Cet article est paru dans l’édition datée du 23 octobre du journal Le Monde. Propos recueillis par Angeline Montoya, l’envoyée spéciale du journal en Bolivie.
Onze mois après avoir été écarté du pouvoir, le Mouvement vers le socialisme (MAS) a pris sa revanche dimanche 18 octobre en Bolivie. Le parti de l’ex-président Evo Morales a fait élire dès le premier tour son candidat, Luis Arce, avec plus de 20 points d’avance sur son rival de droite, Carlos Mesa. Ancien ministre de l’économie, Luis Arce est par ailleurs assuré d’avoir la majorité à la Chambre des députés et au Sénat. Le président élu, qui devrait prendre ses fonctions à la mi-novembre, a reçu Le Monde deux jours après le scrutin, mardi 20 octobre, à La Paz.
Existe-t-il au sein du MAS des divisions sur le rôle qu’Evo Morales, aujourd’hui en exil forcé en Argentine, doit jouer à l’avenir ?
Nous n’en avons pas discuté. Il n’y a pas une position monolithique, unique. Ce n’est pas un sujet qui nous préoccupe. Evo n’est plus président du pays, mais il a un rôle : c’est le président du parti, c’est le leader historique et indiscutable du processus. Personne ne va enlever à Evo le rôle qu’il a eu, notamment international. Mais cela ne signifie pas qu’il va gouverner. Celui qui va gouverner, c’est moi.
Vous avez dit qu’il ne fallait pas répéter les erreurs qui avaient été commises pendant le gouvernement d’Evo Morales. Quelles sont-elles ?
Dans notre premier gouvernement, les organisations sociales [paysannes, ouvrières, syndicales, indigènes, féministes…] jouaient un rôle mais qui n’était pas central. Le MAS comme parti politique non plus n’avait pas une grande importance au sein du gouvernement. Le MAS était juste un outil politique de plus.
Nous voulons donner aux organisations sociales et au MAS un poids plus important. Nous voulons aussi inclure dans la gestion et la prise de décisions certains secteurs de la société qui nous paraissent importants : les professionnels, les jeunes. Nous voulons être une version 2.0, plus inclusive. Ainsi, le MAS créera constamment de nouveaux leaderships, de nouvelles figures, se renouvellera, tout en maintenant les principes du parti. Une autre erreur a été de penser qu’il fallait que les magistrats soient élus. Nous nous sommes trompés. Pour plus de transparence, nous sommes obligés de réformer la justice.
Vous allez hériter d’une situation économique catastrophique, notamment après la pandémie due au coronavirus, très différente de quand vous étiez ministre de l’économie. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Quand je suis arrivé au ministère de l’économie en 2006, le pays était aussi en faillite. Nous avons dû travailler dur pour atteindre les bons résultats que nous avons eus. Ça n’a pas été grâce au boom du prix des matières premières, comme le prétend la droite, mais grâce à des mesures économiques courageuses comme la nationalisation des hydrocarbures. A quoi nous auraient servi de bons prix des matières premières si l’argent était parti ailleurs ? La première chose que nous allons faire à présent, c’est reprendre notre modèle économique social, que le gouvernement sortant a écarté depuis novembre 2019 en appliquant un modèle néolibéral. Notre modèle génère des revenus à travers les ressources naturelles qui sont redistribués entre tous les Boliviens. Il augmente le marché interne, il améliore la qualité de vie, il réduit la pauvreté et le chômage, il réduit l’écart entre riches et pauvres.
On vous a beaucoup reproché d’avoir fondé votre modèle économique sur l’exploitation massive des ressources. Comptez-vous en sortir ?
En réalité, notre modèle n’a jamais été extractiviste [basé sur l’extraction des matières premières] ! Ça, c’est un discours mensonger de la droite, qui disait que nous nous basions sur le gaz ou les minerais. Savez-vous que la production d’hydrocarbures ne représente que 6 % ou 7 % du PIB du pays ? Les minerais, c’est 5 % ou 6 %. Tandis que 18 % du PIB proviennent des produits manufacturés. Nous avons industrialisé le pays, et nous allons continuer à le faire. Nous allons par exemple vendre des batteries au lithium faites en Bolivie. Nous n’allons pas commettre l’erreur de juste exporter la matière première.
On a critiqué votre politique environnementale. Les incendies de 2019 ont notamment eu un grand impact sur l’opinion publique…
Cette année, les dommages causés par les incendies ont été bien pires qu’en 2019 [plus de 1 million d’hectares ont brûlé dans le sud-est du pays]. Mais l’an dernier, cette information était dans tous les médias, nous étions les méchants de l’histoire. L’an dernier, nous avons réagi et avons mobilisé beaucoup de moyens. Or, cette année, ce gouvernement n’a rien fait, les destructions ont été bien pires, et avez-vous vu que la presse nationale et internationale se soit mobilisée ? Quand le MAS est au gouvernement, tout le monde est écologiste. Quand c’est la droite, il n’y a plus personne.
Nous allons lancer une proposition d’économie circulaire, pour produire du diesel écologique renouvelable, des programmes pour éviter la déforestation. Nous avons des projets d’énergie éolienne, thermique, solaire, propre.
En mai, le gouvernement intérimaire a publié un décret autorisant la culture de nouvelles espèces d’OGM. Allez-vous l’annuler ?
Bien sûr. C’est un abus. Ce gouvernement a tout libéralisé et on autorise dorénavant tous les OGM, pour tous les produits, y compris le maïs, dont nous avons les semences originelles. Il faut faire des études sur la santé humaine et sur les conséquences sur la Terre mère. Je ne suis pas d’accord pour tout libéraliser de manière si arbitraire juste pour répondre aux intérêts de quelques-uns et au détriment de tous.
Quelle va être votre position en termes de politique extérieure, notamment sur le Venezuela ?
Notre politique a toujours été ouverte à tous. C’est ce gouvernement de droite qui a réduit les contacts, qui a rompu les relations avec le Venezuela, Cuba, s’est éloigné de la Russie, de la Chine. Et le peuple bolivien s’est vu privé de l’accès à la médecine russe, chinoise ou cubaine pour lutter contre le Covid-19. C’est une atteinte à la vie des Boliviens. Nous allons être ouverts à tous, et donc reprendre les relations avec le Venezuela, Cuba…
Et avec les Etats-Unis ?
S’ils le veulent, nous n’avons aucun problème. La seule exigence que nous avons, pour tout le monde, c’est qu’ils respectent notre souveraineté.
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