De beaux yeux bleus, une chevelure blonde toute bouclée, une voix d’or, un mari qui l’adore et de beaux enfants pétillants — oui, on pourrait dire que Raphaëlle a tout pour elle. Disons tout de suite que ça n’a pas toujours été si beau et si bon. Pour vivre heureuse, elle a dû se libérer de la violence conjugale, certes, mais juste avant, elle a dû briser ce qui la retenait captive pour vrai : elle-même.
Jeune, elle avait une vie spirituelle vivante et une vie de prière intense. Puis, un jour, un truc étrange lui est passé par la tête, comme il arrive parfois, sans qu’on puisse savoir pourquoi ni comment : « C’était une prise de conscience qui m’a complètement retournée. J’ai pensé : “Coudon, j’ai toute la vie, moi, pour devenir sainte ! Je devrais profiter de la vie pendant que je suis jeune !” Je suis partie en Europe. »
Qui est comme Dieu ?
Après la France, elle atterrit en Suisse pour les vendanges. Elle rencontre Pietro (nom fictif). « Il était beau, excessivement charmant et Italien en plus ! Je suis tombée sous son charme », raconte Raphaëlle.
Pendant que les fréquentations allaient bon train, Pietro avoue qu’il était divorcé et qu’il avait des enfants — un en Italie et un en Suisse… de deux femmes différentes. « Cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mais non ! J’étais hypnotisée ! »
Qu’as-tu fait ? « Il me partageait sa souffrance et me disait combien il avait été malheureux. Je me suis dit que j’allais lui montrer, moi, ce que c’était que le bonheur ! J’allais le sauver ! Mais bon… j’avais juste oublié que c’était le Christ, le Sauveur, pas moi ! »
Pietro l’a demandée en mariage et elle a dit oui, même si ça voulait dire se marier civilement, ce qui signifiait passer outre son désir le plus profond de se marier chrétiennement. Peut-être se disait-elle qu’avec le temps tout s’arrangerait et qu’un mariage en Église se réaliserait ?
Quand leur fils est né, déjà le quotidien était difficile. « Notre relation était conflictuelle, mais je me disais que c’était la différence culturelle, ou que ce n’était pas une bonne journée pour lui. Je mettais tout en œuvre pour changer mon attitude, mon comportement, ma façon de dire, ma façon de faire. Aussi, je voulais plusieurs enfants, mais dans une relation si tendue, on y pense à deux fois. On en a quand même eu un deuxième, en espérant que ça aille mieux. »
Dans le tordeur
Sans s’en rendre compte, Raphaëlle était dans une dynamique de violence conjugale qui, comme toute relation basée sur l’abus de pouvoir, est rarement évidente à première vue. Ce qu’elle a compris avec le temps, c’est qu’elle avait affaire à un pervers narcissique.
« Au début, tout était beau ; j’étais la personne la plus extraordinaire du monde, et moi, à cause de mon syndrome du sauveur, j’étais prise. » Ton entourage ne voyait rien ? « La violence s’installe en douce et ne se passe jamais devant les autres. L’entourage aussi est séduit par la personnalité charismatique du manipulateur », explique Raphaëlle, qui en connait un bout, maintenant, sur les rouages de la violence conjugale.
Le plus difficile, c’était de ne pas être cru par l’entourage, surtout la famille. Quand la violence physique survenait, elle ne laissait pas de trace.
« Subtilement, Pietro a mis des balises et m’a fait comprendre qu’il fallait que je navigue entre ces balises. Par exemple, il fallait passer l’aspirateur une fois par mois, mais jusqu’à la prochaine fois, tout devait rester impeccable. Alors, soit j’utilisais l’aspirateur en le repositionnant exactement de la même manière, soit je passais le balai en cachette… Ce ne sont pas des règles écrites. Quand je lui rappelais qu’il avait dit telle chose et non telle autre, il répondait qu’il n’avait jamais dit ça, que tout était dans ma tête. »
Le cycle de la violence est toujours le même. Arrive un évènement qui provoque un conflit, puis un plus grand, qui peut, au fil du temps, aboutir à la violence physique. Une fois la crise survenue, le manipulateur se sent coupable (ou feint de l’être s’il s’agit d’un pervers narcissique) et offrira des fleurs, par exemple, en pleurant sur son malheur.
« Un soir, j’ai dit quelque chose qu’il n’a pas aimé, poursuit Raphaëlle. En rentrant à la maison, il a déversé sa haine sur moi, c’était horrible. Le lendemain, il pleurait. Il disait regretter. Il se traitait de tous les noms. Le résultat ? C’est moi qui ai fini par me sentir cheap. En fait, c’était ça son but, mais je l’ignorais à l’époque. Alors arrive la réconciliation, suivie de la lune de miel. Et le cycle recommence. Il ne m’a jamais demandé pardon pour ce qu’il m’avait dit ni pour ce qu’il m’avait fait. Il ne s’est jamais remis en question. »
Le plus difficile, c’était de ne pas être cru par l’entourage, surtout la famille. Quand la violence physique survenait, elle ne laissait pas de trace. Comment croire la victime ? « Pietro savait où frapper pour que ça ne paraisse pas. Un coup de poing sur la tête. Un serrement de bras. Ce n’est pas la violence physique qui fait le plus mal ; c’est la violence psychologique. Ça m’a pris beaucoup de prières et de confessions pour arriver à me pardonner d’avoir été si loin dans la peur et la soumission, d’avoir laissé mes enfants subir cette atmosphère. »
Et passe la grâce
Terrifiée et paralysée par la peur, Raphaëlle se réfugiait dans la prière. Comme il arrive souvent, c’est au plus creux de l’épreuve que l’âme s’éveille. Un jour, contre toute attente, une lumière a jailli : « J’ai compris que, pendant tout ce temps, je m’étais prise pour Dieu ! J’avais voulu sauver Pietro ! J’ai fondu en larmes. Je voyais tout mon orgueil… Je criais à Dieu : “C’est TOI le sauveur ! Pas moi ! Je te demande pardon ! Pardon d’avoir pris ta place !” Ah !… J’ai tellement pleuré… », termine Raphaëlle, presque sans voix.
Le silence est d’or. Elle soupire. « Tu sais… Je suppliais Dieu… Je criais presque : “Jésus ! Jésus ! Je suis prise dans une souricière ! Je t’en supplie, offre-moi l’occasion de m’enfuir d’ici !” Je ne voyais pas comment on allait pouvoir s’évader ! »
Ce qui s’est planté dans le cœur de Raphaëlle en cet instant, c’est un désir. Pas un plan d’évasion — un désir ardent qui surgit rarement dans une vie.
Elle s’est précipitée chez son confesseur, s’est assise là et a tout dit. Elle a tout raconté depuis son départ pour l’Europe, son orgueil, son infidélité envers ses propres convictions religieuses, Pietro, ses enfants, sa peur au ventre, son estime qui ne valait plus rien. Tout son péché. Son péché de toute une vie. Parce que même si elle n’était pas responsable de ses actes à lui, elle se savait responsable des siens.
L’envol
C’est à cet instant, étrangement, que tout s’est mis en place. Elle avait demandé une occasion de s’enfuir. Elle ne s’imaginait pas que la liberté lui viendrait du dedans.
« Lui, il savait ce qu’il faisait !, confie Raphaëlle, encore émue de la façon dont Dieu s’y est pris avec elle. Cette confession m’a donné une force intérieure extraordinaire, quasiment surhumaine. Je savais que j’étais pardonnée. »
Tout s’est fait avec rapidité et simplicité, comme le dit le prophète : « Moi, le Seigneur, en temps voulu, j’agirai vite » (Is 60, 22). Soutenue par une amie, en rentrant d’Italie, Raphaëlle fait une déposition à la police. L’incident qui venait de se produire l’avait sonnée. Alors qu’elle exprimait une opinion, Pietro, pour la faire taire, lui avait collé son index sur le front en disant : « Ti ammazzo », ce qui signifie : « Je te tue. »
« Il avait pesé si fort ! Ça m’avait fait tellement mal ! C’est le geste qui m’a réveillée. J’étais peut-être rendue habituée aux paroles assassines… Après, je me suis parlé : “Raphaëlle ! Respecte-toi ! Tu t’étais promis que tu ne te laisserais plus jamais toucher !” »
La police est venue le chercher à la maison. Il a fait 10 jours de prison. Une fois sorti, même si les contacts étaient interdits, il avait commencé à écrire de jolies lettres à Raphaëlle. « Elles sont devenues rapidement menaçantes. Je les ai traduites à la police. Ils l’ont incarcéré de nouveau. Je me sentais coupable. Je disais à la policière : “Ah ! Je l’envoie en prison !” Elle répondait : “Non, madame ! Ce sont ses comportements qui l’amènent en prison !” »
L’agir de Dieu a continué de plus belle. Deux mois plus tard, le divorce était prononcé et Raphaëlle rencontrait « par hasard » David, un ami d’enfance.
Le premier soir, elle lui demande : « Quelle place prend Dieu dans ta vie ? » Il lui avoua que, à regret, sa vie de foi battait de l’aile.
Elle, elle avait des ailes toutes neuves.
Le plus difficile, c’était de ne pas être cru par l’entourage, surtout la famille. Quand la violence physique survenait, elle ne laissait pas de trace.
Ils se sont mariés en Église. Quatre enfants et sept ans plus tard, le couple se prépare pour que David puisse devenir diacre, avec l’amour de Dieu qui peut tout, et son Église qui leur montre le ciel.
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