Serge Halimi donne quelques exemples de fausses indépendances sous l’égide des États-Unis : « a Maison Blanche, vendredi 4 septembre 2020. La scène dure moins d’une minute (1). M. Donald Trump trône derrière un énorme bureau encombré de dorures et de téléphones que jouxtent deux petites tables nues qu’on pourrait prendre pour des pupitres d’écolier. Derrière l’une, le président serbe Aleksandar Vučić ; derrière l’autre, le premier ministre kosovar Avdullah Hoti. M. Trump interprète sans finesse le rôle du faiseur de paix. Manifestement enchanté, il vient de contraindre deux pays qui se sont fait la guerre à s’accorder dans une région où l’Union européenne avait jusqu’ici la main. Il est d’autant plus ravi de son coup — au point d’estimer mériter le prix Nobel de la paix — qu’un peu plus de vingt ans plus tôt c’est une administration démocrate, celle de M. William (« Bill ») Clinton, qui avait bombardé l’ex-Yougoslavie.
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Et puis, subitement, M. Trump déclare : « La Serbie s’engage à ouvrir un bureau commercial dès ce mois-ci à Jérusalem et à y transférer son ambassade en juillet prochain. » Derrière sa petite table, le président Vučić paraît surpris par une annonce sans rapport avec l’objet de la cérémonie (un simple accord économique entre Belgrade et Pristina). Il jette un œil sur le document qu’il va signer puis se tourne vers ses conseillers, l’air inquiet. C’est déjà trop tard : M. Benyamin Netanyahou, apparemment mieux informé que lui, vient de le féliciter… »
Thomas Frank estime que les États-Unis sont saisis par la folie : « L’Amérique saisie par la folie. La désignation par M. Donald Trump d’un nouveau juge à la Cour suprême divise les États-Unis, d’autant plus violemment que celle-ci pourrait jouer un rôle décisif en cas de contestation des résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre. Or aucun des deux camps n’est disposé à accepter une défaite. »
Evegneny Morozov annonce la bataille géopolitique autour de la 5G : « À la veille de son déploiement, la téléphonie mobile de cinquième génération — la 5G — suscite un flot de questions liées à son impact écologique, sanitaire et, plus fondamentalement, aux développements technologiques hors de contrôle. Mais le « grand jeu » de la 5G se mène aussi sur le terrain géopolitique avec, en toile de fond, l’affrontement toujours plus âpre entre les États-Unis et la Chine. »
Anthony Galuzzo a capté le moment où les journaux ont vendu des publics aux annonceurs publicitaires : « En deux siècles, l’économie de marché a produit un type humain nouveau : le consommateur. Mais comment la famille autosuffisante du XVIIIe siècle qui possédait quelques objets utilitaires s’est-elle changée en un foyer-entrepôt où s’amoncellent plusieurs milliers de choses ? Il a fallu pour cela forger de toutes pièces un imaginaire. La presse joua dans ce processus un rôle décisif. »
Pour Anne-Cécile Robert, on vient d’assister au Mali à un coup d’État dans un pays sans État : « Coup d’État ? Coup de grâce ? Coup de génie ? La presse malienne rivalise de jeux de mots pour qualifier les événements du 18 août 2020 qui ont vu un groupe d’officiers supérieurs déposer le président Ibrahim Boubacar Keïta et son premier ministre Boubou Cissé. Que les mutins rejettent la qualification de coup d’État pour prétendre avoir « pris [leurs] responsabilités » face au « chaos », à l’« anarchie » et à l’« insécurité » qui règnent dans le pays par la « faute des hommes chargés de sa destinée » ne surprend pas. En revanche, la répugnance d’acteurs politiques et sociaux de premier plan à utiliser l’expression en dit long sur le malaise teinté de soulagement de nombreux Maliens. De fait, l’opération militaire, qui s’est déroulée rapidement et presque sans heurt, clôt provisoirement une période de tensions politiques et sociales aiguës. Les résultats contestés des législatives d’avril empêchaient la formation d’un nouveau gouvernement depuis le mois de juin, tandis que des manifestations massives organisées par la plate-forme d’opposition regroupant le Mouvement du 5 juin et le Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) réclamaient, en plein cœur de la capitale Bamako, la démission du chef de l’État, ou du moins le départ de son gouvernement. Les putschistes affirment d’ailleurs s’inscrire dans un soulèvement « populaire », leur coup de force ayant été salué par l’imam salafiste Mahmoud Dicko, figure de proue de la contestation contre le pouvoir. »
Pour Georges Corm, le Liban est en quête de nation depuis deux siècles : « En exhortant fermement la classe politique libanaise à se doter d’un nouveau gouvernement apte à conduire des réformes, le président français Emmanuel Macron a perpétué la tradition d’ingérence des grandes puissances dans les affaires internes du pays du Cèdre. Pour autant, les élites politiques locales échouent à édifier un État solide capable de répondre aux défis économiques et sociaux. »
Pour Doha Chams il faut qu’au Liban tombe le régime des banques : « Beyrouth, à la mi-juillet. Une petite foule se masse sur le trottoir opposé à l’hôpital dépendant de l’Université américaine (AUB). Les visages sont graves, livides ou désemparés. La veille, ou plus tôt dans la matinée, mille cinq cents employés ou ouvriers de l’AUB ont appris leur licenciement « en raison de la crise économique », comme cela leur a été signifié. Au total, 20 à 25 % des effectifs de l’établissement sont concernés. Les syndicats dénoncent « un massacre ».
Une quinquagénaire sort du bâtiment et hurle « révolution ! révolution ! révolution ! ». Encombrée par un carton contenant ses effets personnels, elle arrive tout de même à dresser le poing, mais son cri ressemble plus à un appel à l’aide qu’à une incitation à la révolte. En pleurs, elle finit par tomber à genoux, ses affaires s’éparpillant au milieu de la rue. Quelques compagnons d’infortune se précipitent, mais elle refuse de se lever. « Mon Dieu, avec qui es-tu ? », s’étrangle-t-elle. Un soldat se détourne et essuie une larme. Avec une solde équivalant à 70 dollars, conséquence de l’effondrement de la livre libanaise, sa situation matérielle n’est guère meilleure, mais lui et ses collègues obéissent aux ordres. Soucieuse d’éviter tout débordement, l’université a fait appel à un impressionnant dispositif de sécurité mobilisant l’armée et les forces antiémeutes. « Il fallait se prémunir contre de graves menaces extérieures », se justifie M. Fadlo Khouri, le président de l’établissement, tout en reconnaissant que les licenciements « auraient pu et dû être mieux gérés ».
Antoine Ory évoque le sort des “ harkis ” de Kaboul : « Depuis son départ d’Afghanistan en 2014, la France n’a délivré de visas qu’à une faible partie des civils qu’elle avait employés pendant son intervention. Considérés comme des traîtres par les talibans, aujourd’hui aux portes du pouvoir, ils vivent avec la peur d’être tués. À l’inertie de l’État français a succédé la volonté politique de s’opposer au rapatriement de ses anciens auxiliaires. »
Anne-Dominique Correa évoque, à propos de la Bolivie, une “ fake news ” de taille : « Les Boliviens sont appelés à élire leur président le 18 octobre. Reporté à deux reprises par un pouvoir en difficulté, le scrutin est organisé par un régime issu du renversement de M. Evo Morales, il y a un an. Depuis, les médias privés et une partie de la gauche s’emploient à taire la nature de cette rupture de l’ordre constitutionnel. Jusqu’à un article du « New York Times », en juin dernier… »
Loïc Ramirez nous dit pourquoi, en Biélorussie, les jeunes urbains sont en première ligne : « Sommé par la rue de quitter le pouvoir, le président biélorusse s’est plié aux exigences de Moscou, qui demandait l’organisation d’une réforme constitutionnelle. Quelques semaines auparavant, les contestataires, éclairés par le précédent ukrainien, refusaient toute ingérence, espérant que leur seul nombre suffirait à déposer le dirigeant. »
Et ce, sous l’œil de Moscou (Hélène Richard) : « C’est une révolution démocratique, pas géopolitique. » En prononçant ces mots lors d’une vidéoconférence avec les eurodéputés, le 25 août dernier, Mme Svetlana Tikhanovskaïa, qui revendique la victoire à la dernière élection présidentielle biélorusse contre le président sortant Alexandre Loukachenko — officiellement réélu avec 80 % des voix —, entendait faire passer un message à Bruxelles comme à Moscou. Comprendre : la Biélorussie n’est pas l’Ukraine, ce pays voisin où un cocktail de contestations, de répression brutale et d’ingérences étrangères, russes et occidentales, a débouché en 2014 sur une guerre civile et l’annexion de la Crimée par la Russie. »
Que signifie traiter les animaux avec humanité, amande Jacques Bouveresse : « En marge de ses combats contre la veulerie journalistique, les capitulations de la social-démocratie et le militarisme, le satiriste viennois Karl Kraus (1874-1936) a développé une réflexion sur le traitement des animaux lors de la première guerre mondiale. Un siècle plus tard, son écho rencontre les voix qui s’élèvent contre une maltraitance animale parvenue, en temps de paix, à un stade industriel. »
Pourquoi la Chine et l’Inde s’affrontent sur le toit du monde, demande Vaiju Caravane : « En marge de la réunion de l’Organisation de coopération de Shanghaï qui s’est tenue à Moscou le 10 septembre, les ministres des affaires étrangères chinois et indien ont adopté une déclaration commune proclamant leur volonté d’apaiser les tensions sur leur frontière himalayenne. Pas sûr que cela suffise à calmer les surenchères nationalistes des dirigeants des deux pays. Dans la nuit du 15 au 16 juin 2020, sur les redoutables reliefs himalayens formant la « zone grise », âprement disputée, de la frontière sino-indienne, les soldats indiens et chinois se sont livré un combat digne des guerres médiévales. Pendant plus de sept heures, dans une nuit d’un noir d’encre, à 4 200 mètres d’altitude, ils se sont battus à coups de pierres, de bâtons cloutés, de tiges de fer entourées de fil barbelé, mais aussi à mains nues, dans des corps-à-corps d’une extrême violence.
Au lever du jour, on dénombrait côté indien soixante-dix-huit blessés et vingt morts, la plupart d’hypothermie ou noyés après avoir été précipités dans les eaux glacées de la Galwan, en contrebas. Certains corps, emportés par le courant, ont été repêchés plus au sud, là où la Galwan rejoint les eaux de la rivière Shyok. Pékin s’est refusé à communiquer le moindre chiffre, mais des sources indiennes bien informées affirment que l’Armée populaire de libération (APL) aurait perdu plus de quarante hommes. »
Pour Marylène Patou-Mathis, il faut sortir la femme préhistorique de l’ombre : « Et si nos ancêtres féminines avaient peint Lascaux, chassé des bisons, taillé des outils ? En calquant sur leur objet d’étude le modèle patriarcal et son ordre divin, les premiers préhistoriens ont construit des mythes infériorisant les femmes. La démarche scientifique conduit à prendre des distances avec ces présupposés pour reconsidérer le rôle du « deuxième sexe » dans l’évolution humaine. Aucun argument archéologique ne conforte l’hypothèse qu’au paléolithique les femmes avaient un statut social inférieur à celui des hommes. Des archéologues, se fondant sur l’abondance des représentations féminines, suggèrent même qu’étant au centre des croyances elles avaient une position élevée dans ces sociétés. Ce qui semble se vérifier pour au moins certaines d’entre elles, mais était-ce uniquement pour cette raison ? D’autres chercheurs soutiennent que, dans ces temps reculés, les sociétés étaient matrilinéaires, voire matriarcales. »
Anne Debrégeas se prononce pour une retraite vraiment universelle : « Contre l’avis des organisations de salariés et d’employeurs, le président de la République s’entête à vouloir réformer le système de retraite. Sous prétexte d’uniformisation, le modèle proposé, entérinant un recul du départ à taux plein, risque de conduire à un appauvrissement pour une majorité. La réflexion sur une possible architecture universelle passe par un tout autre chemin. Lors de la mobilisation d’ampleur de l’hiver dernier contre le projet de réforme des retraites, les revendications sont restées très majoritairement calquées sur le système existant, visant au maintien du niveau de vie des retraités par un remplacement du meilleur ou du dernier salaire perçu. Ce faisant, on acte la reproduction des inégalités du monde du travail pour ceux et celles qui le quittent. »
Sachons utiliser les eaux usées, demande Mahamed Larbi Bougherra : « On pensait connaître le scénario de l’arrivée du coronavirus en Europe avec les premiers cas graves détectés à la fin janvier et les premiers morts à la fin février. En Italie, l’Institut supérieur de la santé a découvert une autre histoire, rendue publique le 18 juin dernier : « Les résultats, confirmés dans les deux laboratoires par deux méthodes différentes, ont montré la présence de l’ARN de SRAS-CoV-2 dans des échantillons [d’eaux usées] prélevés à Milan et à Turin le 18 décembre 2019, explique Giuseppina La Rosa, du département de la qualité de l’eau et de la santé. Les échantillons d’octobre et novembre 2019, ainsi que tous les échantillons de contrôle, ont donné des résultats négatifs. » Cette découverte précieuse pour comprendre les mécanismes de diffusion de la pandémie venue de Chine a été recoupée par l’étude rétrospective d’échantillons respiratoires de la fin décembre 2019 en France ou dans les eaux de Barcelone, positives quarante jours avant le premier cas recensé officiellement. »
Selon Ludovic Simeille, il semble que les mutuelles soient devenues des assureurs comme les autres : « Selon le gouvernement, la pandémie et le report de soins ont permis aux complémentaires santé de faire des économies. Il annonce donc une taxe, que les mutuelles promettent de répercuter dans leurs tarifs. Lesquels affichent déjà une hausse de 4 à 5 % en 2020. En conséquence, les bas revenus souscrivent des contrats peu chers… et peu protecteurs. Ainsi va la Mutualité française. »
Qu’en est-il du monde selon James Bond ? (Aliocha Wald Lasowski) : « Impeccable modèle de l’homme blanc occidental à son maximum de performances, indestructible défenseur du monde libre : voilà ce que l’agent 007 paraît symboliser sans faiblir. Or, en soixante ans et vingt-cinq films, le très « british » espion s’éloigne souvent de ces clichés, et franchit des frontières inattendues. »
Alain Deneault évoque une cabale au Canada : « An juillet dernier, une professeure de l’université Concordia, à Montréal, a dû s’excuser pour avoir prononcé le « N. word », le mot « nègre » : elle avait cité, en classe, le titre d’un classique de la pensée politique québécoise, Nègres blancs d’Amérique (1968), de Pierre Vallières. Visée par une pétition d’étudiants, la coupable a publiquement admis avoir abusé du « pouvoir » que lui confèrent ses « privilèges » de Blanche et d’enseignante. Plus tôt cet été, une journaliste de la télévision publique avait été suspendue pour avoir mentionné ce livre lors d’une réunion de production. Au moment de sa parution, l’ouvrage entendait associer les mouvements d’émancipation noirs aux États-Unis et québécois du Canada. En 1966, Vallières était même venu à New York rencontrer les Black Panthers. Depuis, son essai est devenu littéralement innommable.
En début d’année, un professeur d’une école secondaire montréalaise avait quant à lui dû retirer de son programme une chanson de Félix Leclerc qui assimilait, par métaphore, le chômage à une mise à mort. Choqué, un parent a obtenu l’annulation de l’étude de 100 000 façons de tuer un homme. La vague qui grossit emporte avec elle des idoles. En 2016, il a fallu moins d’une semaine pour que disparaisse de la toponymie québécoise toute référence à l’un des plus grands réalisateurs du pays, Claude Jutra. Trophées baptisés en son honneur, appellation d’une salle de la Cinémathèque et des rues de plusieurs villes : plus rien ne devait porter le nom de celui à qui on doit des chefs-d’œuvre tel Mon oncle Antoine (1971). La damnatio memoriae a été exécutée quelques jours après la parution d’une biographie du cinéaste révélant qu’il avait commis des actes de pédophilie. Or son cinéma n’en porte aucune trace. Qui pâtit de cette situation ? L’intéressé, décédé au moment des révélations, ou le public, soudain privé de références à des joyaux patrimoniaux ? »
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir