par Serge H. Moïse
Le séisme du douze janvier deux mille dix qui a fait des milliers de morts, autant d’infirmes et de sinistrés aurait dû avoir pour vertu de réveiller la conscience des Haïtiens et les inciter, une fois pour toutes, à prendre leur destin en main.
C’est généralement le cas pour toute société frappée par un cataclysme de cette envergure et l’histoire de l’humanité regorge d’exemples à cet effet. Pourtant, encore une fois, nous avons fait mentir cette logique cartésienne. Dix ans après ce terrible tremblement de terre, avec comme complication, une épidémie de choléra qui continue de faucher la vie d’innocentes victimes, cet imbroglio politique pour le moins inquiétant et le dévastateur Matthew, nous continuons d’évoluer dans une espèce de nébuleuse qui défie indécemment le simple bon sens.
Toujours les mêmes discours creux et ronflants, une littérature à l’eau de rose formulant des suggestions ou propositions sans rapport avec notre spécificité de peuple du quart-monde, le plus corrompu et le plus pauvre, ce pour des raisons connues de tous.
Le défi est de taille, mais nous pouvons le relever et les moyens pour y parvenir demeurent à notre portée. Pour cela nous devons commencer par renoncer à notre attitude de contempteurs de la république. Nous devons cesser de constater les effets ou symptômes et nous évertuer à remonter aux causes de notre sous-développement mental et matériel par voie de conséquence. Il nous incombe, maintenant, plus que jamais, l’impérieuse nécessité de nous livrer à une profonde introspection, de nous regarder dans le miroir de manière objective et de reconnaître que la situation du pays est tout simplement notre création à nous, oui, la conséquence de nos inconséquences, individuelles et collectives.
Il est temps pour tous et chacun d’entre nous, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, d’arrêter de faire semblant!
Semblant d’être solidaires les uns des autres!
Semblant d’aimer charnellement la mère patrie!
Semblant de travailler au bonheur de nos sœurs et frères!
Semblant d’être les dignes filles et fils de la première république nègre!
Plus personne n’est dupe de nos magouilles érigées en système de gouvernement. Le laxisme, l’incompétence et la corruption sont devenus des traits culturels et semblent perdre leur dimension de vices contre-productifs et nocifs. La fin semble justifier les moyens au point que nous répétons, sans vergogne, en guise de nouvelle devise nationale : « Pitô nou lèd nou la »!
Nous avons atteint, à n’en point douter, le fond du gouffre. Nous avons réalisé notre descente aux enfers pour paraphraser Frantz Fanon. Il est donc temps pour nous, au lieu d’implorer tous les dieux ou de tout remettre entre les mains des autres, de faire preuve de dynamisme, d’innovation en tenant compte de nos potentialités afin que, dans la fraternité et une solidarité constructive, nous parachevions l’œuvre de nos aïeux. Ces derniers ont réussi la révolution armée, la geste grandiose de 1804, à nous de jouer notre noble partition qui est celle de réaliser la révolution politique, sociale et économique pour qu’elle renaisse de ses cendres notre Haïti chérie.
Au risque de nous répéter, oui, nous croyons la chose possible, le rêve haïtien peut devenir une réalité, à condition que nous le voulions vraiment, prenant conscience qu’un peuple qui ne fait que chanter et danser est irrémédiablement condamné au sous-développement et à la misère. Tout comme en mil huit cent quatre, nous pouvons le réaliser, ce miracle et étonner encore une fois, le monde entier.
Dans un article précédent, publié en deux mille quatre et intitulé : Quo vadis? nous déplorions le fait que trop souvent, nous faisions les mauvais choix, s’agissant de nos dirigeants politiques. Le moment est venu de jeter notre dévolu sur celui qui croit en la capacité des Haïtiens de se prendre en main, par la création d’emplois et la réforme judiciaire et une éducation qui nous débarrasse de notre mentalité de colonisés, priorités des priorités en toute logique.
Avec un taux de chômage évalué à 70% de la population qui fait de nous une république d’assistés, de zombis dont la résilience frise la résignation et le défaitisme, nous devons coûte que coûte permettre à nos sœurs et frères de retrouver leur dignité humaine, leur haïtianité par le travail, afin qu’ils deviennent utiles à eux-mêmes, à leurs familles et à la communauté tout entière.
La reconstruction des zones affectées s’impose d’elle-même, encore qu’on en soit toujours à se demander si c’est pour aujourd’hui ou dans un avenir incertain. Quant à la refondation d’Haïti, paradigme inévitable, incontournable et qui exige l’excellence dans tous les domaines, les hâbleurs impénitents, les démagogues, les opportunistes, véritables parasites de tout pouvoir en place devront faire place nette, afin que les filles et les fils de la nation, détenteurs de compétences certaines puissent se mettre enfin au travail dans l’intérêt de tous et chacun d’entre nous, sans exclusive ni réserve.
Le «FHS » Fonds Haïtien de Solidarité doit s’inscrire dans les premières démarches de tout gouvernement afin de mettre tous les enfants du pays qui aspirent aux changements tant espérés, en état situationnel et réaliser ensemble, main dans la main, cette grande « kombite nationale » pour financer la création des micros et petites entreprises et faire qu’Haïti redevienne ce qu’elle a déjà été, mais cette fois, par et pour nous-mêmes: la Perle des Antilles, dans l’intérêt des filles et fils du pays et non d’une quelconque métropole.
Faut-il rappeler que toute construction dont la base est bancale risque de s’effondrer irrémédiablement à l’instar d’un château de cartes? En effet, on ne saurait envisager sérieusement la refondation de notre société sans mettre l’emphase sur la modernisation de notre cadre normatif. La réforme judiciaire s’impose per fas et nefas, à partir de la « CNRJ » Commission Nationale de la Réforme Judiciaire.
S’il est vrai que la justice d’un pays est le reflet de sa culture, nos anthropologues, sociologues, historiens, économistes, notre presse parlée et écrite et nos juristes ont un défi majeur à relever car tout le reste en dépend. Une Commission de la Réforme de la Justice et du Droit devra réunir les meilleurs d’entre nous afin de doter notre pays de codes de lois en adéquation avec notre réalité sociale, politique et économique.
Une éducation qui tienne compte de notre histoire d’Afro-Caraïbéens, baignés des cultures française, espagnole et anglaise, sans oublier l’apport discret mais réel des autochtones : les Taïnos, les Aztèques, les Incas et les Arawaks. Cette éducation qui formera le nouvel homme haïtien et bien évidemment, la nouvelle femme haïtienne, donnera préséance à nos propres valeurs culturelles, sans pour autant rejeter les importations susceptibles d’enrichir les nôtres. Ces générations futures parachèveront ce pourquoi nous aurons jeté les bases solides, porteuses de développement durable et de progrès, toujours au triple point de vue social, politique et économique.
Les professionnels de la santé se sont mis au travail depuis belle lurette et leurs propositions lumineuses ne manqueront pas de retenir l’attention de tout gouvernement soucieux du bien-être de l’ensemble des contribuables.
L’agriculture et l’élevage, mère nourricière de la nation, négligés comme le reste, reprendront du poil de la bête, afin de jouer pleinement les rôles qui leur sont naturellement dévolus, et pour y parvenir, le (FHS) Fonds Haïtien de Solidarité, s’avère dans le contexte actuel, l’outil par excellence afin d’obtenir les investissements qui ne viendront pas de l’étranger.
Les élections en Haïti charrient trop souvent de fortes charges émotives et prennent l’allure de carnavals de mauvais goût. Les intérêts personnels et mesquins occultent ceux de la nation avec pour résultat, ce que nous constatons aujourd’hui, qui n’est que notre création volontairement ou non.
Hélas en l’an de grâce deux mille dix-neuf, nous voilà une fois de plus, une fois de trop, confrontés à une crise sans précédent et aux conséquences imprévisibles.
Nos leaders ont fini par comprendre et admettre que plus tard risque d’être trop tard. Le pays tout entier frise la catastrophe. Á moins d’un consensus sur la base des intérêts supérieurs de la nation afin d’éviter l’hécatombe en perspective, l’histoire retiendra que nous aurons été les fossoyeurs de la première république nègre, jadis le fier symbole de l’émancipation des peuples opprimés.
Puissent nos femmes et nos hommes politiques, les acteurs des différents secteurs d’activités de la nation, faire preuve d’abnégation de transcendance, et de grandeur d’âme, en vue de l’impérieuse nécessité d’un compromis hautement historique qui sauvera Haïti de la débâcle en attendant qu’elle renaisse de ses cendres.
Me Serge H. Moïse av
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