Tout sépare Erdoğan et Poutine, jusque dans la manière de communiquer. Le premier éructe en tous sens, menace à tout va et se complaît dans les déclarations grandiloquentes dont la moitié ne sont jamais suivies d’effets. Le second ne parle jamais pour ne rien dire, privilégiant les actes aux palabre creuses. C’est ce qu’il vient de faire par quelques actions détonantes…
L’activisme néo-ottoman multi-directionnel d’Ankara commence sérieusement à déranger Moscou, ce n’est un secret pour personne. Mais plutôt que de se perdre en circonlocutions inutiles ou en plaintes futiles, l’ours trace ses lignes rouges sur le terrain. À grands coups de bombes ou de bases, seul langage compréhensible par le sultan.
Le transfert des barbus à destination du Karabagh n’est évidemment pas du goût des Russes. Les Turcs ne veulent pas nous écouter ? Très bien… En l’espace de deux jours, deux bombardements mammouth ont eu lieu dans le nord syrien. Le 24, plusieurs missiles ont pulvérisé des sites de contrebande pétrolière à destination de la Turquie, provoquant des dégâts très importants et nombre de victimes chez les modérément modérés.
Rebelote le 26 avec ce qui peut être vu comme un tournant : un camp d’entraînement de Faylaq Al-Sham a été atomisé, causant des pertes extrêmement lourdes parmi les petits protégés d’Ankara, de l’ordre d’une centaine de morts et autant de blessés. D’habitude fort jacassier, Erdoğan en est resté muet de stupeur et son prestige a dû en prendre un coup parmi les « rebelles ».
Tout aussi intéressant est le message. Un analyste proche du Kremlin a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas : le camp a été bombardé pour la bonne et simple raison que les mercenaires de Faylaq Al-Sham se préparaient à partir pour l’Azerbaïdjan. On imagine que les candidats au départ devraient être moins nombreux ces prochains jours…
En Arménie même, les Russes ont établi deux petites bases supplémentaires au plus près du Karabagh (étoiles rouges sur la carte), pour bien signifier aux Turco-Azéris où s’arrêtait la partie. Si Moscou ne prend par parti sur le statut de l’enclave elle-même qui, rappelons-le, a été reconnue (à tort ou à raison) par l’ONU comme appartenant à l’Azerbaïdjan, il est hors de question de toucher un cheveu de l’Arménie stricto sensu.
Comme si ça ne suffisait pas, Téhéran a également signifié la même chose de manière très nette : « La frontière irano-arménienne est une ligne rouge pour nous. Aucun changement géopolitique n’est acceptable dans la région. » Cette frontière (flèche orange) est une artère vitale pour l’Arménie, entourée d’ennemis à l’Est (Azerbaïdjan) et à l’Ouest (Turquie et enclave azérie du Nakhitchevan). C’est d’ailleurs par là que passent les avions russes à destination d’Erevan, auxquels seul l’Iran ouvre son espace aérien.
Autre signe du raidissement graduel de l’ours dans le conflit, le système de brouillage électronique Belladonna aurait descendu neuf des fameux drones turcs Bayraktar. Drones qui n’ont d’ailleurs de turc que le nom…
Mauvaise nouvelle pour Ankara, le Canada et maintenant l’Autriche ont d’ailleurs suspendu la livraison des composants cruciaux qu’ils fabriquaient pour ce drôle d’oiseau. Le sultan a intérêt à avoir fait des réserves…
Mais revenons à notre « belle dame ». Elle a ses quartiers dans la 102e base à Gyumri, très loin du théâtre d’opération donc. La presse russe, reprenant vraisemblablement des sources militaires, assure que ces drones n’ont été abattus qu’à proximité de la base, mais on se demande bien pourquoi ils se seraient aventurés aussi loin, au risque d’ailleurs de provoquer Moscou. De plus, leur rayon d’action ne leur permet vraisemblablement pas d’arriver à Gyumri.
En réalité, n’y aurait-il pas un petit coup de main discret (la Russie est officiellement neutre dans cette histoire) aux forces arméniennes ? Cela cadrerait en tout cas avec le véritable feu d’artifice qui vient d’avoir lieu en Syrie.
Sur le terrain, comme prévu, les Turco-Azéris n’ont avancé que dans la plaine méridionale du Haut-Karabagh (en rose sur la carte suivante) grâce à leur supériorité aérienne totale, mettant logiquement à rude épreuve les défenseurs en terrain découvert.
Étant totalement barrés vers l’ouest par le double niet russe et iranien comme vu plus haut, ils tentent de remonter vers le carrefour stratégique de Lachin, afin de couper le cordon ombilical entre l’Arménie et l’enclave. Mais les montagnes font maintenant place au terrain plat et l’énorme supériorité en armement des Azéris, notamment les drones, leur serviront beaucoup moins à présent.
De plus, comme nous l’avons dit, l’ours vient d’y établir une base, signifiant peut-être aux Turco-Azéris qu’ils peuvent garder leur plaine désolée mais que la fin de la récré est sur le point d’être sifflée. Tout le monde y trouverait son compte au final, ce qui serait bien dans les manières de Vladimirovitch. Bakou pourrait sauver la face en se vantant d’avoir « libéré 100 villes et villages », même si la plupart ne sont que de vagues hameaux désertés. Quant aux Arméniens, ils conserveraient la majeure partie, et de loin la plus importante, du Karabagh.
Confirmation (ou infirmation) au prochain épisode…
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