Dans Le meilleur des mondes de Huxley, publié en 1932, on trouve [cinq classes sociales pré-déterminées nommées] les Alpha, les Bêta, [les Gamma, les Delta] et les Epsilon [ces deux dernières « castes » sont] des individus génétiquement modifiés à moitié crétins dotés de vêtements et d’opinions uniformes. Le 1984 d’Orwell, publié en 1948, a pour thème la police de la pensée et la Novlangue. Tandis que le Nous Autres [ou Nous avec la nouvelle édition de 2017 – NdT] de Zamyatin, publié en 1921, les individus sont remplacés par des numéros — D-503, I-330, O-90 — les voyelles déterminent les femmes, et les consonnes les hommes.
S’il existe une seule caractéristique propre à définir la littérature dystopienne, c’est bien l’éradication de toute individualité. « La conscience de soi n’est qu’une maladie », écrit Zamyatin. C’est pourquoi les dystopies sont invariablement racontées par des marginaux tourmentés : des individus bien conscients de la standardisation de leurs semblables transformés en marchandise, mais qui, soit craignent les conséquences de leurs paroles, soit en veulent à leur propre conscience de soi. Après tout, « aucune offense n’est aussi odieuse qu’un comportement dissident », comme l’écrit Huxley.
Que les dystopies aient émergé en tant que forme littéraire au début du XXe siècle n’est pas étonnant compte tenu de leurs préoccupations tyranniques pour l’uniformité. Les régimes totalitaires de Russie et d’Allemagne ainsi que leurs homologues technocratiques occidentaux, inspirés par des personnalités comme F. W. Taylor et Henry Ford, ont été des sources d’inspiration centrales. En dépit de leurs différences manifestes, ces idéologies concurrentes sont unies par la tentative utopique de redessiner non seulement la société, mais l’être humain lui-même. La puissance croissante de la science et de la technologie a fait naître l’idée que la Nature elle-même, dans toute sa complexité désordonnée, pouvait enfin être remodelée.
Outre ces trois incontournables auteurs, cette génération a produit un autre écrivain dystopique tout aussi impressionnant, encore que bien moins connu : l’énigmatique Allemand Ernst Jünger. Connu principalement pour ses journaux intimes de la Première Guerre mondiale et pour son opposition résolue au libéralisme de Weimar, Jünger a vécu jusqu’à l’âge de 103 ans, écrivant sur des sujets allant de l’entomologie aux psychédéliques et du nihilisme à la photographie. Dans la seconde moitié de sa carrière, il a produit trois œuvres majeures de fiction dystopique : Héliopolis (1949), Eumeswil (1977) et, peut-être sa plus belle œuvre, Abeilles de verre (1957).
Note du traducteur : Ernst Jünger (1895-1998) est au cœur des conflits majeurs du XXe siècle. Le jeune guerrier de 14-18 transfigure les notes de ses carnets et témoigne de son expérience — ivresse du combat et horreur quotidienne du front — dans Orages d’acier, que Gide considérera comme « le plus beau livre de guerre ». Mobilisé en 1939, officier de l’Occupation allemande à Paris, l’homme mûr, hostile aux Nazis, rend compte dans un style très différent, mais avec la même authenticité, de l’extrême difficulté qu’il y a, selon le mot d’Hannah Arendt, « à conserver son intégrité dans un monde où vérité et moralité n’ont plus aucune expression visible ». Témoin exceptionnel du XXe siècle, Ernst Jünger a vécu en Allemagne sous quatre régimes politiques et participé à deux conflits mondiaux.
Cependant, sa vision la plus effrayante est sans doute celle d’un long essai publié à la veille de l’arrivée en 1932 des Nazis au pouvoir. Le Travailleur, comme le nomme Jünger, vise à esquisser ce qu’il considère comme le nouvel ordre mondial à venir — un ordre défini par un type d’humain fondamentalement nouveau. Ayant renoncé aux valeurs libérales du passé et ayant accepté son sort dans les usines et sur les champs de bataille du début du XXe siècle, la marque de fabrique de l’homme nouveau ressemble étrangement — de corps et d’esprit — à la machine. Né de parents humains, le « travailleur » de Jünger n’en est pas moins un enfant de l’ère industrielle.
Conformément aux dystopies de ses contemporains, la première victime de ce nouvel âge en est aussi l’individu. Car la logique de la machine ne permet aucune différence. Qu’il s’agisse du monde naturel ou de l’esprit humain, Jünger affirme que tout est de plus en plus défini par « un certain vide et une certaine uniformité ». Le résultat, pour reprendre les mots d’Orwell, est « une nation de guerriers et de fanatiques, marchant en parfaite unité, pensant tous aux mêmes choses et criant les mêmes slogans » — des millions de personnes, ajoute-t-il, « toutes avec le même visage ».
C’est sur ce dernier point que Le Travailleur prend une pertinence inquiétante pour notre propre époque. Car l’uniformité du nouvel âge est symbolisée, suggère Jünger, par la prolifération soudaine du masque dans la société contemporaine. Il écrit avec une étrange prescience [en 1932, pour rappel – NdT] :
Ce n’est pas un hasard si le masque commence à nouveau à jouer un rôle décisif dans la vie publique. Il apparaît sous de nombreuses formes différentes … que ce soit comme masque à gaz, dont on essaie d’équiper des populations entières ; que ce soit comme masque pour les sports à grande vitesse, que l’on voit sur chaque pilote de course ; que ce soit comme masque de sécurité pour les lieux de travail exposés aux radiations, aux explosions ou aux substances narcotiques. Nous pouvons supposer que le masque en viendra à assumer des fonctions que nous pouvons à peine imaginer aujourd’hui.
Étant donné l’omniprésence soudaine du masque facial en 2020, dans le monde entier et dans un nombre croissant de contextes sociaux, il est impossible d’éviter la conclusion qu’il s’agit précisément du type de développement que Jünger avait à l’esprit. Notre volonté d’occulter le visage reflète les tendances déshumanisantes qui, pour Jünger, sous-tendent la période moderne. Elle représente une nouvelle étape dans la dégradation de l’individu qui est devenue explicite lors de la Première Guerre mondiale. Qu’il s’agisse d’un bout de matériau sur le champ de bataille ou d’un rouage dans la machine de l’économie de guerre, l’époque moderne a pour coutume de réduire l’être humain à un objet fonctionnel. Tout ce qui est « non essentiel », c’est-à-dire tout ce qui nous rend humains, est joyeusement supprimé.
Note du traducteur : Gilad Atzmon écrivait le 22 mai dernier :
Les économies ont été condamnées à une mort imminente. Notre importance en tant que consommateurs s’est en quelque sorte évaporée. L’alliance émergente que nous avions détectée entre les nouveaux leaders de l’économie mondiale — tout ce qui manie l’intelligence artificielle — et ceux qui portent le drapeau du « progrès », de la « justice » et de l’« égalité » a évolué vers un état dystopique autoritaire dans lequel des robots et des algorithmes contrôlent notre discours et nos libertés élémentaires.
[…]
Peut-être que dans cette phase finale du capitalisme, nous, les gens, ne sommes pas nécessaires, même en tant que consommateurs. On peut nous laisser pourrir chez nous, nos gouvernements semblant vouloir financer cette nouvelle forme de détention… à l’échelle planétaire.À l’heure du deuxième confinement, nous sommes en mesure d’avoir la preuve que sont « non essentiels » les boutiques déjà fortement impactées par le premier confinement imposé en mars-avril-mai dernier : les coiffeurs, les quincailliers, les bars, les restaurants, les boutiques de vêtements et de chaussures — y compris pour les enfants qui grandissent et qui ont donc besoin d’en changer souvent —, les fleuristes, les librairies, les cordonniers, les boutiques Déco-Maison, les salons de beauté, les espaces de cultures et de loisirs, les salles de sport…
Condensé du premier confinement et de ses effets DÉJÀ délétères il y a quelques mois, tous les éléments contenus dans cet article « Critique en 16 points majeurs de la raison « impure » du confinement — Comment en sommes-nous arrivés là ? », s’appliquent à la plupart des pays occidentaux et notamment à la France, ENCORE et MÊME PLUS AUJOURD’HUI. Seize faits imparables à l’aune des publications scientifiques censurées par les médias aux ordres du Mondialisme délétère et impur au sens « entaché d’éléments incontrôlés, indésirables », un esprit du mal qui souille la morale, le social et le religieux par lequel l’âme des humains est attachée à un totalitarisme qui véhicule ses idées psychopathiques.
Nous vivons dans un monde où la bonne science est évitée ou censurée, un monde dans lequel les médias intimident les dissidents et où les intérêts particuliers prévalent, un monde dans lequel les parents ne sont jamais écoutés et où les médecins qui s’expriment sont qualifiés de « charlatans »… Il est dès lors difficile de ne pas en tirer la conclusion suivante : « tout ce qui nous rend humains est joyeusement supprimé ».
Pour supprimer tous les aléas et contraintes du monde à son état brut et ceux de la nature humaine à l’état « instinctif », il faut tenir en bride les cerveaux humains. Les empêcher de prendre conscience de leur Moi profond, de trop réfléchir et de ressentir :
Tout l’ordre social serait bouleversé si les hommes se mettaient à faire les choses de leur propre initiative. Dès que l’individu ressent, la communauté est sur un sol glissant. L’indépendance n’a pas été faite pour l’homme, elle est un état antinaturel, elle ne mène pas en sécurité jusqu’au bout.
~ Aldous Huxley, Le meilleur des mondes
André Gide, dans ses Nourritures Célestes écrivait : « Ne désire que ce que tu as ». Il faut en effet être très fort pour ne pas sombrer dans le désespoir et la tragédie quand les dernières illusions nous abandonnent.
La question pour nous est de découvrir ce que signifie le fait de ressembler à une telle vision dystopique. Sommes-nous heureux de rationaliser les transformations de notre vie quotidienne, ou sommes-nous préoccupés par la proximité du monde actuel avec certaines des métaphores dystopiques les plus basiques ? Qu’il s’agisse de l’appel à l’isolement social, à la « vigilance » perpétuelle ou de l’obligation de porter des masques, les mesures prises ces six [huit – NdT] derniers mois représentent plus qu’une atteinte à la liberté. Elles nous enjoignent implicitement à sacrifier notre humanité pour sauver nos vies. Même si ce Rubicon n’a pas encore été franchi, il convient de réfléchir au stade qui est le sien aujourd’hui. Parce que la vie ne se résume peut-être pas à sa simple continuation. Comme le savait bien Winston Smith [personnage principal de 1984 de George Orwell – NdT], il est bien possible que « Le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain ».
Note du traducteur : Dans son 1984, Orwell avait imaginé une dystopie dans laquelle l’État se placerait comme observateur systématique et permanent de chaque individu, et que cet État s’assurerait de l’obéissance des citoyens par un contrôle agressif incluant l’utilisation de la force et de toutes les pulsions humaines :
Les réactions humaines naturelles… paraissent étranges, intéressantes et même comiques pour le psychopathe. Ils nous observent donc… Ils deviennent des experts de nos faiblesses et parfois mènent des expériences cruelles.
~ Lobaczewski, La ponérologie politique
Dans Le meilleur des mondes, Huxley, de son côté, voyait plutôt la dystopie fonctionner grâce au mélange de la flatterie des bas instincts humains et de l’endormissement de l’intellect des individus en les éloignant de toute culture et toute élévation abstraite. En somme, là où Orwell pariait sur l’usage de la force, Huxley pariait plus sur l’usage de la paresse, et surtout du consentement, puisque le peuple, dans le roman, en vient à aimer sa condition. Ce qui rend certainement la seconde « méthode » supérieure à la première.
La psychopathie des élites a du mal à se concevoir, réellement. La méconnaissance que nous avons de nous-même et de notre propre nature, psychologique pour le sujet qui nous intéresse, est renforcée par une propagande et une désinformation devenues universelles, par un système éducatif perverti, incapable, dorénavant, de nous faire reconnaître le mal pour ce qu’il est vraiment.
C’est à se demander si tous les psychopathes au pouvoir n’utilisent pas les « visions » dystopiques de ces auteurs, connus ou moins connus, dans une sorte de « va-tout » urgent poussé à son extrême, une fusion d’idées perverses et malfaisantes
Par l’utilisation réactive et sans conscience d’une technologie en perpétuelle évolution, nous participons frénétiquement à la construction de notre propre prison.
Les réseaux sociaux deviennent les interfaces indispensables à toute vie sociale. Facebook et consorts, par la « réalité virtuelle » des données informatiques qu’ils nous permettent de projeter sur un écran, renseignent sur l’idée que nous nous faisons de notre personne. Une fois que nous avons envoyé au monde cette interprétation de nous-même issue d’opinions et de croyances, nous attendons de ce monde qu’il nous envoie, à son tour, la confirmation, par une réaction quelconque, que notre existence est reconnue. Une fois le signal reçu, qu’on espère correctement interprété, idéalement en accord avec l’état d’esprit dans lequel le message initial a été envoyé, nous attendons les réactions du groupe auquel nous voulons adhérer. La version de notre réalité, fut-elle totalement mensongère, suscite-t-elle les approbations ? La partie est gagnée. Nous pouvons continuer sur notre lancée ; et la vérité devient immédiatement secondaire. Susciter l’approbation, puis la satisfaction du groupe, voilà la priorité. Cela permet de nourrir le sentiment d’appartenance, d’intégration. Nous sommes acceptés, nous existons socialement, nous ne sommes plus rejetés. Si pour cela nous devons adhérer au mensonge collectif, nous le faisons.
Même en résumant le processus de façon si grossière, on se rend bien compte que notre rapport au monde est artificiel. La peur qui sous-tend chacune de nos actions, toutes dictées par la pression des normes et des conventions sociales, est omniprésente, et nous ne savons que faire pour l’affronter. Alors nous abdiquons, et préférons souvent le confort et la sécurité d’une prison au vertige suscité par la seule idée de liberté.
Tiré du film Invasion Los Angeles, cette citation vaut son pesant de cacahuètes :
Nos projections montrent qu’en 2025, non seulement l’Amérique mais la Terre entière sera sous la protection et la domination de cette alliance de pouvoir. Les gains ont été substantiels, aussi bien pour nous que pour vous, l’élite du pouvoir humain.
La présence des messages forts inclus dans Invasion Los Angeles est l’une des raisons pour laquelle ce film est devenu culte, en dépit d’une mauvaise critique. Les années passant, le message devient incroyablement pertinent… et monstrueusement réaliste. Malgré ses effets spéciaux dérisoires et des dialogues bizarres, Invasion Los Angeles réussit à décrire les motivations de l’élite mondiale et leur stratégie d’une manière facile à comprendre par tous. Et ce n’est pas une tâche simple. Pour comprendre pleinement le message du film, il faut pourtant porter des lunettes de soleil dévoilant la réalité. Avez-vous les vôtres ?
Articles additionnels :
Ouvrages additionnels :
- Neuro-esclaves – Techniques et psychopathologies de la manipulation politique, économique et religieuse, Marco Della Luna & Paolo Cioni
- La ponérologie politique, Andrew Lobaczewski
- Petit traité de manipulation à l’usage des gens honnêtes, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois
- Un si fragile vernis d’humanité – Banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko
- La stratégie du choc – La montée d’un capitalisme du désastre, Naomie Klein
- Minorités et régionalismes dans l’Europe fédérale des Régions, Pierre Hillard
- La décomposition des nations européennes – De l’union euro-atlantique à l’État mondial, Pierre Hillard
- La marche irrésistible du nouvel ordre mondial, Pierre Hillard
- La langue des médias – Destruction du langage et fabrication du consentement, Ingrid Riocreux
- L’enseignement de l’ignorance, Jean-Claude Michéa
- Soumission à l’autorité, Stanley Milgram
- La mort est mon métier, Robert Merle
Source de l’article initialement publié en anglais le 10 septembre 2020 : The Critic
Traduction : Sott.net
Source: Lire l'article complet de Signes des Temps (SOTT)