Campagne de dons – Septembre-Octobre 2020
Chers amis lecteurs, comme vous avez dû le constater, le site RI enregistre depuis un certain temps une nette augmentation de son audience, ce qui prouve que les propagandistes de la pensée unique formatée ont échoué à atteindre leurs buts d’étouffer les voix discordantes comme la nôtre. Pour tenir compte de l’augmentation du nombre de nos lecteurs, nous envisageons de procéder à une migration du site vers un serveur plus conséquent, ce qui nous permettra de résoudre beaucoup des problèmes de connexions que certains d’entre vous nous signalent régulièrement. Chers amis lecteurs, grâce à vos dons, nous avons prévu de procéder à la migration du site dès la deuxième moitié d’Octobre et, également, apporter quelques améliorations importantes sur le site. Nous comptons sur vous.
3 196,00 € donated
par Pepe Escobar.
La déviation de la Chine moderne des valeurs traditionnelles de Confucius a sérieusement endommagé son « Mandat du Ciel ».
L’universitaire chinois Lanxin Xiang a écrit un livre intitulé « La Quête de Légitimité dans la Politique Chinoise », qui est sans doute l’effort le plus extraordinaire depuis des décennies pour essayer de résorber la division politico-historique Est-Ouest. Il est impossible, dans une brève chronique, de rendre justice à la pertinence des discussions que ce livre inspire. Nous allons ici mettre en lumière certaines des questions clés – en espérant qu’elles intéresseront un lectorat averti, en particulier dans le Beltway, aujourd’hui convulsé par divers degrés de sinophobie.
Xiang approfondit la contradiction fondamentale : La Chine est largement accusée par l’Occident de manquer de légitimité démocratique, alors même qu’elle connaît depuis quatre décennies un boom économique durable et historique.
Il identifie deux sources principales au problème chinois : « D’une part, il y a le projet de restauration culturelle par lequel le leader chinois Xi Jinping tente de restaurer la « légitimité confucéenne » ou le traditionnel « Mandat du Ciel » ; d’autre part, Xi refuse d’entamer toute réforme politique, car sa priorité absolue est de préserver le système politique existant, c’est-à-dire un système de gouvernement provenant principalement d’une source étrangère, la Russie bolchevique ».
C’est là que le bât blesse : « Les deux objectifs sont totalement incompatibles ».
Xiang soutient que pour la majorité des Chinois – l’appareil et la population en général – ce « système étranger » ne peut être préservé à jamais, surtout maintenant qu’un renouveau culturel se concentre sur le Rêve Chinois.
Inutile d’ajouter que l’érudition en Occident passe complètement à côté de la question – en raison de l’insistance à interpréter la Chine dans le cadre de la science politique occidentale et de « l’historiographie eurocentrique ». Ce que Xiang tente dans son livre, c’est de « naviguer avec précaution dans les pièges conceptuels et logiques créés par les terminologies de l’après-guerre ».
Il met ainsi l’accent sur la déconstruction des « mots-clés maîtres » – un merveilleux concept tout droit sorti de l’idéographie. Les quatre mots-clés sont la légitimité, la république, l’économie et la politique étrangère. Ce volume se concentre sur la légitimité (hefa, en chinois).
Quand la loi est une question de moralité
C’est une joie de suivre comment Xiang démystifie Max Weber – « le penseur original de la question de la légitimité politique ». Weber est fustigé pour son « étude plutôt superficielle du système confucéen ». Il insiste sur le fait que le Confucianisme – qui ne met l’accent que sur l’égalité, l’harmonie, la décence, la vertu et le pacifisme – ne peut pas développer un esprit capitaliste compétitif.
Xiang montre comment, depuis le début de la tradition gréco-romaine, la politique a toujours été une conception spatiale – comme le reflète la polis (une ville ou une ville-État). La conception confucéenne de la politique, en revanche, est « entièrement temporelle, basée sur l’idée dynamique que la légitimité est déterminée par le comportement moral quotidien d’un dirigeant ».
Xiang montre comment hefa contient en fait deux concepts : « approprié » et « loi » – la « loi » donnant la priorité à la moralité.
En Chine, la légitimité d’un dirigeant découle d’un Mandat du Ciel (Tian Ming). Les gouvernants injustes perdent inévitablement le mandat – et le droit de gouverner. Selon Xiang, il s’agit là d’un argument dynamique « fondé sur les actes » plutôt que sur la procédure.
Le Mandat du Ciel est essentiellement « une ancienne croyance chinoise selon laquelle le tian [le paradis, mais pas le paradis chrétien, avec un Dieu omniscient] accorde à l’empereur le droit de régner en fonction de sa qualité morale et de sa capacité à gouverner bien et équitablement ».
La beauté de la chose est que le mandat n’exige pas de lien divin ou d’être issu d’une noble lignée, et n’a pas de limite de temps. Les universitaires chinois ont toujours interprété le mandat comme un moyen de lutter contre les abus de pouvoir.
Le point crucial est que, contrairement à l’Occident, la vision chinoise de l’histoire est cyclique et non linéaire : « La légitimité est en fait un processus sans fin d’auto-ajustement moral ».
Xiang la compare ensuite avec la conception occidentale de la légitimité. Il fait référence à Locke, pour qui la légitimité politique découle du consentement populaire explicite et implicite des gouvernés. La différence est que sans religion institutionnalisée, comme dans le Christianisme, les Chinois ont créé « une conception dynamique de la légitimité par l’autorité séculaire de la volonté générale de la population, arrivant à cette idée sans l’aide d’aucune théorie politique fictive comme les droits divins de l’humanité et le « contrat social ».
Xiang ne peut que nous rappeler que Leibniz a décrit cette conception comme une « théologie natale chinoise », qui n’est pas en contradiction avec les principes fondamentaux du Christianisme.
Xiang explique également que le Mandat du Ciel n’a rien à voir avec la notion d’Empire : « L’acquisition de territoires d’outre-mer pour la réinstallation de la population n’a jamais eu lieu dans l’histoire chinoise, et cela ne contribue guère à renforcer la légitimité du souverain ».
En fin de compte, c’est le Siècle des Lumières, principalement à cause de Montesquieu, qui a commencé à rejeter le Mandat du Ciel comme « rien d’autre qu’une excuse pour le despotisme oriental ». Xiang note comment « les interactions de l’Europe pré-moderne avec le monde non occidental » ont été « délibérément ignorées par les historiens de l’après-guerre ».
Ce qui nous amène à une ironie amère : « Alors que la « légitimité démocratique » moderne en tant que concept ne peut fonctionner qu’avec la délégitimation d’autres types de systèmes politiques, le Mandat du Ciel ne contient jamais un élément de dénigrement d’autres modèles de gouvernance ». Voilà pour la « fin de l’histoire ».
Pourquoi pas de révolution industrielle ?
Xiang pose une question fondamentale : « Le succès de la Chine est-il davantage dû au système économique mondial dirigé par l’Occident ou à ses propres ressources culturelles ? »
Puis il s’emploie à démystifier le mythe selon lequel la croissance économique n’est possible que dans le cadre d’une démocratie libérale occidentale – un héritage, une fois de plus, des Lumières, qui ont statué que le Confucianisme n’était pas à la hauteur de la tâche.
Nous avions déjà le sentiment que ce n’était pas le cas avec l’ascension des tigres de l’Asie de l’Est – Singapour, Hong Kong, Taiwan et la Corée du Sud – dans les années 1980 et 1990. Cela a même poussé un certain nombre de chercheurs en sciences sociales et d’historiens à admettre que le Confucianisme pouvait être un stimulant pour la croissance économique.
Pourtant, ils ne se sont concentrés que sur la surface, les prétendues valeurs « fondamentales » confucéennes de travail acharné et d’économie, affirme Xiang : « La véritable valeur « fondamentale », la vision confucéenne de l’État et de ses relations avec l’économie, est souvent négligée ».
Pratiquement tout le monde en Occident, à l’exception de quelques universitaires non eurocentriques, ignore complètement que la Chine a été la superpuissance économique dominante du monde du XIIe siècle à la deuxième décennie du XIXe siècle.
Xiang nous rappelle qu’une économie de marché – comprenant la propriété privée, la liberté des transactions foncières et une main-d’œuvre mobile hautement spécialisée – a été établie en Chine dès 300 avant J.-C. De plus, « dès la Dynastie Ming, la Chine avait acquis tous les éléments majeurs qui étaient essentiels pour la Révolution Industrielle britannique au 18ème siècle ».
Ce qui nous amène à une énigme historique persistante : pourquoi la Révolution Industrielle n’a-t-elle pas commencé en Chine ?
Xiang retourne la question : « Pourquoi la Chine traditionnelle avait-elle besoin d’une révolution industrielle ? »
Une fois de plus, Xiang nous rappelle que « le modèle économique chinois a eu une grande influence au début des Lumières. La pensée économique confucéenne a été introduite en Europe par les Jésuites, et certaines idées chinoises telles que le principe du laisser-faire ont conduit à la philosophie du libre-échange ».
Xiang montre non seulement que les relations économiques extérieures n’étaient pas importantes pour la politique et l’économie chinoises, mais aussi que « la conception traditionnelle chinoise de l’État va à l’encontre de la logique fondamentale de la révolution industrielle, car sa méthode de production de masse vise à conquérir non seulement le marché intérieur, mais aussi les territoires extérieurs ».
Xiang montre également comment le fondement idéologique pour « La richesse des Nations » d’Adam Smith a commencé à virer vers le libéralisme individualiste alors que « Confucius n’a jamais hésité à prendre position contre l’individualisme, car le rôle de l’économie est d’enrichir les gens dans leur ensemble, et non des individus spécifiques ».
Tout cela conduit au fait que « dans l’économie moderne, la véritable conversation entre l’Occident et la Chine est à peine existante dès le départ, puisque l’Occident de l’après-guerre était extrêmement confiant quant au fait qu’il possédait seul la « vérité universelle » et le secret du développement économique, qui aurait été refusé au reste du monde ».
Un indice supplémentaire peut être obtenu lorsque l’on voit ce que signifie « économie » (jingji) en Chine : Jingji est « un terme abrégé de deux caractères qui ne décrit ni les activités économiques pures ni même les activités commerciales. Il signifie simplement « gérer la vie quotidienne de la société et fournir des ressources suffisantes à l’État ». Dans cette conception, la politique et l’économie ne peuvent jamais être séparées en deux sphères mécaniques. Le corps politique et le corps économique sont organiquement liés ».
Et c’est pourquoi le commerce extérieur, même lorsque la Chine était très active sur l’Ancienne Route de la Soie, « n’a jamais été considéré comme capable de jouer un rôle clé pour la santé de l’économie globale et le bien-être de la population ».
Wu Wei et la main invisible
Xiang doit revenir à l’essentiel : l’Occident n’a pas inventé le marché libre. Le principe du laisser-faire a été conceptualisé pour la première fois par François Quesnay, le précurseur de la « main invisible » d’Adam Smith. Curieusement, Quesnay était connu à l’époque sous le nom de « Confucius européen ».
Dans « Le Despotisme de la Chine » (1767), écrit 9 ans avant « La Richesse des Nations », Quesnay était franchement en faveur du concept méritocratique de donner le pouvoir politique aux savants et faisait l’éloge du système impérial chinois « éclairé ».
Une ironie historique supplémentaire délicieuse est que le laisser-faire, comme nous le rappelle Xiang, a été directement inspiré par le concept taoïste de wu wei – que nous pouvons traduire vaguement par « non-action ».
Xiang note comment « Adam Smith, profondément influencé par Quesnay qu’il avait rencontré à Paris et ayant appris cette philosophie du laisser-faire, a peut-être bien compris le sens du wu wei avec son invention de la « main invisible », suggérant un système économique proactif plutôt que passif, et laissant de côté la dimension théologique chrétienne ».
Xiang passe en revue tout le monde, de Locke et Montesquieu à Stuart Mill, Hegel et la théorie du « système mondial » de Wallerstein, pour arriver à une conclusion surprenante : « La conception de la Chine comme un modèle économique « arriéré » typique était une invention du XXe siècle fondée sur l’imagination de la supériorité culturelle et raciale de l’Occident, plutôt que sur la réalité historique ».
En outre, l’idée de « rétrogradation » n’a en fait pas été établie en Europe avant la Révolution Française : Avant cela, le concept de « révolution » avait toujours conservé une dimension cyclique plutôt que « progressive », c’est-à-dire linéaire et historique. Le sens originel de la révolution (du mot latin revolutio, un « retour en arrière ») ne contient aucun élément de progrès social, car il fait référence à un changement fondamental du pouvoir politique ou des structures organisationnelles qui a lieu lorsque la population se révolte contre les autorités actuelles ».
Confucius épousera-t-il Marx ?
Et cela nous amène à la Chine post-moderne. Xiang souligne à quel point le consensus populaire en Chine est que le Parti Communiste n’est « ni marxiste ni capitaliste, et que sa norme morale a peu à voir avec le système de valeurs de Confucius ». En conséquence, le Mandat du Ciel est « sérieusement endommagé ».
Le problème est que « marier le Marxisme et le Confucianisme est trop dangereux ».
Xiang identifie le défaut fondamental de la répartition des richesses en Chine « dans un système qui garantit un processus structurel de transfert de richesses injuste (et illégal), des personnes qui contribuent à la production de richesses à celles qui ne le font pas ».
Il affirme que « la déviation des valeurs traditionnelles confucéennes explique mieux les racines du problème de la distribution des revenus en Chine que les théories wébériennes qui ont tenté d’établir un lien clair entre la démocratie et la distribution équitable des revenus ».
Que faut-il donc faire ?
Xiang est extrêmement critique sur la façon dont l’Occident a approché la Chine au XIXe siècle, « par la voie de la politique de puissance westphalienne et la démonstration de la violence et de la supériorité militaire occidentale ».
Nous savons tous comment cela s’est retourné contre l’Occident. Cela a conduit à une véritable révolution moderne – et au Maoïsme. Le problème, selon l’interprétation de Xiang, est que la révolution « a transformé la société confucéenne traditionnelle de paix et d’harmonie en un virulent État westphalien ».
Ce n’est donc que par une révolution sociale inspirée d’octobre 1917 que l’État chinois « a entamé le véritable processus de rapprochement avec l’Occident » et ce que nous définissons tous comme une « modernisation ». Que dirait Deng ?
Xiang soutient que le système hybride chinois actuel, « dominé par un organe étranger cancéreux du Bolchevisme Russe, n’est pas viable sans des réformes drastiques pour créer un système républicain pluraliste. Pourtant, ces réformes ne devraient pas être conditionnées à l’élimination des valeurs politiques traditionnelles ».
Le PCC est-il donc capable de fusionner avec succès le Confucianisme et le Marxisme-Léninisme ? De forger une Troisième Voie chinoise unique ? Ce n’est pas seulement le thème majeur des prochains livres de Xiang : c’est une question pour les siècles à venir.
source : https://asiatimes.com
traduit par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International