Figure controversée de l’abolitionnisme, décrit par Abraham Lincoln comme un fanatique, John Brown (1800-1859) avait de bonnes intentions, mais son activisme sanglant en fait encore aujourd’hui une figure historique qui divise. En fait, sa tentative d’insurrection armée à Harpers Ferry, en 1859, qui mena à son arrestation et à son exécution, serait l’une des causes ayant entraîné la guerre de Sécession, qui mit l’Amérique à feu et à sang de 1861 à 1864 et mena la fin de l’esclavage en 1865.
En s’attelant à l’adaptation du roman The Good Lord Bird, du scénariste James McBride (Miracle à Santa-Anna, Red Hook Summer), Ethan Hawke n’a certainement pas voulu adoucir les contours de ce prédicateur illuminé qui parcourait l’Amérique avec ses cinq fils pour lutter en faveur de l’abolitionnisme. Il faut dire qu’au départ, le roman, narré par Henry, jeune orphelin et esclave affranchi, offrait une vision humoristique des tribulations violentes du clan Brown.
S’il a pris quelques libertés avec le roman, Hawke, qui s’est aussi attribué le rôle de John Brown, en a préservé l’humour et ses éléments les plus loufoques. À commencer par cette méprise sur le sexe du jeune garçon de 12 ans.
Une fille nommée Onion
Au moment de leur rencontre, qui se termine par une fusillade, John Brown croit que Henry (Joshua Caleb Johnson) s’appelle Henrietta. Ayant provoqué la mort du père de Henry, Brown lui propose de se joindre à son organisation. Orphelin sans le sou, esclave affranchi dans l’Amérique Antebellum, le garçon n’a d’autre choix que d’accepter de le suivre et de vivre sous sa nouvelle identité féminine. Croquant par mégarde dans un oignon, Henry reçoit le surnom d’Onion et devient à la fois le porte-bonheur et la mascotte de John Brown.
Malgré son admiration teintée de crainte, Henry ne manquera pas, tant dans son récit que dans ses discussions avec Brown, de souligner le ridicule du personnage qui n’a pas son pareil pour élaborer des plans foireux. Et interpréter à sa manière l’Évangile. Et se lancer dans d’interminables sermons à l’emporte-pièce, lesquels ne provoquent pas que l’agacement de ses fidèles et de ses ennemis. De fait, dès que John Brown entre en scène, le spectateur souhaite qu’il en sorte aussitôt, dans chacun des sept épisodes de la série.
Un héros peu discret
Le talent d’Ethan Hawke n’est certainement pas en cause. Cheveux en bataille, barbe hirsute et regard bleu halluciné, l’acteur, scénariste et producteur est à des lieues de l’image du beau gosse qu’on lui accole depuis ses débuts. Bible dans une main et fusil dans l’autre, son John Brown ne s’exprime pas comme le commun des mortels. Quand il ne chuchote pas comme un hors-la-loi paranoïaque, il vocifère tel un prédicateur hystérique. La proposition est haute en couleur, et la livraison plus que remarquable, mais peut-être aurait-il fallu que le personnage soit livré à petites doses.
Cela aurait notamment permis aux figures historiques qui peuplent le récit d’être plus substantielles. Ainsi, on aurait pu en découvrir davantage sur l’ex-esclave et orateur Frederick Douglass, qu’incarne avec superbe Daveed Diggs (Hamilton), et celle qui devrait remplacer d’ici 2028 le controversé président populiste Andrew Jackson sur le billet de 20 dollars, la « Moïse noire » Harriet Tubman, qui passe tel un ange sous les traits aussi doux que volontaires de Zainab Jah (Deep State).
Malgré ses grandes qualités, The Good Lord Bird ne satisfait qu’à moitié. Les six scénaristes, dont Ethan Hawke et James McBride, auraient-ils dû résumer le tout en moins d’épisodes ? Les cinq réalisateurs, parmi lesquels Haifaa Al-Mansoor, à qui l’on doit Wadjda, premier long métrage saoudien, auraient-ils dû laisser tomber certaines scènes ?
Certes, la photographie est à couper le souffle. Les paysages d’automne apparaissent dans toute leur mélancolique beauté à travers un filtre évoquant subtilement les gravures d’époque et les clichés sépia. De grands mouvements de caméra embrassent goulûment la nature sauvage où les esclaves se réfugient. Les intérieurs de nuit feutrés soulignent magnifiquement les risques qu’encourent les abolitionnistes.
Or, dès le premier épisode, le tout piétine à force d’illustrer à gros traits les erreurs de parcours et les égarements du pathétique John Brown. Heureusement, le dernier épisode, consacré au raid de Harpers Ferry, s’avère si haletant et bouleversant à la fois qu’il justifie à lui seul la nécessité de raconter les origines de la guerre de Sécession afin de rappeler tous les combats à mener dans l’Amérique d’aujourd’hui.