Au Mali, à peine tombé de l’arbre comme un fruit plus que trop mûr, le régime d’« IBK » (Ibrahim Boubacar Keïta, photo en vedette) s’effaça à partir du 18 août dernier pour laisser place à une période d’incertitudes, de flottements, de non-dits, de négociations sécrètes et moins sécrètes, de compromissions, de fausses promesses et in fine … d’amers constats.
Deux mois après l’arrestation d’IBK et sa démission subséquente, le CNSP, Comité National pour le salut du peuple, fait et défait à sa guise, ou presque. Ayant eu de négociations sérieuses seulement avec … la CEDEAO., Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest. Ah la CEDEAO ! … cette entité « économique » sous-régionale africaine, pilier central de la Françafrique, levier du système néocolonial, qui est devenu le « syndicat de copropriété » de présidents autocrates et véritables tyranneaux, contestés et contestables, s’éternisant au pouvoir dans leurs pays respectifs, les A. Dramane Ouattara, les Faure Gnassingbé, les Alpha Condé… par exemple. Au lendemain de la chute d’IBK ils décidèrent illico un blocus économique, l’embargo sur les flux commerciaux et financiers, et des sanctions politiques, contre le Mali, avec la fermeture des frontières, le Mali étant un énorme pays mais enclavé, sans côtes maritimes.
Nettement depuis début juin 2020, et bien avant pour les luttes précédentes, le M5-RFP, Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques [1], menait un ensemble de luttes politiques et de résistances sociales depuis le vendredi 5 juin 2020, afin d’obtenir la démission du président Ibrahim B. Keita dit « IBK », l’homme de la France. Accusé de truquer les résultats définitifs des élections législatives de mars/avril 2020 pour se créer de toutes pièces une majorité à l’Assemblée nationale avec l’assentiment de la Cour constitutionnelle. Elu en 2013 à la hâte, mal réélu en 2018, sans majorité parlementaire réelle et véritable depuis 2018, mauvais gouvernant, à la tête d’un pouvoir entaché de scandales et noyé dans la corruption, cette deuxième présidence IBK ne pouvait que tomber tôt ou tard, même plus tôt que plus tard.
Le vendredi 5 juin 2020 à 17h IBK tenait bon, ne démissionna point, droit dans ses bottes. Malgré l’ultimatum annoncé par la coalition M5-RFP. Droit dans ses bottes tel le premier ministre français Alain Juppé en novembre 1995, face à une grève nationale intersyndicale massive qui terrassa son « Plan Juppé ». Si IBK ne partit le 05 juin 2020 à 17h de son palais présidentiel, à Koulouba, les pronostics les plus avisés ne donnaient pas cher de la fin de son mandat de cinq ans, en 2023.
Le grand mouvement social du M5-RFP, véritable mouvement politique, certes étant une vaste coalition hétéroclite, articulé autour du mot d’ordre de départ d’IBK, exigence non-négociable, durait depuis deux mois et demi. Et ce fut une expression sociale et politique ayant de longs antécédents de contestation du régime en place. L’« ibekaîsme » avait ses jours comptés. Le M5-RFP, avec ses victimes et ses martyrs, tombés, tués -une vingtaine de morts officiellement reconnus- en juillet, les 10 et 11 juillet, par la répression policière ordonnée par un IBK aux abois, avait gagné toute sa légitimité. IBK s’entêtant à rester coûte que coûte, ragaillardi voire enhardi par le soutien de ses consorts de la CEDEAO … et un peu plus discrètement par Paris.
Si le coup de force des colonels maliens du 18 août 2020, qui refusèrent et refusent toujours de qualifier leurs actes comme coup d’Etat, n’eût même pas un mort ou des blessés, partis arrêter le président en titre et son premier ministre, ce fut grâce à la vaste action politique et sociale du M5-RFP, qui avait délégitimé et désavoué d’avance toute tentative du régime moribond de rester en place à tout prix.
L’accaparement militaire du pouvoir politique
Le CNSP désigna le 21 septembre un colonel-major à la retraite, Bah N’Daw, ancien ministre de la Défense d’IBK en 2014, comme président intérimaire pour une période de transition de dix-huit mois, ayant prêté serment le vendredi 25 septembre. La tête connue des militaires rebelles, le colonel Assimi Goïta, se réserva la vice-présidence du régime de transition. Désignant ensuite, le 27 septembre, comme premier ministre le diplomate de carrière Moctar Ouane, qui fut sept ans durant le ministre des affaires étrangères d’Amadou Toumani Touré, dit ATT. Le nouveau régime nomma le 05 octobre un gouvernement de vingt-cinq membres.[2]
Le M5-RFP se retrouva comme le dindon de la farce, les idiots utiles ayant fait tout le travail social et politique, y compris payant en vies humaines, avec le sang versé, et dépossédés de leur protagonisme légitime, de toute participation centrale et respectable dans la conduite de la nation malienne en cette période d’intense crise. Un énorme coup de force à l’intérieur même du coup d’Etat qui se consolidait. La junte militaire des colonels ayant la volonté claire de cantonner le M5-RFP dans le rang de supplétifs, d’une opposition qui s’éternise si elle n’est point avenante avec les décisions du seul CNSP militaire.
Une « concertation nationale » tenue au Mali du 10 au 12 septembre s’acheva par l’élaboration d’une « Charte de la transition » servant de cadre juridique par-dessus la Constitution malienne, de feuille de route et lettre de mission, au gouvernement intérimaire qui devait être nommé. Lors de la présentation de la Charte par les colonels, ce document fut immédiatement dénoncé par cette principale force politique ayant obtenu la chute du régime IBK honnis, la coalition M5-RFP, ce document final ayant des passages jamais discutés mais rajoutés mystérieusement après les délibérations, et des textes consensuels présents à la fin des travaux mais supprimés après coup par des mains invisibles. Le tout étant des pratiques politiciennes, manigances antidémocratiques, que les militaires justement entendaient bannir puisque venus balayer la corruption d’un régime détesté [3].
La plus élémentaire modestie aurait obligé les colonels putschistes à reconnaître le besoin impératif de la participation intense de la classe politique renouvelée et de la jeunesse malienne émergeants, sinon de la nation entière, exprimée dans le M5-RFP, mais pas-que … bien entendu, pour la reconstruction du pays et la restauration institutionnelle indispensables. Le principe d’un gouvernement malien, fuse-t-il transitoire, émanant strictement du consentement clair des gouvernés, ne pouvait pas être écarté ainsi, d’un revers de main.
Les nouvelles formes d’expression de la participation citoyenne dans les processus de prise de décisions politiques étaient, et sont, indispensables. Un régime transitionnel, sans légitimité institutionnelle, ni politique, ayant seulement le monopole de la force et de l’usage des armes, composé de militaires, technocrates, chefs communautaires, y compris d’anciens rebelles séparatistes, et de certains politiciens à l’ancienne [4], ne peut pas assurer ce très solide socle dont le Mali à besoin pour se reconstruire maintenant, maintenant et pas d’ici dix-huit mois. Or la Politique, ainsi avec des majuscules, comme exercice majeur de l’intelligence humaine, est bien plus l’art d’additionner le plus possible, d’agglutiner, plutôt que de soustraire, de diviser.
Le régime de transition CNSP, ce détournement, une confiscation
Le monopole de la détention légale des armes, et de leur usage, des équipements, des infrastructures et d’autres biens et ressources de l’armée, est une délégation décidée par l’Etat, et donc par les Maliens, du fait de la souveraineté du peuple. Les militaires ne sont que mandatés, dépositaires à titre provisoire et précaire, missionnés pour une haute responsabilité bien précise, à savoir la défense du pays et la sécurité des citoyens, la protection du territoire national et du Peuple. Les militaires ne sont que détenteurs provisoires des armes et équipements. Ils ne sont pas les propriétaires. L’association des militaires, soldats ou officiers, n’est pas, ne peut pas être, un parti politique, ils sont rassemblés à l’intérieur d’une armée soumise à la hiérarchie et répondant aux pouvoirs civils, aux donneurs d’ordre légitimes, qui sont eux les civils redevables devant les citoyens, les électeurs.
Le CNSP ne peut pas être un parti politique, car dans ce cas pour quoi serait-il le seul parti politique armé ? Se muter en garde prétorienne serait inconcevable, inadmissible.
Les énormes défis et les urgences dans les domaines de la sécurité et de la défense, de la lutte antiterroriste, du recouvrement de la pleine souveraineté dans l’ensemble du territoire de l’Etat sans même qu’un mètre carré du pays ne manque, avec une armée non-équipée ou mal équipée, en sous-effectif chronique, avec manque de soldats et officiers suffisants et bien formés, loin d’être déployée sur tout le territoire de l’Etat, obligent à reconstruire, à refonder et à redimensionner l’institution militaire.
Et tout cela sans distraire l’armée et ses hommes, sans l’embarquer en expériences hasardeuses, improvisées, au lendemain de la destitution du responsable de la sécurité présidentielle d’IBK [5], le 17 août 2020, ayant été le réel détonateur de la mutinerie à Kati, près de Bamako, devenue putsch un jour après.
La privatisation, l’accaparement, à son bénéfice, par le CNSP militaire du pouvoir politique de l’Etat n’est que la vielle pratique politicienne des régimes tels celui d’IBK qui vienne justement de se faire éjecter. Alors, faire du nouveau à partir de vielles pratiques ?
Un pays n’est pas une caserne, ni une armée, ni peut être commandé comme une caserne ou comme une armée. Ni tout militaire est forcément, sauf preuve tangible et immédiate du contraire, l’incarnation d’un grand leader de l’émancipation nationale et sociale… comme le capitaine Thomas Sankara, assassiné voilà trente-trois ans déjà. On ne construit pas du neuf avec du vieux ou recyclé.
Le recouvrement de la souveraineté nationale ne peut nullement se réaliser en piétinant, sans nullement respecter, cette autre souveraineté fondamentale, la souveraineté du Peuple, des Citoyens. Or, au Mali, chacun peut et doit s’exprimer, choisir, avoir sa place en fonction de ses compétences et de son engagement déjà prouvé. Et des hommes de tout âge, jeunes ou moins jeunes, compétents, engagés et aguerris, ne manquent pas.
Tout pays africain ne produit point tous les jours comme le Mali depuis son indépendance un Modibo Keïta ou un Abdoul Karim Camara, le jeune « Cabral », dont les Maliens sont toujours fiers. L’accaparement du pouvoir politique par le CNSP militaire ne présage que des contestations, des très fortes contestations … et des impasses.
Si ce n’est pas son débordement militaire par les djihadistes et les terroristes de tout ordre qui, profitant des militaires des FAMA, Forces Armées du Mali, distraits par la chose politique, tournant le dos à leur vrai métier et commettant ainsi négligences, erreurs tactiques et stratégiques [6], leur feront subir défaites [7] et lourdes pertes, tels les attaques à Sokoura[8], dans le centre du pays et près de la frontière avec la Burkina Faso, le 13 septembre, faisant vingt-quatre morts, entre soldats et civils. Le scénario est dressé.
Luis Basurto
Notes :
2https://www.maliweb.net/politique/urgent-la-liste-des-membres-du-gouvernement-de-la-transition-2898388.html https://i.le360.ma/fr/sites/default/files/assets/documents/liste_gouvernement_de_transition_1.pdf
4https://www.bbc.com/afrique/sports-54424658
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