A la veille de la crise des subprimes, un certain Warren Buffett ─ à la tête du fonds d’investissement Berkshire Hathaway et aujourd’hui 4ème fortune mondiale et 2ème fortune américaine avec 58,5 milliards de $ US, soit le triple du PIB de l’Afghanistan ─, déclarait sur un ton aussi triomphaliste qu’arrogant qu’
« Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».1
Mais la crise économique contemporaine est passée par là… et les richards arrogants du type de Buffett font aujourd’hui profil bas devant leurs esclaves, et vont même jusqu’à étaler leur « générosité » en promettant qu’ils lègueront une partie de leur fortune à des œuvres de charité à leur mort, afin de contribuer aux « efforts » et aux sacrifices croissants qu’exige le Capital de ses esclaves longtemps privilégiés, aujourd’hui mis à la diète forcée.2 En attendant, cela n’empêche pas ces milliardaires « philanthropes » cherchant à jouer la carte de « l’apaisement social » afin de ne pas cristalliser contre eux le ressentiment croissant des « classes moyennes » laminées, de continuer à se remplir les poches. Selon Forbes, la fortune des 400 américains les plus riches a atteint 2 000 milliards de $ US en 2013, un chiffre en hausse de 300 milliards de $ US par rapport à l’année précédente !3
Dans ce que les éléments les plus conscients et organisés de la bourgeoisie monopoliste appellent avec justesse la « guerre des classes », la presse ─ écrite, radiodiffusée et télévisée ─, occupe une place de choix. En effet, comme l’avait déjà si justement souligné Karl Marx, la classe détentrice des moyens de production détient également les principaux moyens de communication et d’information à travers lesquels elle impose ses idées à ses esclaves. Les médias représentent donc l’une des armes principales de la bourgeoisie dans sa guerre permanente contre l’organisation consciente du Front du Travail.
Dans tous les pays bourgeois développés, l’intégralité de la grande presse officielle est contrôlée soit directement par des conglomérats de presse, soit indirectement par les annonceurs qui sinon la déserteraient. A elle seule, la puissante Hearst corporation contrôle aujourd’hui à travers le monde plus d’une cinquantaine de journaux, une trentaine de chaînes de télévisions et 300 magazines.4
Aussi, parler de « liberté de la presse » relève du plus éhonté des mensonges.5
Pour illustrer ceci, nous nous contenterons de citer un témoin direct de ces pratiques : John Swinton. Si son témoignage n’est plus de toute première jeunesse ─ cela fera bientôt un siècle et demi qu’il a été concédé ─, sa valeur n’en reste pas moins très grande, car depuis cette époque, l’emprise du Capital sur la presse « libre » ne s’est point desserrée, bien au contraire… S’adressant à ses collègues journalistes du New York Times, il affirma sans détour que
« La presse indépendante n’existe pas en Amérique en dehors des villes de province. Vous êtes tous des esclaves. Vous le savez, et je le sais. Aucun d’entre vous n’ose honnêtement exprimer son opinion. Si vous l’exprimiez, vous sauriez d’avance qu’elle ne serait jamais publiée. Je suis payé 150 $ pour laisser mes propres opinions à la porte d’entrée du journal pour lequel je travaille. Vous autres également, êtes payés pour faire la même chose. Si je permettais la publication des opinions honnêtes dans un tirage de mon journal, je me retrouverai dans la même situation qu’Othello6 dans les 24 heures. La personne qui serait assez idiote pour écrire ses propres opinions serait jetée à la rue et devrait se chercher un autre travail. L’activité d’un journaliste de New York consiste à déformer la vérité, à mentir catégoriquement, à pervertir, à diffamer, à se prosterner devant Mammon,7 à vendre son pays et sa race contre son pain quotidien, ou ce qui revient au même, contre son salaire. Vous savez tout-ceci et je le sais également. Quelle sottise que de porter un toast à la « presse indépendante » ! Nous sommes les instruments et les vassaux des hommes riches qui demeurent dans la coulisse. Nous sommes des marionnettes. Ils tirent les ficelles et nous dansons. Notre temps, nos talents, nos vies, nos capacités, toutes ces choses sont la propriété d’autres hommes. Nous sommes des prostituées intellectuelles ».8
Cette lucidité et cette honnêteté dans les propos étaient encore possibles à une époque où la guerre entre le Travail et le Capital n’avait pas encore aboutit à des batailles de grande envergure. Pour les classes possédantes, en particulier aux USA, la menace communiste était alors encore naissante, lointaine et même hypothétique.
Aujourd’hui, un tel aveu serait impensable, car la relative paix sociale dont jouit encore la bourgeoisie est en grande partie garantie par la formidable machinerie de duperie et d’abrutissement des masses exploitées que constituent les médias « libres ».
Citons à titre d’exemple récent, la gigantesque campagne de mystification entourant l’intervention impérialiste française en Centrafrique, ou plus justement « en Françafrique », selon le lapsus révélateur concédé le 2 janvier dernier sur BFM-TV par Bernard Kouchner… Alors que tous les médias officiels ont juré que la France n’avait aucun intérêt économique à y défendre et n’y faisait le « gendarme » que pour des raisons « humanitaires », c’est en fait la crainte de monopoles comme Areva, Total et Bolloré de perdre le contrôle sur les réserves d’or, de diamants, de pétrole et d’uranium contenues dans le riche sous-sol du pays qui a motivé cette énième ingérence coloniale de notre impérialisme, une ingérence qui n’a conduit qu’à y aggraver les conflits interethniques et confessionnels.
Ainsi, il n’y a plus guère plus que sur la toile où l’on puisse trouver des médias alternatifs qui ne soient pas bâillonnés par le Capital.9 Mais jusqu’à quand l’ordre capitaliste tolèrera-t-il l’existence de ce dernier espace de liberté d’expression publique encore accessible aux larges masses exploitées ?
Jusqu’au jour où les esclaves du Capital fuiront massivement les médias officiels comme la peste et où cette industrie de l’intoxication aura perdu l’essentiel de son emprise sur eux. L’ordre bourgeois vacillant fera alors tomber son masque « démocratique » et réprimera sauvagement tout ce qui viendra menacer son fondement : l’esclavage salarié !
Vincent Gouysse, pour l’OCF, le 08/01/2014
Notes :
1 Source : « In class warfare, guess which class is winning », New York Times, 26/11/2006
2 Onze milliardaires cèdent la moitié de leur fortune, Le Figaro.fr, 19/09/2012
3 Inside The 2013 Forbes 400 : Facts And Figures On America’s Richest, Forbes.com, 09/16/2013
4 Source : http://www.hearst.com
5 Cf. Vincent Gouysse, Les classes sociales sous l’impérialisme, pp. 52-56
6 Personnification de la richesse matérielle et de l’avarice dans le Nouveau Testament
7 Héros de la tragédie éponyme de William Shakespeare. Dans cette pièce de théâtre, le personnage en est réduit à se suicider
8 Discours prononcé par John Swinton, éditorialiste en chef du New York Times, devant ses journalistes au dîner organisé à l’occasion de son départ du journal en 1870. Source du texte anglais : http://en.wikiquote.org/wiki/John_Swinton
9 A l’instar d’Agora Vox, d’Alterinfo et du Réseau Voltaire.
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca