Monsieur le Président,
Je souhaite commencer par vous féliciter chaleureusement pour votre franchise. Je n’ai pas été déçu que vous soyez allé directement au cœur du sujet, lequel n’a nul besoin de fioritures pour dissimuler sa vérité, vu que cette vérité est la raison directe ayant fait de vous le gagnant de la mission au Liban. J’entends par là : le problème posé par les armes de la Résistance.
Il ne vous a pas fallu longtemps pour avouer ouvertement cette première moitié de ce qui vous intéresse au Liban ; l’autre moitié se résumant à votre obsession de gagner des contrats s’appropriant ce qui reste de la richesse de l’État et du peuple. Des richesses passant du port martyr de Beyrouth à son aéroport menacé du même sort, à l’électricité, à l’eau, au téléphone cellulaire, aux infrastructures et, bien sûr, à ce que la terre et les eaux du Liban contiennent de pétrole et de gaz, là où le géant de l’énergie, la société Total, occupe le devant de la scène.
Mis à part ces deux préoccupations majeures, votre discours [1] sur la dimension humanitaire, réformatrice et éthique de votre mission au Liban est resté dans les limites de sa fonction de maquillage et d’un semblant d’élégance. Ceux qui attendaient le contraire de votre part ont été désagréablement surpris. C’est leur problème car dans le dictionnaire des États, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Outre les félicitations, il nous faut discuter ensemble, chacun à partir de son camp, de la question de l’affrontement direct avec les forces qui s’opposent à la campagne coloniale destructrice désignée par « printemps arabe ». Pour rappel, Monsieur le Président, cette expression avait déjà été utilisée par les gouvernements français il y a 172 ans, lorsqu’ils avaient affirmé que la création de la sinistre mission « Baudicour » [2] serait le début du printemps des peuples. Mission qui consistait à déraciner les maronites libanais de leurs terres et à les transférer en Algérie.
Conformément à votre habitude des raccourcis, votre conférence de presse du 27 septembre 2020 est venue confirmer vos déclarations annoncées quelques heures avant votre deuxième visite au Liban, le 1er septembre 2020. C’est ainsi que vous avez ajouté une zone d’ombre encore plus dense dans l’espace des relations libano-françaises ; autrement dit, une nouvelle ambiguïté qui s’ajoute aux précédentes déjà évoquées [3] et qui mène à une lecture différente du devenir des relations entre nos deux pays, loin de la propagande entourant le mythe d’amour et de tendresse pour le Liban.
Cette fois, vous nous avez rappelés une époque supposée révolue, étant donné qu’aujourd’hui vous nous apparaissez plutôt proche d’un haut-commissaire ; cependant, avec moins de pouvoirs que vos prédécesseurs à ce poste, car leur référence était Paris, tandis que votre véritable référence se situe quelque part dans le « Nouveau Monde ». Cela ne vous est absolument pas étranger. Vous êtes le tenant d’une démarche politique ayant opté pour une France européenne, plutôt que pour une France française et si vous aviez à choisir entre une Europe européenne et une Europe atlantiste, vous opteriez pour une Europe atlantiste. Et je n’irai pas jusqu’à dire, comme certains, que vous iriez jusqu’à préférer l’appartenance aux États-Unis à l’appartenance à l’Europe atlantiste.
C’est probablement la raison qui fait qu’à aucun moment vous n’avez abordé la question cruciale de la Résistance qui protège autant qu’elle le peut le Liban du monstre raciste sioniste, alors que vous considérez le manque de respect à la mémoire de la Résistance française comme un péché mortel. En effet, la résistance à l’occupation et la défense des patries est par principe une question morale, éthique, légale et humaine, toute proche de la sainteté. Trouvez-vous qu’il est sérieux de parler de la nôtre comme vous l’avez fait ? Pour de nombreux Libanais, votre discours sur la Résistance libanaise est venu comme un coup de poignard en plein cœur. Peut-être que vous ne l’avez pas voulu. Et, peut-être que vous avez écouté plus qu’il ne le faut vos conseillers et vos amis, lesquels n’ont fait que vous impliquer dans un problème pouvant fortement compromettre la relation historique entre nos deux pays dans le présent et le futur.
Monsieur le Président,
Je n’ai pas été surpris par votre totale indifférence à l’analyse du dossier libanais par le respecté homme d’État français [4], Maurice Couve de Murville. La différence entre vous porte non seulement sur l’époque, l’expérience et la culture, mais aussi sur l’appartenance. Il était dans la fleur de l’âge lorsqu’il a rejoint le Commandant de la France libre, a travaillé à la radio de la Résistance, est resté proche du Général de Gaulle tout au long de sa vie et a été ministre des Affaires étrangères, puis Premier ministre. Ce qui explique qu’il ait tenu à ne pas prendre parti face aux querelles des Libanais et donc à ne pas les encourager à détruire leur pays. Naturellement, à l’époque il n’a pas eu à s’opposer à la résistance naissante qui a expulsé les monstres sionistes de la capitale Beyrouth ; première capitale arabe occupée par l’armée israélienne lorsque le Hezbollah n’était pas encore né. Lequel Hezbollah est néanmoins né de la matrice de cette première résistance triomphante qui a brisé les crocs des monstres sionistes et les a expulsés de Beyrouth que vous avez visité et dans les rues duquel vous vous êtes promené.
Vous êtes censé avoir été informé de ces faits historiques avant d’user d’expressions offensantes contre notre Résistance, abstraction faite de votre position de principe en raison de vos engagements otano-sionistes. C’est là une atteinte à la dignité de la patrie libanaise, laquelle suppose que vous lui présentiez vos excuses. Vous avez parfaitement le droit de haïr la Résistance et de la combattre, mais vous n’avez pas le droit de l’offenser alors que vous traitez du sujet libanais au titre de l’amitié. Imaginez la situation inverse où un Libanais se tiendrait devant vous pour traiter de la sorte la Résistance française. Quelle serait votre réaction ? Je m’attends à ce que vous entriez dans une grande colère ; là aussi, abstraction faite de votre propre opinion sur la Résistance française qui ne concerne que vous.
Et que dire de vos propos prétendant que la Résistance libanaise sème la terreur en Syrie ?
Que cela vous plaise ou non, Monsieur le Président, cette Résistance est le fer de lance de la défense territoriale contre le terrorisme, à commencer par les organisations atlantistes de la terreur, c’est-à-dire Daech, le Front al-Nosra, la Brigade Sultan Mourad, la Harakat Nour al-Din al Zenki et l’ensemble de leurs dérivées bénéficiant globalement du parrainage de votre Organisation du traité de l’Atlantique nord [l’OTAN] et du financement puisé dans les caisses des pays du Golfe, occupés par vos armées atlantistes. Plus de 170 000 terroristes venus d’Europe et d’autres pays, amenés par votre organisation au cœur de la géographie syrienne pour la déchirer de l’intérieur, menant ainsi la plus monstrueuse des campagnes coloniales que l’histoire ait connues au cours de ses différentes époques. Organisations qui « font du bon boulot », comme l’a dit un jour l’un de vos ministres des Affaires étrangères !
C’est pourquoi vous vous en prenez à la résistance libanaise. C’est peut-être aussi parce qu’elle a énormément contribué à la défense de la présence chrétienne sur la sainte terre syrienne pendant que votre alliance atlantique, laquelle excelle dans la flagellation des peuples et la négation de leurs droits humains les plus élémentaires, travaille jour et nuit à effacer les traces du christianisme de la terre palestinienne du premier révolutionnaire humaniste, Jésus-Christ, et les traces du crime commis le 30 septembre 2000 contre l’enfant Mohammad al-Durah [5], son père, ses frères et ses sœurs.
Et c’est plus probablement encore, Monsieur le Président, la raison qui vous pousse à voir une contradiction incompréhensible entre la résistance du Hezbollah à Israël et son droit d’être un parti respecté au Liban. Imaginez, là aussi, qu’un Libanais vous dise que toute force française ayant résisté aux nazis perdrait son droit à former un parti politique respecté en France. Serait-ce raisonnable ? Question, évidemment indépendante de votre propre opinion sur le fascisme et le nazisme qui ne concerne que vous.
Tout comme le Christ, le peuple du Christ est persécuté. Le pape Benoît XVI n’a-t-il pas condamné « l’hostilité et les préjugés à l’encontre des chrétiens » en Europe » ? Lisez, Monsieur le président, son message pour la Journée mondiale de la paix du 1er janvier 2011. Cette même année où vous avez inauguré l’orgie sanguinaire via votre printemps arabe. Dans le quatorzième paragraphe de ce terrible message, le penseur Joseph Ratzinger semble considérer que vos discours au monde manquent de sincérité. Contentez-vous de lire ce seul paragraphe, votre excellence, car il est fort probable que vous ne soyez pas intéressé par ce genre de lecture.
Lors de votre conférence de presse, alors que je vous observais pendant que vous déversiez vos ressentiments, j’ai senti toute la froideur de vos paroles en dépit de la volubilité de votre langage corporel. Vous êtes apparu froid et nullement concerné par la requête libanaise qui vous a été personnellement adressée ; celle de fournir une image satellite [6] de la terrible explosion terrestre engendrée par le crime complexe contre l’existence même du Liban. Vos paroles resteront creuses et sans valeur tant que vous éluderez notre demande destinée à savoir qui a dirigé l’explosion hirochimienne contre le port de Beyrouth, pour favoriser le port de Haïfa en Palestine occupée.
Nous voulons la vérité ; la vérité pour le Liban. Nous avez-vous entendus, vous qui vous permettez de nous donner des leçons en insultant nos politiciens voleurs, afin de susciter notre amitié et de gagner notre confiance, tout en continuant à vous entendre avec eux et à dissimuler le coupable ? Il en est toujours ainsi : généralisation, hausse du ton, débats creux aboutissant à la dissimulation du coupable. Une technique, cher Président, qui ne trompe que ceux qui croient aux paroles des États. Où sont donc les images satellite ? Et que cache leur non divulgation ?
Désolé, Monsieur le Président, pour avoir oublié que votre éloquence en matière de transparence, de démocratie et de droits humains n’a d’égale que l’éloquence de vos confrères banquiers lorsqu’ils insistent pour que les clients déposent leur argent et leurs économies dans les coffres de leurs banques, pour qu’une opération de sublimation transforment ensuite leurs dépôts en vapeurs lorsque sonnera l’heure du grand pillage et de la destruction des familles, sous couvert de telle ou telle révolution colorée, comme cela s’est passé et se passe encore au Liban. Choses que ne pouvez ignorer, votre Excellence.
Et c’est peut-être parce que vous maitrisez ce savoir que vous avez complètement ignoré les aveux particulièrement terribles, formulés quelques heures avant votre grande conférence de presse, devant le Congrès américain, par le diplomate américain, David Hale ; un homme d’une grande politesse, un amoureux de la paix et de l’harmonie entre les humains au point d’accompagner les orgies sanguinaires au Liban depuis des décennies. Il a déclaré que son administration avait dépensé et distribué dix milliards de dollars [7] au profit de ceux en qui vous avez confiance au Liban : des organisations non gouvernementales et des inféodés fiables au sein des cercles politiques et des médias menteurs.
Des aveux venus s’ajouter aux déclarations antérieures d’un autre diplomate américain, tout aussi féru des orgies sanguinaires au Liban : le nommé Jeffrey Feltman. Lequel avait affirmé le 8 juin 2010, toujours devant le Congrès américain, que son administration pacifique, qui hait les massacres et les assassinats, avait dépensé un demi-milliard de dollars au cœur du Liban afin de défigurer l’image du Hezbollah [8].
Les oreilles de ces individus, Monsieur le Président, entendent essentiellement vos collègues parmi les banquiers internationaux, tandis que leurs yeux sont tournés vers la Banque centrale libanaise qu’ils se préparent à dépouiller de son droit exclusif d’émettre la monnaie. Pour cela, le prétexte est fin prêt : la Banque du Liban n’étant plus digne de confiance, ce privilège doit être confié à des banques privées. Mais, puisque les banques privées ont également perdu leur crédibilité avec la complicité du gouverneur de la Banque centrale (l’équivalent d’Edgar Hoover en matière de finances) et des sommités du comité des banques, lesquels passent la moitié de leur temps à Paris loin des projecteurs des patriotes libanais, le privilège doit plutôt être confié à des banques internationales. Et la « Bank of New York », l’une des plus grande banques, propriétaire de la Réserve fédérale américaine, détient désormais 34% des plus grandes banques libanaises, grâce à une opération furtive de vol mi-2019. Une opération que les médias libanais « libres » ont dissimulée, ces mêmes médias financés par les dix milliards de dollars précités et devenus promoteurs de ladite révolution ; la révolution de l’autodestruction au nom de la lutte contre la corruption.
Est-il possible, Monsieur le Président, que vous ignoriez ce vol généralisé de tout un peuple par les banques !? Il est étonnant que vous ayez pu oublier un fait aussi terrible, exactement comme vous semblez avoir oublié les images satellite, lesquelles faciliteraient grandement la désignation des responsables de l’explosion hirochimienne du port de Beyrouth.
Monsieur le Président,
Il m’est difficile de croire ceux qui prétendent que vous n’êtes pas au courant de tout cela, tout comme il m’est difficile de croire que vous ne sachiez pas que vos avions de l’OTAN brûlent systématiquement des champs de céréales et des cultures de terres fertiles en Syrie, pour que les Syriens meurent de famine pendant que le blocus atlantiste les prive des moyens de combattre l’invasion de la pandémie virale.
Vous qui êtes issu du monde civilisé, transparent, défenseur des droits humains, naturellement et avant tout démocrate, vous devez présenter vos excuses aux Libanais, à nous tous, Monsieur le Président. Ce serait honteux de vous en abstenir. Quant à nous :
Notre Liban est et restera à nous, il n’est pas à vendre.
Notre Syrie est et restera à nous.
Notre Palestine était et reviendra au peuple du Christ… notre peuple.
Une fois de plus, Monsieur le Président, veuillez accepter mes meilleures salutations.
Hassan Hamadé
01/10/2020
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Source : Al-Intichar (Liban)
Notes :
[2][Le projet Baudicour de 1848]
[3][Première lettre ouverte au Président Macron ; par Hassan Hamadé]
[4][La crise libanaise et l’évolution du Proche-Orient [Maurice Couve de Murville]
[5][Charles Enderlin & l’affaire Mohammed al-Durah (vidéo)]
[6][Aoun demande à Macron des images aériennes du moment de l’explosion]
Hassan Hamadé : Écrivain et journaliste libanais – Membre du Conseil national de l’audiovisuel (CNA)
***
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca