L’auteur est professeur au HEC Montréal et membre Des Universitaires
Si le Québec a réussi à réduire ses émissions de GES de 9% entre 1990 et 2017, c’est essentiellement grâce au secteur industriel. Tant l’industrie lourde (20% des GES au Québec en 2017) que les industries manufacturières (5% des GES québécois) ont vu leurs émissions de GES décroitre substantiellement : de 37% dans le premier cas, et de 21% dans le second. Trois secteurs seulement ont vu leurs émissions augmenter depuis 1990 : l’agriculture (+11%), les bâtiments dans l’industrie des services (+37%) et le transport (+29%). C’est surtout ce dernier secteur, par son importance (41% des GES de la province), qui plombe le bilan québécois.
Ces réductions importantes en industries en font un premier de classe dans la lutte contre les changements climatiques au Québec. Mais il est possible d’en faire davantage. Le secteur devra continuer à réduire ses émissions, idéalement sans avoir recours à des fermetures et des délocalisations. Trois grands enjeux dominent les approches de réductions de GES dans le secteur industriel : Les émissions non énergétiques, dites « de procédés » (incluant celles de l’industrie agricole et du secteur des déchets). Ensuite, les fuites de carbone, c’est-à-dire les exportations des émissions de GES par l’achat de produits importés au lieu d’une production locale. Enfin, la transition de l’économie linéaire vers une économie circulaire.
Les émissions non énergétiques
Environ la moitié des émissions industrielles ne sont pas issues de la combustion d’énergie fossile. L’efficacité énergétique, l’électrification ou les biocarburants ne pourront donc les réduire. Ces émissions « de procédés » sont des émissions de dioxyde de carbone (CO2) issues des techniques de production de l’aluminium, du ciment et de l’acier, et non pas de l’énergie que ces secteurs utilisent. L’élevage animal et le secteur des déchets sont eux aussi de grands émetteurs de méthane (un GES 84 fois plus puissant que le CO2 sur un horizon de 20 ans), alors que la synthèse des engrais utilisés dans l’agriculture intensive causent des émissions de protoxyde d’azote (N2O, un GES 298 fois plus puissant que le CO2). Le défi de réduction de ces GES non énergétiques va être différent, parce qu’il devra passer par des améliorations technologiques, la valorisation des émissions et des changements d’habitudes – pour, à la fois, réduire la demande et éliminer l’impact climatique de ce qui continuera d’être produit.
Les fuites de carbone liées à la production et la consommation
La hausse de consommation de biens importés, rendue possible grâce à la mondialisation des marchés et des chaines de valeur des entreprises, fait que nous sommes responsables d’émissions de GES dans d’autres pays. Des fuites de carbone surviennent également lorsque des entreprises, ou seulement certaines activités émettrices de ces entreprises, se délocalisent hors du Québec. Ces fuites causées par la consommation d’importations et les déplacements de production industrielle ne sont pas comptabilisées sur notre territoire. Or, comme l’objectif de la réduction des émissions de GES n’est pas de fermer des industries québécoises, ni d’empêcher toute importation de produits étrangers, une considération particulière doit être accordée à cette problématique. Si tel n’est pas le cas, les émissions se déplaceront et la lutte contre les changements climatiques ne sera pas efficace.
Passage à l’économie circulaire
Dans le secteur industriel, la traditionnelle chaîne linéaire d’extraction-transformation-consommation-enfouissement a, d’une part, menée à une surexploitation des ressources naturelles gonflée par les usages uniques, et, d’autre part, à une organisation industrielle très peu centrée sur l’optimisation des ressources, le réemploi et la réparation. Seulement 9 % des flux de ressources seraient actuellement réintroduits dans la chaine de valeur à l’échelle globale. Une des principales causes de cet état de fait réside dans le faible coût relatif des ressources vierges, et de l’énergie au Québec, qui reflète peu ou pas les impacts sur l’environnement. La transformation nécessaire pour réduire les émissions va demander à la fois de réduire la demande pour les produits industriels et de développer de nouveaux modèles d’affaires. Les industries vont devoir minimiser l’utilisation des ressources non renouvelables, optimiser les flux de matières premières et éliminer les pertes par la recherche d’efficience et d’amélioration de la productivité des ressources. Les entreprises devront, entre autres, être davantage liées les unes aux autres, pour que tout sous-produit ou résidu d’une entreprise soit réutilisé par une autre. Ainsi, les concepts de « déchet » ou même de « pollution » seront éliminés. Des écosystèmes industriels gèreront l’ensemble des flux de matières. L’économie circulaire pourrait entraîner une réduction de 56 % des émissions de GES dans l’industrie lourde (plastique, acier, aluminium et ciment) d’ici 2050.
Concrètement, les « bibliothèques d’outils » comme celle de La Patente à Québec permettent aux consommateurs de réduire les achats d’objets sous-utilisés, et ainsi de réduire la production industrielle de ces objets. Au niveau des industries elles-mêmes, le développement de nouvelles synergies (par exemple la récupération de la chaleur ou recyclage du CO2) et la mise en œuvre plus appliquée de l’efficacité énergétique et de l’électrification seront les voies de sortie de la crise climatique. Si le soutien des gouvernements est important, notamment par des aides financières, c’est toute la population qui doit soutenir ces efforts, parce qu’elle est la bénéficiaire indirecte des produits issus de l’industrie.
Note : Ce texte est tiré du plan d’action « 101 idées pour la relance » préparé par le Pacte pour la transition (https://www.lepacte.ca/) et disponible pour consultation: https://bit.ly/3eIEURx.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal