Nous avons perdu un vrai géant
Heureux les artisans de la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu - Évangile selon Saint Matthieu 5: 9
Par The Saker − Le19 septembre 2020
Chers amis,
C’est avec une immense tristesse que je dois signaler le décès de Stephen F. Cohen hier, dans sa maison de Manhattan à l’âge de 81 ans.
Quelques médias l’ont déjà rapporté. La plupart d’entre eux discutent des idées politiques de Stephen F. Cohen et de ses livres, ce qui est normal puisqu’il était historien de l’Union soviétique. Mais je ne ferai pas cela ici.
Ce que je veux dire à propos de Cohen est quelque chose de très différent.
Tout d’abord, c’était un homme d’une immense gentillesse et humilité. Ensuite, c’était un homme d’une totale honnêteté intellectuelle. Je ne peux pas dire que Cohen et moi avions les mêmes idées, ou la même lecture de l’histoire, même si dans de nombreux cas nous l’avions, de fait, mais ce j’ai trouvé si beau chez cet homme, c’est que contrairement à la plupart de ses contemporains, Cohen n’était pas un idéologue, il ne s’attendait pas à ce que tout le monde soit d’accord avec lui, et lui-même ne jaugeait pas les gens à l’aune de leur pureté idéologique avant de leur offrir son amitié.
Même s’il est impossible de placer un homme d’une intelligence et d’une honnêteté aussi immenses dans une seule catégorie idéologique, je dirais que Stephen Cohen était un vrai libéral, dans le sens original et noble de ce mot.
Je dois également mentionner l’immense courage de Stephen Cohen. Oui, je sais, il n’a pas été déporté à Guantanamo pour ses idées, il n’a pas été torturé dans une prison secrète de la CIA, et il n’a pas été transféré dans un pays du Tiers-Monde pour y être torturé au nom des États-Unis. Stephen Cohen avait un autre type de courage, celui de rester fidèle à lui-même et à ses idéaux même lorsque le monde le couvrait littéralement d’accusations calomnieuses, le courage de ne pas suivre ses camarades libéraux lorsqu’ils sont devenus des pseudo-libéraux et ont trahi tout ce que le vrai libéralisme représente. Le professeur Cohen a également rejeté complètement toute forme de tribalisme ou de nationalisme, qui faisait souvent de lui la cible de haines et de calomnies vicieuses, en particulier de la part de ses compatriotes juifs américains – il était accusé d’être, quoi d’autre ? … un agent de Poutine.
Cohen a eu le courage de s’attaquer seul à toutes les élites dirigeantes de ce pays [les États-unis] et à leur idéologie suprématiste messianique, presque complètement seul.
Dernier point, mais non le moindre, Stephen Cohen était un véritable artisan de la paix, au sens des paroles de l’Évangile que j’ai citées ci-dessus. Il s’est opposé aux cinglés bellicistes pendant la guerre froide, et il s’est à nouveau opposé à eux lorsqu’ils ont remplacé leur haine enragée de l’Union soviétique par une haine encore plus enragée de tout ce qui est russe.
Je ne prétendrai pas ici que j’ai toujours été d’accord avec les idées de Cohen ou sa lecture de l’histoire, et je suis tout à fait sûr qu’il ne serait pas d’accord avec beaucoup de ce que j’ai écrit. Mais une chose sur laquelle Cohen et moi étions définitivement d’accord est la priorité absolue, numéro un, de ne pas permettre qu’une guerre se produise entre les États-Unis et la Russie. Il ne serait pas exagéré de dire que Stephen Cohen a consacré toute sa vie à cet objectif.
Si le prix Nobel de la paix voulait dire quelque chose, et s’il était au moins à moitié crédible, je dirais que Stephen Cohen méritait un tel Nobel plus que quiconque sur cette planète. Au lieu de cela, il obtiendra sa récompense dans les Cieux.
En russe, nous avons un dicton inspiré de l’Ancien Testament : «город стоит, пока в нем есть хоть один праведник» signifiant approximativement «une ville durera aussi longtemps qu’il restera ne serait-ce qu’une personne juste à l’intérieur». Je ne peux pas m’empêcher de penser que la «ville» des États-Unis vient de perdre une personne pareille. Oui, il reste encore quelques justes dans cette «ville», mais nous avons tous certainement perdu l’un de nos meilleurs contemporains.
À mon immense regret, je n’ai jamais rencontré personnellement le professeur Cohen. Et pourtant, quand j’ai appris la nouvelle de cette mort ce matin, j’ai eu le cœur brisé. Ma principale consolation est que Cohen est décédé avant novembre et ce qui suivra inévitablement dans ce pays. Je crois que Dieu nous l’a enlevé pour lui éviter la douleur de voir son pays s’effondrer sous les attaques répétées des néoconservateurs pseudo-libéraux.
Il est assez évident qu’à notre époque folle et affreuse, le professeur Cohen n’obtiendra pas chez lui la reconnaissance et la gratitude qu’il mérite tant – ne serait-ce que parce que les pseudo-libéraux américains sont beaucoup trop occupés à brailler sur la mort de la juge Ginsburg. Et bien que Stephen Cohen soit bien connu dans certains cercles russes – il avait beaucoup d’amis en Russie – il n’est guère un nom familier pour la plupart des Russes. Mais je suis convaincu que, en supposant que l’humanité survive un peu plus longtemps, le professeur Cohen sera reconnu comme la personne juste qu’il était, tant aux États-Unis qu’en Russie.
Quelque part, je crois aussi que nous, en tant que société, ne méritons tout simplement pas d’avoir un homme aussi juste parmi nous. Cohen est maintenant en bien meilleure compagnie.
Merci, cher Steve, pour ta gentillesse et ton courage. Tu me manqueras beaucoup, beaucoup !
The Saker
Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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