par Christelle Néant.
Suite au discours prononcé par Vladimir Poutine lors de la 17e réunion du Club international de discussion de Valdaï par vidéoconférence, le directeur du club, Fiodor Loukianov, et d’autres participants, lui ont posé des questions sur son discours et sur différents sujets d’actualité, comme le conflit du Haut-Karabakh ou l’affaire Navalny. Voici la traduction complète des questions et des réponses de Vladimir Poutine.
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F. Loukianov : Merci beaucoup, Vladimir Vladimirovitch, pour cette présentation si détaillée. Vous venez de dire que la pandémie devrait devenir le point de départ d’une nouvelle réflexion. Je vois que vous avez cette compréhension, car des notions telles que la confiance, l’harmonie, le sens de l’existence, la mission sur la planète Terre ne sont pas entendues dans tous les discours, et avant cela, elles l’étaient moins souvent. Je voudrais clarifier ce que vous avez dit. Bien sûr, la compréhension se développe, et nous, au Club Valdaï, essayons d’y apporter une petite contribution. Mais après le choc du printemps, quand il semblait que tout, que le monde ne serait plus jamais le même, alors une sorte de stabilisation, quelque chose a commencé… Et quand la politique mondiale a commencé à sortir de sa stupeur, il s’est avéré que l’agenda, de manière générale, n’a pas changé : ce qui était est resté, les conflits sont revenus et se sont même multipliés. Malgré les conditions actuelles difficiles de la politique mondiale, vous continuez à être actif. Pensez-vous que cela est devenu une sorte de choc et que vous ressentez des états d’esprit différentes chez vos interlocuteurs au plus haut niveau ?
V. Poutine : Vous venez de dire que des conflits ont repris quand ça s’est arrangé. En fait, ils ne se sont pas arrêtés. Maintenant, beaucoup de gens parlent de la deuxième vague, du fait que la situation est revenue, en fait, à la situation du printemps de cette année. Mais regardez ce qui se passe dans le Haut-Karabakh, ce conflit n’a pas disparu. Il ne s’agit même pas des conflits, je pense que quelle que soit la nécessité de lutter contre la pandémie, qui rassemble la communauté internationale, nous devons toujours prendre des mesures systématiques pour résoudre les vieux problèmes. Il s’agit du Moyen-Orient, de la crise syrienne, de la crise en Libye, et il y en a beaucoup d’autres. Comme le terrorisme et ainsi de suite, et même l’écologie. C’est pourquoi cette pandémie ne nous aidera pas ici.
Mais en ce qui concerne la prise de conscience que dans les crises mondiales très graves, nous devons agir ensemble, la pandémie joue pour nous. Mais malheureusement, elle n’a pas encore appris à l’humanité à s’unir à cent pour cent comme la situation l’exige. Eh bien, regardez, par exemple, je viens de mentionner quelques crises. Nous nous sommes déjà adressés aux Nations Unies, afin de lever, pour des raisons humanitaires, toutes les sanctions économiques et humanitaires, au moins pour le moment. Je ne parle pas là des sanctions contre la Russie, Dieu nous en préserve, nous y ferons face. Mais beaucoup d’autres pays qui ont souffert et souffrent encore de l’épidémie de coronavirus n’ont même pas besoin d’une assistance qui vienne de l’extérieur, mais simplement de la levée des sanctions, au moins dans le domaine humanitaire, je le répète, en matière de fourniture de médicaments, de ressources de crédit, d’équipement et d’échange de technologies. Ce sont des choses humanitaires sous forme directe et pure. Mais non, ils n’ont jamais levé les sanctions sous le couvert de considérations qui n’ont rien à voir avec le volet humanitaire, alors que tout le monde parle d’humanisme.
Mais nous devons quand même être plus honnête les uns avec les autres et se débarrasser de tous ces doubles standards. Ces mois-ci ont montré… Vous savez, je suis sûr que ce que je dis maintenant, si les gens l’entendent à travers les médias, il est difficile de ne pas être d’accord avec ce que je viens de dire, c’est difficile. Chacun dans son cœur, dans sa tête dira probablement, bien sûr, qu’il a raison. Mais pour des raisons politiques, ils diront de toute façon publiquement : non, nous devons maintenir certaines sanctions contre l’Iran, contre le Venezuela, contre Assad. Mais qu’est-ce qu’Assad a à voir avec cela, si le peuple ne fait que souffrir ? Donnez au moins des médicaments, donnez de la technologie, donnez au moins des ressources minimales de crédit pour la médecine. Non !
C’est pourquoi, d’une part, il y a une sorte de désir de s’unir, mais, franchement, je ne vois pas de résultat concret de la réalisation de ce désir. Bien qu’il y ait une tendance à le faire.
Quant à la technologie, c’est l’autre face de l’affaire. Pour ce qui est des technologies, bien sûr, l’apprentissage en ligne, la télémédecine, etc, toutes les technologies numériques modernes qui ont déjà fait leur chemin, bien sûr qu’avec l’aide de la pandémie, elles forcent les politiciens, les juristes, les spécialistes de la réglementation administrative à aller plus vite qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent pour prendre des décisions. Et cela, bien sûr, est certainement en train de changer le monde.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Encore une question concernant votre présentation. Vous avez dit clairement et sans ambiguïté que la principale valeur est la vie et la sécurité des personnes, en parlant de la stratégie de lutte contre l’épidémie. La stratégie est claire, mais les tactiques sont différentes. Et au printemps, la position des pays qui suivaient leur propre voie a suscité des critiques très vives. Par exemple, la Suède et la Biélorussie, qui n’ont pas mis leurs économies à l’arrêt et n’ont pas appliqué un confinement total. Il y avait de nombreux arguments pour et contre. Six mois ont passé et nous voyons maintenant que, de manière générale, le monde entier suit la voie de ces pays, et non celle qu’ils ont suivie au printemps. Et vous avez dit vous-même hier, je pense, qu’aucune nouvelle mise à l’arrêt de l’économie n’est prévue. Cela signifie-t-il que l’équilibre change encore, et que l’équilibre devrait parfois aussi changer en faveur de l’économie ?
Vous savez, rien ne change chez nous. Je vais vous dire, je ne sais pas comment est la situation en Suède. Néanmoins, je vais vous dire quelques mots maintenant sur ce que je sais. Comme en Biélorussie, tout ce qui se fait là-bas, dans d’autres pays, est fait par les dirigeants de ces États. Chez nous, c’était et c’est encore comme ça, à savoir : la vie et la santé des citoyens passent incontestablement avant tout.
Mais il ne fait aucun doute que la vie et la santé sont liées aux systèmes de soins de santé, qui doivent être fortement soutenus par le budget fédéral et d’autres niveaux budgétaires. Et pour remplir le budget, l’économie doit fonctionner. Tout est tellement interconnecté, nous devons trouver cet équilibre. Il me semble que nous avons réussi à trouver cet équilibre dès le début. Nous avons pris des mesures très fortes pour soutenir l’économie. Cela représente un total de 4,5 % du PIB. Dans certains autres pays c’est plus encore. Mais il ne s’agit pas seulement de la quantité de ressources allouées, mais de l’efficacité de leur utilisation.
À mon avis, – et aujourd’hui le gouvernement et moi-même avons également discuté d’un certain nombre de ces sujets – nous sommes parvenus à utiliser des ressources assez importantes que nous avons accumulées au cours des années précédentes, grâce à la bonne santé de notre économie et aux indicateurs macroéconomiques, sur base de toutes les choses positives qui ont été faites au cours des années précédentes, nous avons réussi à utiliser ces fonds de manière assez efficace, pour soutenir à la fois les citoyens et les familles avec enfants, pour soutenir les petites et moyennes entreprises, pour soutenir même les grandes entreprises et les industries privées.
Et de manière générale, la situation est telle qu’aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de revenir – du moins dans notre pays – à des méthodes aussi restrictives qu’au printemps, par exemple, lorsque nous avons envoyé des gens en vacances payées et fermé des entreprises entières. Ce n’est pas nécessaire, notamment parce que notre médecine a été très efficace. Et maintenant, nous avons des réserves : des réserves de lits, des médicaments et des protocoles de traitement ont fait leur apparition. Nos médecins comprennent déjà et savent quoi faire et comment. C’est-à-dire, que nous avons confiance dans la façon dont nous pouvons gérer les problèmes – c’est le premier point.
Deuxièmement, je tiens à rappeler que, dès le début, compte tenu de l’immensité de notre territoire, nous avons dit qu’une partie importante de nos compétences était transférée au niveau des entités constitutives de la fédération de Russie en matière de décisions. D’ailleurs, regardez, en fait, tous les grands pays, tous, ont suivi cette voie. Parce qu’il s’est avéré que c’était la bonne voie.
Ce n’est pas nécessaire aujourd’hui. L’économie se redresse. Notre industrie de transformation se redresse, le complexe agro-industriel donne de très bons résultats et est même en croissance, les exportations se redressent. Oui, nous avons des problèmes qu’il nous faut encore régler. Mais, regardez, les indicateurs macroéconomiques sont acceptables sur le fond. Au cours du deuxième trimestre, notre économie s’est contractée de 8 %, aux États-Unis, environ de 9 %, dans la zone euro, je pense, de 14,5 à 14,7 %.
Vous avez mentionné la Suède, qui n’a imposé aucune restriction, mais qui a également connu une récession. Ils ont d’abord publié le chiffre de 8,3 %, puis l’ont ajusté à un peu moins de huit, je crois 7,7 %. Voilà, ils n’ont imposé aucune restriction, ils n’ont pas fait ce que nous avons fait, à savoir soutenir les citoyens et l’économie, et le résultat est le même. Dans le monde d’aujourd’hui, trop de choses sont liées entre elles. Mais si le ralentissement économique est inévitable, alors nous devons d’abord nous occuper des gens. Cette logique est implacable. Et je suis sûr que vous serez d’accord avec cela.
Quant à la Biélorussie : le président Loukachenko, je lui ai parlé à de nombreuses reprises, il a parfaitement compris la menace du coronavirus. Mais il n’y a pas en Biélorussie de réserves d’or et de devises étrangères telles que les nôtres, il n’y a pas une telle diversification de l’économie, et il a dit qu’il devait simplement préserver la capacité économique de son pays. Mais dans l’ensemble, la situation n’est pas pire que dans beaucoup d’autres pays en fait.
C’est pourquoi nous n’avons pas et n’avons pas eu à faire un tel choix – tout d’abord, les personnes, la santé et la vie. Nous n’allons pas le faire maintenant, il n’est pas nécessaire d’introduire des restrictions strictes, il n’est pas nécessaire de fermer des entreprises, il est nécessaire d’ajuster le soutien à certaines industries, par exemple, les petites et moyennes entreprises, certains domaines nécessitent un soutien supplémentaire, peut-être une extension des avantages fiscaux qui ont été introduits et qui devraient se finir bientôt. Il est nécessaire d’examiner de plus près le fret, les transports et le secteur des services. Nous savons tout cela, nous voyons tout cela et nous continuerons à travailler dans ces domaines, aussi difficile soit-il, comme je l’ai dit à maintes reprises, ensemble, en comptant sur le soutien et la confiance des gens, nous passerons cette période difficile.
F. Loukianov : Chers collègues, nous passons à notre discussion traditionnelle. Cette fois-ci, nous avons un système assez complexe parce qu’il y a une salle ici qui est animée, il y a des questions que je reçois de ceux qui nous regardent en ligne et qui nous les écrivent, et il y a des collègues qui ont la possibilité de poser leurs questions en personne. Je vais donc essayer d’être un coordinateur impartial et de me débrouiller d’une manière ou d’une autre. Si cela ne fonctionne pas, pardonnez-moi. Je fais au mieux. Commençons. Timofeï Bordatchiov, notre collègue du Club Valdaï.
T. Bordatchiov : Bonsoir ! Je vous remercie pour cette occasion unique. Vladimir Vladimirovitch, dans le contexte des bouleversements économiques mondiaux, nous entendons et discutons de plus en plus souvent du fait que l’économie de marché libérale n’est plus un outil suffisamment fiable entre les mains des États pour leur survie, pour leur préservation, pour leurs citoyens. Le pape François a récemment déclaré que le capitalisme était à bout de souffle. La Russie vit dans le système capitaliste depuis 30 ans, devons-nous maintenant chercher une alternative ? Y a-t-il une alternative ? Peut-être le retour des idées de gauche ou quelque chose d’entièrement nouveau ? Je vous remercie.
V. Poutine : Lénine parlait des marques de naissance du capitalisme, etc. Nous ne vivons pas dans une économie de marché depuis 30 ans, nous construisons progressivement cette économie de marché avec ses institutions. Pour la Russie moderne, tout ce travail part de zéro, comme on dit. Bien sûr, étant donné ce qui se passe dans le monde, nous le faisons. Cependant, après une longue période, presque un siècle, d’économie planifiée, il n’est pas si facile pour nous de passer aux conditions de travail du marché.
Mais vous savez, le capitalisme plus ou moins pur que vous avez mentionné existait encore quelque part au début du siècle dernier. Mais après les événements qui ont marqué l’économie mondiale et les États-Unis dans les années 20 et 30, après la Première Guerre mondiale, après la Seconde Guerre mondiale, tout a changé.
Et de manière générale, nous en avons aussi parlé à de nombreuses reprises. Je ne me souviens pas si j’en ai parlé au Club Valdaï ou non, mais les experts qui le savent beaucoup mieux que moi, et avec qui je communique régulièrement, disent des choses claires et bien connues. Dès que tout va bien, dès que les indicateurs macroéconomiques montrent une stabilité, différents fonds se développent, la consommation augmente, etc. On parle de manière croissante du fait que l’État n’est qu’un obstacle et qu’il est nécessaire d’aller vers l’auto-régulation efficace du marché.
Mais dès que des crises et des problèmes surviennent, ils se tournent tous vers l’État et parlent de la nécessité de renforcer les fonctions de régulation de l’État. Cela se produit toujours, de façon sinusoïdale, en suivant la courbe. D’ailleurs, il en a été de même lors des crises précédentes, y compris la plus récente, par exemple en 2008. Je me souviens très bien de cette situation où les principaux actionnaires de nos plus grandes entreprises sont venus me voir, les plus grandes, pas seulement dans notre pays – même selon les normes européennes, selon les normes mondiales – et m’ont offert leur propriété pour un dollar ou un rouble. Parce qu’ils avaient peur d’assumer la responsabilité de leurs sociétés, parce qu’ils étaient sous la pression des appels de marge, etc.
Mais pendant cette période, notre business se comporte tout à fait différemment. Personne n’est plus dégagé de ses responsabilités. Au contraire, ils injectent même des ressources personnelles, ils ne sont pas avides. Tous les gens se comportent différemment, mais je dis que de manière générale, les entreprises se comportent de manière très sociale, ce dont je suis très reconnaissant à ces personnes et je veux qu’elles m’entendent.
Il n’y a donc pas aujourd’hui d’économie purement planifiée. Prenez la Chine – s’agit-il d’une économie purement planifiée ? Non. Et il n’y a pas d’économie de marché pure. Néanmoins, les fonctions de régulation de l’État sont certainement importantes. Par exemple, dans les industries mondiales telles que l’industrie aéronautique, sans pour autant que cette régulation soit partout, que cette fonction de régulation soit visible ou non, vous ne pouvez pas exister sur ce marché sans elle. Et nous voyons que tous les pays qui se disent constructeurs d’avions, tous fournissent une assistance à leurs constructeurs d’avions par l’intermédiaire de l’État, tous. Et il existe de nombreuses façons de les soutenir.
D’ailleurs, il se passe beaucoup de choses dans l’industrie automobile et dans d’autres secteurs. Il nous suffit donc de déterminer nous-mêmes quel doit être le niveau de présence de l’État dans l’économie, à quel rythme et si elle est nécessaire, et où réduire la présence de l’État. J’entends très souvent dire que l’État est trop présent dans l’économie. Et lorsqu’il y a des situations comme la pandémie actuelle, lorsque nous sommes obligés de limiter les activités des entreprises, lorsque le volume des transports diminue, par exemple, et pas seulement le transport de marchandises, mais aussi le transport de passagers, lorsque la question se pose : que faire de l’aviation, les passagers ne prennent pas l’avion ou le prennent trop peu, que faire de l’aviation – l’État est nécessaire, on ne va nulle part sans le soutien de l’État.
Par conséquent, je le répète, il n’y a rien de pur – il n’y a pas d’économies d’État ou de marché pures aujourd’hui, mais nous devons simplement déterminer le niveau de présence de l’État dans l’économie. Et nous devons procéder à partir de quoi ? La raison. Vous ne pouvez pas agir selon un modèle, bien que jusqu’à présent nous avons réussi à le faire. Je vous l’ai dit, le déclin du PIB dans les économies développées, dites développées, en Europe, est de plus de 14 %. Quelle est l’ampleur de la croissance du chômage dans la zone euro ? Je pense qu’il y a déjà 10 % de plus. Nous avons progressé, mais nous sommes toujours à environ 6,3 %, ou moins. Tout cela est le résultat d’une réglementation gouvernementale.
Et l’inflation aussi. Nous nous sommes battus contre l’inflation. N’est-ce pas là la fonction de régulation du gouvernement ? Bien sûr, la Banque centrale et le gouvernement sont les plus importantes, parmi les plus importantes institutions de l’État. Par conséquent, grâce aux efforts combinés de la Banque centrale et du gouvernement – parce que le gouvernement, à travers ses programmes sociaux et ses projets nationaux, investit des ressources importantes et influe sur l’état de la politique monétaire – qu’avons-nous réalisé ? Quatre pour cent d’inflation. Nous avons maintenant 3,9 %, et j’ai parlé au président de la Banque centrale, il est très probable que nous serons dans les valeurs attendues – environ 4 %.
C’est pourquoi on ne peut rien faire sans la fonction de régulation de l’État. Mais étouffer le développement, soit par la présence excessive de l’État dans l’économie, soit par une réglementation excessive, serait également fatal. Vous savez, tout ceci tient de l’art, que le gouvernement de la fédération de Russie applique habilement, du moins pour l’instant.
F. Loukianov : Vladimir Vladimirovitch, puisque vous avez parlé vous-même de « cupidité », je ne peux pas m’empêcher de demander. Ces deux derniers jours, une discussion très animée a eu lieu sur la proposition du ministère des Finances de réduire le nombre d’agences de maintien de l’ordre et de modifier leurs salaires et retraites. Pensez-vous qu’il s’agit d’une mesure opportune ? Nous avons une crise, donc nous devons réduire les dépenses ?
V. Poutine : Le ministère des Finances le propose tout le temps. Qu’il y ait une crise ou non – le ministère des Finances est constamment en faveur de l’optimisation des dépenses. En général, c’est ce que font presque tous les ministères des Finances dans tous les pays, le ministère des Finances russe ne propose rien d’original.
Nous n’avons pas encore de décisions prévues. Nous n’avons pas l’intention de réduire ou d’augmenter quoi que ce soit. Ce n’est qu’une des propositions du ministère des Finances. Je ne l’ai même pas encore reçue. Tout cela est une discussion entre les agences gouvernementales. Lors de la prise de décisions finales, je partirai bien sûr de la situation réelle de l’économie, de la situation réelle liée aux revenus des citoyens, y compris des employés de la sphère du maintien de l’ordre, de la structure militaire, de l’organisation militaire de l’État, du rapport entre leurs revenus et le secteur civil. De nombreux facteurs entrent en jeu pour éviter qu’il y ait une distorsion sur le marché du travail, etc. Je le répète encore une fois : concrètement, ces questions ne sont pas encore discutées. Ce sont juste des débats au sein du gouvernement de la fédération de Russie.
F. Loukianov : Très bien. Voilà déjà un résultat de notre conférence : les militaires peuvent reprendre leur souffle. Et je voudrais donner la parole à notre vieil ami et personne qui aide beaucoup le Club Valdaï – Samuel Charap de Washington [il est en fait à la RAND Corporation, un think tank américain russophobe – note de la traductrice]. Il a toujours été là, mais il est au travail aujourd’hui. Nous sommes en mesure d’établir une connexion avec lui. Samuel, s’il vous plaît.
S. Charap : Bonjour, Vladimir Vladimirovitch ! Je voulais revenir sur votre initiative visant à rétablir la confiance dans le cyberespace, dont vous avez parlé dans votre discours. Beaucoup de gens se demandent si l’on peut avoir confiance dans les résultats des négociations ou dans les conditions préalables à celles-ci. Et dans ce cas-ci, il ne s’agit pas seulement de la campagne électorale, mais de la ferme conviction de tant de personnes à Washington, et pas seulement à Washington, que la Russie, l’État russe, travaille activement dans ce domaine, intervient activement, etc. Serait-il possible d’envisager une sorte de trêve dans ce domaine afin de créer une base de négociation, de créer un niveau minimum de confiance comme condition préalable dans ce cas et d’obtenir davantage par le biais de nouvelles négociations ? Et à quoi ressemblerait une trêve numérique, si je peux m’exprimer ainsi ?
V. Poutine : Écoutez, en ce qui concerne la cybercriminalité, elle a évolué avec le développement des technologies numériques, elle existe et elle existera probablement toujours, comme n’importe quelle autre criminalité. Mais lorsque nous parlons de relations entre États, ce n’est pas par hasard que dans mon discours d’ouverture, j’ai mentionné le dialogue entre l’URSS et les États-Unis dans le domaine de la limitation des armes offensives.
Nous avons convenu de maintenir ces armes à un certain niveau. Mais nous proposons également de conclure le même accord dans le domaine qui se dessine actuellement sous nos yeux et qui est extrêmement important pour le monde entier et pour nos pays. Et nous devons discuter de ces questions dans un contexte général et parvenir à des décisions.
Vous parlez d’une trêve, mais je ne sais pas vraiment de quelle trêve vous parlez ? Je pense que c’est le cas. Vous avez dit que la Russie travaille activement, qu’elle interfère activement. Je dis : nous n’intervenons nulle part. Et qui plus est, toutes les enquêtes qui ont été menées officiellement aux États-Unis, y compris le recours à une institution telle que le procureur spécial, n’ont rien donné. Elles ont conduit au fait qu’il n’y avait aucune preuve de l’intervention russe. Je pense donc qu’il n’est pas nécessaire de fixer des conditions préalables à l’ouverture de ce dialogue. Nous devons nous asseoir et conclure un accord immédiatement. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Nous ne proposons rien qui ne réponde aux intérêts de nos partenaires. Si quelqu’un pense que quelqu’un d’autre s’immisce dans ses affaires, établissons des règles communes et développons des outils pour vérifier et contrôler la manière dont nous respectons nos accords. Je ne comprends même pas cette insistance, franchement.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Directeur de l’IMEMO, notre institut phare des relations internationales, Fiodor Voïtolovsky. S’il vous plaît.
F. Voïtolovsky : Cher Vladimir Vladimirovitch ! Dans votre discours d’aujourd’hui, vous avez évoqué l’un des problèmes les plus brûlants de la politique mondiale : le contrôle des armements. Tout au long de la guerre froide, en particulier dans sa phase finale, l’Union soviétique et les États-Unis, grâce aux efforts titanesques des deux parties, ont mis en place un système de traités et un système de mesures de confiance qui déterminent la quantité potentielle d’armes et réduisent le risque de conflit. Au cours des 20 dernières années, nos partenaires américains ont constamment démantelé ce système avec une grande facilité : d’abord le traité ABM, puis le traité sur l’élimination des missiles à moyenne et courte portée et le traité « ciel ouvert ». Aujourd’hui, de manière générale, la question de l’extension du traité sur la limitation et la réduction des armements stratégiques offensifs est très difficile à résoudre. À cet égard, j’ai une question : Vladimir Vladimirovitch, pensez-vous que le système de contrôle des armements dans son ensemble a un avenir et quelles nouvelles mesures peuvent être prises à cet égard ? Je vous remercie.
F. Loukianov : J’ajouterai immédiatement qu’il y a toute une vague de questions sur le traité START et surtout sur la dernière initiative, qui remonte à deux jours, et beaucoup de perplexité, notamment : qu’est-ce que cela signifie et est-ce que la Russie n’a pas fait de trop grandes concessions ?
V. Poutine : Vous avez demandé s’il y avait un avenir pour de tels traités de limitation des armements. À mon avis, le monde n’aura pas d’avenir s’il n’y a pas de restrictions dans la course aux armements – c’est ce à quoi nous devons tous penser, c’est ce à quoi nous encourageons tous nos partenaires à penser.
Tout le monde le sait, vous avez maintenant dressé une liste – il n’y a pas encore de sortie du traité ABM, du traité sur les missiles de courte et moyenne portée, du traité « ciel ouvert » – mais aux États-Unis, ils ont dit avoir entamé la procédure de retrait de ce traité. Pourquoi, pour quels motifs – ils n’expliquent même pas pourquoi. Ils ne donnent tout simplement pas d’explication.
Les Européens nous disent : laissez-les sortir et vous, ne sortez pas. Je dis : Bonjour, c’est un bon scénario, vous êtes tous membres de l’OTAN, donc vous allez voler dans notre ciel, transmettre toutes ces informations aux Américains, et nous ne pourrons pas faire la même chose, parce que nous resterons dans ce traité, donc ne jouons pas les idiots et parlons entre nous honnêtement. En fait, je comprends que les partenaires européens des États-Unis voudraient que les États-Unis restent dans ce traité, afin que rien ne soit détruit dans ce domaine.
Quant au traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF), je ne veux pas en parler, nous en avons parlé à maintes reprises. Si, dans le cas du retrait du traité de défense antimissile, les États-Unis ont agi ouvertement, directement, impoliment, mais honnêtement, ils ont trouvé ici une excuse pour accuser la Russie d’avoir violé quelque chose et se sont retirés du traité. Si c’était le cas, si la façon dont nos partenaires américains nous représentent était vraie, ils l’auraient fait aussi et auraient violé tranquillement ce traité. Qui les en empêche ?
Non, ils ont juste pris cette mesure publiquement, de manière démonstrative, c’est tout. Ne me dites pas qu’ils sont tout blancs et tout gentils et qu’ils ne veulent rien faire en cachette. La question de la vérification, y compris dans le domaine des armes nucléaires – nous savons ce qui se passe là-bas : on y soude les couvercles ou on triche avec les avions, et il n’y a rien, nous ne sommes pas autorisés à y aller. Bien. Nous gardons le silence, mais les experts savent de quoi je parle. C’est juste une position pour prendre ces mesures, et les rendre publiques, bruyamment. Apparemment, il y a un but politique à tout cela. Parce que je ne vois pas de but militaire ici. Mais le meilleur est que ces questions de vérification, de contrôle seront mises en œuvre par toutes les parties contractantes et que tous nos accords seront protégés par ces systèmes de contrôle.
Passons maintenant à START 3. Lorsque nous avons abordé et négocié ces questions, nous avons pris en compte tous les problèmes. La seule chose qui manque encore est ce que la Russie avait en réponse au retrait des États-Unis du traité ABM, à savoir nos derniers systèmes d’armes hypersoniques de haute précision. Oui, les États-Unis ne disposent pas encore de tels systèmes, comme d’autres pays, bien que tout le monde y travaille et qu’un jour, ils apparaîtront également chez eux. Et on nous dit, nous entendons : vous l’avez, nous ne l’avons pas encore, nous devons en tenir compte. Eh bien, cela ne nous dérange pas, considérons-le. Ainsi que le nombre de porteurs et le nombre d’ogives. Cela ne nous dérange pas.
D’autres questions sont en cours de discussion. Mais quel choix avons-nous ? Le traité expire en février. Et ce que j’ai suggéré est une chose très simple, elle est sur la table. Rien de mal ne se passera si nous le renouvelons pour un an, ce traité, sans aucune condition préalable, et si nous travaillons dur sur toutes les questions qui nous préoccupent, nous et les Américains. Nous allons travailler ensemble et trouver des solutions.
Je veux dire, quel est le piège ? Après tout, jusqu’à présent, nous n’avons guère eu de conversation de fond. Nos partenaires ont tout simplement, pour dire les choses crûment, esquivé cette conversation professionnelle directe sur le sujet. Mais tout cela est arrivé à un tel point qu’en février de l’année prochaine, tout cela expire.
La question est la suivante : qu’est-ce qui est le mieux – garder le traité actuel tel quel et commencer à en parler de manière constructive, essayer de trouver un compromis d’ici un an ou perdre ce traité tout court et nous laisser, nous, les États-Unis et la Russie, et le monde entier en général, pratiquement sans aucun cadre juridique limitant la course aux armements ?
Je pense que la deuxième option est bien pire que la première. À mon avis, ce n’est tout simplement pas acceptable. Mais je l’ai dit et je tiens à le souligner à nouveau : nous ne nous accrochons pas à ce traité. Si nos partenaires décident que nous n’en avons pas besoin, eh bien, nous ne pouvons pas les retenir. Notre sécurité, la sécurité de la Russie n’en souffrira pas, surtout parce que nous disposons des systèmes d’armes les plus avancés. C’est la première partie.
La deuxième partie consiste à rendre ces accords multilatéraux en incluant nos amis chinois. Mais sommes-nous contre ? La Russie n’est pas contre, mais nous n’avons pas besoin de rejeter la responsabilité pour rendre ce traité multilatéral. Si quelqu’un veut le faire, qu’il le fasse. Cela nous convient. Sommes-nous un obstacle sur cette voie ? Non. Mais les arguments que nos amis chinois avancent sont très simples. Oui, la Chine est un pays immense, une grande puissance avec une économie énorme, 1,5 milliard de personnes. Mais le niveau de la capacité nucléaire est presque deux fois, sinon plus, inférieur à celui de la Russie et des États-Unis. Ils posent une question légitime : pourquoi devons-nous limiter ou geler nos inégalités dans ce domaine ? Alors, que répondre dans ce cas ? C’est le droit souverain d’un milliard et demi de personnes de décider comment elles jugent bon de construire leur propre politique de sécurité.
Nous pouvons, bien sûr, en faire un sujet de litige, de discorde et simplement bloquer tout accord. Permettez-moi, mais si vous voulez impliquer la Chine dans ce processus et signer, alors pourquoi seulement la Chine ? Où sont les autres puissances nucléaires ? Où est la France, qui vient d’annoncer dans la presse qu’elle a testé un autre système de missiles de croisière tirés à partir d’un sous-marin ? C’est aussi une puissance nucléaire. Le Royaume-Uni. Il existe d’autres puissances nucléaires qui ne sont pas officiellement reconnues comme telles, mais tout le monde sait qu’elles possèdent des armes nucléaires.
Alors qu’allons-nous faire, comme une autruche, nous cacher la tête dans le sable et prétendre que nous ne comprenons pas ce qui se passe ? Nous n’avons pas besoin d’un motif en damier sur la voiture [symbole des taxis – note de la traductrice], mais nous devons la conduire, donc nous devons en assurer la sécurité. Alors, impliquons-les aussi, faisons tout cela. Cela ne nous dérange pas. La seule question est de savoir s’il existe une base quelconque, s’il y a quelque chose à quoi aspirer, s’il y a un exemple, un exemple positif à suivre sous la forme d’accords entre les États-Unis et la fédération de Russie ou rien du tout. Nous sommes prêts à travailler à partir de zéro, du centre du terrain, si vous le souhaitez. Si vous demandez notre position, je pense qu’il est préférable de ne pas perdre ce qui a été réalisé auparavant, mais plutôt de dépasser les positions qui ont déjà été atteintes par les générations précédentes, par les dirigeants de nos pays. Mais si une autre décision est prise par nos partenaires, nous sommes prêts à travailler dans n’importe quel format et sur n’importe laquelle de ces pistes.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Anatol Lieven, également un de nos vétérans, qui, en raison des circonstances, n’a pas pu venir, mais est avec nous en vidéo. Je vous en prie.
A. Lieven : Merci beaucoup, Monsieur le Président, de vous être adressé à nous. Et je voudrais également vous remercier personnellement pour votre déclaration très forte sur le changement climatique et l’environnement. Ma question porte toutefois sur la nouvelle flambée de conflit dans le Haut-Karabakh. La Russie, comme d’autres membres de la communauté internationale, s’est efforcée de trouver une solution pacifique à ce conflit, mais ces efforts ont échoué jusqu’à présent. S’ils continuent à échouer, compte tenu des liens historiques anciens de la Russie et de l’alliance militaire de la Russie avec l’Arménie, faudra-t-il finalement que la Russie prenne parti contre l’Azerbaïdjan et la Turquie ? D’autre part, cela pourrait-il constituer une opportunité positive pour la Russie, étant donné la confrontation croissante que nous constatons entre la France et la Turquie au sujet des revendications de la Turquie en Méditerranée orientale ? Cela pourrait-il être l’occasion d’un rapprochement entre la Russie et la France et d’autres pays d’Europe occidentale ? Je vous remercie.
V. Poutine : Je n’ai pas très bien compris la dernière partie de la question, désolé. Quel est le rapport avec le conflit ?
F. Loukianov : Peut-il y avoir un rapprochement avec la France et l’Europe sur la base du fait que la Turquie s’oppose à eux et à nous dans une certaine mesure ?
V. Poutine : Je vois. Commençons par le début, avec le Haut-Karabakh et les personnes à soutenir. Vous avez dit que la Russie a toujours eu des liens particuliers avec l’Arménie. Mais nous avons toujours eu des liens particuliers avec l’Azerbaïdjan. Plus de deux millions d’Arméniens et environ deux millions d’Azerbaïdjanais vivent en Russie. Ce ne sont pas seulement des personnes qui sont venues travailler temporairement, mais aussi celles qui vivent ici de façon presque permanente. Ils dépensent des milliards de dollars – des milliards ! – pour subvenir aux besoins de leur famille tout en travaillant en Russie. Toutes ces personnes ont des liens très stables et étroits en Russie sur le plan humanitaire, interpersonnel, commercial, familial. Par conséquent, pour nous, l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont des partenaires égaux. Et pour nous, c’est une grande tragédie lorsque des gens y meurent. Nous voulons établir des relations approfondies avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Oui, il y a des facteurs dans chaque construction d’une relation avec un de ces pays qui diffèrent de notre relation avec un autre partenaire. Avec l’Arménie, c’est le christianisme. Mais nous avons des liens très étroits avec l’Azerbaïdjan dans d’autres domaines également.
En ce qui concerne la composante religieuse, je voudrais attirer votre attention sur le fait que près de 15 % de la population de la fédération de Russie est musulmane. Et donc même de ce point de vue, l’Azerbaïdjan n’est pas un pays étranger pour nous.
Mais ce que nous ne pouvons absolument pas oublier, c’est ce qui s’est passé dans l’histoire du peuple arménien, de la nation arménienne pendant la Première Guerre mondiale. L’énorme tragédie du peuple arménien. C’est la deuxième partie.
La troisième est que le conflit n’a pas commencé de manière simple comme un conflit interétatique et une lutte pour un territoire, il a commencé comme une confrontation ethnique. C’est aussi un fait, malheureusement, lorsque des crimes atroces ont été commis contre le peuple arménien à Soumgaït puis au Haut-Karabakh. Nous devrions tenir compte de tout cela comme un tout.
En même temps, nous comprenons que la situation dans laquelle une partie importante du territoire de l’Azerbaïdjan est perdue par le pays ne peut pas durer éternellement. Depuis de très nombreuses années, nous avons proposé diverses options pour résoudre cette crise afin de stabiliser la situation dans une perspective historique à long terme.
Je n’entrerai pas dans les détails maintenant, mais croyez-moi, c’était un travail difficile de faire converger les positions. À un moment donné, il semblait qu’encore un peu, un peu plus, un pas de plus et nous trouverions une solution. Malheureusement, cela ne s’est pas produit, et aujourd’hui nous avons un conflit dans sa pire forme. Et la tragédie, c’est que des gens meurent. Vous savez, il y a beaucoup de pertes des deux côtés. Selon nos données, il y a plus de 2 000 morts des deux côtés. Le nombre total de morts approche les 5 000.
Je signale que pendant les dix années de la guerre en Afghanistan, en Union soviétique, dans l’armée soviétique, 13 000 personnes sont mortes. Et ici, en si peu de temps – presque 5 000. Et combien de blessés y a-t-il ? Combien de personnes souffrent, combien d’enfants ? C’est pourquoi il s’agit d’une situation particulière pour nous.
Oui, le Groupe de Minsk a été créé, je crois, en 1992. La Russie, la France, les États-Unis. En tant que coprésidents, nous avons la responsabilité d’organiser ce processus, le processus de négociation. Mais, bien sûr, je suis sûr à cent pour cent que tous les participants à ce processus souhaitent sincèrement que la situation soit résolue, mais personne ne s’y intéresse autant que la Russie, car pour nous, tout cela est bien réel. Ce n’est pas seulement sous nos yeux, cela arrive à notre peuple, à nos amis, à nos proches au sens large. Nous adoptons donc une position qui nous permet de bénéficier de la confiance des deux parties et de jouer un rôle important en tant que médiateurs dans la résolution de ce conflit pour faire converger les positions. J’aimerais beaucoup qu’un compromis soit trouvé.
Comme vous le savez, je suis en contact très étroit avec le président Aliyev et le premier ministre Pachinian. Plusieurs fois par jour je leur parle au téléphone. Plusieurs fois par jour. Nos ministres des Affaires étrangères, nos ministres de la Défense, nos chefs des services secrets sont en contact permanent. Vous savez, les ministres des Affaires étrangères des deux pays sont venus nous voir une fois de plus. Pas aujourd’hui, je crois, mais le 23, ils se rencontrent à Washington. Je compte beaucoup sur nos partenaires américains pour agir à l’unisson avec nous, pour aider à résoudre ce problème. Espérons que tout ira pour le mieux. C’est le premier point.
Le second concerne les différends au sein de l’OTAN et entre la Turquie et la France. Nous n’abusons jamais des frictions qui surviennent entre les autres nations. Nous avons des relations stables, bonnes, je ne dirais pas parfaites, mais nous avons toujours une bonne perspective et au moins une bonne histoire de relations avec la France.
Notre coopération avec la Turquie se développe. La Turquie est notre voisin, et je peux vous dire en détail combien l’interaction entre nos pays est importante tant pour la Turquie que pour la Russie.
Je ne pense pas que quiconque ait besoin de notre activité de médiation ici. La Turquie et la France sont des États qui sont capables de gérer leurs relations entre eux, et quelle que soit la dureté de la position du président Erdogan, je sais qu’il est flexible et que vous pouvez trouver un langage commun avec lui. Je m’attends donc à ce que la situation se normalise aussi de ce point de vue.
F. Loukianov : Vladimir Vladimirovitch, une question complémentaire, si possible, car ce sujet est brûlant. Tout de même, la différence qualitative de la crise actuelle dans le Caucase du Sud est le rôle beaucoup plus actif de la Turquie qu’auparavant. Vous avez dit que le président Erdogan est un homme flexible. C’est possible. Vous avez passé beaucoup de temps avec lui. Cependant, de nombreux experts pensent qu’Erdogan poursuit en fait une politique d’extension de sa zone d’influence jusqu’aux frontières de l’ancien Empire ottoman. Et ce sont des frontières très larges, comme nous le savons, où beaucoup de territoires se sont trouvés. Dans le passé, la Crimée a d’ailleurs fait partie de cette zone. Il y a longtemps, mais quand même. Ne faut-il pas craindre que si c’est une politique continue, il y aura des divergences avec Ankara ?
V. Poutine : La Russie n’a peur de rien. Aujourd’hui, Dieu merci, nous ne sommes pas dans une position où nous devrions avoir peur de quelque chose.
Je ne sais pas ce que le président Erdogan prévoit de faire, ni ce qu’il pense de l’héritage ottoman. Vous lui demanderez. Je sais que nous avons plus de 20 milliards de dollars d’échanges commerciaux aujourd’hui. Je sais que la Turquie est vraiment intéressée par la poursuite de cette coopération. Je sais que le président Erdogan a une politique étrangère indépendante. Malgré les pressions, lui et moi avons mis en œuvre le projet Turkish Stream dans un laps de temps assez court. L’Europe et nous n’y arrivons toujours pas, nous traînons sur ce sujet depuis des années. L’Europe ne peut aucunement faire preuve d’une indépendance et d’une souveraineté élémentaires pour réaliser le projet Nord Stream 2, qui est absolument bénéfique pour elle. Mais avec la Turquie, nous l’avons fait assez vite, malgré toutes les vociférations. Connaissant et comprenant ses intérêts nationaux, M. Erdogan a déclaré que nous le mettrons en œuvre, et nous l’avons fait. Comme nous l’avons fait dans d’autres domaines, par exemple, dans la sphère de la coopération militaire et technique. La Turquie a décidé qu’elle avait besoin d’un système de défense anti-aérienne moderne, et le meilleur système au monde aujourd’hui est le S-400, un triomphe de la production russe, a-t-il déclaré et il l’a acheté. Ce n’est pas seulement agréable de travailler avec un tel partenaire, c’est aussi fiable.
Quant à certaines aspirations, – sur la Crimée, et autre, – je ne le sais pas, cela ne m’intéresse pas. Parce que les intérêts de la Russie sont protégés de manière fiable, et vous ne pouvez même pas en douter une seconde. Je suis sûr que nos autres partenaires le comprennent aussi très bien et qu’ils en sont conscients.
Quant à la position de la Turquie sur la non-reconnaissance de la Crimée russe. Eh bien, tout ne coïncide pas avec elle, ainsi que, disons-le, sur la situation dans le Caucase du Sud, nos points de vue diffèrent souvent. Mais nous connaissons aussi la position de l’Europe, des États-Unis. Ils se présentent tous comme d’authentiques démocraties, mais le fait que le peuple de Crimée a organisé un référendum – le summum de la démocratie – le fait que les gens sont venus, ont voté – cela n’intéresse personne.
Je l’ai déjà dit, ils imposent des sanctions aux Criméens. Si c’est une annexion, alors ils sont des victimes, alors pourquoi sont-ils sanctionnés ? Et s’ils ont voté, alors cela signifie qu’il s’agissait d’une manifestation de la démocratie, comment peut-on punir la démocratie ? Ce sont des conneries, des foutaises ! Mais c’est ce qui se passe. Alors pourquoi pointer du doigt Erdogan ? Regardez ce qui se passe dans d’autres pays.
Mais c’est une position constante : il ne reconnaît pas la Crimée, il ne reconnaît pas le Haut-Karabakh. De notre côté quoi ? Nous devons travailler sans relâche avec tout le monde, faire preuve de patience, ce que nous faisons, pour prouver à chacun que notre position est correcte, et nous la défendrons. Et lorsque nos positions et nos approches ne coïncident pas, nous devons rechercher un compromis.
Par exemple, je comprends que nos positions ne coïncident pas sur la situation dans le Caucase du Sud. Parce que nous pensons que ces questions controversées devraient être résolues non pas par la force, non pas avec des armes, mais diplomatiquement, à la table des négociations. Oui, bien sûr, on peut dire que nous négocions depuis 30 ans, mais que cela ne mène à rien. Mais à mon avis, cela ne signifie pas que nous devons commencer à tirer.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Mais la position de M. Erdogan est, bien sûr, cohérente. Par exemple, il reconnaît la Chypre du Nord. Mais cela fait probablement partie de la flexibilité que vous avez mentionnée.
V. Poutine : Oui, vous avez raison, je suis d’accord. J’aurais dû le dire aussi, mais cela m’a échappé. Mais vous avez raison, la Chypre du Nord, oui. Mais, si je comprends bien, ils ne s’opposent pas, en Turquie, à ce que le pays se réunisse finalement, la seule question est celle des principes de cette réunification. Mais dans l’ensemble, vous avez raison.
F. Loukianov : Merci. Anatoly Vassilieviych Torkounov, recteur de l’IERIM (Institut d’État des Relations Internationales de Moscou).
A. Torkounov : Cher Vladimir Vladimirovitch ! Bien qu’il reste encore deux mois jusqu’à sa fin, je pense que nous percevons tous l’année 2020, comme l’année d’événements dramatiques et imprévisibles. Ce n’est pas une coïncidence si la blague selon laquelle si d’ici la fin de l’année nous rencontrons des extra-terrestres, personne ne sera surpris, est devenue si populaire.
Mais j’ai une question, bien sûr, pas sur les extraterrestres, que Dieu soit avec eux, qui vivra verra, mais une question liée à l’événement survenu en périphérie de nos frontières. Je vous remercie d’avoir répondu aujourd’hui de façon très détaillée, et de mon point de vue, de façon très intéressante – pour moi, en tant qu’expert, il était très intéressant de vous entendre parler du Caucase du Sud.
Mais de manière générale, les événements qui se déroulent partout près de nos frontières sont dramatiques. Par exemple, les événements au Kirghizistan. Il y a toujours eu toutes sortes de perturbations autour des élections, mais cette année, elles se sont déroulées selon un scénario très précis. Nous constatons que la situation en Biélorussie n’est pas non plus facile. Le problème du Donbass demeure. Je comprends que nous sommes peut-être déjà fatigués d’en parler. Nous connaissons votre position ferme et constante sur cette question.
Mais j’ai une question d’ordre général : comment voyons-nous aujourd’hui nos principaux objectifs politiques dans l’espace post-soviétique, étant donné que cela affecte bien sûr directement notre sécurité et nos relations humanitaires ? Vous avez souligné plus d’une fois aujourd’hui que ces personnes ne nous sont pas étrangères, en parlant du Caucase, mais cela concerne aussi nos amis d’Asie centrale et nos amis de Biélorussie et d’Ukraine. Je vous remercie.
V. Poutine : Vous savez mieux que quiconque, vous êtes une personne très expérimentée et professionnelle avec un grand P, notre politique dans l’espace post-soviétique au sein de la CEI est la principale composante de notre politique étrangère en général. C’est compréhensible, car tous les pays que vous avez énumérés, et tous les autres pays avec lesquels nous avons de bonnes relations, des relations excellentes, multilatérales, et ceux avec lesquels notre situation actuelle ressemble dans certains cas à une impasse – tous ces pays ne nous sont pas étrangers. Ce ne sont pas des étrangers quelque part par-delà les mers, et sur lesquels nous savons peu de choses. Évidemment : nous avons vécu au sein d’un même pays pas seulement pendant de nombreuses années, mais pendant des siècles. Nous avons des liens très forts, nous avons une coopération très profonde dans le domaine économique, et humanitaire, nous parlons tous la même langue. D’une façon ou d’une autre, à une échelle plus ou moins grande, nous sommes essentiellement tous des gens issus d’un même espace culturel. Je ne parle pas de l’histoire. Nous avons une histoire commune, une victoire commune sur le nazisme. Nos ancêtres, nos pères, nos grands-pères, avec leur sang, ont cimenté notre relation spéciale. Et quoi qu’il arrive aujourd’hui, quelle que soit la difficulté de la situation politique actuelle, je suis sûr que cet intérêt commun finira par ouvrir la voie à la relance de nos relations avec tous ces pays.
En même temps, et c’est également une évidence, lorsqu’il s’est agi de l’effondrement de notre État commun, l’URSS, ceux qui l’ont fait n’ont pas réfléchi aux conséquences géopolitiques que cela aurait, alors qu’ils auraient dû le faire. Car il était évident que les pays voisins ont toujours eu non seulement des intérêts convergent, mais aussi divergents, et qu’il est toujours possible que chacun essaye de tirer la couverture à soi. Je pense que nous pouvons, devons et allons trouver toutes les solutions pour ces problèmes complexes. Il faut non seulement éviter d’exacerber la situation, d’exagérer mais il faut aussi se concentrer sur les questions qui suscitent la controverse, et examiner ce qui peut et doit nous unir. Pourquoi ? Nous avons des intérêts communs.
Dans le domaine de l’intégration économique, qui n’est pas intéressé à ce que nous soyons intégrés économiquement ? Seulement nos concurrents. Et tous les pays de l’espace post-soviétique ne peuvent que comprendre, en tout cas, les gens intelligents ne peuvent que comprendre que l’unification des efforts en utilisant une infrastructure commune, un système de transport commun, un système énergétique commun, une langue commune qui ne nous divise pas mais nous unit, etc., etc., sont des avantages compétitifs clairement établis, pour l’acquisition desquels certaines associations et structures économiques se battent depuis des décennies, et dans nos pays tout cela nous est donné par nos ancêtres. Nous devons en tirer profit, et c’est bénéfique pour nous tous. C’est tout à fait exact, et c’est rentable.
Regardez, en Ukraine il y a eu une révolution en 2004, puis une autre révolution en 2014, un coup d’État. Le résultat ? Lisez les statistiques des services statistiques ukrainiens eux-mêmes : le déclin de la production, comme s’ils avaient plus d’une pandémie dans leur pays. Certaines industries dont toute l’Union soviétique et l’Ukraine elle-même étaient fières : la construction aéronautique, la construction navale, la construction de fusées – c’est ce que des générations de citoyens de l’Union soviétique, de toutes les républiques ont créé et ce dont, bien sûr, l’Ukraine pouvait et devait être fière – il n’en reste presque plus rien. La désindustrialisation de l’Ukraine est en cours. C’était probablement la république la plus industrialisée, pas juste une des plus industrialisées. La fédération de Russie, bien sûr, Moscou, Saint-Pétersbourg, la Sibérie, l’Oural – très bien, mais c’était l’une des républiques les plus industrialisées. Où se trouve tout cela maintenant et pourquoi cela a-t-il été perdu ?
C’est juste de la stupidité de la part de ceux qui l’ont fait, juste de la stupidité, c’est tout. J’espère que nos intérêts communs feront triompher le bon sens.
Vous venez de mentionner la Biélorussie – oui, nous avons vu ces processus houleux là-bas. Mais sur quoi voudrais-je attirer votre attention ? Le fait que, comme vous l’avez remarqué, la Russie n’a pas interféré avec ce qui se passait là-bas. Nous espérons que personne n’interviendra, que personne ne favorisera ce conflit dans son intérêt et n’imposera certaines décisions au peuple biélorusse. Je l’ai déjà dit dans mon discours d’ouverture : rien de ce qui vient de l’extérieur dans telle ou telle structure, telle ou telle nation, telle ou telle ethnie ne fonctionnera si les spécificités de la culture, de l’histoire du peuple ne sont pas prises en compte. Il est donc nécessaire de donner aux Biélorusses eux-mêmes la possibilité de faire face à l’ensemble de la situation dans le calme, et de trouver des solutions appropriées. Entre autres choses, ces solutions résident peut-être dans l’adoption d’amendements à la Constitution existante ou dans l’adoption d’une nouvelle Constitution. Le président Loukachenko l’a dit publiquement. Bien sûr, les gens peuvent dire : eh bien, maintenant il va y écrire quelque chose bénéfique pour lui, et ce type de constitution n’aura rien à voir avec la démocratie. Mais, vous savez, vous pouvez tout dénigrer, vous pouvez tout regarder avec scepticisme. Je vous l’ai déjà dit, donc je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais ce qui s’est passé en Biélorussie est heureusement différent de ce qui s’est passé dans les rues de certaines grandes villes des démocraties développées, vous le savez ? Oui, il y a eu des mesures sévères, je vous l’accorde, et peut-être même injustifiées, mais alors ceux qui les ont autorisées doivent être tenus pour responsables. Mais en général, si vous comparez et regardez les photos – au moins personne n’a tiré sur un homme désarmé dans le dos, c’est ce que je veux dire. Alors, restons calmes.
C’est la même chose pour le Kirghizistan, par exemple. Il me semble que ce qui se passe là-bas est un malheur pour le Kirghizstan et le peuple kirghize. Chaque fois qu’ils ont des élections, ils ont aussi un coup d’État. Qu’est-ce que cela signifie ? Ce n’est pas drôle. Savez-vous ce cela signifie ? Dans nombre de ces pays, ils font leurs premiers pas vers leur propre statut d’État, vers la formalisation de ce statut et la formation d’une culture de développement de l’État.
Je l’ai déjà dit à mes collègues à de nombreuses reprises : tous nos pays post-soviétiques devraient être traités avec une attention particulière et nous devrions soutenir ces germes d’État avec beaucoup de prudence, sans nous immiscer avec des conseils ou des recommandations venant de l’extérieur, et éviter encore plus toute interférence. Parce que cela détruit les fragiles institutions de souveraineté et d’État qui viennent juste d’émerger dans ces pays. Il est nécessaire de donner aux gens la possibilité de construire eux-mêmes ces relations au sein de leur société, en montrant simplement des exemples, mais pas de se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec des propositions et des millions, pour soutenir l’une ou l’autre partie.
J’espère vraiment que nous avons aidé le Kirghizstan, en tant que membre de l’OTSC, à se remettre sur pied, nous avons investi des centaines de millions de dollars pour soutenir l’économie kirghize et diverses industries, pour aider le Kirghizstan à s’adapter afin qu’il puisse entrer dans l’OTSC. Cela vaut également pour les services phytosanitaires, les systèmes douaniers, etc., simplement pour le développement de certains secteurs de l’économie et de certaines entreprises. Nous avons déjà mis en œuvre 500 millions de dollars de projets, mais c’est la dernière fois. Je ne parle pas des subventions, que nous accordons également chaque année pour un montant de plusieurs dizaines de millions de dollars.
Mais bien sûr, nous ne pouvons pas regarder sans compassion et sans inquiétude ce qui se passe là-bas. Mais, j’attire votre attention là-dessus, nous ne les pressons pas de conseils, de directives ou de soutien à certaines forces politiques. J’espère vraiment que tout va se normaliser au Kirghizistan, que tout va se remettre sur pied, que le Kirghizistan va se développer et que nous allons garder de bonnes relations avec lui.
Il en va de même pour la Moldavie. Nous voyons ce qui se passe autour de la Moldavie et nous connaissons les besoins du peuple moldave, tant en termes de démocratie que de développement économique. Mais qui achète le vin moldave ? La France achètera le vin moldave ? Qui en a besoin sur les marchés européens ? Là-bas, il n’y a aucun débouché. Là-bas, lors du transport des produits viticoles d’un pays à l’autre, même au sein de l’Union européenne, les agriculteurs sont arrêtés sur la route et tout est jeté dans un fossé, versé simplement dans un champ.
Il ne s’agit pas seulement du vin, mais d’autres secteurs de l’économie sont tellement liés à la Russie qu’ils ne peuvent tout simplement pas exister normalement, tout du moins pour l’instant. À part sur le marché russe, cette production n’est demandée nulle part ailleurs. D’ailleurs, c’est ce qui est arrivé à l’Ukraine. Par conséquent, nous espérons vivement que le peuple moldave appréciera les efforts déployés par le président sortant pour établir des relations avec la Russie lors des prochaines élections.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Hans-Joachim Spanger, de Francfort, nous a rejoints. Encore une fois, je ne pense pas qu’il ait manqué une seule réunion, et le voilà.
H. J. Spanger : Merci beaucoup Fiodor. Monsieur le Président, permettez-moi de passer à une question qui concerne le nom d’un homme dont on dit qu’il n’est pas prononcé officiellement par le Kremlin, du moins ouvertement. Je parle d’Alexeï Navalny. Dmitri Trenine, directeur du Centre Carnegie de Moscou, a récemment déclaré, je cite « L’empoisonnement du leader de l’opposition Alexeï Navalny est devenu un tournant dans les relations russo-allemandes ». Selon lui, cela signifie qu’en fait, je cite : « le rôle particulier joué par l’Allemagne et la chancelière allemande ces dernières années appartient au passé. Dorénavant, l’Allemagne traitera la fédération de Russie de la même manière que tous les autres pays d’Europe occidentale ». Ma question est la suivante : partagez-vous l’opinion selon laquelle, tout d’abord, l’Allemagne a joué un rôle si particulier dans les relations bilatérales russo-allemandes ? Et, deuxièmement, pensez-vous qu’il s’agit en fait d’un tournant ? Et si c’est vraiment le cas, que peut faire la Russie pour inverser ce processus ? Ou, au contraire, laisser ce tournant derrière soi et aller de l’avant ?
V. Poutine : Je vais commencer par votre question sur l’empoisonnement. Nous avons entendu parler à maintes reprises d’empoisonnements ici et là, ce n’est pas la première fois que cela se produit – c’est le premier point.
Deuxièmement : si les autorités voulaient empoisonner le personnage dont vous parlez ou quiconque, il est peu probable qu’elles l’envoient se faire soigner en Allemagne, n’est-ce pas ? Dès que la femme de ce citoyen a pris contact avec moi, j’ai immédiatement demandé au bureau du procureur de vérifier s’il était possible de l’envoyer à l’étranger pour y être soigné, en gardant à l’esprit qu’ils ne l’auraient peut-être pas laissé sortir, car il avait des restrictions liées à une enquête judiciaire et à une affaire pénale. Il avait une interdiction de voyager. J’ai immédiatement demandé au bureau du procureur général l’autorisation de le faire. Il est parti.
Puis on nous a dit qu’il y avait des traces du fameux Novitchok connu dans le monde entier. Je leur demande de nous donner les éléments. Le premier est l’échantillon biologique et la conclusion officielle, afin que nous puissions à notre tour enquêter et que nous ayons des raisons officielles et légales d’engager une procédure pénale. Qu’est-ce qui est si inhabituel dans tout cela ? Le bureau du procureur général, conformément à nos accords avec l’Allemagne, a demandé à plusieurs reprises de nous fournir ces éléments. Qu’est-ce qui est si inhabituel ? De plus, j’ai suggéré, lors d’une de mes conversations avec un des dirigeants européens, que nos spécialistes viennent en Allemagne avec des spécialistes français, allemands, suédois, travaillent sur place, et prennent des échantillons. Et nous pourrions utiliser ces échantillons comme base pour engager une procédure pénale. Et s’il s’agit vraiment d’un événement criminel, nous pourrions mener une enquête. Mais cela ne donne rien. Comment vous l’expliquez, pourquoi ? Il n’y a pas d’explication, il n’y en a pas. C’est bizarre ce qui se passe.
D’accord, ils ont dit avoir trouvé des traces de Novitchok. Puis tout a été transféré à l’OIAC, à l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques. Et soudain, ils nous disent : ce n’est pas du Novitchok, c’est autre chose. Alors, est-ce du Novitchok ou non ? Cela jette déjà le doute sur ce qui a été dit au début. Eh bien, enquêtons ensemble. Je le dis maintenant : si c’est le cas, nous allons assurément enquêter. Malheureusement, nous avons eu des cas où des personnalités publiques, des hommes d’affaires ont été visés. Et tout cela a fait l’objet d’une enquête en Russie, les coupables ont été trouvés et punis, ce qui est important, tous ont été punis. Dans ce cas également, nous sommes prêts à travailler avec un dévouement total.
En ce qui concerne les personnes de terrain, nous avons beaucoup de gens comme Saakachvili, mais je ne pense pas que ces gens représentent quelque chose pour l’instant… Ou peut-être que quelque chose leur arrivera aussi, une sorte de transformation, ce qui est bien en principe, ils deviendront eux aussi des personnes engagées dans la vraie politique, ne faisant pas seulement du bruit dans la rue. Alors, Occupy Wall Street, où cela en est ? Où ? Où est toute l’opposition informelle dans de nombreux pays européens ou aux États-Unis ? Il y a beaucoup de partis. Eh bien, où sont-ils ? Deux partis dominent la scène politique, c’est tout. Regardez ce qui se passe dans les rues.
C’est pourquoi nous développons le système politique russe et nous continuerons à le faire, en donnant à toutes les forces politiques – sérieuses, sincères, patriotiques – la possibilité de travailler dans le cadre de la loi en vigueur.
Quant au rôle de l’Allemagne. L’Allemagne et nous avons toujours eu de très bonnes relations dans les années d’après-guerre. À mon avis, cela est également dû dans une large mesure à l’existence de la République Démocratique Allemande, la RDA, à une certaine époque, qui était en fait pour l’Union soviétique le plus important, le principal allié en Europe. Et nous avons de très bonnes relations, tant au niveau national, qu’au niveau politique et économique. Je sais qu’il y a encore beaucoup de gens qui ont de la sympathie pour la Russie. Et nous l’apprécions.
D’ailleurs, l’Union soviétique a également joué un rôle décisif dans la réunification de l’Allemagne. Ce fut un rôle décisif. Certains de vos alliés aujourd’hui, les alliés de l’Allemagne, en fait, se sont opposés à la réunification de l’Allemagne, quoi qu’ils en disent. Nous le savons, nous l’avons toujours dans nos archives. Et l’Union soviétique a joué ce rôle. Je crois personnellement que c’était la bonne chose à faire, parce qu’on ne peut pas diviser un tout, et si le peuple a un quelconque désir, en l’occurrence d’unité, d’unification, on ne peut pas freiner ce désir par la force, personne n’en tirera profit. Et comment construire les relations entre l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest c’est, bien sûr, une question qui relève des Allemands eux-mêmes. L’Allemagne a-t-elle joué un rôle particulier, par exemple, un rôle de médiation entre la Russie et le reste du monde ou entre la Russie et le reste de l’Europe ? Je ne pense pas. La Russie est un pays qui n’a pas besoin d’intermédiaires.
En même temps, nous avons toujours eu des liens économiques, voire humanitaires, particuliers avec l’Allemagne. Quel est le rapport avec tout cela ? Est-ce parce que l’Allemagne a voulu jouer un rôle particulier ? Oh, non. Je pense que cela avait quelque chose à voir avec les intérêts de l’Allemagne elle-même. Jusqu’à présent, l’Allemagne se situe au deuxième rang en termes de chiffre d’affaires commercial avec la Russie. Elle a été la première, d’ailleurs. Mais la Chine est maintenant devant, nous avons deux fois plus de chiffre d’affaires avec la Chine qu’avec l’Allemagne. Néanmoins, je pense que plus de deux mille entreprises travaillent avec des capitaux allemands sur notre marché. Nous avons un volume d’investissement assez important et les entreprises allemandes sont très intéressées par le fait de travailler en Russie. Et nous en sommes heureux, car nous savons que ce sont des personnes sincères qui veulent développer des relations avec notre pays. Je rencontre régulièrement des représentants des entreprises allemandes. En tout cas, je pense qu’ils sont tous nos amis. Et le travail dans ce domaine fournit des millions d’emplois en République fédérale d’Allemagne même, car les biens produits par les entreprises allemandes vont sur le marché russe, ils sont achetés, ils sont demandés, et donc cela crée des emplois.
D’ailleurs, la coopération est assez profonde, dans de nombreux secteurs, et s’est développée ces dernières années. Toutes ces manifestations, je dirais, de la nature particulière des relations, de cet intérêt mutuel. L’intérêt mutuel est au cœur de ces relations, et non une quelconque volonté d’y jouer un rôle particulier. Et cet intérêt mutuel n’ira nulle part, malgré la conjoncture politique actuelle, et nous maintiendrons de telles relations quoi qu’on y fasse.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Nous allons rester en Europe encore un peu. Nathalie Tocci, de Rome, est avec nous. Nathalie, s’il vous plaît.
N. Tocci : Monsieur le Président, merci beaucoup ! C’est un honneur de participer. Vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence de l’importance du rôle central de l’État, d’un État fort. Mais vous avez également abordé la question de la coopération internationale. Vous avez dit que dans le domaine de la sécurité, des questions liées au changement climatique, on ne peut aller nulle part sans le rôle de l’État. J’ai une question sur le Caucase, toujours à propos du conflit du Haut-Karabakh. Nous espérons tous qu’il y aura une nouvelle trêve, un nouveau cessez-le-feu, et nous espérons tous que des résultats tangibles seront obtenus. Mais en l’état, le format tripartite du groupe de travail n’a produit aucun résultat. Il n’a pas été possible d’obtenir des résultats sous la forme de ce groupe au cours des dernières années. Pensez-vous que l’on devrait peut-être repenser cette structure ? Et une autre question sur le changement climatique, la soi-disant transition énergétique. Elle exige beaucoup de choses. Beaucoup de travail est fait dans l’Union européenne sur cette question. Environ 40 % de l’électricité doit déjà être produite à partir de sources d’énergie renouvelables, ce qu’on appelle le nouveau cap vert. Nous savons que la Russie est largement dépendante des combustibles fossiles, y compris pour ses exportations. Pour la Russie, c’est une condition préalable importante pour le développement économique. Dans votre discours d’ouverture, vous avez parlé de l’importance du format OPEP Plus. Nous savons que la Russie a joué un rôle très important dans la stabilisation des prix du pétrole et la réduction de la production. Mais à la lumière de la deuxième vague de l’épidémie, nous pensons que la demande de pétrole restera probablement assez faible. Une nouvelle contraction est-elle prévue en 2021 pour stabiliser à nouveau les prix si la demande ne se redresse pas ?
V. Poutine : Je commencerai par la première partie de votre question sur le format de négociation du groupe de Minsk : faut-il le modifier ou non ? Vous savez, Nathalie, je n’ai pas de réponse à votre question, malheureusement. Mais pour un certain nombre de raisons objectives, et non pas parce que je veux faire ressortir le rôle de la Russie, nous le comprenons tous : la Russie est là, à proximité de ce qui se passe. Ce sont nos voisins, nous avons des relations particulières avec ces pays, avec ces peuples, l’influence est très forte. J’ai déjà dit que nous avons 2,4 millions d’Arméniens et environ deux millions d’Azerbaïdjanais. Ils transfèrent des dizaines de milliards de dollars à leurs familles pour les aider. Mais ce n’est qu’un facteur parmi d’autres. Je ne parle pas de beaucoup d’autres : l’utilisation des marchés, les liens humanitaires, etc. Bien sûr que la situation ici est très différente de celle, par exemple, des liens entre les États-Unis et l’Arménie, les États-Unis et l’Azerbaïdjan, et même la Turquie et l’Azerbaïdjan, même s’il y en a. Donc, bien sûr, nous nous sentons une responsabilité particulière. Mais à cet égard, nous devons également être très prudents.
Mais dans ce contexte, il est très important pour nous d’avoir le soutien des États-Unis, de la France et des autres membres du groupe de Minsk, où il y a 10, 12 pays ? Il y a des pays européens, et la Turquie, d’ailleurs. Faut-il changer quelque chose à cet égard ? Je ne sais pas. Nous pouvons peut-être modifier un peu le format. Mais il est nécessaire de trouver des compromis constructifs acceptables pour les deux parties.
Je le répète encore une fois : depuis de nombreuses années, nous avons cherché ces compromis, en offrant, croyez-moi, avec beaucoup de persévérance, jusqu’aux détails, jusqu’au moindre kilomètre, pour être honnête. Toutes sortes de « couloirs » ont été proposés, ainsi qu’un échange de territoire. Mais ils ne l’ont pas accepté ! Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver de solution, et tout cela a conduit à la tragédie d’aujourd’hui. J’espère qu’elle mettra fin, finalement, à ces hostilités. Je suis d’accord avec ceux qui pensent, et avec vous, que la première chose à faire est d’arrêter immédiatement le combat, cesser le feu. En fait, nous nous sommes mis d’accord sur ce point lors d’une réunion à Moscou. Mais, malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de remédier à la situation. Nous continuerons à nous efforcer d’y parvenir.
Maintenant, le pétrole et tout ce qui s’y rapporte, la demande de pétrole, etc. Nous travaillons nous-mêmes sur d’autres types de sources d’énergie. Si nous sommes l’un des pays les plus riches en termes d’hydrocarbures, de pétrole et de gaz, cela ne signifie pas que nous ne devons pas penser à l’avenir. Nous pensons à l’énergie solaire et à l’hydrogène, nous y travaillons. De plus, nous travaillons également à l’amélioration de la situation actuelle. Vous savez probablement que nous avons pris une décision, en 2022, nous devons obtenir de nos 300 principaux pollueurs, pour ainsi dire, les 300 plus grands émetteurs de ces gaz, nous devons les faire passer aux technologies de pointe les plus accessibles, qui garantiraient la minimisation des émissions dans l’atmosphère et dans l’environnement en général de tout ce qui pollue, et réduire ces émissions de 20 % d’ici 2024. Mais nous comprenons qu’en travaillant seulement avec ces 300 entreprises et les 12 villes où elles sont principalement implantées, nous n’améliorerons pas fondamentalement la situation dans le pays. Et notre stratégie consiste à réduire de moitié toutes les émissions anthropiques d’ici 2030. Nous devons y parvenir, nous avons fixé cet objectif et nous persévérerons pour l’atteindre. Nous allons travailler dans ce sens.
Mais je ne pense pas qu’il soit réaliste, si tout le monde veut être compétitif, d’abandonner les hydrocarbures dans un avenir proche. Et la perspective à court terme, je pense, est de quelques décennies : 30-40-50 ans dans le futur. Mais c’est simplement irréaliste.
Ainsi, lorsque nous entendons parler d’innovations européennes dans le domaine des hydrocarbures, et les restrictions qui y sont liées, je ne sais pas sur quelle base sont faites ces propositions, conclusions et décisions. Sur la base d’une lutte politique intérieure ? Et ensuite, ces décisions sur les restrictions au commerce international et à la coopération sont-elles suivies ? Je ne pense pas qu’il y aura du bon dans tout cela. Ce qu’il faut ici, ce ne sont pas des restrictions, mais un travail commun et la volonté d’atteindre des objectifs communs.
Nous avons fait notre travail dans le cadre de l’accord de Kyoto. Nous avons fait tout ce que nous avons prévu. Nous sommes des participants actifs à l’accord de Paris et nous avons l’intention de tout faire. Ce n’est pas comme si nous allions abandonner. Au contraire, nous pensons que c’est la bonne chose à faire.
Dans mon discours d’ouverture, j’ai parlé du rythme auquel le permafrost commence à disparaître et de ce que cela peut entraîner pour l’humanité tout entière. Et pour nous. Nous avons beaucoup de systèmes de transport dans cette zone : transport par pipeline, pétrole, gaz, transport ferroviaire, zones résidentielles, des villes entières sont situées dans cette zone. C’est un problème énorme pour nous, nous sommes donc prêts et avons le désir, et nous travaillerons et ferons des efforts, tant par nous-mêmes qu’au niveau international, de lutter pour la protection de l’environnement afin de réduire les émissions anthropiques. Mais nous ne pouvons pas nous passer des hydrocarbures.
Mais le gaz est aussi une source d’hydrocarbures. C’est la source d’hydrocarbures la plus propre au monde. Et le nucléaire ? Vous pouvez dire n’importe quoi, faire peur à n’importe qui avec l’énergie nucléaire, les centrales nucléaires, mais c’est l’une des formes d’énergie les plus propres. De quoi parlons-nous ici ? Parlons du transport automobile électrique, mais d’où vient la source primaire ? Jusqu’à présent, en Europe, et dans le monde entier, on utilise en grande partie du charbon pour la production d’électricité. Oui, cela diminue, mais il est utilisé.
Pourquoi imposer des restrictions fiscales à l’utilisation du gaz ou même du diesel ? Et avec les méthodes modernes de nettoyage et d’utilisation, il peut être rendu extrêmement propre. Pourquoi, pour quoi faire ? Afin d’apporter un avantage concurrentiel à certains secteurs de l’économie dans tel ou tel pays, derrière lesquels se cachent certains hommes politiques ? C’est la seule explication que je puisse donner, et pas seulement une volonté d’améliorer la situation environnementale. Mais j’espère que des décisions judicieuses seront prises ici, et que nous pourrons trouver le juste équilibre entre les intérêts de l’environnement et ceux du développement économique.
En ce qui concerne la demande de pétrole et le travail dans le cadre d’OPEP Plus, nous sommes en contact avec tous nos partenaires : tant les Américains que les Saoudiens. Nous le faisons régulièrement au niveau ministériel. Il y a quelques jours à peine, j’ai de nouveau parlé au prince héritier d’Arabie Saoudite et nous nous consultons. Nous ne pensons pas qu’il faille encore changer quoi que ce soit à nos dispositions. Nous suivrons de près la reprise du marché. Vous avez dit qu’il avait chuté. Oui, mais il se rétablit, j’attire votre attention sur ce point, il croît. L’économie mondiale – oui, elle a chuté à cause de la pandémie, mais la consommation est en hausse. Cela inclut, bien sûr, nos solutions OPEP plus. Nous ne pensons pas qu’il faille changer quoi que ce soit pour l’instant. Mais nous n’excluons pas la possibilité de maintenir les restrictions de production actuelles ou de ne pas les supprimer aussi rapidement que nous l’avions prévu auparavant. Et si nécessaire, nous prendrons peut-être d’autres décisions sur la poursuite de la réduction. Mais jusqu’à présent, nous ne voyons tout simplement pas cette nécessité. Nous avons convenu avec tous nos partenaires que nous suivrons de près cette question.
La Russie, d’ailleurs, ne s’intéresse ni à la hausse des prix ni à leur baisse. Et dans ce cas, d’ailleurs, nos intérêts coïncident avec ceux de nos partenaires américains, et peut-être d’abord avec les partenaires américains, car si les prix du pétrole baissent de manière significative, comme nous le savons, le secteur des schistes bitumineux connaîtra de très grandes difficultés, pour ne pas dire plus. Mais les États-Unis, objectivement parlant, n’ont pas adhéré à l’accord OPEP Plus, mais ont de fait réduit leur production.
C’est pourquoi la quasi-totalité des acteurs du marché, tous les acteurs ont des intérêts proches ou identiques, comme le disent les diplomates. Mais nous partirons de la réalité, afin de ne pas nuire au marché. Mais, vous savez, il est aussi très important de ne pas nuire à l’exploration géologique, à la préparation de nouveaux puits. Si nous gardons le secteur de l’énergie comme un beau-fils et que nous continuons à faire remarquer qu’il est très mauvais, qu’il pollue tout, il n’y aura pas d’investissements, et les prix vont monter en flèche. C’est pourquoi nous devons aborder ce sujet de manière responsable et ne pas le politiser ici, ne pas parler à tort et à travers, surtout à ceux qui n’y comprennent rien, mais agir en fonction des intérêts de l’économie mondiale, des intérêts de son propre pays et rechercher des compromis entre la protection de la nature et le développement économique, en fournissant des revenus à nos citoyens, à nos familles. Ce n’est que dans l’équilibre de ces intérêts que le succès nous attend et tout le reste mènera à la destruction.
F. Loukianov : Vladimir Vladimirovitch, nous avons le plaisir, au Club Valdaï, de vous rencontrer assez régulièrement et de pouvoir échanger avec vous. Franchement, il me semble que vous avez tiré les leçons de la pandémie, d’une manière ou d’une autre, vous avez l’air très paisible sur tous les sujets. Je ne peux m’empêcher de vous demander : Vous qui parlez si bien de l’Europe, comment ressentez-vous le fait d’y être considéré comme un meurtrier, que des sanctions soient imposées à vos plus proches collaborateurs, que vous devez sans cesse vous justifier pour tout ? Et pourtant, c’est une sorte de pardon qui émane de vos propos.
V. Poutine : Vous savez, cela ne me touche pas beaucoup, parce que dans une certaine mesure, dans l’exercice de mes fonctions, je deviens cette fonction. Et cette fonction a pour but principal de garantir les intérêts du peuple russe, de nos citoyens et de l’État russe. Tout le reste, j’essaie de ne pas y faire attention, pour que cela n’interfère pas avec l’exécution de cette même fonction. Et je suis habitué à de telles attaques depuis longtemps, depuis 2000, l’année où nous avons activement lutté contre les groupes terroristes internationaux dans le Caucase. J’ai tout entendu et tout vu, comment on m’a dépeint : avec des crocs, et ainsi de suite, et sous tous les angles. Donc, je ne m’en soucie pas.
F. Loukianov : Merci. Passons de l’autre côté. Zhao Huasheng, Shanghai.
Zhao Huasheng : Bonjour, cher Monsieur le Président !
V. Poutine : Bonjour !
Zhao Huasheng : Merci beaucoup pour cette grande opportunité. Le thème de la réunion du Club Valdaï de cette année est « Leçons de la pandémie et nouveau programme : comment transformer une crise mondiale en une opportunité de paix ». Je paraphrase un peu : comment transformer la crise mondiale en une opportunité pour les relations sino-russes. Le monde change rapidement maintenant. Dans ces conditions, comment, selon vous, les relations sino-russes – politiques, économiques et de coopération régionale et internationale – devraient-elles être développées ? Quelles nouveautés peut-on attendre ? Je vous remercie.
V. Poutine : À la question « comment développer les relations sino-russes », je répondrai très brièvement : de la manière dont nous l’avons fait dernièrement, et de la manière dont nous le faisons maintenant. Les relations sino-russes ont atteint un niveau élevé sans précédent.
Je n’utiliserai pas le terme relations « particulièrement privilégiées », etc. Ce n’est pas une question de nom, mais de qualité de la relation. Et la qualité est telle que nous nous traitons mutuellement avec une grande confiance, nous avons établi des liens solides, durables et, surtout, efficaces dans tous les domaines.
Et mon ami – je peux le dire avec raison – le président de la République populaire de Chine, M. Xi Jinping, et moi-même, non seulement nous nous consultons constamment sur ce qu’il faut faire et comment le faire, sur la base de ce qui a déjà été réalisé, mais nous trouvons toujours un moyen d’aller de l’avant.
Vous savez très bien que nous travaillons également dans le domaine de l’aviation, de l’énergie nucléaire, que je viens de mentionner, en développant des relations commerciales. L’année dernière, le chiffre d’affaires a dépassé les 111 milliards. C’est loin d’être le chiffre d’affaires le plus élevé que nous aurions pu réaliser. Nous ferons certainement plus.
Nous développons des infrastructures, nous construisons des ponts, qui nous relient, au sens littéral du mot « ponts ». Nous développons des liens humanitaires, en travaillant sur de grands projets où nous nous complétons efficacement, y compris, d’ailleurs, dans le secteur de l’énergie, non seulement en les planifiant mais aussi en les mettant en œuvre.
La Chine est l’un des principaux actionnaires d’un certain nombre de grands projets russes visant à produire du gaz, puis à le liquéfier, du gaz naturel liquéfié, et où ? Non pas à la frontière avec la Chine, mais au nord de la fédération de Russie. Nous travaillons dans un certain nombre d’autres domaines. Et la coopération dans l’arène internationale, nous en avons sans doute déjà parlé à maintes reprises, est en effet un facteur de stabilisation très important dans les affaires mondiales. Et ce fait est absolument évident.
Je ne parle pas de notre coopération dans le domaine militaire et militaro-technique. Ici, nos relations sont traditionnelles et les volumes sont importants. Et ce n’est pas seulement une question d’achat et de vente. Il s’agit d’échanger des technologies. Nous sommes prêts à travailler davantage avec les amis chinois dans ce domaine – dans un esprit d’amitié et de respect mutuel visant à obtenir le meilleur résultat possible tant pour les Chinois que pour les Russes.
Et Shanghai, au fait, cette ville est jumelée avec ma ville natale, Saint-Pétersbourg. Je suis allé à Shanghai à plusieurs reprises. C’est une ville merveilleuse, très belle, et je souhaite tout le succès possible aux habitants de Shanghai.
F. Loukianov : Merci. Une autre question qui vient également de Chine. Pour clarifier un peu ce que vous avez dit. Le professeur Yang Xuetong pose une question très simple et directe : peut-on imaginer une alliance militaire entre la Chine et la Russie ?
V. Poutine : On peut tout imaginer. Nous avons toujours supposé que notre relation avait atteint un tel niveau d’interaction et de confiance que nous n’en avions pas besoin, mais théoriquement, il est tout à fait possible de l’imaginer.
Nous organisons régulièrement des événements militaires communs, des exercices en mer et sur terre, à la fois en Chine et dans la fédération de Russie, nous échangeons les meilleures pratiques en matière de construction militaire. Nous avons atteint un niveau élevé de collaboration dans le domaine de la coopération militaro-technique et, ce qui est peut-être le plus important, il ne s’agit pas seulement d’échanger des produits ou d’acheter et de vendre des biens militaires, mais aussi d’échanger des technologies.
Et il y a des choses qui sont très sensibles. Je ne vais pas en parler en public pour l’instant, mais nos amis chinois sont au courant. Notre coopération avec la Chine augmente sans aucun doute la capacité de défense de l’Armée populaire chinoise, la Russie s’y intéresse, et la Chine s’y intéresse. L’avenir montrera donc comment elle va se développer. Mais nous ne nous fixons pas une telle tâche pour l’instant. Mais en principe, nous ne l’excluons pas. Nous verrons bien.
Quoi qu’il en soit, nous sommes satisfaits de la manière dont les relations entre la Russie et la Chine dans ce domaine se développent actuellement. Malheureusement, nous avons aussi de nouvelles menaces. Par exemple, l’intention et la déclaration de nos partenaires américains concernant la possibilité de placer des missiles à moyenne et courte portée dans la région Asie-Pacifique ne peuvent bien sûr que nous alarmer, et sans aucun doute nous devrons faire quelque chose en réponse, c’est un fait évident.
Avant cela, bien sûr, nous devons voir exactement si quelque chose va arriver, ce qui va se passer, quelles menaces cela va nous poser, et en fonction de cela, nous allons répondre pour assurer notre sécurité.
F. Loukianov : Merci. Piotr Dutkiewicz d’Ottawa. Piotr, s’il vous plaît.
P. Dutkiewicz : Vladimir Vladimirovitch, merci beaucoup pour cette occasion unique de communiquer avec vous. Vous avez mentionné dans votre discours que les jeunes devront assurer l’avenir de la Russie et favoriser le développement de la Russie. Mais partout dans le monde, les jeunes sont très malheureux. Ce qui se passe aux États-Unis, en France, en Israël, etc., ils disent que nous leur avons fermé la porte d’un bon avenir. Selon les sondages d’opinion internationaux, plus de la moitié des jeunes pensent qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Mais cela ne les impressionne pas. Je voudrais donc vous demander, en tant que président de la fédération de Russie, que pouvez-vous conseiller, que pouvez-vous offrir à la jeunesse russe ?
V. Poutine : Je l’ai déjà dit dans mon discours d’ouverture, bien que très brièvement, mais je voudrais une fois de plus confirmer cette thèse : bien sûr, l’avenir est pour les jeunes – c’est le premier point.
Deuxièmement, les jeunes sont généralement insatisfaits non pas de ce qui se passe, mais de ce qu’ils ont réalisé jusqu’à présent et ils veulent plus. Et c’est bien cela, et c’est ce qui se trouve au cœur du progrès. C’est ce qui est au cœur du fait que les jeunes créeront un avenir meilleur que celui que nous avons réussi à créer. Et il n’y a rien de surprenant ni de nouveau. Nous le savons bien grâce à la littérature classique russe. « Pères et enfants », lisez-le, tout y est dit littéralement.
Mais que pouvons-nous offrir ? Nous partons du principe que nous offrirons davantage de possibilités de développement professionnel, que nous créerons davantage d’ascenseurs sociaux pour les jeunes. Nous allons étoffer cette boîte à outils, nous allons créer les conditions permettant aux gens de recevoir une bonne éducation, de faire carrière, de fonder une famille, d’obtenir le revenu nécessaire pour leurs jeunes familles.
Nous développons des mesures de soutien de plus en plus systématiques pour les jeunes familles. Même dans le contexte de la pandémie, j’attire votre attention sur le fait que la plupart de nos mesures de soutien visaient à aider les familles avec enfants. Et de quel type de familles s’agit-il ? Ce sont surtout des jeunes.
Nous continuerons à le faire dans l’espoir que les meilleures qualités des jeunes – c’est-à-dire le désir audacieux d’aller de l’avant, sans regarder certaines formalités qui limitent, peut-être, le mouvement des personnes plus âgées – seront orientées dans une direction positive et créative. Et à la fin, les jeunes prendront le relais des mains de la génération plus âgée et le porteront plus loin, renforçant ainsi la Russie.
F. Loukianov : Merci. Nous avons aujourd’hui une connexion peu ordinaire avec l’Australie. Je ne me souviens pas que nous ayons eu cela auparavant. Anton Roux, s’il vous plaît.
A. Roux : Merci beaucoup, Monsieur le Président, de me donner l’occasion de vous poser une question. J’apprécie vos remarques perspicaces et intéressantes. Nous avons un nouveau confinement à Melbourne, en Australie, qui, soit dit en passant, est également une ville jumelée à Saint-Pétersbourg. Je salue également votre appel à mettre de côté les mentalités de cloisonnement. Ma question est la suivante : Comment voulez-vous qu’on se souvienne de vous ? Quel héritage voulez-vous laisser en tant que leader mondial et président de la fédération de Russie ayant vécu pendant la première moitié du 21e siècle ? Comment voulez-vous que les historiens internationaux du monde entier écrivent sur vous et sur votre héritage en tant que dirigeant, homme et être humain à la fin du 21e siècle ? Et comment pourriez-vous façonner cela différemment au cours de la prochaine phase de votre mandat de président de la fédération de Russie ? Merci.
V. Poutine : Si la traduction est correcte, vous avez dit « qui a vécu au 21e siècle ». Mais, Dieu merci, vous et moi sommes vivants et nous vivons au 21e siècle. Et je vais vous dire franchement : je ne pense jamais en fonction des domaines que vous venez de mentionner. Je ne pense pas à mon rôle dans l’histoire, laissez les gens qui s’y intéressent y réfléchir. Je n’ai pas lu un seul livre sur moi.
Je travaille simplement au jour le jour, en résolvant les problèmes actuels et en regardant vers l’avenir afin que ces problèmes actuels n’entravent pas la réalisation des objectifs stratégiques. Il s’agit en fait d’un travail continu. Je me base sur ce que je dois faire aujourd’hui, demain, cette année ou dans une perspective de trois ans, en gardant à l’esprit que nous planifions le budget de la fédération de Russie pour les trois années à venir.
Bien sûr, nous pensons, comme je l’ai dit, à des objectifs stratégiques, nous avons donc préparé et nous mettons en œuvre des plans de développement nationaux, des projets nationaux. Mais cela n’a rien à voir avec mon désir de marquer d’une manière ou d’une autre ma place dans l’histoire. Il s’agit de quelque chose de complètement différent – de garantir les intérêts du peuple russe, de l’État russe, de renforcer la Russie.
Et comment ce qui se passe sera évalué par les générations futures – laissons cela à leur appréciation, à leur jugement. Mais lorsque ces évaluations seront données, je pense que ce ne sera plus très intéressant. En ce sens, je suis pragmatique et j’essaie de ne pas travailler pour mon image de leader mondial, que je ne considère franchement pas comme différente de mes collègues – leaders d’autres États, et je travaille pour renforcer le pays. C’est mon principal objectif et le sens de ma vie.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Mais je ne peux m’empêcher de me souvenir de votre propre interview il y a quelques mois, avant le référendum constitutionnel, le plébiscite, où vous disiez explicitement que la possibilité de rester après 2024 était une garantie contre les intrigues de la bureaucratie, de votre entourage, pour que personne ne cherche un successeur. Mais si c’est le cas, c’est un cercle vicieux : ils chercheront toujours et vous restez pour toujours.
V. Poutine : Non, il faut bien que ça se termine un jour, j’en suis parfaitement conscient. Et les modifications de la Constitution que vous venez de mentionner ne visent pas seulement à donner au chef d’État en exercice le droit d’être élu en 2024 ou même plus tard. Ces changements visent principalement à renforcer la souveraineté de la fédération de Russie, à définir nos perspectives de développement, à créer une base constitutionnelle solide pour le développement de l’économie, de la sphère sociale et à renforcer notre souveraineté. Et j’escompte que tout cela marchera.
Et ce qui se passera en 2024 ou plus tard, on verra quand le moment sera venu. En ce moment, tout le monde doit travailler dur, comme St François, chacun à sa place.
F. Loukianov : Merci. Alexander Rahr, s’il vous plaît.
A. Rahr : Vladimir Vladimirovitch, ma question est aussi à propos de la nostalgie. Je me souviens qu’il y a 20 ans, vous avez prononcé un discours historique en Allemagne, au Bundestag, où vous avez proposé un espace commun de Lisbonne à Vladivostok. Le regrettez-vous ? Mais ce que je voulais dire, c’est ceci. Les Français et les Allemands ont soutenu l’idée. Les Européens de l’Est ne l’ont pas soutenus, et les États-Unis ne le feront pas non plus, ce qui nous empêche de construire réellement des relations avec la Russie, comme je pense que beaucoup d’Européens le souhaiteraient. Si vous aviez l’occasion maintenant de vous exprimer à nouveau au Bundestag avec le même discours, y proposeriez-vous de travailler dans le domaine digital et peut-être un partenariat environnemental qui unirait l’Europe et la Russie, peut-être à nouveau en termes énergétiques ? Je pense que c’est une idée intéressante pour l’avenir.
V. Poutine : À propos de ce que je dirais si je parlais à Munich maintenant. Que s’est-il passé à l’époque ?
Quand j’ai parlé – c’était en 2007, n’est-ce pas ? – Beaucoup de mes collègues m’ont dit à l’époque : c’était un peu dur, pourquoi, ce n’était pas bon.
Et qu’est-ce que j’ai dit en fait ? Je vous le rappelle. J’ai dit qu’il est inacceptable qu’un pays projette son droit au-delà de ses frontières nationales et tente de subordonner d’autres États à ses lois. Quelque chose comme ça.
Que se passe-t-il maintenant ? Les dirigeants d’Europe occidentale ne disent-ils pas que les sanctions secondaires et l’extension de la juridiction américaine aux entreprises européennes sont inacceptables ?
S’ils avaient eu le courage d’écouter ce que je disais et d’essayer au moins de changer la situation, prudemment, sans détruire la solidarité atlantique et certains schémas structurels de l’OTAN et d’ailleurs… Pas ce que je disais, mais que c’est inacceptable, que c’est nuisible, et que c’est nuisible à tous, y compris à ceux qui le font.
Non, nos partenaires en Europe ne semblaient pas être concernés, et tout le monde regardait ailleurs ou, comme l’a dit Viktor Stepanovitch Tchernomyrdine, ça ne s’est jamais produit, et ça recommence. Ce qui se passait à l’époque se produit à nouveau. Je dis que c’est nuisible pour tous, y compris pour ceux qui poursuivent ou tentent de poursuivre cette politique d’exclusivité. Parce qu’elle détruit réellement les relations, l’interaction entre l’Europe et les États-Unis, et donc, en fin de compte, les États-Unis eux-mêmes. Pourquoi ?
Ce gain apparemment tactique et momentané que les États-Unis obtiennent aujourd’hui peut avoir des conséquences stratégiques négatives, détruisant la confiance. Ce ne sont pas mes affaires, nous nous rencontrons maintenant dans un club de discussion, alors je vais me laisser aller à philosopher. Mais c’est une chose tout à fait évidente.
Je n’ai donc rien dit d’inhabituel, de nuisible ou d’agressif à Munich en 2007. Mais si je devais parler maintenant, je ne dirais pas bien sûr, qu’ils n’ont pas écouté. Je ne le ferais pas, bien sûr, par simple respect pour mes collègues. Je comprends également les réalités qui étaient celles d’alors et celles d’aujourd’hui. Nous ne vivons pas tous quelque part dans un espace vide, mais dans des conditions bien réelles, les relations sont réelles, l’interdépendance est forte.
Nous comprenons tout, nous comprenons tout très bien, mais nous devons changer d’une manière ou d’une autre. Nous parlons d’un nouvel ordre mondial, eh bien, alors nous devons tenir compte de ces réalités dans la construction de relations internationales modernes, qui devraient être fondées, bien sûr, sur la prise en compte des intérêts des uns et des autres et sur le respect mutuel, sur le respect de la souveraineté.
J’espère que nous le ferons prudemment, calmement, sans détruire ce qui a été créé au cours des décennies précédentes, mais en tenant compte des exigences d’aujourd’hui, nous construirons des relations qui répondront réellement aux exigences d’aujourd’hui et aux intérêts de tous les membres de la communauté internationale.
F. Loukianov : Alexeï Yekaïkine. Puisque nous avons beaucoup parlé d’écologie aujourd’hui, nous ne pouvons pas passer celle-ci.
V. Poutine : Quelle heure est-il ?
F. Loukianov : Nous finissons, Vladimir Vladimirovitch. Nous avons déjà le sentiment d’avoir dépassé les limites, mais nous ne pouvons pas finir sans l’écologie.
V. Poutine : Nous ne le pouvons pas, je suis d’accord.
Alexeï Yekaïkine : Merci, Fiodor. Bonsoir Vladimir Vladimirovitch ! La question peut vous sembler quelque peu inattendue, bien que vous et moi nous soyons rencontrés plusieurs fois au cours de ces dernières années et en ayons discuté. C’est un sujet que je veux aborder à nouveau. En fait, il s’agit de l’Antarctique, car nous en avons parlé aujourd’hui même à la session sur le climat et, de manière générale, nous célébrons les 200 ans de la découverte de l’Antarctique.
Et voici de quoi il s’agit. Nous, en Russie, avons maintenant adopté une stratégie pour développer les activités de la Russie dans l’Antarctique, elle a été adoptée ou est en cours d’adoption. En particulier, dans le cadre de cette stratégie, une nouvelle station Vostok est en cours de construction, dans le centre de l’Antarctique, vous savez déjà tout cela.
Il peut sembler que tout va bien, de manière générale, l’investissement dans les infrastructures et tout le reste, et vous avez peut-être le sentiment que nous nous en sortons bien avec l’Antarctique. Hélas, ce n’est pas le cas, car la stratégie concerne en fait les infrastructures, mais il n’y a pas un mot sur la science. C’est une situation assez paradoxale, je dirais même étrange, c’est-à-dire que nous investissons dans les infrastructures, et la composante principale pour ce dont nous avons besoin, la science, les infrastructures pour la science, cette composante principale reste quelque part dans les coulisses.
Nous, à l’Institut de l’Arctique et de l’Antarctique, avons développé un projet du programme fédéral d’étude de la zone de la station Vostok pour les 15 années à venir, il est détaillé. Il y a deux thèmes principaux. Le premier thème est l’étude du climat du passé grâce aux carottes de glace, et c’est le lien le plus étroit avec le thème climatique. Oui il s’agit de forer la glace.
Et le deuxième thème est le lac sous-glaciaire Vostok, dont vous savez aussi qu’il est l’un des objets les plus uniques de la planète.
Ce sont deux sujets dans lesquels, en fait, nous, je veux dire les scientifiques russes, en général, sommes forts. Oui, nous ne sommes pas à la traîne de qui que ce soit dans ce domaine, nous sommes au niveau ici, nous sommes même en avance sur certains points, et pourtant, en Russie, il n’y a pas de soutien de l’État pour la recherche scientifique en Antarctique. Cela me semble étrange.
Ce projet a été envoyé au ministère des Ressources naturelles, à notre ministère compétent. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, nous ne savons pas où il est maintenant. Et la question est très simple : le gouvernement russe a-t-il la possibilité de soutenir nos efforts pour étudier l’Antarctique, ou ce sujet va-t-il être relégué aux oubliettes ? Il serait dommage de perdre la primauté dans ce domaine. Merci beaucoup.
V. Poutine : Alexeï, tout d’abord, le fait que vous, vos collègues, soyez arrivés jusqu’au lac Vostok et ayez fait cette découverte, que vous ayez atteint cette eau, qui est vieille de milliers d’années ou plus et qui n’était en aucune façon reliée au reste du monde, qui était sous la glace… Cela, bien sûr, est d’un grand intérêt pour des gens comme vous, les scientifiques en général, pour étudier ce qui est arrivé à la Terre, pour étudier comment le climat a changé.
Je l’ai vue, on m’a apporté ces échantillons, cette eau à l’époque. C’est très intéressant, c’est excitant. Mais le fait que l’infrastructure soit en cours de construction est aussi une préparation à la recherche. Je ne sais simplement pas ce qui est prévu en matière de budget pour cela. Vous avez dit que les infrastructures sont allouées et pas la recherche. Je ne pense pas que ce soit une grosse somme d’argent. Si le ministère des Ressources naturelles… Malheureusement, nous avons certaines réductions budgétaires en raison des difficultés bien connues de l’économie.
Je ne sais pas à quel point il était nécessaire de réduire les petites dépenses liées aux activités scientifiques en Antarctique. Je vous promets que je vais me pencher sur la question. Ceux qui ont commis une erreur seront punis.
F. Loukianov : Vladimir Vladimirovitch, vous avez dit dans votre discours que la guerre froide ne vous manque pas. Y a-t-il quelque chose qui vous manque ?
V. Poutine : Mes enfants, je les vois rarement.
F. Loukianov : Et bien sûr, au Club Valdaï, nous regrettons de ne pas pouvoir nous réunir normalement. Avec toutes les brillantes avancées technologiques, qui, comme nous pouvons le constater, nous permettent de nous rencontrer presque pleinement, nous aimerions encore pouvoir discuter en personne avec vous et entre nous l’année prochaine. Nous n’avons pas battu le record. Il y a eu un forum où Vladimir a passé encore plus de temps avec nous, mais nous nous en sommes rapprochés : nous avons parlé pendant près de trois heures avec le Président de la fédération de Russie, ce dont nous lui sommes cordialement reconnaissants. Merci beaucoup. Et nous allons essayer de reprendre rapidement le travail normal et nous vous attendons l’année prochaine.
V. Poutine : Merci beaucoup à vous, en tant qu’hôte.
Et maintenant, je voudrais m’adresser à tous les membres du Club Valdaï, à tous les experts, hommes politiques, journalistes qui travaillent au sein de cette structure. On peut dire que c’est déjà une structure, car elle fonctionne depuis de nombreuses années. J’espère que cela vous intéresse, que vous trouvez cela utile.
Et je vous remercie, bien sûr, de l’intérêt que vous portez à la Russie, à nos plans de développement, à notre histoire actuelle. Cela montre que vous êtes motivés, et il est très important pour nous de connaître votre opinion.
Je le dis très sincèrement, parce qu’en comparant ce que nous faisons, en comparant nos propres évaluations de notre développement, nos plans économiques, politiques, en les comparant avec vos idées sur ce qui est bon et ce qui est mauvais, nous trouvons les solutions les plus appropriées ou nous pouvons d’une manière ou d’une autre corriger nos plans.
Je tiens à vous en remercier et à vous souhaiter beaucoup de succès. J’espère également vous rencontrer en personne dans un avenir très proche.
Passez une bonne journée. Merci beaucoup.
F. Loukianov : Merci beaucoup. Au revoir !
V. Poutine : Au revoir !
source : Site officiel du Kremlin
traduction par Christelle Néant pour Donbass Insider
via http://www.donbass-insider.com/fr
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