Par Khider Mesloub.
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12.10.2020-bEYOND-English-Italiano-Spanish
Régulièrement, au lendemain de la mort atroce d’une victime innocente assassinée par quelque meurtrier marginal ou psychopathe, des voix s’élèvent pour réclamer la peine de mort, autrement dit la mise à mort juridiquement légalisée, appliquée par l’État détenteur du monopole de la violence physique légale.
En Algérie, le dernier sordide fait divers, le meurtre de la jeune Chaïma vendredi 2 octobre 2020, retrouvée violée et brûlée vive dans une station-service abandonnée de Thenia, à l’est d’Alger, a provoqué une véritable onde de choc dans tout le pays. De nouveau, ce crime a relancé le débat sur la peine de mort en Algérie, qui n’est plus appliquée depuis dix-sept ans, consécutivement à la suite du moratoire décrété en 1993. Le président Abdelmajid Tebboune est même intervenu pour ordonner « l’application de peines maximales à l’encontre des personnes jugées pour les crimes d’enlèvement d’enfants ».
Le meurtre de Chaïma constitue, une nouvelle fois, l’occasion pour les médias algériens de remettre à l’ordre du jour le débat sur la peine de mort. Dans ce débat outrancièrement hystérisé, tendancieusement instrumentalisé, médiatiquement canalisé sur le registre émotionnel, infantilement emmailloté par les dogmes religieux islamiques, la revendication de la peine de mort et de son application est l’expression d’un « exutoire populiste » par où s’évacuent les purulences politiques de la détresse sociale, se déversent les abcès idéologiques et islamistes d’un contexte historique caractérisé par la paralysie révolutionnaire, illustré par l’essoufflement du Hirak.
En Algérie, à chaque nouveau meurtre d’enfant, les médias, comme une certaine frange de la classe politique, en particulier d’obédience islamiste, montent au créneau pour se faire les porte-voix du front antiabolitionniste. La revendication de l’application de la peine mort est leur fonds de commerce, qu’ils comptent rentabiliser au plan électoral et confessionnel. À cet égard, sur ce chapitre de la peine de mort, la religion islamique est toujours convoquée pour justifier et légitimer son application. Dans les médias et l’opinion publique une locution est fréquemment brandie en guise d’étendard pour réclamer la « sentence populaire vindicative » : al-kasas (loi du talion). « Approuvé » par la religion, al-kasas est admis comme châtiment coranique juste et légitime contre les meurtriers. D’aucuns réclament l’exécution en public des assassins, comme cela se pratique en Arabie saoudite, pays où la peine de mort est un sport monarchique national opéré dans le cadre d’une exécution festive collective.
Curieusement, ce débat est relancé au même moment où, dans la Tunisie voisine, un fait divers a également fait resurgir la question de la peine de mort. En effet, il y a quelques jours, le président Kaid Saied s’est dit favorable à l’application de la peine de mort. Cette déclaration a suscité l’indignation des défenseurs des droits de l’Homme, estimant qu’il s’agit là d’un bond en arrière.
Ainsi, face au dernier crime commis en Algérie, d’aucuns veulent appliquer la loi du Talion. Étrangement, ces mêmes bonnes âmes s’accommodent sereinement des morts, des massacres provoqués par la misère, des famines, des répressions étatiques, des guerres. Ils ne s’indignent jamais, encore moins ils ne réclament la tête des dirigeants criminels, responsables de la misère sociale, des famines et des guerres, de la gestion calamiteuse du pays (la crise sanitaire du Covid-19 vient illustrer l’incurie criminelle gouvernementale).
Nous recommandons à ces redresseurs de torts qu’au lieu de s’improviser justiciers en vue d’assouvir, par bourreau interposé, leurs instincts meurtriers pour « venger la mort » d’innocentes victimes, ils feraient mieux de réserver leur colère, leurs ressentiments, leur haine, depuis trop longtemps enfuis et contenus dans le tréfonds de leur âme meurtrie, à des causes plus nobles, socialement légitimes. En effet, la revendication de la peine de mort est l’œuvre d’âmes viles et de personnalités serviles. On n’ôte pas la vie de quelqu’un parce qu’il a eu la faiblesse de succomber au meurtre. Pour l’ensemble des organisations humanitaires, comme pour le mouvement ouvrier, la peine de mort constitue un châtiment cruel et inhumain. Prendre une vie, que ce soit au moyen de la pendaison, de l’électrocution, de la décapitation, d’un tir d’arme à feu ou d’une injection létale, de sang-froid, est un acte barbare.
Au reste, jamais la peine de mort n’a fait cesser les meurtres. La preuve par les États-Unis : en dépit de l’application systématique de la peine de mort, ce pays au modèle libéral criminogène détient le sinistre record mondial des taux d’homicides. Selon les statistiques, chaque année, plus de 40 000 meurtres sont commis aux États-Unis. Un grand nombre de ces homicides est commis par des enfants âgés de 10 à 19 ans.
Les Etats-Unis sont parmi les pays « en paix », ceux où le risque de mourir d’une arme à feu ou dans une tuerie de masse est le plus élevé au monde. 25 mineurs meurent chaque semaine par balle et 91 % des enfants tués dans le monde par des armes à feu, le sont aux Etats-Unis.
Ainsi, l’application du vaccin (létale) de la peine de mort n’endigue nullement la propagation du virus du crime. Cet implacable constat sociologique est validé par l’écrivain algérien Rachid Boudjedra. Dans une chronique, Boudjedra avait écrit : « Exécuter un criminel, c’est faire comme lui, c’est se déshumaniser quelque part et finir par lui ressembler. Mais ce qui est important, c’est de se demander pourquoi notre société produit-elle de tels monstres ? ». En outre, « l’exécution de ces infrahumains et qui ont perdu le contact avec eux-mêmes, d’abord, n’a jamais été efficace. Et dans toute l’histoire de l’humanité, jamais la peine capitale n’a fait cesser les meurtres les plus horribles et les assassinats les plus abjects. » « Quelque part, nous aussi sommes responsables de ces malheurs qui nous tombent quotidiennement sur nos têtes. Parce que nous sommes souvent lâches, indifférents à la misère des autres et à l’injustice sociale banalisées. Parce que nous sommes devenus égoïstes, matérialistes et inciviques. Et à la longue, c’est nous-mêmes qui créons chaque jour nos propres monstres ! »
Qu’il soit clair : nous tentons d’expliquer et non de justifier ces barbares assassinats, et surtout de bien identifier la source de cette déviance sociale, car il n’est pas dans les projets sociétaux de la « nature humaine » de s’autodétruire. Aussi, pour dissiper tout malentendu, il est de la plus haute importance de souligner le point suivant : s’opposer à la peine de mort n’implique aucunement de notre part la tentation de minorer la gravité du crime, ni la volonté de le cautionner. Les familles ayant perdu des êtres chers dans des crimes atroces ont toujours le droit de voir les coupables rendre des comptes devant la Justice, mais dans le cadre de procès équitables, sans recours à la peine de mort. « La vengeance n’est pas la solution. La réponse consiste à réduire la violence, et non à donner encore la mort. » L’exécution d’un auteur d’un crime, autrement dit d’une personne qui a ôté à la vie de quelqu’un d’autre, relève d’une forme archaïque de vengeance primitive, et non d’une sentence rendue par une Justice moderne en conformité avec les valeurs fondées sur le respect des « Droits humains ».
Toute société érigeant l’exécution capitale des délinquants se rend coupable de la même violence que celle qu’elle prétend condamner. Une chose est sûre : selon de nombreuses études, il n’existe aucune preuve sur l’impact dissuasif de la peine de mort. En matière criminelle, la peine de mort n’est pas plus dissuasive qu’une peine d’emprisonnement. Quel que soit le pays, la peine capitale n’a jamais d’impact dissuasif sur la commission et la fréquence des meurtres. Car ce qui contribue sociologiquement à la reproduction permanente de la criminalité et de la délinquance, ce sont les facteurs socioéconomiques. Il existe une corrélation directe entre l’augmentation du chômage (la perte de l’emploi induit la désocialisation, la désaffiliation du chômeur) et la croissance des maladies mentales, des suicides, et, en ce qui concerne notre sujet d’étude, les crimes et la criminalité (violences contre les femmes, meurtres pathologiques ou psychopathiques). Néanmoins, il ne faut pas déduire de ce constat que le chômage (tout comme la pauvreté, l’éclatement de la famille) accule les personnes en situation de vulnérabilité sociale à la délinquance ou la criminalité. La majorité des chômeurs, heureusement, ne sombre pas dans la délinquance ou la criminalité. Mais, contrairement aux salariés intégrés dans le processus de production, les chômeurs, marginalisés et paupérisés par un système capitaliste destructeur, sont plus susceptibles de ruminer plus souvent des pensées vindicatives de meurtre aveugle individuel que de réfléchir consciencieusement à un projet collectif de destruction de la société capitaliste pathogène, responsable de la désagrégation socioéconomique de la société et de la propagation d’une violence psychologique invisible. Une chose est sûre : toute situation de chômage prolongée, sans espoir de réintégration dans un emploi, constitue un facteur de stress et de détresse extrêmement déstabilisant à même de favoriser les déviances matérialisées par la commission d’actes délictuels ou criminels. À plus forte raison s’il s’agit de jeunes totalement marginalisés du fait de leur exclusion du marché du travail. Livrés à eux-mêmes, sans aucune expérience professionnelle ni apprentissage de socialisation par le travail, ils succombent plus facilement dans l’anomie. Ces jeunes désœuvrés sont rapidement happés par la délinquance, agrippés par la criminalité. Le vide social sidéral débouche (débauche) inéluctablement vers la cellule carcérale. La prison devient souvent leur unique endroit de socialisation (criminelle) au sein de laquelle ils se forgent une solide formation en matière de délinquances et de crimes. La prison est l’antichambre de la criminalité. Elle forme des « soldats civils » du crime.
Ironie de l’histoire, sous le capitalisme décadent, de nos jours les homicides tuent beaucoup plus de personnes que les conflits armés, selon une étude de l’ONU. En effet, près de 464 000 personnes dans le monde ont été victimes de violences meurtrières en 2017, soit plus de cinq fois le nombre de personnes tuées dans des conflits armés au cours de la même période. En particulier aux États-Unis, parangon de la « démocratie » et du capitalisme. En dépit de l’application de la peine de mort, celle-ci n’a aucun impact dissuasif.
Au vrai, la peine de mort est une mesure d’ordre politique. C’est un moyen commode employé par les gouvernants pour laisser croire qu’ils luttent de manière intransigeante contre la criminalité (cette criminalité résiduelle et circonstancielle de survie des petits malfrats, par opposition à leur opulente criminalité légalisée et permanente, toujours impunie, perpétrée contre l’ensemble du prolétariat, avec leurs prévarications, leurs détournements, leur tyrannie meurtrière, leurs « assassinats politiques » d’opposants neutralisés par leur harcèlement ou emprisonnement, en un mot : leur gouvernance scélérate et scélératesses gouvernementales). De surcroît, dans les pays despotiques, la peine de mort est souvent utilisée pour museler la dissidence, propager la peur parmi les minorités ethniques ou religieuses.
À la vérité, le prolétariat (algérien), au lieu de manifester pour revendiquer la peine de mort, doit se mobiliser pour imposer la mort des Peines.
L’exigence de la mort des Peines doit seule occuper et guider nos cœurs nobles, dépourvus de tout esprit vindicatif et belliqueux. Par peines, nous entendons toutes les peines que ce système nous fait endurer. Peines subies du fait du chômage, de la misère, des fins de mois difficiles, des conditions de travail dégradées et dégradantes, de l’angoisse face à un avenir incertain, de l’oppression, de l’exploitation, du délitement du lien social, de la déliquescence des valeurs morales, des guerres perpétuelles, des terrorismes, des répressions policières, des incarcérations politiques, etc. Ce sont ces peines là qu’il faut condamner devant le Tribunal de l’Humanité souffrante et opprimée, autrement dit le prolétariat mondial. S’il y a une justice à appliquer, c’est contre tous les responsables de nos malheurs. S’il y a une peine de mort (politique) à infliger, c’est contre toutes les classes dirigeantes qui s’obstinent à perpétuer leur système pathogène et criminogène, vecteur de délinquances et de crimes. Et par peine de mort, nous entendons la mise à mort de leur système oppressif, ce système capitaliste au nom duquel ces gouvernants nous dominent, exploitent, terrorisent, emprisonnent. Ce n’est point contre leur personne. Car la Force du prolétariat opprimé, une fois dressé comme un seul homme, grâce à sa combativité et à sa conscience, n’éprouvera aucune utilité d’exercer la violence contre ses piètres et pleutres gouvernants, devenus insignifiants, « descendus de leur piédestal gouvernemental ». Ces scélérats gouvernants s’effaceront d’eux-mêmes de l’Histoire, devant la volonté générale du prolétariat résolu à mettre en application la mort des peines (politiques, sociales et économiques).
Aujourd’hui, plus que jamais il importe d’épargner notre énergie, de préserver notre force, de ménager notre combativité afin de l’exercer le moment venu pour guillotiner ce criminel système, qui attente quotidiennement à nos vies, assassine nos espoirs, massacre nos conditions de vie, décime notre avenir, paupérise notre existence sociale, nous enterre vivants !
Khider Mesloub
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec