La grippe au temps d’Agatha Christie… et aujourd’hui — Rosa LLORENS

La grippe au temps d'Agatha Christie... et aujourd'hui -- Rosa LLORENS

On nous a convaincus que le Covid 19 était une maladie sui generis, et que cette épidémie était quelque chose d’inouï. Pourtant, en relisant, pour se détendre un peu, Agatha Christie, on reconnaît ici et là des notations familières.

La grippe revient souvent dans ses romans, et il y a à cela de bonnes raisons : elle-même en a souffert, et elle a été contemporaine de la plus terrible épidémie de grippe qui ait frappé l’Europe depuis le Moyen-Age, cette grippe « espagnole » qui fit, à travers le monde, de 50 à 100 millions de morts.

C’est ainsi qu’on lit dans son Autobiographie : « cette année-là [1915-16], j’attrapai une mauvaise grippe, qui tourna en congestion pulmonaire et me tint éloignée de l’hôpital [où elle travaillait comme infirmière volontaire] pendant trois semaines ou un mois ». Ou bien, dans La Maison du péril, la victime potentielle raconte que son père « a été blessé pendant la guerre et rapatrié, puis il a attrapé une pneumonie et il est mort en 1919 » : même si Agatha Christie ne la nomme pas, c’est bien là cette grippe « espagnole », qui tua de la même façon le poète Apollinaire.

Après l’épidémie, la grippe – bien que sous des formes moins virulentes – continue à sévir, en tout cas dans l’œuvre de notre auteur. Ainsi, dans Drame en trois actes, de 1935, on peut lire : « Tollie avait eu une mauvaise grippe au printemps dernier. Son goût et son odorat s’en sont trouvés amoindris » : c’est déjà cette agueusie-anosmie dont on a voulu faire la marque du Covid19 ! (dans l’histoire, elle vient compliquer l’enquête, car même si on avait mis de la nicotine pure dans sa boisson, il aurait pu ne pas en détecter l’amertume).

Mais le Roman de la grippe, c’est Meurtre au Champagne, de 1945 ; s’il ne fait pas partie de ses œuvres les plus connues, il a cependant inspiré à Manuel Vázquez Montalbán l’intrigue secondaire de La Rose d’Alexandrie, que Pepe Carvalho appelle « le crime de la bouteille de Champagne », ainsi que la personnalité de sa victime, une ravissante idiote irresponsable, incapable de gérer les passions qu’elle inspire.

Cette année-là, (dans Meurtre au Champagne), « la grippe avait été particulièrement virulente » ; « cette horrible grippe, d’une forme tout à fait inhabituelle », était apparemment très contagieuse, puisqu’une femme trompée pense aussitôt à elle pour la débarrasser de sa rivale : « Et si elle attrapait une pneumonie ? C’est le genre de chose qui peut arriver. Une de mes amies, toute jeune, en était morte, l’hiver dernier ».

Même quand on survit, on en garde des séquelles : « Rosemary était malheureuse, déprimée, à plat après une grippe carabinée ». C’est d’ailleurs là la base de l’intrigue : Rosemary est morte à la suite d’une ingestion de cyanure ; chaque fois qu’on soupçonne un acte criminel, on assène la thèse du suicide en s’appuyant sur un diagnostic médical qui constitue le leitmotiv du livre : «  Dépression nerveuse consécutive à une forte grippe ». On aurait envie d’en faire une parabole pour notre époque.

Des médecins nous disent que les conséquences psychologiques (pas seulement dans les EHPAD), sociales, économiques du Covid 19 ont déjà fait plus de morts que le virus lui-même, d’autres annoncent que la crise socio-économique due au confinement (qu’il porte officiellement ce nom ou qu’il se présente de façon sournoise) sera plus dévastatrice que l’épidémie ; cela n’empêche nullement pouvoir et médias de continuer à marteler des chiffres apocalyptiques (ou qu’on nous donne pour tels) sur les « nouveaux » cas, sans tenir compte du fait que, plus on teste, plus on trouve de traces du virus, qu’elles soient actuelles ou anciennes, virulentes ou désamorcées.

De sorte que lorsqu’on constatera cette catastrophe socio-économique, on pourra toujours l’imputer à une sorte de suicide : la population était déprimée par la menace du virus, elle n’avait plus de goût à consommer, et a donc cessé d’alimenter la machine économique – à moins qu’on ne mette en cause, comme le Préfet Lallement, des comportements suicidaires (l’absence des mesures barrières). Ainsi évitera-t-on d’évoquer l’hypothèse du meurtre : une utilisation calculée de l’épidémie pour accélérer les mutations nécessaires à une nouvelle Révolution industrielle, celle du numérique, et la concentration économique que, comme en 1929, elle entraîne. On sait parfaitement maintenant que les GAFA, et tout particulièrement Bill Gates et Amazon, sont les grands bénéficiaires du Covid 19. Mais on ne va pas se demander à qui profite le crime : fermetures d’usines, faillites en chaîne de petites entreprises ? Suicide dû à une dépression nerveuse consécutive à une forte grippe.

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À propos de l'auteur Le Grand Soir

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