase avec le parti, elle croit que les États-Unis ont besoin d’un renouveau.
Même s’il votait pour Trump, Thomas, quant à lui, ne se reconnait pas non plus dans le système bipartite américain :
« Que l’on soit de gauche ou de droite aujourd’hui, ça ne veut rien dire. Au fond, on est dans un monde de libéralisme où c’est l’individualisme qui prime. Que l’on vienne du Texas ou du Minnesota, on consomme toute la même culture provenant de New York ou de Californie. Ça ne veut plus rien dire être américain, c’est pourquoi je suis venu vivre ici où il y a encore un peu une notion d’identité culturelle ».
Shannon déplore cette confusion aux États-Unis qui allient presque de soi les chrétiens avec les républicains : « Il y a d’autres moyens d’être pro-vie : dans une vision globale du monde, lutter contre le racisme en est un, encourager l’immigration en est un autre. Être pro-vie c’est reconnaitre la dignité de tous les êtres humains et, en ce sens, je pense que les démocrates ont en général plus de respect pour la dignité humaine. »
Elle ajoute qu’« il est contradictoire que des catholiques américains appuient Trump avec sa vision de l’immigration alors qu’il empêche des chrétiens persécutés dans leur pays de venir se réfugier ici ».
Sur cet enjeu précis, Denise, elle, trouve que Trump est victime de biais médiatiques : « Il n’est pas contre l’immigration, mais seulement contre les immigrants illégaux, car ils volent l’emploi à ceux qui sont légaux. »
Foi et politique
Denise trouve particulièrement difficile au Québec de montrer son appui pour Trump, même dans l’Église où il parait presque un crime de voter pour lui.
« Plusieurs personnes que je connais, des amis et de la famille, se sentent plus en sécurité avec Trump. La liberté religieuse est un autre enjeu très important pour les familles américaines. Sous les démocrates, il est évident que la religion se fait repousser de plus en plus dans la sphère privée et devient de moins en moins importante. »
Quand Shannon dénonce que les catholiques américains sacrifient certaines valeurs pour appuyer Trump, elle souligne d’une manière capitale le contretémoignage qu’une telle alliance insinue :
« Les chrétiens sont souvent perçus comme des machistes, des racistes, des rétrogrades et ils s’enfoncent dans ces stéréotypes en collaborant avec les républicains. Je connais beaucoup de chrétiens qui travaillent depuis des années pour construire un christianisme qui attire, qui vivifie, mais ça leur prendra des années pour s’en remettre ! »
Si ces trois catholiques américains présentent des opinions politiques bien différentes, ils ont en commun d’appréhender le résultat des élections. Même s’ils vivent maintenant ici au Québec, ils sentent que la vie sociale de leur pays d’origine est tendue. Qu’ils remportent leurs élections ou pas, ils espèrent surtout que ces états voisins pourront redevenir un peu plus unis.
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