Lors de sa visite au Congo-Brazzaville, le chef de la diplomatie française a appelé l’Afrique et la France «à faire bloc ensemble» face aux «tentatives de prédation». Un discours hypocrite, selon l’ancien diplomate et essayiste Michel Raimbaud.
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Invité par l’inoxydable président Denis Sassou N’Guesso, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian s’est rendu en visite au Congo les 26 et 27 octobre, pour le 80e anniversaire du Manifeste de Brazzaville, publié le 27 octobre 1940 par le général de Gaulle. Il a participé à l’ouverture du colloque organisé à cette occasion sous une enseigne aussi banale que pompeuse : «De Gaulle et Brazzaville, une mémoire partagée entre la France, le Congo et l’Afrique», en toute simplicité.
Le Drian, dont le visage douloureux semble porter tout le malheur du monde, à la tête d’une diplomatie dont la grandiloquence tente de masquer le sinistre, a proclamé bien haut l’ambition de donner à nouveau à l’Afrique et à la France «un destin commun». C’est beau le travail mémoriel, après un si long oubli. Mais le retour de printemps est tardif et le discours ne mange pas de pain. En effet, il n’est guère dans l’air du temps de «ré-ancrer une France libre en Afrique». Il y a belle lurette que «le cher et vieux pays» du grand Général, entre le retour au bercail atlantique et la dérive européiste de Mitterrand (la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir), a perdu sa liberté et laissé filer sa souveraineté. Ce que notre ambassadeur à Brazzaville a bien illustré dans le discours prononcé à la clôture du séminaire : estimant sans doute que l’association de la France à l’Afrique manquait d’ampleur et d’ambition, il s’est cru obligé de corriger la voilure en invitant «la France, l’Afrique et l’Europe» à s’appuyer sur la fameuse mémoire partagée pour «co-construire leur avenir en commun». Ne manque plus que l’Amérique.
Jean-Yves Le Drian n’est évidemment pas le concepteur de la politique étrangère de la France et il n’a jamais cherché à faire croire qu’il s’inspirait d’une vision gaullienne. Il n’a d’ailleurs jamais reçu mandat de refonder une politique africaine fortement compromise par le «désengagement» intervenu le 11 janvier 1994, lorsque Paris, cédant aux pressions des institutions de Bretton Woods et probablement des autorités de Bruxelles, avait décidé unilatéralement une dévaluation de 50% du franc CFA par rapport au franc français, sans aucune consultation des Africains. Un bon quart de siècle plus tard, l’objectif est de sauver les meubles d’une Françafrique agonisante, dont Sassou N’Guesso est l’un des derniers piliers, et de redorer dans la mesure du possible un blason défraîchi, en l’occurrence celui de la France en Afrique. Jacques Chirac aura été le dernier président à manifester une «tripe africaine», vestige du gaullisme. S’agissant d’Emmanuel Macron, les Africains (pas plus que les Arabes) ne semblent pas «être son trip», à en juger par des comportements choquants et un langage souvent incontrôlé. Le président est apparemment plus à l’aise dans un activisme qui se veut guerrier que dans la réflexion documentée, ce qui donne à sa politique étrangère un parfum d’aventure peu rassurant.
Il faut croire que Emmanuel Macron, qui adore la fréquentation des Grands de la planète, ne considère pas que Denis Sassou N’Guesso fasse partie de ce haut du panier, puisqu’il avait boudé le président congolais durant plus de deux ans avant de le recevoir à Paris en septembre 2019. Mais au Congo, on fait manifestement grand cas du regard de Paris et du soutien de la France. Comment celle-ci aurait-elle pu être absente des commémorations d’une année de Gaulle et de la déclaration de Brazzaville ?
Face à un vétéran coriace tel que Sassou N’Guesso, il était peu probable que le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, en service commandé, ose donner des leçons sur les «droits de l’homme» ou la «démocratie», tartes à la crème dont on est friand dans les capitales occidentales, mais il aura au moins pu faire écho aux entretiens précédemment évoqués. Reçu par le président congolais, il a célébré les vertus du Manifeste, bien tombé dans l’oubli sur les bords de la Seine. Il a rencontré aussi les hauts personnages et chefs d’Etat présents, ce qui lui a permis d’aborder des dossiers difficiles, tels que la laborieuse mise en œuvre de l’accord de paix en Centrafrique, la France essayant sans doute de reprendre pied dans son ex-colonie, face à la Russie.
Au menu, il y avait aussi l’organisation des élections en Afrique, où plusieurs scrutins importants sont au calendrier ou en cours : on le sait, nombreux sont les chefs d’Etat qui tentent de contourner leur constitution et de passer outre la règle «imposée» des deux mandats. Sassou N’Guesso est l’un de ces présidents qui rêvent de mourir à leur poste, il n’est pas le seul : en Côte-d’Ivoire, Alassane Ouattara s’accroche, mais aussi ses collègues de Guinée, de Gambie, du Burkina Faso. Dans ces conditions, les propositions d’appui de la «communauté internationale» au processus électoral suscitent souvent des réticences. Plus souple que d’autres, souvenir oblige, la France mesure ses positions, peinant à mettre en œuvre sa doctrine de «non-ingérence».
On ne s’en étonnera pas, le discours français est égal à lui-même, les «prédateurs» ce sont les autres, à commencer par la Russie et la Chine…
L’appel du ministre Le Drian à l’Afrique et la France «à faire bloc ensemble dans un monde marqué par la brutalité, par les tentatives de prédation, par la rivalité des puissances» a des accents belliqueux et hypocrites. On ne s’en étonnera pas, le discours français est égal à lui-même, les «prédateurs» ce sont les autres, à commencer par la Russie et la Chine, désormais la Turquie, peut-être demain le Qatar, les Emirats, voire l’Arabie, au gré des saisons et des amitiés des gouvernants parisiens. La France et ses associés européens, ou Israël, offensif sur le continent, sont pour leur part, c’est bien connu, des partenaires désintéressés. La «brutalité» ne saurait provenir de l’ancienne métropole et de ses sociétés plus ou moins rapaces, c’est celle des prédateurs et des autres, qui se disputent les richesses africaines, grosso modo tout le monde sauf la France. Vu de Paris, sont prédatrices les puissances qui concurrencent chaque jour davantage la «Françafrique», passé colonial en moins. On cite souvent la «Chinafrique» construite avec les pays qui sont sous sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne au nom de la «démocratie» et des «droits de l’homme». Parallèlement aux festivités, s’est réunie (par vidéoconférence ?) la Commission mixte sino-congolaise, réactive et hyperactive dans tous les domaines, Xi Jinping évoquant de Pékin «un partenariat stratégique global», sur le principe gagnant-gagnant. Mais la Chine n’est pas le seul concurrent dangereux…
Enfin et surtout, les Français n’ont pas les mêmes priorités que leurs partenaires africains, lutte anti-terroriste et flux migratoires venant en tête de liste à Paris. Reprenant le flambeau, Emmanuel Macron et son gouvernement ont mis le paquet sur le Sahel, devenu depuis la destruction de la Jamahiriya libyenne terre de djihad et fief de nombreuses organisations extrémistes. Dès 2013 la France s’engageait au Mali pour y combattre le fléau terroriste. Ayant pris soin de faire couvrir son ingérence par le Groupe des cinq et la CEDEAO, elle y est toujours présente et active, mais le terrorisme également, et de plus en plus. Pas facile de contrôler ces immenses espaces où tous les trafics fleurissent. Discuter ou ne pas discuter avec les terroristes, c’est la question.
Lors de son escale à Bamako, les 25 et 26 octobre, sur le chemin de Brazzaville, Le Drian a affirmé qu’il fallait refuser de négocier avec les groupes armés, sans distinction. Ceci n’est en phase ni avec le Secrétaire général de l’ONU, ni avec l’Union africaine, ni même avec les dirigeants maliens, lesquels considèrent qu’il serait exclu de discuter avec l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara) mais envisageable de le faire avec le JNIM (Front d’aide à l’islam et aux musulmans). Le Drian est droit dans ses bottes. Mais il ne suffit pas de multiplier les martiales proclamations pour être crédible. Notamment si on traîne derrière soi de pesants boulets : la France a inscrit à son palmarès un rôle leader dans la dévastation et la création d’un chaos durable en Libye, et une participation acharnée dans la destruction de la Syrie, de son Etat, de son économie et la mise à mort de son peuple, y soutenant les groupes terroristes, et faisant bon accueil à leurs envoyés : elle est maintenant la cible de sanglants attentats perpétrés par des «djihadistes de retour au pays» que l’on avait laissé partir, ou par des «réfugiés politiques». Cherchez l’erreur. Mais ceci est une autre histoire.
Michel Raimbaud
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