Le temps des troubles en Transcaucasie – 3ème partie

Le temps des troubles en Transcaucasie – 3ème partie

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Le temps des troubles en Transcaucasie – 1ère partie

Le temps des troubles en Transcaucasie – 2ème partie

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par M.K. Bhadrakumar.

3ème partie
Le Cercle de Craie caucasien

Les États-Unis et la Russie sont de plus en plus fréquemment dans le collimateur l’un de l’autre sur la scène mondiale, que ce soit en Arctique, en Mer Noire ou au Moyen-Orient. Mais ils se sont donné la main avec empressement pour adopter une position commune sur le conflit du Haut-Karabakh, manifestement opposée à celle de la Turquie.

Le 2 octobre, lors d’une « réunion de travail » organisée à la hâte à Genève, le Secrétaire du Conseil National de Sécurité russe, Nikolai Patrushev, et le Conseiller à la Sécurité Nationale américain, Robert O’Brien, ont discuté en privé de ces questions « afin de normaliser les relations bilatérales et de renforcer la sécurité internationale ». C’est la première fois que les deux hauts responsables de la sécurité nationale se rencontrent au cours des deux dernières années.

Le Kremlin a suivi avec consternation les interventions de la Turquie en Syrie et en Libye. La Russie se sent impuissante face à l’occupation turque du nord de la Syrie et est obligée de demander l’aide d’Ankara pour stabiliser le nord-ouest du pays. En Libye, leurs groupes par procuration respectifs se battent pour prendre le dessus.

Les politiques islamistes et le néo-ottomisme de la Turquie, son intervention militaire en Libye et ses provocations en Méditerranée Orientale suscitent également beaucoup de frustration dans les capitales occidentales. Les puissances occidentales et la Russie ont maintenant une rare occasion de coincer le Président Recep Erdogan dans un « cercle de craie caucasien » de chaos et de hasard.

Mais il reste à voir dans quelle mesure ils réussiront. Erdogan a montré qu’il était un maître dans l’art de l’acrobatie politique. Les experts de Moscou affirment que les événements actuels en Transcaucasie n’empiètent pas vraiment sur les intérêts de la Russie en matière de sécurité ni sur son projet de partenariat pour la Grande Eurasie.

Mais l’establishment russe de la sécurité doit sérieusement s’inquiéter. Deux jours avant que le conflit du Haut-Karabakh n’éclate, le chef des services de renseignement russes, Sergei Naryshkin, avait cité la Géorgie parmi les pays d’où la CIA, le Pentagone et le Département d’État américain forment des militants et s’adonnent aux « méthodes les plus sales pour faire tanguer la Biélorussie ». (Naryshkin est un proche associé du Président Poutine).

Aujourd’hui, avec le succès des révolutions de couleur en Géorgie et en Arménie, l’Azerbaïdjan est la seule partie restante de la Transcaucasie qui se trouve en dehors de la « sphère d’influence » des États-Unis. Des manifestations de protestation sont apparues à Bakou dans le passé, mais les dirigeants azéris ont réussi à les écraser.

Contrairement à la France ou aux États-Unis, la Turquie n’est pas un nouveau venu dans la politique caucasienne. L’État turc moderne, sous Atatürk, a tourné le dos au Caucase et s’en est tenu à son nouveau credo selon lequel l’Islam et l’héritage impérial ne faisaient qu’entraîner un retard et freiner la modernisation de la Turquie.

Cependant, après l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991, la Turquie a commencé à redécouvrir ses liens historiques, ethniques, culturels, linguistiques et religieux rompus avec le Caucase (et l’Asie Centrale). Avec le recul du « Kémalisme » en Turquie, Erdogan est passé à une politique plus proactive et indépendante dans les régions qui faisaient autrefois partie de « l’espace ottoman ».

Ainsi, les liens fraternels avec l’Azerbaïdjan (un pays turcophone) se sont transformés en une alliance stratégique. La Turquie est devenue un fournisseur de sécurité et un garant de stabilité. La Turquie et l’Azerbaïdjan sont également impliqués dans plusieurs projets énergétiques et programmes d’infrastructure communs (par exemple, la ligne ferroviaire Bakou – Akhalkalaki – Tbilissi – Kars).

La diaspora caucasienne est également un facteur important. Environ 10% de la population turque est d’origine caucasienne – des réfugiés fuyant l’avancée de la Russie tsariste, qui forment aujourd’hui une circonscription politique très influente, bien représentée dans l’armée, le parlement, les médias turcs, etc.

Les enjeux sont extrêmement élevés sur l’échiquier transcaucasien : l’avancée de l’OTAN dans la Mer Noire, le pétrole de la Mer Caspienne, la région instable du Caucase du Nord (le « bas-ventre mou » de la Russie), la communauté minoritaire azérie de l’Iran, la présence israélienne, etc. pour n’en citer que quelques-uns.

Les tensions sur la Transcaucasie se feront sentir dans la situation syrienne. La Turquie et la Russie ne voient pas la colonisation syrienne du même œil. Moscou et Ankara cherchent également à renforcer leur position de superpuissance régionale au Moyen-Orient et dans la région de la Mer Noire.

En attendant, les conflits non résolus dans la région transcaucasienne incluent également la situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud, qui peut sembler relativement calme pour l’instant, grâce à la retenue dont la Géorgie a fait preuve en prenant des mesures pour retrouver son intégrité territoriale que la Russie a violée lors de la guerre russo-géorgienne en août 2008.

Mais le revanchisme russe a renforcé les liens de Tbilissi avec les États-Unis, l’OTAN et l’UE. Le cap pro-occidental de la Géorgie fixé par Mikhaïl Saakachvili (après la révolution de couleur en 2003) est devenu irréversible. Pour dire les choses simplement, la Transcaucasie est toujours un « chantier en cours » dans la rivalité géopolitique entre la Russie et les États-Unis.

Parcours de collision russo-turque ?

Les tensions ont continué à couver, malgré le déplacement de l’attention vers les événements du Donbass en Ukraine et l’annexion de la Crimée par la Russie. Les États-Unis continuent de prôner le « pluralisme énergétique » en Transcaucasie, c’est-à-dire la recherche d’autres moyens de fournir du pétrole et du gaz à l’Europe ainsi que la création d’une plate-forme pour mener leur politique visant à contenir les ambitions de Téhéran et de Moscou. De même, la sécurité des sept républiques (musulmanes) du Caucase du Nord de la Russie ne peut être efficacement isolée de l’état des affaires dans son voisinage transcaucasien au sud.

Il est certain que les retombées de la crise ukrainienne sont loin d’être épuisées et que la concurrence entre l’intégration européenne et eurasiatique ne fera que s’intensifier dans la région transcaucasienne. La Géorgie a choisi de conclure des accords de libre-échange avec l’Union Européenne. L’Arménie, au contraire, a décidé de rejoindre l’Union Économique Eurasiatique soutenue par Moscou.

Mais l’Azerbaïdjan a jusqu’à présent essayé de trouver un équilibre entre différents projets d’intégration et le conflit actuel devient un moment déterminant. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont tous deux des choix à faire. Ils considéreront probablement l’intégration comme un outil supplémentaire pour prendre le dessus dans leur brutal conflit ethnique et politique.

La crise en Ukraine a également conduit l’OTAN et la Géorgie à intensifier leurs contacts. La feuille de route tracée par les États-Unis a amené l’OTAN dans la Mer Noire où elle consolide depuis peu une présence militaire pour contester la prédominance historique de la Russie dans la région.

Le 29 septembre, après des entretiens au siège de l’OTAN à Bruxelles avec le Premier Ministre géorgien en visite, Giorgi Gakharia, le Secrétaire Général de l’alliance Jens Stoltenberg a décrit la Géorgie comme « l’un des partenaires les plus importants de l’OTAN » et a évoqué une coopération étroite sur la sécurité de la Mer Noire. Gakharia a répondu que « nous voyons la sécurité de la Mer Noire comme une opportunité pour la Géorgie, pour approfondir la coopération avec l’OTAN ».

Du point de vue occidental, par conséquent, tout effritement de l’entente turco-russe dû au conflit du Haut-Karabakh sera une aubaine géopolitique. Les analystes occidentaux s’attendent à ce que des contradictions latentes dans l’entente turco-russe fassent surface.

Paradoxalement, les actions actuelles de la Turquie dans le Caucase, qui sont souvent interprétées comme un élément de sa politique étrangère, ont également le potentiel de se transformer dans le cadre de l’effort occidental pour étendre son empreinte régionale en Eurasie afin de compléter l’arc d’encerclement autour de la Russie.

Ainsi, les États-Unis et leurs alliés de l’UE ont toujours soutenu la coopération trilatérale entre la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. L’influente stratège américaine sur la Russie, Fiona Hill, a écrit en 2015 dans un rapport de Brookings intitulé « Retracer le cercle caucasien : Considérations et contraintes pour l’engagement des États-Unis, de l’UE et de la Turquie dans le Caucase du Sud » que Washington et ses alliés considéraient la Turquie comme faisant partie de l’Occident aux côtés de l’UE et des États-Unis dans la diplomatie régionale et que les actions de la Turquie dans le Caucase du Sud faisaient partie de l’agenda occidental.

En effet, la Turquie partage des intérêts avec la Géorgie (et l’Ukraine) et travaille ensemble sur des projets de pipelines énergétiques. Les entreprises turques sont activement impliquées dans les deux pays. Dans l’ensemble, Ankara a évolué en tandem avec l’OTAN tout en poursuivant ses ambitions régionales en Géorgie et en Ukraine.

Cela dit, l’Azerbaïdjan entretient des relations difficiles avec les États-Unis et considère depuis longtemps la Russie comme un contrepoids. Idéalement, la Russie doit trouver un équilibre entre l’Arménie, un allié stratégique, et l’Azerbaïdjan, un partenaire stratégique.

C’est là que le rôle de l’Iran dans la question transcaucasienne entre en jeu. Téhéran a réussi à maintenir des liens d’amitié avec les trois États de Transcaucasie. L’Iran est un acteur régional unique, doté d’une politique étrangère véritablement indépendante et exempt de tout ancien blocage impérial.

L’Iran est fondamentalement attaché au principe selon lequel des conflits tels que celui du Haut-Karabakh doivent être résolus sans interférence de la part d’acteurs extérieurs à la région. Sa position est plus proche de la Russie que de la Turquie. Mais le dilemme de la Russie semble être qu’elle hésite à rompre le statu quo existant en Transcaucasie tant qu’elle n’aura pas résolu les problèmes syriens et ukrainiens.

L’implication active d’Ankara dans le conflit du Haut-Karabakh a provoqué le lobby arménien au Congrès Américain ainsi qu’en Europe (principalement en France). À l’avenir, la crise en Transcaucasie pourrait ouvrir la porte à une participation plus active des États-Unis et de l’UE, notamment par le biais d’une opération de maintien de la paix.

Dans l’immédiat, le risque réside dans la précipitation inconvenante de l’Azerbaïdjan à créer de nouveaux faits sur le terrain. Le nombre croissant d’incidents sur la ligne de contact le long de sa frontière avec l’Arménie (en dehors du Haut-Karabakh) peut conduire à un point d’ignition, forçant la Russie ou la Turquie à prendre des mesures unilatérales. L’Iran a mis en garde contre cette éventualité.

M.K. Bhadrakumar

source : https://indianpunchline.com

traduit par Réseau International

illustration : Des femmes et des enfants lisent des livres dans un abri antibombes pour se protéger des bombardements, Stepanakert, Nagorno-Karabakh, 1 oct. 2020

Source: Lire l'article complet de Réseau International

À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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