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par Danielle Bleitrach.
Dans un récent article Philip Butler [1], un spécialiste de la politique de la Russie constatait : “les Russes se moquent de plus en plus de ce que pensent et font les Occidentaux.” Sa description, assez convaincante, montre que de plus en plus de pays pensent être confrontés à des manifestations de sénilité dont l’absurdité n’a même plus à être contredite. Certes les Etats-Unis font encore pas mal de dégâts, asphyxient des peuples entiers, orientent les dépenses mondiales vers le surarmement… Mais bien des pays en arrivent à la conclusion que leur résister a un coût moindre que céder à cette horde d’Attila… En tous les cas, les Cubains, les Chinois, les Russes sont dans le peloton de tête de cette conviction et constituent un pôle d’attirance.
Je ne serais pas aussi affirmative sur l’attitude russe néanmoins, le discours de Poutine à l’ONU – en retrait par rapport à certaines de ses dénonciations récentes par rapport à la Biélorussie, aux ingérences étrangères et à la comédie de Navalny – a été critiqué en Russie. Il a été analysé comme le témoignage de l’influence de l’oligarchie libérale proche de l’occident sur le pouvoir russe. Certes la tendance est meilleure que celle de l’UE et de ses aller-retour entre le soutien inconditionnel dans le pillage mais le retrait dans les conséquences intérieures de l’isolement, mais les résistances intérieures à l’émancipation existent.
Le fait est il y a toujours des alliés potentiels pour les pires excès occidentaux et leur propagande la plus délirante qu’il s’agisse des oligarques ou des couches de la petite bourgeoisie convaincues que leur avenir et dans la régression pour les autres. Ce qui s’est passé en Biélorussie prouve leur existence comme cinquième colonne potentielle et dans le même temps la limite des révolutions de couleur et de leur propagande quand l’oligarchie n’est pas dominante.
Dans une économie financiarisée et mondialisée
Ces réserves étant émises, il est vrai que l’article de Phil Butler est centré sur la politique de Lavrov et du ministère des affaires étrangères, l’homme et sa politique sont appréciés de tous en Russie, sauf des oligarques et libéraux qui aimeraient bien s’en débarrasser mais il est coriace et laisse peu d’espace à ses adversaires. Il y a l’homme mais aussi son ministère, une forteresse dans l’Etat avec les meilleurs instituts, l’équivalent de nos grandes écoles, la relation avec l’industrie et la recherche dans ses aspects les plus performants, y compris en matière de santé. C’est la continuation de la grande tradition soviétique, Lavrov, fidèle allié de Poutine, paraît quelques pas en avant de la politique gouvernementale et même du président, toujours plus proche des Chinois et de nouveaux rapports sud-sud.
Cet article nous intéresse nous Français puisqu’il s’agit de l’Afrique et de l’influence croissante non seulement de la Chine mais de la Russie.
Sur le fond, l’attitude russe, on retrouve une tendance déjà constatée en Chine et dans d’autres pays qui subissent propagandes et sanctions alors que les capacités d’investissement des occidentaux se raréfient. Mêmes les vassaux sont tiraillés. Tout étant désormais orienté vers les dépenses militaires exigées des alliés vassaux et un pillage sans frein. L’idée qui s’impose à ceux qui subissent ces politiques d’un empire déclinant est de constituer un autre type d’échange en ignorant les menaces et la propagande, vu que les USA sont incorrigibles parce que cela ne dépend plus d’eux mais de leur déclin irréversible. C’est d’ailleurs sur la contradiction entre le profit capitaliste, les concurrences et le déclin de son pouvoir politique que table la Chine. Elle continue à souligner que malgré l’agressivité verbale des États-Unis, les provocations intolérables sur le territoire chinois, les capitalistes continuent à investir en Chine. Les capitalistes n’auraient-ils plus confiance en leur bras armé ? C’est bien le signe que la transition est à l’œuvre et ce besoin de profit concerne également les continents riches en ressources naturelles. Sous le triple coup de boutoir du développement des forces productives, des résistances des peuples et des exploités et l’affaiblissement irréversibles de leur hégémonie c’est la fin du mode de production capitaliste…
Le cas de l’Afrique
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est récemment entretenu avec le Secrétaire exécutif de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) Workneh Gebeyehu. Dans le prolongement du sommet Russie-Afrique qui s’est tenu en octobre 2019 à Sotchi, les deux hommes ont discuté des décisions du premier sommet Russie-Afrique, en mettant davantage l’accent sur une coopération élargie avec les organisations africaines d’intégration. TASS a cité M. Lavrov :
« Une attention particulière a été accordée au développement de la coopération entre la Russie et l’IGAD dans le domaine humanitaire et dans le domaine de l’éducation, à l’aide aux États africains dans la lutte contre la nouvelle pandémie de coronavirus et à la lutte contre les essaims de criquets en Afrique de l’Est. »
Philippe Butler met en regard ces intentions du ministre russe des Affaires étrangères de développer une politique positive en Afrique, avec la manière dont des flots de propagande sont déversés sur ce que fait la Russie en Afrique.
L’exemple type est cette histoire d’Oil Price dans laquelle la Russie et la Chine sont accusées d’une « prise de contrôle nucléaire » de l’Afrique par Haley Zaremb une écologiste [2]. Elle cherche à démontrer qu’une capacité nucléaire égyptienne n’est pas nécessaire, alors que le pays ne peut pas développer son réseau électrique sur les seuls barrages et l’hydroélectricité construite il y a des décennies. L’Égypte est actuellement un importateur net de pétrole. En clair, la capacité d’énergie nucléaire en Égypte réduira les importations et la consommation d’énergie (pétrole/gaz naturel).
Autre exemple :
« Le Royal United Services Institute for Defense and Security Studies (RUSI) surveille tous les mouvements de la Russie en Afrique dans un remake de la guerre froide face à l’expansionnisme soviétique. Dans le rapport de cet organisme, « La Russie adapte son modèle syrien de contre-insurrection en Afrique », Samuel Ramani affirme que la Russie a une stratégie de vente de stratégie de contre-insurrection aux nations africaines aux « régimes autoritaires fragiles ». L’auteur poursuit en disant que les ambitions de la Russie en Afrique suivent la réussite du modèle syrien ».
Nous avons publié dans ce site des révélations de The Greyzone qui prouvent que ces mêmes services britanniques ont vendu clé en main une opposition présentable alors qu’elle était formé de terroristes, fondamentalistes en Syrie pour influencer les médias occidentaux et accompagner l’invasion occidentale. Donc ce ne sont pas les Russes qui répètent leur attitude syrienne mais le gouvernement britannique qui reproduit sa propagande[3].
Mais comme il s’agit de l’Afrique, la France est incontournable et comme en Syrie chasse en meute avec son complice concurrent colonialiste la grande Bretagne pour les États-Unis:
« En France, autrefois le plus grand acteur de l’Afrique coloniale, l’Institut Français des relations internationales a publié une étude qui soutient que la raison pour laquelle de plus en plus de nations africaines se tournent vers Moscou est de tirer parti des nations occidentales par le chantage. Non seulement l’étude française affirme que les efforts de la Russie sont faibles, mais le rapport indique également que la Russie fournit 49 % du matériel militaire vendu sur le continent. Nulle part l’étude ne mentionne d’où viennent les 51 % les autres. Bien sûr, la France a encore ses points d’appui coloniaux sur l’Afrique, comme toujours.
Enfin, l’Institut des études de sécurité de l’Union Européenne (EUISS) vient de publier « RUSSIAN FUTURES 2030 : The shape of things to come » avec quelques scénarios pour ce qu’il adviendra après Vladimir Poutine. Cela reste stupidement menaçant. « Selon un « expert », le mécontentement sous-jacent, bouillonnant et en Russie pourrait bientôt exploser. « EUISS fait appel à Tatiana Stanovaya, une boursière de l’Institut Carnegie, qui gagne sa vie en produisant des études pour les mécontents russes comme Mikhaïl Khodorkovski. Oui, le mafioso du pétrole de Ioukos a ses empreintes digitales sur tout ce qui est anti-Poutine. Mais la plupart des lecteurs sont aussi fatigués de lire sur Khodorkovski, Browder, et le reste, de les trouver mélangés dans toute la russophobie ».
Ces discours selon l’auteur de l’article sont l’illustration de la chute de l’empire occidental et les Romains devaient avoir les mêmes quand leur empire a commencé à se désagréger. C’est du moins l’hypothèse de Lavrov, un pince sans rire qui a des faux airs de « Gai Luron » [4] et ne mâche pas ses mots. En particulier il a été très clair récemment dans une interview où il a été interrogé sur la Russie et la Chine jouant selon les règles occidentales :
« Il est temps de cesser d’appliquer les mesures occidentales à nos actions et d’arrêter d’essayer d’être aimé par l’Occident à tout prix. »
Et voilà la nouvelle politique de la Russie. Depuis un certain temps, le Kremlin a renoncé à essayer de modifier le faux récit qui sort du département d’État américain et du siège de l’OTAN. Les Russes semblent prêts à se tenir à une ligne de conduite plutôt que de jouer sur les mots. Qu’ils développent leur vision paranoïaque de l’Afrique au lieu de se soucier de projets énergétiques et lutte contre le COVID-19, pendant ce temps là la Russie et l’Afrique avanceront. Les anciens colons d’Afrique y perdront toujours plus de positions.
Bref je conclurai en disant que si l’humanité survit à la puissance sénile atrabilaire des États-Unis et de leurs alliés, il sera temps de penser à fonder un autre monde basé sur la coopération. Comme l’a dit encore Lavrov, la situation est plus dangereuse que pendant la seconde guerre mondiale. Le capitalisme vire au fascisme mais surtout il a des moyens de destruction sans commune mesure. C’est une longue marche dans une route semée d’explosifs mais il n’y a rien d’autre à faire que de l’emprunter en ne s’intéressant aux délires et aux menaces que tout autant ils se traduisent par des dangers concrets.
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[1] Phil Butler, chercheur politique et analyste, politologue et spécialiste de l’Europe de l’Est, est l’auteur du récent best-seller “Putin’s Praetorians” et d’autres livres. https://journal-neo.org/2020/09/25/western-metrics-no-longer-matter-for-russians/
[2] https://oilprice.com/Energy/Energy-General/Why-Russia-Is-Pushing-Unneeded-Nuclear-Power-Plants-On-Egypt.html
[3] https://histoireetsociete.com/2020/09/26/syrie-des-documents-revelent-le-role-du-gouvernement-britannique-dans-la-propagande/
[4] Gai Luron est un personnage de Gotlib, qui face aux événements a les mimiques d’un Buster Keaton, excusez cette impertinence mais je trouve la comparaison irrésistible. Surtout que pour ce que l’on sait de Lavrov, cet air impassible se combine avec une certaine truculence et pas mal d’humour. Le tout en tant que grand commis de l’Etat sur le mode soviétique hérité du grand Primakov.
source : https://histoireetsociete.com
Source: Lire l'article complet de Réseau International