Manifestation devant les locaux de la BBC Scotland, à Glasgow, le 17 septembre 2020. | Julien Marsault / Hans Lucas
Cet article a été publié dans Slate du 24 septembre 2020
En interrompant la diffusion des conférences de presse de la Première ministre sur la pandémie de Covid-19, la chaîne britannique s’est attirée les foudres de nombre d’Écossais·es.
La goutte de trop. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, l’antenne écossaise de la BBC a interrompu lundi 14 septembre la diffusion des conférences de presse («Covid briefings») de la Première ministre Nicola Sturgeon. Réouverture des commerces, nombre de décès, soutien aux entreprises… Ce rendez-vous quotidien, diffusé en direct et en intégralité à l’heure du déjeuner, était devenu l’un des moyens privilégiés par beaucoup d’Écossais·es pour suivre l’avancée de la situation.
Furieux, nombre de citoyen·nes, sympathisant·es du parti au pouvoir (SNP, Parti national écossais) et autres indépendantistes ont dès lors manifesté leur mécontentement. Les appels au boycott sur les réseaux sociaux se sont multipliés, certains allant même jusqu’à annuler le paiement de leur redevance TV, importante source de revenus pour la chaîne. Régulièrement accusée d’être au service du gouvernement anglais, l’antenne BBC Scotland a été sommée de changer d’avis et de répondre aux attaques pendant plusieurs jours.
La Première ministre elle-même a regretté ce choix, estimant que ces rendez-vous étaient «plus importants que jamais» alors que les cas de Covid-19 repartent à la hausse dans le pays depuis plusieurs semaines. Dans la soirée du jeudi 17 septembre, la direction de la chaîne a finalement fait machine arrière.
«La BBC est la machine de propagande d’un pouvoir colonial»
Quelques heures plus tôt, le mouvement All Under One Banner («Tous sous le même drapeau») organisait justement un rassemblement devant les locaux de BBC Scotland, à Glasgow. Prévu depuis plusieurs mois en soutien à un nouveau référendum sur l’indépendance, le rendez-vous avait changé de lieu en réponse à la décision de la chaîne. Plus de 200 personnes portant un masque et éloignées les unes des autres brandissaient alors des drapeaux écossais et pancartes sous un magnifique ciel bleu.
«BBC, on emm**** ta redevance!» | Julien Marsault / Hans Lucas
Pour l’un des organisateurs, Neil Mackay, «[La décision de la BBC] est un choix politique. […] Ce n’est pas la bonne chose à faire. Les personnes âgées et en situation de handicap comptent beaucoup sur ces briefings.» Insistant sur le fait que ces critiques ne sont pas «adressées personnellement aux journalistes», le fondateur du mouvement estime pourtant que «la BBC est la machine de propagande d’un pouvoir colonial» [celui du Royaume-Uni, ndlr].
Comme lui, nombre d’internautes estiment que la diffusion de ces conférences de presse est un devoir de service public. Le hashtag #BBCSwitchOff est aussi réapparu depuis sur Twitter, déjà popularisé à plusieurs reprises par le passé pour sa critique de la vision biaisée qu’aurait la chaîne à propos d’importantes questions de société comme l’indépendance de l’Écosse.
Contactée par mail, la BBC justifie encore une fois ce choix par sa liberté de traitement et de hiérarchisation de l’information: «De telles décisions seront toujours prises sur la base d’un jugement éditorial et d’une écoute de notre public. Nous tiendrons toujours pleinement compte de la façon dont la pandémie continue d’évoluer.» Quelques jours auparavant, Ian Small, directeur de la politique publique de la chaîne, déclarait que «quand il sera opportun de couvrir les briefings dans leur intégralité, à la télévision, nous le ferons. Ce n’est pas, ni n’a jamais été en question.»
Si la BBC a donc fini par reculer, les briefings ne reprendront cependant pas la même forme qu’auparavant. La Première ministre et des membres du gouvernement étaient jusqu’ici face caméra, pendant près d’une heure, accompagné·es d’une traductrice pour les personnes sourdes et malentendantes, et répondaient aux questions des journalistes par téléphone. Leurs déclarations étaient diffusées en direct et sans coupure sur la BBC. Désormais, celles-ci seront accompagnées «d’autres voix et d’autres points de vue, venant de toute l’Écosse et au-delà, détaille la chaîne. Cela impliquera des politiciens de tous les horizons politiques, ainsi que des commentateurs, des analystes et d’autres experts.»
Le paiement de la redevance TV en baisse
Il s’agit d’une victoire en demi-teinte pour le camp conservateur (les Tories) et le parti travailliste (le Labour), qui estimaient depuis des mois que ces conférences de presse offraient une tribune médiatique démesurée et non justifiée à la Première ministre. Ceux-ci pourront désormais commenter et critiquer ses décisions, ce qu’a bien évidemment regretté Nicola Sturgeon. Son parti, le SNP, redoute «de la désinformation et des points de vue personnels en contradiction avec la science». De quoi relancer une énième polémique?
Fragilisée par les menaces de Boris Johnson à son encontre, la BBC doit déjà faire face à de lourdes pertes de revenus. Les député·es britanniques planchent en effet depuis plusieurs mois sur une dépénalisation du non-paiement de la redevance: celle-ci doit aujourd’hui être payée chaque année et à hauteur de 160 livres [174 euros] par personne visionnant ses programmes sur le petit écran ou internet. Mais un rapport de la chaîne publié récemment fait état d’une baisse de 237.000 paiements sur la période 2019-2020, soit une perte approchant les 40 millions de livres.[1]
Là où se rencontrent Brexit et Covid
Quoi qu’il en soit, cette polémique illustre à merveille les tensions actuelles au Royaume-Uni. Le soutien important apporté à la continuité des «Covid briefings» coïncide avec la conséquente popularité de la Première ministre et de son parti, le SNP. Louée pour sa gestion de la pandémie, préparant les élections de 2021, Nicola Sturgeon n’a cessé de défier Westminster pendant la crise sanitaire. Fermeture des commerces, corridors aériens, port du masque… Pendant plusieurs mois, elle a minutieusement évité d’en faire une affaire de querelles politiques, plaidant pour une approche prudente et pragmatique.
C’est que le contraste avec sa voisine l’Angleterre était jusqu’alors saisissant. D’abord par l’étendue de l’épidémie, en net recul en Écosse durant l’été et où s’écoulaient parfois plusieurs jours sans aucun décès. Désormais, si les cas repartent à la hausse dans toute l’île, l’Écosse reste toujours dans une approche plus stricte qu’au sud. Alors que le Brexit guette et que l’inquiétude monte, cette différence de résultats semble déjà avoir des conséquences au niveau politique.
Lors du référendum de 2014, 55% des Écossais·es avaient voté contre l’indépendance de leur nation. Une claque pour les indépendantistes. De multiples sondages parus pendant la pandémie montrent désormais une totale inversion du scrutin, six ans après. Aujourd’hui, 55% seraient prêt·es à voter «yes» selon une récente enquête de l’institut Panelbase. Pour Neil Mackay, c’est la preuve que le mouvement indépendantiste profite d’un second souffle: «Nous sommes toujours là, plus forts que jamais.»
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal