Marie-Jo Ouimet, Médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive, École de santé publique de l’Université de Montréal
Éric Notebaert, Médecin urgentologue, Université de Montréal
Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, Résidente en médecine familiale, Candidate à la maîtrise en et développement durable, Université de Montréal
Les auteur.e.s sont membres du regroupement Des Universitaires (desuniversitaires.org)
11e d’une série de 13 articles sur les 101 idées pour la relance (https://bit.ly/3eIEURx)
Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la crise climatique représente la plus grande menace à la santé du 21e siècle1. Elle contribue aux inégalités croissantes, aggravant les maladies chroniques et les problèmes de santé mentale largement associés à notre mode de vie2. Devant ces imposants défis, la transition écologique doit devenir un réel projet de société. L’implication active du milieu de la santé y sera essentielle.
Étonnant peut-être, la santé humaine est déterminée, avant tout, par les politiques publiques, l’environnement, la cohésion sociale, l’éducation et les conditions de vie3,4. Le système de soins arrive au tout dernier rang! Ainsi, une société en santé se doit d’intervenir en amont (en prévention), bien avant que les problèmes ne surviennent. En ce sens, la crise climatique représente une opportunité sans précédent.
La pandémie du coronavirus nous révèle à quel point notre monde est fragile. Le fardeau des catastrophes touche bien souvent les personnes déjà fragilisées, en raison de leur âge, de leur niveau socio-économique ou de leurs conditions/maladies préexistantes. Les changements climatiques ne sont guère différents; leurs impacts, liés notamment aux vagues de chaleur, aux maladies chroniques engendrées par la pollution, au stress grandissant et aux nouvelles maladies, se feront davantage sentir auprès des plus vulnérables. Résultat? Un système de santé de plus en plus engorgé.
L’État doit donner l’exemple
Pour protéger la santé, l’État doit saisir toutes les opportunités pour rencontrer l’exigence écologique : les investissements, notamment dans les infrastructures, les entreprises et les transports, doivent nourrir ce virage radical vers une société résiliente et sobre en carbone.
Soutenu par sa propre Politique gouvernementale de prévention en santé, le Gouvernement du Québec doit, dans ses décisions quotidiennes, agir afin « d’améliorer l’état de santé et la qualité de vie de la population et de réduire les inégalités sociales de santé ». Pour y arriver, toutes ses décisions doivent être analysées en fonction de leurs conséquences et de leurs impacts sur l’environnement, et indirectement, sur notre santé.
Assurer la santé publique et environnementale
Afin d’assurer la résilience des communautés tout en réduisant leur empreinte écologique, le plan de transition gouvernemental doit considérer la santé, et y allouer les ressources financières et humaines nécessaires pour y nourrir une expertise scientifique.
Soutenir la santé publique
La santé publique est au cœur des grands défis qui nous touchent. La pandémie du coronavirus l’a confirmé. Le réseau de la santé publique doit donc être doté d’un financement beaucoup plus important5. Ceci permettra d’anticiper et de suivre les impacts des changements climatiques sur la santé, en portant une attention particulière aux populations vulnérables (populations autochtones, milieux urbains défavorisés, etc.), et de mieux se préparer à répondre aux événements climatiques extrêmes qui seront plus fréquents (vagues de chaleur, inondations), question de minimiser les conséquences néfastes sur notre santé et notre société.
La santé publique possède une expertise en santé environnementale, ainsi que sur les mesures permettant d’accroître la résilience des populations. Son leadership doit être reconnu. Elle doit être au cœur de la conception et la réalisation des plans de transition. Ainsi, tout projet ou politique devrait être soumis au regard de la santé publique : ceci est, par ailleurs, déjà prévu par notre système de loi (article 54 de la Loi sur la santé publique6,7 pour les curieux), mais reste peu appliqué.
Renforcer notre système de soins
La première ligne du système de santé a été fragilisée dans les dernières décennies. Pourtant, son optimisation et sa disponibilité sont requises pour la prise en charge des problèmes croissants de santé physique et psychologique liés à la crise écologique. Des investissements massifs en première ligne, et une formation accrue de soignant-e-s, seront nécessaires pour l’outiller à faire face aux prochaines crises. Ainsi, une main-d’œuvre abondante pourrait être mobilisée plus facilement. En période d’accalmie, ces professionnels de la santé pourraient s’intégrer en prévention et en promotion de la santé, restant à l’écoute des priorités des communautés. Jardins communautaires, activités brisant l’isolement social, projets structurants en transport actif, réseaux d’échange de services et d’objets : nous pouvons penser grand. Cette vision porteuse est la clé de la transition sobre attendue et de l’amélioration de notre qualité de vie.
Cette main-d’œuvre bonifiée pourrait également œuvrer dans le réseau des services à domicile, lui aussi négligé, identifier les populations à risque et offrir des services appropriés. Ceci réduirait l’engorgement du système de santé et les coûts associés.
Le réseau de santé a également son rôle à jouer dans la transition écologique. Responsable annuellement d’environ 4,5% des émissions de gaz à effet de serre (GES), il doit devenir un élève-modèle8. Ainsi, il faut adopter des standards de gestion environnementale élevés dans tous les établissements de santé, et non seulement pour les nouveaux bâtiments : gestion des déchets, de la demande énergétique, et des émissions de GES; approvisionnement médical et non médical; réduction d’examens et de tests médicaux non nécessaires; verdissement des établissements de santé.
Enfin, il est indispensable de financer la recherche sur les impacts des changements climatiques sur notre santé, et de soutenir le développement d’initiatives innovantes permettant de faire face à la crise climatique tout en améliorant la santé et la résilience des communautés.
Un défi colossal, une opportunité à saisir
Le défi climatique est colossal. Toutefois, la pandémie du coronavirus a mis en lumière l’importance collective accordée à la santé. Nous disposons au Québec des ressources, des services, des communautés et des cerveaux nécessaires pour réussir cette transition nécessaire vers une société verte, juste, et en santé. Alors, amorçons-là!
Références
1. OMS (2018). COP24 special report on health and climate change. Retrieved May 22, 2020 Accessible from:https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/276405/9789241514972-eng.pdf?ua=1
2. Bélanger, D., Gosselin, P., Bustinza, R., Campagna, C. (2019). Changements climatiques et santé: Prévenir, soigner, s’adapter. Québec: Presses de l’Université Laval.
3. Health Canada (2001). Population Health Promotion: An Integrated Model of Population Health and Health Promotion. Retrieved May 18, 2020 Available from:https://www.canada.ca/en/public-health/services/health-promotion/population-health/population-health-promotion-integrated-model-population-health-health-promotion/developing-population-health-promotion-model.html
4. Dahlgren, G., & Whitehead, M. (1991) Policies and strategies to promote social equity in health. Stockholm: Stockholm Institute for Further Studies.
5. Guyon, A., Hancock, T., Kirk, M., MacDonald, M., Neudorf, C., Sutcliffe, P., Talbot, J., & Watson-Creed, G. (2017) The weakening of public health: A threat to population health and health care system sustainability (Editorial). Can J Public Health 108(1): e1–7.
6. Gouvernement du Québec (2020). Public health act. Retrieved May 22, 2020 Available from: http://legisquebec.gouv.qc.ca/en/ShowDoc/cs/S-2.2
7. Benoît, F. et al. (2012) Implementation of Section 54 of Québec’s Public Health Act. National Collaboration Centre for Healthy Public Policy, Institut National de Santé Publique du Québec, Québec.
8. Synergie santé environnement 2020 (http://synergiesanteenvironnement.org/).
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal