Dans un nouvel article solide intitulé « Facebook et Twitter franchissent une ligne bien plus dangereuse que ce qu’ils censurent » sur le silence multiplateforme de la publication par le New York Post des courriels de Hunter Biden [Fils de Joe Biden – NdT], Glenn Greenwald, de The Intercept, écrit ce qui suit :
C’est toujours ainsi que ça se passe : ce sont exclusivement les voix en marge, les dissidents, ceux qui résident en dehors des factions du pouvoir qui seront soumis à ce silence. Les voix politiques et médiatiques dominantes, ainsi que le gouvernement américain et ses alliés, seront entièrement libres de diffuser des théories de conspiration et de désinformation sans jamais être soumis à ces « règles » illusoires.
Le pouvoir de censure, que les géants de la technologie exercent aujourd’hui, est un instrument de préservation du statu quo. Dès le début, la promesse d’Internet était qu’il serait un outil de libération, d’égalitarisme, en permettant à ceux qui n’ont ni argent ni pouvoir de rivaliser dans des conditions équitables dans la guerre de l’information avec les gouvernements et les entreprises les plus puissants.
Mais il est tout aussi vrai que l’internet peut être converti en un outil de coercition et de surveillance de masse, et démolir cette promesse, ce potentiel, en donnant aux entreprises surpuissants et aux monopoles irresponsables les moyens de réguler et le pouvoir de décision de ce qui peut être entendu ou pas.
Greenwald a raison. La censure d’une main de fer de l’internet à laquelle nous avons assisté ces quatre dernières années a constamment ciblé des groupes qui s’opposent au statu quo avec lequel les méga-sociétés monopolistiques de la Silicon Valley comme Twitter, Facebook et Google se sont alignées.
Les entreprises monopolistiques, historiquement, font tout ce qu’elles peuvent pour maintenir leur pouvoir. Une fois que vous avez atteint un certain niveau de pouvoir et d’influence, cela signifie que vous acceptez de collaborer avec les structures de pouvoir existantes, comme lorsque Google, Facebook et Twitter ont été convoqués devant la commission judiciaire du Sénat et ont reçu l’instruction de proposer une stratégie « pour empêcher la discorde de s’installer ».
« Nous devons tous agir maintenant sur le champ de bataille des médias sociaux pour réprimer les rébellions de l’information qui peuvent rapidement conduire à des confrontations violentes et nous transformer facilement en Etats divisés d’Amérique », a déclaré aux géants des médias sociaux le membre d’un groupe de réflexion et ancien agent du FBI Clint Watts, qui a ajouté : » Pour mettre un terme au barrage de fausses informations qui s’abat sur les utilisateurs des médias sociaux, il faut que les organes qui diffusent des histoires bidons soient réduits au silence – faites taire les armes et le tir barrage prendra fin ».
Il est évident qu’un soulèvement violent est quelque chose que toute personne saine d’esprit souhaiterait éviter, mais lorsque vous parlez de « rébellions de l’information » avec des termes vagues comme « discorde » et « division », vous ne vous limitez pas à la prévention de la violence. Il s’agit de contrôler le flux d’informations pour empêcher les gens d’utiliser le pouvoir de leur nombre pour prendre collectivement des mesures directes contre le pouvoir en place, de quelque manière que ce soit.
Comme l’a fait remarquer Greenwald, l’internet a été initialement salué comme un outil du peuple pour démocratiser le flux d’informations au lieu que ce flux soit entièrement contrôlé par la classe propriétaire des médias, et pour le moment, il est encore bien plus démocratique qu’il ne l’était avant que le public n’ait accès à ces propres plateformes médiatiques. Ceux qui prêtaient attention ont compris les ramifications politiques potentielles d’un nouveau paradigme dans lequel les gens ordinaires peuvent faire circuler des idées et des informations sans la permission de la classe politique/médiatique dominante.
Le problème est apparu lorsque les entreprises qui ont été élevées au sommet de ce nouveau paradigme ont commencé à collaborer de plus en plus effrontément avec les structures du pouvoir en place, au point qu’elles ne font plus que travailler ouvertement avec les agences gouvernementales américaines pour déterminer quelles informations censurer. Ils ont tout intérêt à le faire car les discussions sur les mesures antitrust et la révision de l’article 230 se multiplient ; ils savent que les chances de voir leurs monopoles être démantelés diminuent au fur et à mesure qu’ils collaborent avec les pouvoirs publics chargés de leur régulation.
C’est un problème majeur, très majeur pour l’humanité en tant qu’espèce, car nous ne pourrons jamais apporter de réels changements aux problèmes systémiques qui nous conduisent au désastre tant que le pouvoir de la classe dirigeante contrôlera notre capacité à interagir les uns avec les autres.
Le pouvoir en place continuera à promouvoir ses propres intérêts à tout prix, même si cela signifie nous pousser dans une guerre nucléaire ou un effondrement du climat. La seule façon de mettre fin à leur règne destructeur est qu’une masse critique de citoyens se lève et utilise le pouvoir de leur nombre pour forcer un réel changement. Les gens ne se soulèveront pas et n’utiliseront pas le pouvoir de leur nombre pour forcer un réel changement tant que le pouvoir en place fera une propagande efficace pour qu’il n’en soit pas autrement. Les gens continueront à faire l’objet d’une propagande efficace tant qu’une masse critique sera empêchée de voir des idées et des informations qui contredisent les discours favorables à l’establishment.
C’est vraiment aussi simple que cela. Si la censure des voix dissidentes sur Internet continue à se renforcer, il perdra toute possibilité d’exister en tant qu’outil du peuple pouvant être utilisé pour promouvoir un réel changement, et n’existera plus que comme un outil pour les puissants qui leur permet de diffuser des récits de propagande à un rythme beaucoup plus soutenu qu’auparavant. Avec, en prime, des pouvoirs de surveillance étendus.
La classe dirigeante pousse la censure pour la même raison que les dirigeants de sectes et les partenaires abusifs s’efforcent d’isoler leurs victimes : ils ne veulent pas que les gens échangent entre eux des idées et des informations sur leur agresseur, car cela peut permettre à leurs victimes d’échapper aux abus. Nous n’échapperons jamais à la maltraitance tant que l’on nous empêchera avec succès de partager des idées et des informations sur nos agresseurs afin d’éveiller une masse critique.
Vous vous souvenez d’Alex Jones [chantre de l’Alt-Right US – NdT] ? Un grand Texan, dont la voix ressemble au bruit que ferait une flotte d’hélicoptères, qui parlait beaucoup de Satan ? Combien de fois l’avez-vous remarqué ces jours-ci ? J’avais l’habitude de voir son visage tout le temps, mais depuis son expulsion coordonnée de plusieurs plateformes en ligne, j’oublie souvent son existence même. Je n’ai aucune idée de ce qu’il est devenu ; si ça se trouve, il s’est transformé en hippie.
Peut-être êtes-vous satisfaits de ne plus voir Jones rôder les parages, mais réfléchissez un instant au pouvoir de ces plates-formes monopolistiques. Elles peuvent faire disparaître complètement quelqu’un de la scène publique sur un coup de tête. Voilà à quel point elles en sont venues à dominer le discours politique, et c’est une arme trop puissante pour être laissé entre les mains d’un petit groupe d’oligarques.
Il est difficile de savoir ce qu’il faut faire face à ce problème. L’argument courant souvent avancé avec sincérité par les libertaires et avec un peu moins de sincérité par les libéraux est que les plateformes monopolistiques de médias sociaux qui censurent peuvent être combattues par la concurrence du marché libre – que les développeurs peuvent tout simplement lancer de nouvelles plateformes vers lesquelles les gens se réfugieront pour échapper aux réglementations autoritaires. C’est un chemin semé d’embûches, comme l’a expliqué Ars Technica à la suite d’une enquête antitrust de la sous-commission judiciaire de la Chambre des représentants, car ces plateformes géantes ont activement rendu la concurrence presque impossible.
Bien sûr, chacun est libre de créer des médias sociaux alternatifs qui ne seront pas censurés. Ils sont également libres de s’enterrer dans un trou et d’y crier en toute liberté. Dans les deux cas, personne ne les entendra ; une masse critique de personnes ne sera jamais atteinte avec de nouvelles idées saines et des informations non autorisées. Pour pouvoir atteindre une taille qui leur permette d’influencer une masse critique, ils seraient obligés de collaborer avec les structures de pouvoir existantes et de mettre en œuvre la censure comme le font Facebook, Twitter et Google.
De plus, il n’y a rien que ceux chargés de la narration de la classe dirigeante aimeraient mieux que de voir les voix dissidentes se mettre en quarantaine sur d’obscures plateformes marginales où elles n’infecteront le troupeau dominant avec des idées incorrectes. Un exode massif de toutes les voix dissidentes de toutes les plates-formes principales ne causerait pas de problèmes à la classe dirigeante mais au contraire, il les résoudrait.
Je ne pense donc pas que la concurrence puisse résoudre ce problème de sitôt. Je pense qu’il faudra l’affronter directement, de la même manière que toutes les autres branches de l’oppression de la classe dirigeante doivent être affrontées directement. Je pense que nous devons nous rapprocher le plus possible des feux de la rampe, attirer autant d’attention que possible sur les dangers de la censure de l’Internet par les oligarques monopolistiques et, espérons-le, susciter un certain soutien en faveur d’une action en justice contre ces entreprises, qui profiterait aux êtres humains ordinaires.
Une pression publique de de la base est également utile. Twitter a annoncé un revirement de sa décision concernant l’article du New York Post, en choisissant d’afficher un message d’avertissement au lieu de bloquer le lien. Il s’agit toujours d’une intervention paternaliste et autoritaire mais cela montre aussi que les décisions de censure peuvent être influencées par les protestations du public. La classe dirigeante ne peut faire avancer des politiques néfastes que si les gens ne font pas la lumière sur ce qu’ils font et n’attirent pas trop l’attention sur leurs actions ; ils risquent de perdre la capacité de fabriquer du consentement s’ils sont trop ouvertement autoritaires.
Comme pour le reste de notre combat, soit nous remporterons cette bataille, soit nous ne la perdons. Mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que l’humanité sorte gagnante, car des jours très sombres nous attendent si nous échouons. Il y a des batailles que nous pouvons nous permettre de perdre car leur coût est supérieur aux bénéfices et n’affecte pas l’issue de la guerre. Cette bataille n’en fait pas partie.
Caitlin Johnstone
Traduction « la sidération est une posture très répandue en ce moment » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir