Le destin tragique des communistes arabes 1/2

Le destin tragique des communistes arabes 1/2

Par René Naba.

En collaboration avec Madaniya.info

L’auteur dédie ce texte à la mémoire de Farjallah Hélou (Liban), Abdel Kader Mahjoud et Hachem Al Atta (Soudan), les plus illustres suppliciés communistes du Monde arabe.

A Abdel Mohsen Saadoune (1879-1929) qui a accédé au sacrifice suprême par fidélité à ses convictions. Ancien premier ministre d’Irak sous la monarchie, durant la période du mandat britannique, Abdel Mohsen Saadoun se suicidera après avoir ratifié, sur ordre du Roi, le traité anglo-irakien, qu’il jugeait contraire aux intérêts de son pays. «Saadoune street», l’artère populeuse et commerçante de Bagdad, a été baptisée de son nom en hommage à son patriotisme.

L’auteur y joint un hommage posthume à Tayed Kebab, un militant communiste de base, franco-algérien. Arrivé à Septèmes-les-Vallons en 1971, à l’âge de 7 ans, Tayeb Kebab faisait partie de ces familles des Aurès, chassées de leur milieu rural par la guerre en 1958 en Algérie. Il était très engagé dans la coopération internationale, pour la paix et pour l’amitié entre les peuples Il a été un des promoteurs des jumelages de Septème les Vallons (région Sud de la France) avec les villes du Monde.

Abdel Khaleq Mahjoub, Secrétaire général du Parti Communiste Soudanais, répondant lors de son procès, le 27 juillet 1971, à la question posée par le général Ahmad Mohamad Hassan, chef de la justice militaire au sein du commandement général des forces armées soudanaises:

« Qu’avez vous apporté à votre peuple »?
Sur un ton d’une grande sérénité, réponse de Mahjoub: «La lucidité, autant que j’ai pu ».

Tweet d’Assad Abou Khalil, politologue libanais, professeur de Sciences Politiques à UCLA (Université of South California Los Angeles)
@asadabukhalil
منقولة:
أثناء محاكمة عبدالخالق محجوب في ٢٧ يوليو ١٩٧١، قام قاضي المحكمة العسكرية العقيد احمد محمد حسن وكان يشغل وقتها منصب رئيس القضاء العسكري في القيادة العامة للقوات المسلحة بتوجيه سؤال الي المتهم :(ماذا قدمت لشعبك؟!!) ..أجابه عبدالخالق في هدوء شديد: (الوعي.. بقدر ما استطعت)

1- Les communistes arabes, un rôle d’avant garde dans la lutte contre le fascisme et le nazisme.

Pour surprenant que cela puisse paraître, les communistes arabes ont pris une part active dans le combat contre le fascisme et le nazisme dès son apparition en Europe.

Contrairement aux idées reçues, les communistes arabes ont joué un rôle d’avant garde en soutien aux nationalistes éthiopiens contre le fascisme mussolinien. Lors de la guerre d’Espagne, des communistes arabes se sont engagés au sein des «Brigades Internationales», dépêchant même des communistes palestiniens pour exhorter les Marocains enrôlés dans l’armée du général Francisco Franco de ne pas diriger leurs armes contre les Républicains espagnols.

Ce fait est peu connu, occulté pour les besoins de la propagande israélienne focalisant sur le rôle de Cheikh Hajj Mohamad Amine Al Husseini, Grand Mufti de Jérusalem et sa rencontre avec Hitler, en vue de discréditer les Palestiniens et disqualifier toute revendication nationale palestinienne. Une thèse reprise, amplifiée et dénaturée par Michel Onfray, le théoricien du populisme sommaire:

«Le petit docteur en philo (donc moins gradé que BHL !) nous explique que si les Palestiniens sont aujourd’hui un peuple martyrisé sur une terre qu’on leur vole, c’est qu’ils furent jadis nazis. Et ils sont justement punis de leur vieil engagement de «collabos» entre 1933 et 1945… Et pour nous démontrer ça, il nous explique que «Husseini, le grand mufti de Jérusalem, était un partisan d’Hitler et a fait le voyage à Berlin». Exact, mais dans ce grotesque lancé d’histoire en pièces détachées, Onfray ne nous parle pas du contenu de ces nombreux travaux publiés sur la collaboration entre les nazis et des chefs miliciens juifs, l’idée étant de faire guerre commune contre les Anglais qui occupaient la Palestine. Lisez Hanna Arendt, elle a noté ce détail. Les Palestiniens ne sont pas plus les acteurs de leur malheur que ces hommes et femmes de confession juive ne le furent dans le cycle de la barbarie qui les a détruits», lui assénera, caustique, le journaliste Jacques Marie Bourget, dans une réplique visant à revitaliser la mémoire amnésique de ce théoricien de l’intelligence superficielle.

Pour aller plus loin sur les délires de Michel Onfray, cf ce lien: http://www.afrique-asie.fr/ce-dont-onfray-est-le-nom/

Mufti de Jérusalem alors que la Palestine est sous mandat britannique, Hajj Amine Al Huseini sera en 1936, l’instigateur de la révolte contre les autorités britanniques. Exilé par les Britanniques en 1937, Hajj Amine se rend en Europe et, par application du principe selon lequel «l’ennemi de mon ennemi est mon ami», le Mutfi rencontre, tour à tour, Benito Mussolini (Italie) et Adolphe Hitler (Allemagne) le 28 Novembre 1941, plaidant pour la nécessité de freiner l’immigration juive en Palestine.

L’antifascisme des communistes arabes les plaçait à contre-courant de l’opinion publique arabe, qui voyait dans l’Italie et l’Allemagne des alliés potentiels dans leur lutte contre la Grande-Bretagne et la France, puissances coloniales dans la majorité des pays arabes.

L’attitude des communistes arabes vis-à-vis du fascisme et du nazisme était identique à celle adoptée par l’ensemble des partis communistes dans le monde, regroupés, dès le début des années 1920, au sein de l’Internationale communiste (IC) et ratifiée par le septième Congrès de l’IC, réuni à Moscou du 25 juillet au 20 août 1935.

La première campagne organisée par les communistes arabes se proposait comme objectif de soutenir le combat des Éthiopiens contre l’agression italienne.

La deuxième campagne a été la campagne de solidarité avec les républicains espagnols. Elle s’est déroulée sur deux plans:

  • Engagement de communistes arabes dans les rangs des Brigades Internationales
  • Mission de pédagogie politique des membres du Parti communiste palestinien auprès des troupes marocaines sous le commandement du général Francisco Franco pour les dissuader de diriger leurs armes contre les Républicains espagnols.

La délégation du PC palestinien était composée d’ailleurs d’Arabes et de Juifs, notamment d’Ali Abdel Khaleq al-Jibawi, membre du Comité Central du parti, tué en Espagne, et Najati Sidqi, membre du secrétariat du parti, chargé par la direction de l’Internationale Communiste de participer à l’organisation des campagnes d’information à l’adresse des Marocains qui combattaient dans les rangs des troupes anti républicaines.

Pour aller plus loin sur ce thème, cf : https://aggiornamento.hypotheses.org/3497

2- La contribution des Arabes et Musulmans à la lutte contre l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie.

Fait sans pareil dans l’histoire, Arabes et Africains, chrétiens et musulmans ont volé à deux reprises au secours de la France dans des guerres qui leur étaient totalement étrangères.

Les Asiatiques, sherpas indiens, combattants pakistanais et ghurkas népalais au secours du Royaume Uni. Autrement dit, des «basanés» au secours de leurs colonisateurs dans une querelle de blancs.

Pis, lors de la II me Guerre mondiale (1939-1945), alors qu’une large fraction des Français collaboraient avec l’Allemagne nazie, la première armée d’Afrique comptait dans des rangs 173 000 arabes et africains, dont cinquante cinq mille (55 000) Algériens, Marocains, Tunisiens et combattants d’Afrique noire furent tués. 25 000 d’entre eux servaient dans les rangs de l’armée d’Afrique.

Durant la campagne d’Italie, marquée par la célèbre bataille de Monte Cassino, qui fit sauter le verrou vers Rome, et, à ce titre, célébrer comme la grande victoire française de la II me guerre mondiale, sur les 6.255 soldats de l’armée française tués, 4.200, soit les deux tiers étaient originaires du Maghreb et parmi les 23.5000 blessés, 15.600, soit le tiers étaient du Maghreb.

Au delà des communistes arabes, la contribution globale des colonies à l’effort de guerre français a été substantielle.

Pour la 1ère Guerre Mondiale (1914-1918), elle s’est élevée à 555.491 soldats, dont 78.116 ont été tués. L’Algérie, à elle seule, a fourni 173.000 combattants musulmans, dont 23.000 ont été tués. La contribution totale des trois pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) s’est élevée à 256.778 soldats, 26.543 tués

Pour la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945): La première armée d’Afrique qui débarqua en Provence (sud de la France), le 15 août 1944, avait permis d’ouvrir un deuxième front en France après le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie. Cette armée de 400.000 hommes, comptait 173 000 arabes et africains dans ses rangs. De juin 1940 à mai 1945, cinquante cinq (55 000) Algériens, Marocains, Tunisiens et combattants d’Afrique noire furent tués. 25.000 d’entre eux servaient dans les rangs de l’armée d’Afrique.

3- L’abolition du Traité anglo-irakien de Portsmouth et la nationalisation de l’IPC.

Sous la monarchie, l’Irak constituait un fief de l’IPC (Iraq Petroleum Compagny), un trust qui faisait et défaisait les gouvernements au gré de ses humeurs, et la dynastie hachémite, un bastion britannique, un poste d’observation avancé en direction de la zone pétrolifère du Golfe.

La nationalisation de l’IPC par Saddam Hussein en 1970, première nationalisation du pétrole en terre arabe, va donner le coup d’envoi aux nationalisations pétrolières dans les autres pays arabes, notamment l’Algérie et la Libye.

Saddam Hussein en paiera le prix 30 ans plus tard, par l’invasion américaine de l’Irak, en partenariat avec…. le Royaume Uni….et «le caniche» britannique de George Bush Jr de l’époque Tony Blair.

Dans son exposé à la jeunesse ouvrière de Zurich, en Janvier 1917, Lénine assurait que l’Irak était prêt pour une révolution car il réunissait les trois conditions voulues: «l’avilissement des classes pauvres, l’incapacité de la classe dirigeante à maintenir l’ancien système, l’existence d’une classe ouvrière consciente, forte et prête à l’action».

Prévision justifiée par les exploits du peuple irakien: Abrogation sous la pression populaire du Traité de Porthsmouth entre le Royaume Uni et l’Irak, en 1948; Abrogation du Pacte de Bagdad, en 1958, coalisant les pays musulmans non arabes (Pakistan, Turquie) avec l’Irak; Enfin abolition de la monarchie hachémite d’Irak et proclamation de la République au son de la Marseillaise, le 14 Juillet 1958.

En 1948, Bagdad constituait un foyer du militantisme. Le plan de partage de la Palestine enflammait les esprits.

Sur fond de désastre de la Palestine, le soulèvement populaire contre le Traité de Portshmouth, conclu entre la Monarchie irakienne (Hachémite) et le Royaume Uni va donner une nouvelle dimension à la contestation politique. Excédés par le rôle des Britanniques dans la création de l’état hébreu, furieux contre les Hachémites perçus comme les «laquais du colonialisme britannnique», les Irakiens réclament et obtiennent l’abolition du traité.

Une victoire qui se situe en droite ligne du comportement des dirigeants nationalistes irakiens, tels Abdel Mohsen Saadoune (1879-1929). Ancien premier ministre d’Irak sous la monarchie, durant la période du mandat britannique, Abdel Mohsen Saadoun se suicidera après avoir ratifié, sur ordre du Roi, le traité anglo-irakien, qu’il jugeait contraire aux intérêts de son pays. «Saadoune street», l’artère populeuse et commerçante de Bagdad, a été baptisée de son nom en hommage à son patriotisme.

Une victoire comparable aussi à celle remportée, trente trois ans plus tard, par les nationalistes libanais en obtenant l’abrogation du traité de paix israélo-libanais, conclu en 1983, sous le mandat du président phalangiste Amine Gemayel.

4 – Le sacerdoce et l’armée, voies d’accès à l’éducation, ascenseurs sociaux pour les couches défavorisées

Dans les couches les plus démunies de la population, le sacerdoce faisait office d’ascenseur social, tant chez les chrétiens où le séminaire donnait accès à un enseignement gratuit, que chez les musulmans, particulièrement les chiites, la frange la plus défavorisée de la population, pour les aspirants membres du clergé.

Une fonction exercée plus tard par l’armée, notamment au sein des bureaucraties militaires (Égypte, Syrie, Irak, Libye, Soudan, Somalie).

Toutefois la perte de la Palestine par le traumatisme qu’elle infligea à la jeunesse, détourna bon nombre de vocations au profit du communisme. A titre d’illustration, le cas de deux étudiants libanais chiites: Hussein Mroueh et Mohamad Charara, venus en Irak pour s’initier au rudiment de la jurisprudence islamique à Najaf, haut lieu saint chiite d’Irak, revêtu d’ailleurs de la coiffe traditionnel des aspirants au sacerdoce.

Ils finiront leur parcours comme membres actifs du parti communiste. Tout comme Karim Mroueh, un des dirigeants historiques du Parti Communiste Libanais, qui narrera ce phénomène dans ses mémoires. Les mémoires de Karim Mroueh, AR Rai Al Yom en date du 21 juin 2019, sur ce lien en version arabe pour le locuteur arabophone

Si toutefois la désastre de Palestine a constitué un appel d’air pour les communistes arabes, le vote de l’Union soviétique en faveur de la création de l’état d’Israël va briser net cet élan et transformer en enfer leur vie.

5- La tragique méprise de l’URSS lors du vote du plan de partage.

Pour les survivants du génocide hitlérien et les innombrables et nouveaux sympathisants de la cause juive tout heureux de compenser par une arabophobie lancinante, une judéophilie naissante, comme soulagés de leur passivité antérieure devant l’un des grands points noirs de l’histoire occidentale avec la traite négrière, la création d’Israël constituait une juste réparation d’un dommage à l’égard d’une communauté continuellement persécutée en Europe depuis plusieurs siècles dans leurs propres pays par leurs propres concitoyens.

Il n’en pas été de même pour les Arabes qui estimaient que le Plan de Partage de la Palestine représentait la première opération de délocalisation vers le Monde arabe de la sous-traitance de l’antisémitisme récurrent de la société occidentale; une opération aboutissant à l’amputation d’un patrimoine national au profit d’une communauté exogène, en compensation de massacres dont pas plus les Arabes que les Palestiniens n’en étaient aucunement responsables. Une compensation sur bien d’autrui en somme. Une opération triangulaire d’une grande perversité.

L’URSS, elle, estimait que l’idéal sioniste symbolisé par le Kibboutz était plus conforme au schéma soviétique matérialisé par le Kolkhoze, en tout cas infiniment plus que les «féodaux arabes». Tel était du moins l’argument avancé par la propagande soviétique pour justifier son vote en faveur de la création d’ Israël.

Mais cet aspect idéologique masquait en fait un objectif stratégique: Le dégagement des Britanniques du Moyen orient. En appuyant la création d’Israël Moscou entrevoyait une possibilité de pénétrer au Proche-Orient par la Palestine, à condition d’en chasser d’abord les Anglais.

Durant la période suivant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques ont essayé, en effet, d’organiser le monde de manière à le tenir hors de portée des Soviétiques. En septembre 1946, à Zurich, Winston Churchill lance l’idée des États-Unis d’Europe. Sur le même principe, il lance la Ligue arabe.

Dans les deux cas, il s’agissait de faire l’unité d’une région sans la Russie. Dès le début de la Guerre froide, les États-Unis d’Amérique, de leur côté, créent des associations chargées d’accompagner ce mouvement à leur profit, l’«American Committee on United Europe» et l’«American Friends of the Middle East».

Dans le monde arabe, la CIA organise des coups d’État, notamment en faveur du général Hosni Zaim à Damas (mars 1949), un prétendu nationaliste que l’on supposait hostile aux communistes.

Dans cette perspective, Washington amène en Égypte le général SS Otto Skorzeny et en Iran le général nazi Fazlollah Zahédi, accompagnés de centaines d’anciens responsables de la Gestapo pour diriger la lutte anticommuniste.

Skorzeny a malheureusement modelé la police égyptienne dans une tradition de violence. En 1963, il choisira la CIA et le Mossad contre Nasser. Zahédi quant à lui créera la SAVAK, la plus cruelle police politique de l’époque.

Face à l’hostilité du Monde occidental, l’objectif de l’URSS était donc double: affaiblir les Britanniques dans la région, et essayer de faire basculer Israël dans le camp soviétique, en profitant de la domination de la gauche sur le mouvement sioniste et de son alliance avec le Mapam, second parti du pays après les élections de 1949, selon l’historien Ilan Pappé.

Ravi du soutien inattendu de Moscou, David Ben Gourion n’entendait pas pour autant rallié le camp soviétique. Le premier ministre israélien déclarait à l’ambassadeur américain James Grover Mc Donald nommé par Truman:

«Israël salue le soutien russe aux Nations unies, mais ne tolérera pas de domination russe. Non seulement Israël est occidental dans son orientation, mais notre peuple est démocrate et réalise qu’il ne peut devenir fort et rester libre qu’à travers la coopération avec les États-Unis. ..«Seul l’Occident lui-même, en humiliant Israël et en l’abandonnant aux Nations unies et ailleurs, pourrait s’aliéner notre peuple».

De fait, dès l’automne 1950, les Soviétiques prenant conscience des conséquences désastreuses de leur méprise sur leurs alliés communistes arabes vont durcir leur position à l’égard d’Israël. Une rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Tel Aviv intervient en 1951. Elles ne seront rétablies que très froidement, après la mort de Staline (1953).

Mais l’URSS ne s’en remettra jamais totalement de cette méprise. Erreur de jugement fatale qui vaudra aux communistes arabes d’être pourchassés pour athéisme et matérialisme. La caution soviétique au plan de partage va en effet déclencher une vague de désertion dans les rangs communistes arabes désormais constamment tenus en suspicion, parallèlement à une vague de répression à leur encontre.

Sur l’origine du divorce entre les communistes arabes et l’Union soviétique

6 – Le Parti Communiste Algérien: La mort en déportation de son secrétaire général, Kaddour Boussahba, déporté par Vichy.

Le PCA émerge en 1920 comme une extension du Parti Communiste Français dont les cellules sont principalement composées d’ouvriers expatriés, européens dont de nombreux Français «indésirables» en Métropole.

Des parias de l’Empire expédiés en Algérie alors dépotoir de la France, rejetons de parents envoyés dans les colonies à la suite de la Commune de Paris et de mouvements ultérieurs.

Bon nombre de descendants d’immigrés européens intégreront d’ailleurs la nation algérienne dans son combat pour l’indépendance, tels Raymonde Peschard, Fernand Iveton, guillotiné le 11 février 1957, Henri Maillot, assassiné par l’armée française le 5 juin 1956 et naturellement Maurice Audin, mort sous la torture le 21 juin 1957.

Le PCA devient finalement une entité séparée en 1936, à l’époque du Front Populaire et ouvre ses rangs aux autochtones. Son premier secrétaire d’origine algérienne et non métropolitaine sera Ben Ali Boukort, un intellectuel qui utilisait le pseudonyme « El Djazairi » (l’algérien) dans ses articles. Kaddour Belkaîm, (de son vrai nom Kaddour Boussahba), lui succédera.

Il sera déporté en septembre 1939 à Djeniene Bourezg (70 km au sud de Aïn Sefra), suite à l’interdiction du PCA par le gouvernement de Vichy. Belkaïm mourra en déportation en 1940.

Lors du déclenchement de la guerre d’Algérie, les cadres et militants du PCA votent, à l’unanimité la participation à la lutte armée anticolonialiste. Les militants du PCF et du PCA créent un réseau de maquisards, les «Combattants de la Libération (CDL)», qui bénéficient du détournement par l’aspirant Maillot d’un camion chargé d’armes.

En mai 1955, le dirigeant du FLN Abane Ramdane négocie la particpation du PCA à la guerre pour l’indépendance. Un accord PCA-FLN est négocié par Bachir Hadji Ali et Sadek Hadjerès, afin de maintenir l’autonomie politique du PCA. Il n’admet l’adhésion de communistes au FLN qu’à titre individuel et non en tant que groupe.

Mais, le 12 septembre 1955, le parti est interdit par les autorités françaises. Il se rapproche alors de plus en plus du FLN. En septembre 1956, le mathématicien Maurice Audin organise l’extradition clandestine, vers l’étranger, du premier secrétaire du PCA, Larbi Bouhali, avant d’être lui-même arrêté et assassiné lors de la bataille d’Alger. En 1956, le PCA est progressivement marginalisé par le FLN, les militants de son groupe armé, les Combattants de la libération (CDL), ayant rejoint le FLN.

Pour aller plus loin sur le PC algérien cf.

  • -«Des chemins et des Hommes», par Mohamad Rebah. Editions Mille Feuilles. Alger 2009, sur la participation des communistes algériens à la lutte armée pour l’indépendance.
  • http://www.alger-republicain.com/Des-chemins-et-des-hommes-de.html
7- Egypte: Henri Curiel et l’orchestration de la lutte des classes sous Nasser.

Le Parti communiste égyptien, parti cosmopolite au départ était composé notamment d’intellectuels (musulmans, chrétiens, juifs, immigrants récents), reflet de la société égyptienne de l’époque. L’un de ses plus illustres membres aura été Henri Curiel, fils d’un banquier et surtout le propre père du journaliste français Alain Gresh.

Un des grands animateurs du Mouvement de Libération National dans le Tiers Monde, Henri Curiel fera parti du réseau des «porteurs de valises», le fameux «réseau Francis Jeanson» de la guerre d’Algérie, auquel il succédera à la suite de sa nomination à la tête du «Mouvement Anticolonialiste français».

En 1976, le journaliste Georges Suffert, via le magazine Le Point, lance une campagne de presse lancée contre lui. L’article l’accuse d’être le chef d’un réseau de soutien au terrorisme international piloté par le KGB. Le ministre de l’Intérieur Christian Bonnet assigne alors Henri Curiel à résidence à Digne le 25 octobre 1977, mais cette mesure, ainsi que l’arrêté d’expulsion qui le visait, est levée le 12 janvier 1978.

Quatre mois plus tard, le 4 mai 1978, un commando de deux hommes s’introduit dans la cour de l’immeuble dans lequel résidait Henri Curiel à Paris et abat le militant communiste au pied de son ascenseur de quatre balles.

Les Commandos Delta de l’OAS d’un côté, le Groupe Charles-Martel, de l’autre, revendiquent l’attentat. Mais leur responsabilité réelle est fortement remise en question par les enquêtes ultérieures.

En Égypte, sous la monarchie, le choix était limité entre le Parti Wafd, qui pratiquait la collaboration avec le colonialisme britannique et la Confrérie des Frères Musulmans, formation ultra religieuse. Le PC égyptien s’imposait de lui même pour des intellectuels contestataires.

Ce fut le choix d’une grande figure du courant intellectuel communiste égyptien, le duo Mahmoud Hussein, pseudonyme utilisé par Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, auteur du mémorable ouvrage «La Lutte des Classes en Égypte» (Editions La Découverte Maspero) et d’un portrait iconoclaste du prophète de l’Islam «Al Sira», ainsi que «Les Musulmans au défi de Daech».

Adel Rifaat, né Eddy Lévy, converti à l’Islam, l’année de l’agression tripartie anglo franco israélienne contre l’Égypte nassérienne, était en fait le frère aîné de l’historien Benny Lévy, ancien secrétaire du Philosophe Jean Paul Sartre, ancien maoïste revenu au judaïsme.

Le PCE a été fondé en 1921 sous le nom de Parti socialiste égyptien. Il devient Parti communiste en 1923, et s’attachera à développer les luttes sociales en organisant la classe ouvrière et les paysans.

Victimes de la répression, les militants communistes vont scinder leur parti en plusieurs groupes distincts et tenter de se réunir à plusieurs reprises, jusqu’à recréer un Parti communiste en 1958, puis décider de dissoudre celui-ci en 1965.

Le PCE a pâti de déséquilibre structurel de la société égyptienne qui a entravé son expansion: 96 % de la population était à l’époque paysanne. 3 pour cent seulement des Égyptiens travaillent dans des usines, notamment de textile à la faveur de la culture du coton. Le pays était très pauvre, les troubles sociaux courants, les épidémies étaient fréquentent; la malaria, la bilharziose et le trachome faisaient des ravages dans les campagnes.

A l’époque du lancement du PCE, l’espérance de vie était de 27 ans en Égypte. Les enfants contraints à travailler très jeune entre 6 et 13 ans, en vue de subvenir aux besoins des leurs familles.

Un autre handicap à son développement a été la figure charismatique de Gamal Abdel Nasser, propulsé au rang de chef mythique du Combat National Arabe, à la suite de la nationalisation du Canal de Suez, première nationalisation réussie du tiers monde et l’agression tripartite corrélative colonialiste anglo-franco-israélienne de Suez, en 1956. Nasser, selon sa propre formule, a «orchestré la lutte des classes plutôt que d’attiser la lutte des classes», en raison de son partenariat stratégique avec l’Union soviétique.

8 – Les «démocrates révolutionnaires» arabes et la réalpolitik soviétique.

Contre toute logique, l’Union soviétique apportera même un soutien systématique aux gouvernements dits «anti impérialistes», au détriment des partis communistes arabes. La doxa officielle soviétique créditait en effet les «démocrates révolutionnaires» du titre de compagnon de lutte dans le combat anti-impérialiste.

Ce label était attribué aux autocrates qui avaient engagé leur pays dans une «voie non capitaliste de développement économique». Ce terme englobait les régimes militaires en Egypte, en Syrie, en Irak, plus tard, en Algérie, en Libye, en Somalie et au Soudan.

Ainsi, au plus fort de la fusion syro égyptienne, Farjallah Hélou, premier secrétaire général des partis communistes libanais et syriens, venu clandestinement à Damas, sera capturé par les services secrets syriens.

Il périra sous la torture le 25 juin 1959, son cadavre dilué dans l’acide sera immergé dans le fleuve longeant Damas, afin d’éliminer toute trace de son existence, sans la moindre réaction de Moscou. Sans doute au nom de la «realpolitik» et son souci de ménager son nouveau grand allié, Gamal Abdel Nasser, avec lequel il venait de sceller un partenariat stratégique symbolisé par la construction du barrage d’Assouan.

Pis, dans une forme d’aberration mentale rare dans les annales internationales, les régimes pro soviétiques participeront eux mêmes à la chasse anti communiste s’alliant même avec leurs ennemis, comme ce fut le cas avec Mouammar Kadhafi, en 1971.

L’animateur du groupe des «Officiers libres» libyens, ainsi dénommé sur le modèle de leurs aînés égyptiens, fera cause commune avec les Britanniques, au mépris de son aversion déclarée pour ses anciens colonisateurs, en ordonnant le déroutement d’un avion de ligne de la BOAC (British Overseas Airways Corporation), en juillet 1971, pour livrer à son voisin soudanais, le général Gaafar Al-Nimeiry, les auteurs communistes d’un coup de force, notamment le colonel Hachem Al Attah, un des plus brillants représentants de la nouvelle génération des jeunes officiers arabes.

Pis, au mépris des règles de l’asile politique, Kadhafi livrera le chef communiste Mahjoub, malencontreusement réfugié en Libye, poings et pieds liés au président Nimeiry.

Les remords marmonnés en 1976 devant cet acte de forfaiture ne l’empêcheront pas de récidiver deux ans plus tard contre l’Imam Moussa Sadr, le chef spirituel de la chiite libanaise, mystérieusement disparu au terme d’un séjour à Tripoli, en 1978, au paroxysme de la guerre du Liban.

Le tortionnaire soudanais se déconsidérera par la suite, et son complice libyen avec, en supervisant le premier pont aérien d’Éthiopiens de confession juive vers Israël.

Kadhafi aura ainsi éliminé certaines des figures les plus emblématiques du mouvement contestataire arabe, affaiblissant considérablement son propre camp. Lors de la curée anti occidentale contre le «guide de la révolution libyenne», en 2011, si la gauche arabe a dénoncé l’ingérence de l’Otan dans les affaires intérieures d’un pays arabe, aucun n’a volé à son secours. Pas même les bénéficiaires de ses largesses passées.

Pour aller plus loin, sur ce thème, cf : https://www.renenaba.com/kadhafi-le-fossoyeur-de-la-cause-nationale-arabe/

Certains verront dans le vote russe en faveur de la résolution de l’ONU sur la Libye, en 2011, comme un «acte manqué»; un signe de dépit de Moscou à l’encontre du Colonel Kadhafi, lassé de toutes ses mauvaises manières, particulièrement sa nouvelle reddition aux Anglais, en 2003, sous l’effet d’un blocus, en leur dévoilant tout un pan de la coopération nucléaire souterraine des pays musulmans.

La résolution 1973 de l’ONU, adoptée à dix voix sur quinze le 18 Mars 2011, autorisait le recours à la force contre la Libye. Votée sous la présidence de Dimitri Medvedev, elle a fait l’objet d’un détournement de sens de la part les Occidentaux pour justifier leur intervention militaire contre la Jamahiryah.

9 – La stratégie suicidaire des dirigeants musulmans à l’égard des communistes.

Les dirigeants musulmans pro occidentaux, sans le moindre recul, feront preuve de la même furie anti-communiste, réduisant considérablement leur marge de manœuvre, fragilisant leur pouvoir en conséquence. Tous les tortionnaires des communistes seront évincés du pouvoir parfois de façon violente.

A l’exception de l’égyptien Gamal Abdel Nasser, qui a orchestré une sorte de lutte de classes au sein de son parti unique, l’Union Socialiste Arabe, et fait cohabiter le communiste Khaled Mohieddine et Anouar El Sadate, l’agent de liaison des Frères Musulmans auprès du «Groupe des Officiers libres», tombeur de la monarchie égyptienne. Il jouera même de leurs rivalités pour assurer sa prééminence, contrairement aux autres dirigeants du Moyen Orient qui engageront une féroce répression contre les communistes.

Il en a été de même en Syrie, où le président Hafez Al Assad associera le parti communiste syrien, sous l’égide de son secrétaire général Khaled Bagdache, à toutes les formations gouvernementales. Présence minoritaire mais symbolique d’une alliance entre la Syrie et l’Union soviétique.

En roue dentée de la stratégie atlantiste, le Chah d’Iran s’appliquera méthodiquement à démanteler le Parti Toudeh, sous le parrainage de la CIA qui disposait à Téhéran d’un fort contingent d’instructeurs pour encadrer la SAVAK, la police secrète iranienne.

Le général Gaafar Al Nimeiry, reniant ses convictions nassériennes pour un rôle de supplétif des équipées israélo-américaines dans la zone, s’acharnera contre le PC soudanais, le plus grand parti communiste du Monde arabe; enfin Anouar el Sadate, qui a lui aussi basculé dans le camp pro occidental, agira de même contre le parti communiste égyptien, alors que le groupe marxiste léniniste marocain «Ila Al Amam» (En Avant) subissait une dure répression dans les «années de plomb» (la double décennie 1970-1980) sous le règne de Hassan II, payant un lourd tribut à ses convictions, déplorant la mort de trois de ses militants, morts sous la torture:

Saida Menebhi, morte en prison à la suite d’une grève de la faim en décembre 1977, Abdellatif Zeroual, mort sous la torture en novembre 1974, et Amine Tahani mort sous la torture le 6 novembre 1985.

10- Le carnage du parti communiste indonésien

Mais la répression la plus sanglante frappera le Parti Communiste d’Indonésie.

Troisième parti communiste dans le monde par le nombre de ses adhérents, après ceux de Chine et de l’Union soviétique, -le plus important au monde en dehors de ceux des régimes communistes, le parti communiste indonésien est dissous en 1965 par Ahmad Soekarno sous la pression de l’armée, peu de temps avant l’éviction du pouvoir de l’hôte de la conférence de Bandoeng, la conférence fondatrice du Mouvement des Non Alignés. La chasse aux communistes indonésiens durera des mois et fera entre 500.000 et un million de morts, selon les estimations.

Épilogue: L’anti communisme primaire, une stratégie contre-productive

Les dirigeants musulmans pro occidentaux, sans le moindre recul, feront preuve d’une furie anti-communiste incompressible, réduisant considérablement leur marge de manœuvre, fragilisant leur pouvoir en conséquence. Tous les tortionnaires des communistes seront évincés du pouvoir parfois de façon violente.

Amputés de contre poids, les trois tortionnaires des communistes du Moyen Orient seront évincés du pouvoir par des islamistes: le Chah d’Iran destitué par la révolution non communiste, mais khomeiniste; Sadate qui se définissait comme «un président musulman d’un pays musulman» sera assassiné …….par un militaire néo-islamiste. Enfin le Roi Faysal, le financier absolu de la lutte anti communiste, assassiné par son propre neveu, dans son propre palais.

Et Gaafar Al Nimeiry, renversé par un coup d’état, opéré par les militaires qui remettront le pouvoir, au terme d’une période transitoire d’un an, à une coalition constituée par les pires ennemis de Nimeiry: le parti communiste et le parti islamiste Al Oumma, tandis que son compère libyen était assassiné et son régime détruit par une coalition occidentale dont les chefs de file n’étaient autre que son ancien ami anglais et l’ancien pourvoyeur français de son armée.

Depuis l’éviction du Général Omar Al Bachir, en 2019, le Soudan , frontalier de sept pays, est devenue la plus importante base de la CIA en Afrique et son armée qui a été engagée dans la guerre du Yémen, participe également aux opérations de l’AFRICOM, sous le commandement militaire américain

Au vu de ce bilan, l’anti-communisme primaire ne constitue pas la voie la meilleure pour la survie de dirigeants rudimentaires, à la vision sommaire.


Farjallah Hélou (Liban), Abdel Kader Mahjoud et Hachem Al Atta (Soudan)

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