Face à la catastrophe économique et au drame social des plans d’ajustement structurel (PAS) imposés aux populations du Sud, dès les années 1990 de nombreuses voix ont dénoncé les promoteurs de ces politiques : le FMI et la Banque mondiale. Au-delà des accusations des ONG et du milieu altermondialiste, la critique s’est étendue là où on ne l’attendait pas, à l’image de Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui signait en 2002 un réquisitoire à l’encontre du FMI [1].
Dans la foulée de ces condamnations, la remontée des prix des matières premières à partir de 2003-2004 a permis à une série de pays d’obtenir les devises nécessaires à un remboursement anticipé du FMI, se dégageant partiellement ainsi des catastrophiques conditionnalités adossées aux prêts de cette institution. A cette époque, face à cette crise de légitimité et alors que la pénurie de clients commence à se faisait sentir financièrement, les institutions de Bretton Woods ont multiplié les efforts pour se construire une nouvelle image.
En annonçant, à partir de 1999, l’abandon des PAS tant décriés et la réorientation de son action sur la lutte contre la pauvreté, la Banque mondiale a prétendu s’être parée d’une nouvelle morale.
Quant au FMI, si la crise de la dette au Nord a été une belle opportunité pour se refaire une santé financière à partir de 2008, ses dirigeants en ont aussi profité pour crier à tue-tête le soi-disant renouveau de l’institution. « On ne reconnaît plus le FMI ? De fait, il a changé ! » [2] assurait ainsi Dominique Strauss-Kahn à la télévision française en 2011.
La Banque mondiale s’est aussi targuée de lutter contre le changement climatique.
Mais derrière ces discours… y a-t-il réellement du nouveau dans les institutions de Bretton Woods ?
Il est clair que ce n’est pas le cas. Un exemple pour commencer la démonstration : la banque mondiale continue à subventionner massivement la production de l’électricité à partir de combustibles fossiles.
La fin de l’ajustement structurel pour le FMI ?
En octobre 2014, dans un document intitulé « Réponse du FMI à la crise financière et économique », l’institution affirmait avoir appris de ses erreurs et assurait que depuis la crise financière de 2008, aucun des prêts accordés n’était adossé aux conditions draconiennes utilisées dans le passé. Dès 2009, un centre de recherche en économie a décidé de mettre cette affirmation à l’épreuve des faits [3]. Le résultat est sans appel : sur les 41 pays engagés dans des prêts avec l’institution, 31 menaient des politiques de rigueur budgétaire dans un contexte de récession ou de croissance ralentie.
La situation a empiré à partir de 2010. Selon Isabel Ortiz et Matthew Cummins « une contraction prématurée des dépenses s’est généralisée en 2010 malgré l’urgence d’une aide des pouvoirs publics aux populations vulnérables. » Selon ces auteurs, en 2013, la contraction des dépenses publiques s’est étendue et s’est intensifiée considérablement en touchant 119 pays en termes de PIB. Ils prévoyaient que cela atteindrait 132 pays en 2015.
Lorsqu’un ancien analyste de la Banque mondiale, Mohammed Mossallem, a étudié les conditionnalités adossées aux accords de prêts passés avec la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et l’Égypte après 2011, il a retrouvé tous les ingrédients des PAS des années 80
Selon Isabel Ortiz et Matthew Cummins, « En ce qui concerne les mesures d’austérité, l’examen des rapports pays du FMI publiés depuis 2010 indique que les gouvernements envisagent diverses stratégies d’ajustement. Il s’agit notamment de : (i) l’élimination ou la réduction des subventions, y compris aux combustibles, produits alimentaires et intrants agricoles (dans 100 pays), (ii) la réduction et/ou le plafonnement de la masse salariale, y compris des salaires dans l’enseignement, la santé et autres secteurs publics (dans 98 pays), (iii) le rationnement et le ciblage renforcé des filets de protection sociale (dans 80 pays), (iv) la réforme des retraites (dans 86 pays) ; (V) la réforme des systèmes de santé (dans 37 pays), et (vi) la flexibilisation du travail (dans 32 pays). De nombreux gouvernements envisagent également des mesures parallèles pour augmenter les recettes, mesures qui peuvent affecter négativement les populations vulnérables, principalement par l’introduction ou l’élargissement de taxes à la consommation, tels que la taxe à la valeur ajoutée (TVA) sur les produits de base qui affectent de façon disproportionnée les foyers pauvres (dans 94 pays). » https://www.cadtm.org/L-Ere-de-l-Austerite
Le cas des pays du monde arabe paraît emblématique de ce point de vue.
Inquiets de voir ces pays s’éloigner à partir de 2011 du giron néolibéral sous l’effet de soulèvements populaires visant à dégager les dictateurs de la région, le FMI a multiplié les déclarations rassurantes. Dans les rapports suivant le « printemps arabe », l’institution a donc insisté sur la dimension sociale des programmes qu’elle préconisait : « croissance inclusive », politiques sociales pour les plus vulnérables, etc.
Pourtant, lorsqu’un ancien analyste de la Banque mondiale, Mohammed Mossallem, a étudié les conditionnalités adossées aux accords de prêts passés avec la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et l’Égypte [4] après 2011, il a retrouvé tous les ingrédients des PAS des années 80 : réduction d’impôt pour le secteur privé, augmentation de l’impôt sur la consommation (l’impôt le plus injuste), libéralisation de l’investissement, diminution des subventions d’État couplée à une augmentation des prix de l’énergie, dérégulation du marché du travail. Quant au contenu des plans d’austérité imposés aux pays de la zone Euro depuis 2010, il s’inscrit dans la droite ligne du traitement infligé aux pays d’Afrique du Nord.
Mea culpa sur l’austérité : remise en question profonde ou larmes de crocodile ?
Ces dernières années cependant, on a vu se multiplier des rapports internes critiquant vivement les politiques du FMI :
- Janvier 2013 : Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, dévoile que le FMI a très largement sous-estimé l’impact négatif de l’austérité sur la croissance économique. L’erreur dans les calculs est tout sauf anecdotique, puisqu’elle est estimée à environ 300 % [5] !
- Février 2014 : Après que deux étudiants démolissent une étude réalisée par d’anciens économistes en chef du FMI, qui affirmaient qu’une dette publique supérieure à 90 % du PIB entraînait automatiquement un ralentissement de la croissance économique, des experts du FMI confirment qu’il n’existe pas de seuil critique de la dette publique [6].
- Juin 2016 : Trois économistes du Fonds sortent un papier intitulé « Le néolibéralisme a-t-il été surestimé ? » dans lequel ils affirment : « au lieu d’apporter la croissance économique, certaines politiques néolibérales ont accru les inégalités, et par la même occasion, compromis toute expansion économique durable ».
Ces nombreuses critiques augurent-elle d’un changement de cap de l’institution ?
Tout d’abord, si les gros titres des journaux donnent l’illusion que les auteurs de ce type de rapports font preuve d’une grande hétérodoxie, une lecture attentive de leurs travaux montre que leurs propos restent relativement mesurés. À titre d’exemple, si l’étude « Le néolibéralisme a-t-il été surestimé ? » apporte des chiffres montrant très bien les limites de ce modèle, elle rappelle aussi qu’il y a « beaucoup de raisons de se réjouir de l’agenda néolibéral » [7]. Il faut aussi souligner que la plupart du temps les documents hétérodoxes et critiques qui sont publiés sur le site du FMI n’engagent que leurs auteurs et pas du tout le FMI en tant qu’institution.
L’intervention du FMI en Grèce à partir de 2010 est emblématique de cette persistance dans l’application de politiques néolibérales qui favorisent le grand capital, renforcent les inégalités sociales et détruisent des conquêtes sociales essentielles
En plus, notons que le jeu de la contradiction n’est pas chose nouvelle au sein des institutions de Bretton Woods. Mais la question est de savoir si cette autocritique aussi limitée soit-elle aboutie ou non à de réels changements dans les orientations de l’institution.
Or l’intervention du FMI en Grèce à partir de 2010 est emblématique de cette persistance dans l’application de politiques néolibérales qui favorisent le grand capital, renforcent les inégalités sociales et détruisent des conquêtes sociales essentielles. Dès 2013, une étude du bureau indépendant d’évaluation du FMI [8] reconnaissait que le premier plan de sauvetage de 2010 s’était soldé par « des échecs notables ». Pourtant, les recettes austéritaires ont continué de plus belle.
En juin 2016, le même bureau « indépendant » produisait un rapport dressant le même constat d’échec de l’action du FMI en Grèce. Mais cette fois, les experts du Fonds vont jusqu’à affirmer que malgré toutes les limites de l’action du FMI, il est « impossible de construire un scénario alternatif ». Le fameux TINA (There Is No Alternative) ne semble donc pas avoir vraiment quitté les couloirs de l’institution !
Début octobre 2020, face à la plus importante crise internationale du capitalisme depuis les années 1930, des chercheurs du FMI annoncent qu’il faut augmenter les dépenses publiques [9]. C’est ce que tous les gouvernements sont en train de faire pour sauver le grand capital et éviter une chute dans l’abîme. L’augmentation des dépenses est financée par une augmentation explosive de la dette publique et nulle part les gouvernants ne prennent des mesures pour mettre à contribution les grosses fortunes et les grandes entreprises.
La réforme démocratique du FMI et de la Banque mondiale … ou la montagne qui accouche d’une souris
Depuis sa création, la structure de la prise de décision au sein du FMI bénéficie aux États-Unis et à ses alliés victorieux au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Profondément inégale, cette répartition du pouvoir qui repose sur la règle « 1 dollar = 1 voix » a été de plus en plus contestée par les pays émergents qui voulaient leur part du gâteau. Pour tenter d’établir un semblant de démocratie, et satisfaire la demande de ces pays en expansion, une réforme sur l’augmentation des quotes-parts [10] et le transfert des droits de vote est finalement entrée en vigueur au début de l’année 2016.
Il n’a jamais été question d’adopter un système qui permette à tous les pays membres d’avoir voix au chapitre mais bien de contenter des « pays émergents » dont le poids économique était devenu trop important pour être ignoré
En réalité, il n’a jamais été question d’adopter un système qui permette à tous les pays membres d’avoir voix au chapitre mais bien de contenter des « pays émergents » dont le poids économique était devenu trop important pour être ignoré. Si les 6 % de droits de vote qui ont été nouvellement répartis sont donc allés vers les BRICS (hors Afrique du Sud), les grands perdants de cette opération sont sans surprise les pays les plus pauvres, pour lesquels le FMI s’est engagé, non sans cynisme, à « préserver » [11] les droits de vote. Le Bangladesh s’est sans doute senti renforcé dans son pouvoir d’action à la vue de cet engagement, lui qui dispose de 0,24 % de droits de vote pour défendre les intérêts de ses 155 millions d’habitants !
Pour leur part, les États-Unis sortent doublement vainqueurs de cette opération. Non seulement ils gardent la mainmise sur la structure, puisqu’en ne cédant que 0,3 % de leurs droits de vote, ils conservent leur précieux droit de veto [12]. De plus, ils restent les maîtres à bord d’un plus gros navire puisque la réforme a également consisté à pratiquement doubler les ressources du Fonds, pour les porter à près de 660 milliards $US.
« Ces réformes vont renforcer la position dominante des États-Unis dans cette institution cruciale tout en fournissant au Fonds une solide assise financière » Jacob Lew, secrétaire au Trésor américain, 2015. |
Pour la Banque mondiale, la dernière réforme d’envergure de ce type a eu lieu en avril 2010, sous la présidence du controversé Robert Zoellick. Outre une augmentation de 86,2 milliards $US du capital de la BIRD, les pays du Sud y ont vu leurs droits de vote être augmentés de 3,13 points de pourcentage, soit 47,19 % du total des voix. En comparaison des 15,44 % des Etats-Unis, c’est bien peu pour ces 135 pays abritant 85 % de la population mondiale [13].
« DSRP », « Doing business », « EBA » … nouveaux noms, mêmes politiques !
À partir de la fin des années 1990, une pluie de critiques est venue s’abattre sur la Banque mondiale. À tel point qu’il devint de plus en plus difficile pour l’institution de promouvoir les PAS qui se trouvaient être au centre de la polémique. Face à cette crise de légitimité, la Banque va multiplier les pirouettes sémantiques sans toucher à la logique néolibérale inscrite dans son ADN.
Parmi ces subterfuges, on trouve notamment l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) qui, via un allègement de dette limité et contrôlé par les IFI, permet – encore aujourd’hui – d’imposer aux pays les plus pauvres des politiques similaires aux plans d’ajustement structurel et à les maintenir dans la spirale de la dette. Par ailleurs, en 2002, très peu de temps après que la Banque a annoncé la fin officielle des PAS, un nouvel outil appelé « Doing Business » (« faire des affaires ») voit le jour… Le hasard fait décidément bien les choses !
Les gouvernements des pays du Sud se vouent une compétition acharnée afin d’offrir au secteur privé les conditions les plus attractives, conscients que la Banque mondiale et les créanciers bilatéraux orientent leurs lignes de prêts également en fonction des résultats obtenus à ce classement
Ce rapport annuel se propose de classer les 189 pays membres de la Banque mondiale selon leur capacité à aménager un bon « climat des affaires » pour les investisseurs en fonction de différents critères : une déréglementation maximale, une fiscalité amicale pour le secteur privé, une législation qui protège le moins possible les droits des travailleurs et qui les met en concurrence les uns avec les autres.
Les gouvernements des pays du Sud se vouent donc une compétition acharnée afin d’offrir au secteur privé les conditions les plus attractives, conscients que la Banque mondiale et les créanciers bilatéraux orientent leurs lignes de prêts également en fonction des résultats obtenus à ce classement. Et la Banque s’en réjouit ! En 2014, elle se félicitait que le « Doing Business » ait inspiré plus d’un quart des 2100 réformes enregistrées depuis sa création [14].
Et elle ne voulait pas s’arrêter en si bon chemin ! À la demande expresse du G8 qui invitait en 2012 à « élaborer un index pour noter les pays sur le climat des affaires dans le secteur agricole » [15], elle a développé l’outil « Enabling the Business of Agriculture » (EBA) [16]. Financé par la fondation Bill et Melinda Gates ainsi que par les gouvernements états-unien, anglais, danois et néerlandais, l’EBA calque sa méthodologie sur celle du « Doing Business ».
En valorisant l’accès aux intrants non-organiques et en poussant à une agriculture sous contrat, l’EBA permet aux grandes multinationales de l’agrobusiness d’étendre encore un peu plus leur influence [17]. La logique prônée par la Banque mondiale va totalement à l’encontre de la réalité et des intérêts de l’agriculture familiale qui concerne pourtant 80 % des exploitations agricoles dans les pays du Sud.
Limité dans un premier temps à un projet pilote qui concernait 10 pays volontaires, le rapport 2016 s’était déjà étendu à 40 pays et l’ambition est bien de couvrir un maximum de pays au plus vite.
À la vue de tous ces nouveaux dispositifs, on a bien du mal à voir en quoi la Banque mondiale serait devenue, comme elle le prétend, une organisation luttant contre la pauvreté.
Les controverses autour du « Doing Business »
Mais là encore, la réalité a vite rattrapé l’institution. Aux accusations multiples en provenance de mouvements sociaux, de syndicats ou encore de professeurs d’universités, se sont ajoutées celles de Paul Romer, alors économiste en chef à la Banque mondiale. En s’appuyant notamment sur la perte de 23 places du Chili alors présidé par la « socialiste » Michelle Bachelet, il dénonçait également le parti pris idéologique (ouvertement néolibéral) dans la méthodologie et la rédaction du rapport. Après avoir été rappelé à l’ordre par le président Jim Yong Kim, il présentait dans la foulée sa démission en janvier 2018. En août 2020, la Banque mondiale elle-même annonce, bien malgré elle, l’interruption de la publication du rapport 2020 après signalement d’« un certain nombre d’irrégularités concernant les modificatifs apportées aux données des rapports Doing Business 2018 et Doing Business 2020, […] publiés respectivement en 2017 et 2019. Ces modifications n’étaient pas cohérentes avec la méthodologie Doing Business » [18].
« La Banque mondiale s’assied sur les droits humains ! »
On pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’une organisation qui prétend lutter contre la pauvreté intègre le respect des droits humains comme un des critères fondamentaux de son action. Pourtant, et bien qu’elle soit officiellement dans l’obligation de respecter les règles du droit international [19], cela fait plus de 76 ans que ces principes ne passent pas le seuil des bureaux feutrés de Washington.
« La Banque mondiale s’assied sur les droits humains. Elle les considère davantage comme une maladie infectieuse que comme des valeurs et obligations universelles. » [20] Philip Alston, Rapporteur Spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains, 2015 |
Pour « justifier » ce refus, la Banque se cache derrière sa mission qui, se limitant à des considérations économiques, l’empêcherait d’aborder des notions trop politiques. On a du mal à comprendre en quoi cette mission prétendument technique la placerait au-dessus du droit international. Par ailleurs, la Banque mondiale n’a eu aucun problème à trouver des justifications lorsqu’il s’agissait d’intégrer des questions comme la corruption, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ou la gouvernance qui ne faisaient initialement pas partie de ses prérogatives.
La Banque mondiale, une zone de non-droit
S’estimant au-dessus des lois, la Banque mondiale n’en finit plus de bafouer les droits fondamentaux des peuples du Sud. Parmi de trop nombreux exemples, citons l’enquête de terrain réalisée dans quatorze pays par le Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ) [21], qui révèle que les projets financés par la Banque ont contraint près de 3,4 millions de personnes à quitter leur domicile depuis 2004, parfois avec le recours de policiers armés chargés de les expulser. Loin d’être un cas isolé, les instances onusiennes, nationales et les comités d’experts indépendants ne cessent de confirmer que plusieurs projets financés par la Société financière internationale (SFI), une des instances de la Banque mondiale, se sont traduits par de graves infractions aux droits humains : accaparement des terres, répression, arrestations arbitraires ou meurtres, afin de faire taire les mouvements de protestation contre certains projets financés par la Banque.
Le fiasco scandaleux des « pandemic bonds » émis par la Banque mondiale
En juillet 2020, la Banque mondiale a renoncé à mettre sur les marchés financiers une nouvelle émission de titres « pandémiques » (pandemic bonds dans le jargon des fonds d’investissement et de la presse financière) après que la première ait été critiquée pour sa lenteur à verser l’aide aux nations pauvres souffrant de graves épidémies [22].
Les fonds d’investissements et les banques privées qui ont acheté ces titres en 2017 ont reçu des paiements d’intérêts qui s’élevaient à près de 100 millions de dollars à la fin du mois de février 2020 !!!
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La Banque mondiale a lancé en 2017 son programme de « pandemic bonds » à la suite de l’épidémie d’Ebola de 2014 en Afrique. Pour qu’un pays puisse avoir accès à ce programme pour faire face à une épidémie, il fallait qu’il démontre que l’épidémie avait causé au moins 2500 décès. En 2018, la République démocratique du Congo avait dû attendre que l’épidémie fasse des ravages pour pouvoir recevoir une aide. Cela avait provoqué de fortes critiques.
La Banque mondiale a émis ces titres en 2017 pour un montant de 320 millions de dollars destinée officiellement à aider les pays en développement à faire face à une grave épidémie de maladie infectieuse [23].
Les fonds d’investissements et les banques privées qui ont acheté ces titres en 2017, ont fait de juteux profits car la Banque leur a garanti un rendement à deux chiffres, c’est-à-dire nettement plus de 10 %. Les détenteurs de ces titres parmi lesquels Baillie Gifford qui est un fonds de placement écossais, Amundi (qui est la propriété de la banque française, Crédit Agricole) et Stone Ridge Asset Management société financière newyorkaise, ont reçu des paiements d’intérêts qui s’élevaient à près de 100 millions de dollars à la fin du mois de février 2020 !!!!
À la mi-avril 2020, plus de deux mois après que le virus ait commencé à se propager dans le monde, les conditions pour verser près de 200 millions de dollars ont finalement été remplies. Les 64 pays qui devront se partager la maigre somme de 195 millions de dollars auront droit selon leur taille à une aide qui oscillera entre 1 million et 15 millions de dollars, soit des peanuts. La somme la plus élevée disponible, de 15 millions de dollars, a été allouée au Nigeria et au Pakistan.
Une deuxième version du « Mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie (PEF) », c’est ainsi que la banque désigne les « pandemic bonds » devait être lancée cette année, après que la Banque mondiale ait déclaré, début 2019, qu’elle procédait à des ajustements de la structure avant de commercialiser le nouveau produit en mai 2020 ou aux alentours de cette date. Finalement devant les critiques de plus en plus nombreuses, la Banque mondiale a renoncé à passer à la phase 2.
BM / FMI et la crise de 2020 dans le contexte de la pandémie du coronavirus
Les gouvernements et les grandes institutions multilatérales comme la Banque mondiale, le FMI et les banques régionales de développement ont instrumentalisé le remboursement de la dette publique pour généraliser des politiques qui ont détérioré les systèmes de santé publique : suppression de postes de travail dans le secteur de la santé, précarisation des contrats de travail, suppression de lits d’hôpitaux, fermeture de postes de santé de proximité, augmentation du coût de la santé tant au niveau des soins que des médicaments, sous-investissements dans les infrastructures et les équipements, privatisation de différents secteurs de la santé, sous-investissement public dans la recherche et le développement de traitements au profit des intérêts de grands groupes privés pharmaceutiques…
Avant même l’éclatement de l’épidémie Covid-19, ces politiques avaient déjà produit d’énormes pertes en vie humaines et, aux quatre coins de la planète, les personnels de santé avaient organisé des protestations.
Si l’on veut se donner les moyens de combattre le coronavirus et, au-delà, d’améliorer la santé et les conditions de vie des populations, il faut adopter des mesures d’urgence.
La suspension immédiate du paiement de la dette et mieux encore son annulation doivent constituer une priorité.
Ni la Banque mondiale ni le FMI n’ont annulé des dettes depuis le début de la pandémie du coronavirus. Ces deux institutions ont multiplié des déclarations qui visaient à donner l’impression qu’elles prenaient des mesures très fortes. C’est entièrement faux
Or ni la Banque mondiale ni le FMI n’ont annulé des dettes depuis le début de la pandémie du coronavirus [24]. Ces deux institutions ont multiplié des déclarations qui visaient à donner l’impression qu’elles prenaient des mesures très fortes. C’est entièrement faux. Le mécanisme mis en place par le FMI, la BM et le G20 ressemble comme deux gouttes d’eau au mécanisme mis en place après le Tsunami qui avait frappé l’Inde, le Sri Lanka, le Bangladesh et l’Indonésie en décembre 2004 [25]. Au lieu d’annulation, les créanciers publics ne font que reporter les échéances. Quant au FMI, il ne met pas fin au remboursement, il ne le suspend même pas. Il a mis en place un fonds spécial qui est alimenté par des pays riches et dans lequel le FMI puise pour se rembourser.
Pire, depuis mars 2020, le FMI a prolongé des accords de prêts qui impliquent la poursuite des mesures structurelles énumérées plus haut.
Quant à la Banque mondiale, depuis mars 2020, elle a reçu plus de remboursements des PED qu’elle n’a octroyé de financement que ce soient sous forme de dons ou de prêts.
Eric Toussaint
Ce texte est une version actualisée et augmentée de Émilie Paumard, « Le FMI et la Banque mondiale ont-ils appris de leurs erreurs ? » https://www.cadtm.org/Le-FMI-et-la-Banque-mondiale-ont-ils-appris-de-leurs-erreurs publié le 13 octobre 2017. Milan Rivié a contribué à l’actualisation du texte et Éric Toussaint s’est chargé des recherches complémentaires et de la rédaction finale. Merci à Claude Quémar pour la relecture.
Notes :
[1] Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, 2002.
[2] Propos tenus sur le plateau de France 2 le 20 février 2011. Cité dans l’article de Christian Chavagneux, « Le FMI a-t-il vraiment changé ? », Alternatives économiques, n°301, avril 2011.
[4] Au moment de l’étude de Mohammed Mossallem l’accord de prêts avec l’Égypte n’était pas encore conclu. Le FMI a finalement validé un accord de prêt de 12 milliards de dollars en novembre 2016.
[10] La quote-part d’un pays membre détermine son engagement financier maximum envers le FMI ainsi que son pouvoir de vote.
[19] Le Comité de l’ONU pour les droits économiques, sociaux et culturels a rappelé dans une déclaration officielle datée du 24 juin 2016 que la Banque mondiale comme toute autre organisation internationale doit impérativement respecter la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les principes généraux du droit international et les Pactes de 1966 sur les droits humains. Voir : E/C.12/2016/1 « Public debt, austerity measures and the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights ». Statement by the Committee on Economic, Social and Cultural Rights.
[23] Voici ce qu’on peut trouver sur le site da Banque mondiale : « Souscrite en juillet 2017, l’assurance comprenait deux catégories d’actifs, chacune composée d’obligations et de swaps. La catégorie A comprenait 225 millions de dollars d’obligations et 50 millions de dollars de swaps, et la catégorie B 95 millions de dollars d’obligations et 55 millions de dollars de swaps. Les obligations ont été émises au titre du Mécanisme mondial d’émission d’obligations de la BIRD, dans le cadre du programme de billets avec capital à risque créé en 2014 en partie pour répercuter les risques de catastrophe sur les marchés des capitaux. »
Source : https://www.banquemondiale.org/fr/topic/pandemics/brief/fact-sheet-pandemic-emergency-financing-facility
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