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L’alliance sino-russe arrive à maturité
L’alliance sino-russe arrive à maturité – 2ème partie
*
par M.K. Bhadrakumar.
3ème partie
Discours sur les héritages communs
La désintégration de l’ex-Union Soviétique en 1991 a été un désastre géopolitique pour la Russie. Mais cet événement décisif a paradoxalement poussé Moscou et Pékin, autrefois adversaires, à se rapprocher, alors qu’ils regardaient avec incrédulité le récit triomphaliste des États-Unis sur la fin de la guerre froide, renversant l’ordre qu’ils avaient tous deux considéré, malgré toutes leurs différences et disputes mutuelles, comme crucial pour leur statut et leur identité nationale.
L’effondrement de l’Union Soviétique a entraîné une grande incertitude, des conflits ethniques, des privations économiques, la pauvreté et la criminalité pour de nombreux États qui ont succédé à l’Union, en particulier pour la Russie. Et l’agonie de la Russie a été observée de près de l’autre côté de la frontière, en Chine. Les décideurs politiques de Pékin ont étudié l’expérience des réformes soviétiques afin de se tenir à l’écart des « traces d’une charrette renversée ». Un sentiment d’appréhension face à l’effondrement soviétique aurait pu être présent, découlant des racines communes des modernités des deux pays.
Mais avec le recul, alors que les discours politiques en Chine et en Russie sur les raisons de la désintégration de l’Union Soviétique devaient montrer des perspectives parfois divergentes, les dirigeants de Moscou et de Pékin ont réussi à faire en sorte que l’avenir de leur relation lui soit imperméable.
Peu après être devenu le Secrétaire Général du Parti Communiste Chinois, Xi Jinping a fait parler de lui en évoquant l’ex-Union Soviétique. La première fois, c’était en décembre 2012, quand, dans des commentaires aux fonctionnaires du parti, il aurait fait remarquer que la Chine devait encore « se souvenir profondément de la leçon de l’effondrement soviétique ». Il a ensuite évoqué la « corruption politique », « l’hérésie de la pensée » et « l’insubordination militaire » comme étant les raisons du déclin du Parti Communiste Soviétique. Xi aurait dit : « Une des raisons importantes était que les idéaux et les croyances étaient ébranlés ». À la fin, Mikhaïl Gorbatchev a juste prononcé un mot, déclarant que le Parti Communiste Soviétique avait disparu, « et le grand parti a disparu comme ça ».
Xi a déclaré : « À la fin, il n’y avait pas un homme assez courageux pour résister, personne n’est sorti pour contester (cette décision) ». Quelques semaines plus tard, Xi est revenu sur le sujet et aurait déclaré que l’une des raisons importantes de l’effondrement soviétique était que la lutte dans la sphère idéologique était extrêmement féroce ; il y avait un déni complet de l’histoire soviétique, un déni de Lénine, un déni de Staline, une poursuite du nihilisme historique, une confusion de la pensée ; les organisations locales du parti n’avaient pratiquement aucun rôle à jouer. L’armée n’était pas sous le contrôle du Parti. « À la fin, le grand Parti Communiste Soviétique s’est dispersé comme des oiseaux et des bêtes. La grande nation socialiste soviétique est tombée en morceaux. C’est la route d’une charrette renversée ! »
Dans le récit russe, la raison principale était l’échec de la politique macro-économique soviétique. Il est facile de comprendre pourquoi le Président Vladimir Poutine fait appel à l’expérience de la Chine en matière de réforme et d’ouverture. Poutine ne prétend pas être un marxiste-léniniste ; il ne s’appuie pas non plus sur l’idéologie soviétique pour obtenir une légitimité. De son point de vue, la perestroïka est bien fondée car Gorbatchev a clairement compris que le projet soviétique avait échoué. Mais les nouvelles idées et les nouvelles politiques de Gorbatchev n’ont pas abouti et ont conduit à leur tour à une profonde crise économique et à une insolvabilité financière qui l’ont finalement discrédité et ont détruit l’État soviétique.
Poutine a fait l’expérience directe des merveilles du socialisme soviétique ainsi que de son échec fatal à rivaliser avec l’Occident pour assurer la qualité de vie des citoyens. Poutine est probablement rentré à Saint-Pétersbourg de son poste à Dresde, totalement désenchanté par les idéaux communistes. Poutine avait tout juste cinq mois lorsque Staline est mort, et pour lui, les grandes figures du marxisme-léninisme n’avaient pas grande valeur.
En revanche, Xi Jinping a connu la Chine en pleine révolution. Pour Xi, Mao était à la fois une figure divine et une personne vivante. Le propre père de Xi était le camarade de Mao (même si Mao l’a purgé). Xi a vécu la révolution culturelle de près. Pourtant, pour lui, renier Mao serait comme renier une partie de lui-même. C’est pourquoi le rejet par Xi du « nihilisme historique » de style soviétique lui vient naturellement. Selon les mots de Xi, « Le Parti Communiste Soviétique comptait 200 000 membres lorsqu’il a pris le pouvoir ; il en comptait 2 millions lorsqu’il a vaincu Hitler, et il en comptait 20 millions lorsqu’il a abandonné le pouvoir… Pour quelle raison ? Parce que les idéaux et les croyances n’étaient plus là ».
Mais le point commun entre Poutine et Xi Jinping se situe à trois niveaux. Le premier est leur appréciation commune de l’étonnant sprint de la Chine vers les rangs d’une superpuissance économique. Selon les termes de Poutine, la Chine « a réussi de la meilleure façon possible, à mon avis, à utiliser les leviers de l’administration centrale (pour) le développement d’une économie de marché… L’Union Soviétique n’a rien fait de tel, et les résultats d’une politique économique inefficace ont eu un impact sur la sphère politique ». La grande importance – presque la centralité – que Poutine attache aux liens économiques dans le partenariat global sino-russe est à mettre en perspective.
Deuxièmement, malgré les différences qui peuvent exister dans les récits respectifs des deux pays concernant les raisons de l’effondrement soviétique, Poutine et Xi sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne le discours légitimant de la grandeur révolutionnaire que représentait l’Union Soviétique. Ainsi, l’identité sino-russe est très présente aujourd’hui dans leur position commune contre les tentatives de l’Occident de falsifier l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale.
Dans une récente interview, le Ministre des Affaires Étrangères russe Sergeï Lavrov a déclaré : « nous sommes témoins d’une agression contre l’histoire visant à réviser les fondements modernes du droit international qui ont été formés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale sous la forme de l’ONU et des principes de sa Charte. Il y a des tentatives pour saper ces mêmes fondements. Ils utilisent principalement des arguments qui représentent une tentative d’assimiler l’Union Soviétique à l’Allemagne nazie, des agresseurs qui voulaient asservir l’Europe et transformer la majorité des peuples de notre continent en esclaves avec ceux qui ont vaincu les agresseurs. Nous sommes insultés par des accusations directes selon lesquelles l’Union Soviétique est plus coupable que l’Allemagne nazie pour avoir déclenché la Seconde Guerre Mondiale. En même temps, l’aspect factuel de la question, comme la façon dont tout a commencé en 1938, la politique d’apaisement d’Hitler par les puissances occidentales, principalement la France et la Grande-Bretagne, est complètement balayé sous le tapis ».
Un modèle d’alliance de soutien mutuel
La Chine connaît actuellement une trajectoire similaire de renversement des rôles – l’agresseur devenant un prêcheur et la victime étant mise au pilori. Un fort sentiment d’empathie avec la Russie de la part de la Chine est tout à fait naturel, car elle est elle aussi confrontée à des situations difficiles, comme le fait d’être acculée sur la question des droits de l’homme au Xinjiang ou d’être qualifiée de « ferme » lorsqu’elle a commencé à faire revivre en 2015 ses revendications historiques dans la Mer de Chine Méridionale abandonnées en 1935, en réponse aux activités des autres États riverains.
C’est un secret de polichinelle que les services de renseignement occidentaux ont joué un rôle important dans l’agitation à Hong Kong. En fait, l’histoire de l’ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures de la Chine pour déstabiliser le gouvernement communiste n’est pas nouvelle. Elle remonte aux activités secrètes de la CIA au Tibet dans les années 50 et au début des années 60 (qui fut au moins en partie responsable du déclenchement du conflit Chine-Inde de 1962). Aujourd’hui, les États-Unis reviennent régulièrement sur leur politique « d’une seule Chine », qui a été le fondement de la normalisation sino-américaine au début des années 1970.
De même, l’ingérence américaine dans la politique russe, qui a commencé à se manifester à la fin des années 1980 sous l’ère Gorbatchev, est devenue flagrante et évidente dans les années 1990, après l’effondrement de l’ex-Union Soviétique. Les États-Unis ont ouvertement manigancé un résultat souhaité en faveur de Boris Eltsine lors de l’élection présidentielle russe de 1996 – et se sont ouvertement vantés de le financer et de le micro-gérer.
Poutine a accusé les États-Unis de susciter des protestations en Russie en 2011 et de dépenser des centaines de millions de dollars pour influencer les élections russes. Poutine a déclaré que la Secrétaire d’État américaine de l’époque, Hillary Clinton, avait encouragé les ennemis « mercenaires » du Kremlin. « Elle a donné le ton à certains militants de l’opposition, leur a donné un signal, ils ont entendu ce signal et ont commencé à travailler activement », a-t-il allégué.
Invoquant la Révolution Orange de 2004 en Ukraine et la chute violente des gouvernements au Kirghizstan, Poutine a déclaré que les nations occidentales dépensaient beaucoup pour fomenter un changement politique en Russie. « Il est particulièrement inacceptable de verser de l’argent étranger dans les processus électoraux. Des centaines de millions sont investis dans ce travail. Nous devons trouver des formes de protection de notre souveraineté, de défense contre les interférences extérieures ». Poutine a ajouté : « Qu’y a-t-il à dire ? Nous sommes une grande puissance nucléaire et nous le restons. Cela soulève certaines inquiétudes chez nos partenaires. Ils essaient de nous secouer pour que nous n’oubliions pas qui est le patron sur notre planète ».
Le schéma d’ingérence des États-Unis et de leurs proches alliés était sensiblement le même à Hong Kong – pour déstabiliser la Chine et contrecarrer son ascension en tant que puissance mondiale. De même, la Chine est aujourd’hui confrontée au même schéma que la Russie, à savoir que les États-Unis ont créé un réseau d’États hostiles qui l’entourent et l’encerclent – la Géorgie, l’Ukraine, la Pologne, les États baltes, etc. La semaine dernière, le directeur du service de renseignement extérieur russe SVR, Sergey Naryshkin, a déclaré que Washington avait fourni environ 20 millions de dollars pour l’organisation de manifestations anti-gouvernementales en Biélorussie.
Naryshkin a déclaré : « Selon les informations disponibles, les États-Unis jouent un rôle central dans les événements actuels en Biélorussie. Bien que publiquement Washington essaie de garder un profil bas, une fois que les manifestations de rue massives ont commencé, les Américains ont augmenté le financement des forces anti-gouvernementales biélorusses de manière généreuse, à hauteur de dizaines de millions de dollars ».
Il a précisé : « Les manifestations ont été bien organisées dès le début et coordonnées depuis l’étranger. Il est intéressant de noter que l’Occident avait lancé les bases des protestations bien avant les élections. En 2019 et début 2020, les États-Unis ont fait appel à diverses ONG pour fournir environ 20 millions de dollars afin d’organiser des manifestations antigouvernementales ».
La Biélorussie, bien sûr, est le chaînon manquant dans l’arc d’encerclement de la Russie que les États-Unis ont contribué à mettre en place. La même approche est aujourd’hui à l’œuvre contre la Chine. L’Alliance Quadrilatérale (Quadrilatérale) dirigée par les États-Unis et comprenant le Japon, l’Inde et l’Australie sert cet objectif.
Dans les années précédentes, l’entente russo-chinoise se concentrait exclusivement sur les relations bilatérales. Elle est progressivement passée à une coordination au niveau de la politique étrangère – limitée au départ – qui n’a cessé de s’intensifier.
La Russie et la Chine s’aident mutuellement à repousser les politiques d’endiguement des États-Unis. Ainsi, la Chine a ouvertement salué la victoire électorale du Président biélorusse Alexandre Loukachenko. De son côté, la Russie critique beaucoup plus vivement les tentatives des États-Unis de raviver les tensions dans la région Asie-Pacifique. Le Ministre des Affaires Étrangères Lavrov a déclaré le 11 septembre à Moscou en présence du Conseiller d’État et Ministre des Affaires Étrangères chinois Wang Yi,
« Nous avons noté le caractère destructeur des actions de Washington qui sapent la stabilité stratégique mondiale. Elles alimentent les tensions dans diverses parties du monde, en particulier le long des frontières russes et chinoises. Bien sûr, nous sommes inquiets de cette situation et nous nous opposons à ces tentatives d’escalade de tensions artificielles. Dans ce contexte, nous avons déclaré que la stratégie dite « Indo-Pacifique » telle qu’elle a été planifiée par les initiateurs, ne conduit qu’à la séparation des États de la région, et est donc lourde de conséquences pour la paix, la sécurité et la stabilité dans la région Asie-Pacifique. Nous nous sommes prononcés en faveur d’une architecture de sécurité régionale centrée sur l’ANASE afin de promouvoir l’agenda unificateur, et la préservation du style de travail et de la prise de décision par consensus dans ces mécanismes… Nous assistons à des tentatives de division des rangs des membres de l’ANASE avec les mêmes objectifs : abandonner les méthodes de travail basées sur le consensus et alimenter la confrontation dans cette région ».
De nouveau, le 18 septembre, dans une interview accordée à la Nikkei Asian Review à Washington, l’Ambassadeur russe aux États-Unis, Anatoly Antonov, a déclaré : « Nous pensons que les tentatives des États-Unis de créer des alliances anti-chinoises dans le monde entier sont contre-productives. Elles représentent une menace pour la sécurité et la stabilité internationales… Quant à la politique américaine en Asie-Pacifique, …Washington encourage les sentiments anti-chinois et ses relations avec les pays de la région sont basées sur leur soutien à une telle approche… Il est difficile de qualifier l’initiative indo-pacifique de « libre et ouverte ». Il est plus probable que ce soit tout le contraire : ce projet n’est ni transparent ni inclusif… si l’on parle des pays de l’Océan Indien. Au lieu des normes bien établies du droit international, Washington y promeut un obscur « ordre basé sur des règles ». Quelles sont ces règles, qui les a créées et qui les a acceptées – tout cela reste obscur ».
Ces déclarations suggèrent qu’en réalité, l’attitude de la Russie évolue constamment, même si les États-Unis augmentent la pression sur la Chine dans la Mer de Chine Méridionale et la Mer de Chine Orientale.
Fondement de la confiance mutuelle
Les propagandistes occidentaux oublient allègrement que l’alliance sino-russe repose sur des bases solides. N’oubliez pas un instant que la première visite de Xi Jinping à l’étranger en tant que Président a eu lieu en Russie, en mars 2013, une année avant la crise ukrainienne qui a conduit aux sanctions occidentales contre Moscou. Pourtant, les analystes occidentaux insistent sur le fait que l’entente sino-russe a été un « pivot » pour la Russie, suite à son éloignement de l’Europe.
S’exprimant avant sa visite en Russie, Xi a déclaré que les deux pays étaient « des partenaires stratégiques très importants » qui parlaient une « langue commune ». Xi a qualifié la Russie de « voisin amical », et a déclaré que le fait qu’il se rende en Russie si peu de temps après avoir pris la présidence témoignait « de la grande importance que la Chine accorde à ses relations avec la Russie ». Les relations entre la Chine et la Russie sont entrées dans une nouvelle phase dans laquelle les deux pays s’offrent mutuellement de grandes possibilités de développement ».
Dans une interview à la presse russe à l’occasion de la visite de Xi, Poutine a déclaré que la coopération entre la Russie et la Chine produirait « un ordre mondial plus juste ». La Russie et la Chine, a-t-il dit, ont toutes deux fait preuve d’une « approche équilibrée et pragmatique » des crises internationales. (Dans un article paru en 2012, Poutine avait appelé à une coopération économique plus poussée avec la Chine afin de « prendre le « vent chinois » dans les voiles de l’économie).
L’un des résultats significatifs des entretiens de Xi avec Poutine a été la formalisation d’un contact direct entre les deux hauts bureaux de Moscou et de Pékin. En juillet 2014, Sergueï Ivanov, alors Chef de Cabinet du Bureau Exécutif Présidentiel au Kremlin et Li Zhanshu, alors Chef du Secrétariat du Comité Central du Parti Communiste Chinois ont institutionnalisé ce format lors de la visite d’Ivanov à Pékin.
C’était la toute première fois que la partie chinoise avait un tel format de contact direct avec un autre pays. Li et Ivanov (qui a été reçu par Xi Jinping à Pékin) ont établi la feuille de route d’une relation à multiples facettes fondée sur des contacts intensifs au plus haut niveau, et ont consolidé le partenariat stratégique.
Quatre ans plus tard, lors d’une visite à Moscou en septembre 2019, dans sa nouvelle fonction de Président du Comité Permanent de l’Assemblée Nationale Populaire Chinoise, Li Zhanshu a déclaré lors d’une réunion avec Poutine au Kremlin, « Aujourd’hui, les États-Unis procèdent à un double endiguement de la Chine et de la Russie, et essaient de semer la discorde entre nous, mais nous pouvons très bien le constater et nous ne mordrons pas à l’hameçon. La raison principale est que nous disposons d’une base très solide pour une confiance politique mutuelle. Nous continuerons à la renforcer et nous soutiendrons fermement l’aspiration de chacun à suivre la voie de notre propre développement, ainsi qu’à défendre les intérêts nationaux et à assurer la souveraineté et la sécurité des deux pays ».
Li a déclaré à Poutine : « Ces dernières années, nos relations ont atteint un niveau sans précédent. Cela a été possible principalement grâce au leadership stratégique et aux efforts personnels des deux dirigeants. Le Président chinois Xi Jinping et vous êtes de grands politiciens et stratèges qui pensent globalement et largement ».
En fait, la déclaration conjointe signée par Xi Jinping et Poutine le 5 juin dernier à Moscou lors de la visite d’État du dirigeant chinois en Russie a été largement remarquée comme un pivot qui a élevé la relation à la nouvelle connotation du « partenariat stratégique global de coordination pour une nouvelle ère » entre la Chine et la Russie.
Un commentateur chinois, Kong Jun, écrivant dans le Quotidien du Peuple à cette époque, a décrit la déclaration de juin 2019 comme mettant en évidence « la maturation d’une relation caractérisée par le plus haut degré de confiance mutuelle, le plus haut niveau de coordination et la plus haute valeur stratégique ». En termes simples, la visite d’État de Xi en Russie l’année dernière a montré que les deux pays étaient sur le point d’établir des relations d’alliance de facto, mais pas de jure.
Une alliance militaire fonctionnelle était également en gestation à ce moment-là. Exactement trois mois après la visite d’État de Xi en Russie, Poutine a parlé publiquement pour la première fois d’une « alliance » avec la Chine – précisément, devant un public national le 6 septembre 2019 à Vladivostok. Depuis lors, bien sûr, les messages échangés entre les dirigeants russes et chinois ont régulièrement commencé à souligner leur engagement et leur ferme détermination à sauvegarder conjointement la « stabilité stratégique mondiale », comme l’énonce la déclaration conjointe de juin 2019 publiée après la visite d’État de Xi.
En octobre de l’année dernière, quatre mois à peine après la visite d’État de Xi à Moscou, alors qu’il s’adressait à une conférence politique à Sotchi, Poutine a lâché une bombe. Il a révélé : « Nous aidons actuellement nos partenaires chinois à créer un système d’alerte pour les attaques de missiles. C’est une chose sérieuse qui augmentera considérablement les capacités de défense de la République Populaire de Chine. Actuellement, seuls les États-Unis et la Russie disposent de tels systèmes ».
Un jour plus tard, le porte-parole de Poutine, Dmitri Peskov, a salué les « relations spéciales, le partenariat avancé de la Russie avec la Chine … notamment dans les domaines les plus sensibles liés à la coopération militaro-technique et aux capacités de sécurité et de défense ». Par ailleurs, Sergueï Boyev, Directeur Général de Vympel, le principal fabricant d’armes russe, a confirmé aux médias d’État que l’entreprise travaillait à la « modélisation » du système d’alerte d’attaque de missiles pour la Chine. « Nous ne pouvons pas en parler en détail à cause des accords de confidentialité », a déclaré Boyev.
Alliance pour la stabilité stratégique mondiale
Le discours de Poutine à Sotchi en octobre a été extrêmement significatif, il y a loué le « niveau sans précédent de confiance mutuelle et de coopération dans une relation de partenariat stratégique » entre la Russie et la Chine. Poutine a noté que le système d’alerte précoce d’attaque de missiles (Systema Preduprezdenya o Raketnom Napadenii – SPRN) va « sérieusement étendre les capacités de défense de la RPC ».
Poutine a également dénoncé comme futiles les tentatives américaines de contenir la Chine par la pression économique et en construisant des alliances Asie-Pacifique (Quad) avec d’autres États de la région. Commentant le discours de Poutine, le site d’information pro-Kremlin Vzglad a signalé que si Moscou et Pékin ne signeront pas de sitôt un traité formel d’alliance politico-militaire, les deux pays sont déjà alliés de facto, coordonnant étroitement leurs activités dans différents domaines, construisant ensemble un nouvel ordre mondial qui pourrait conduire à l’éviction de l’influence américaine en Asie.
Il faut bien comprendre l’importance stratégique du transfert par la Russie à la Chine de son savoir-faire en matière de missiles d’alerte avancée. Elle implique une alliance militaire virtuelle. Il a coïncidé avec un exercice militaire russe massif, appelé Center-2019 (Tsentr-2019), qui s’est tenu du 16 au 21 septembre en Russie occidentale et auquel le commandement du théâtre d’opérations occidental de l’APL a envoyé un nombre non divulgué de chars de combat principal Type 96A, de bombardiers stratégiques H-6K, de chasseurs-bombardiers JH-7A, d’avions de combat J-11, d’avions de transport Il-76 et Y-9 et d’hélicoptères d’attaque Z-10.
Du côté russe, l’exercice aurait impliqué 128 000 militaires, plus de 20 000 pièces d’équipement dont 15 navires de guerre, 600 avions, 250 chars, environ 450 véhicules de combat d’infanterie et véhicules blindés de transport de troupes, et jusqu’à 200 systèmes d’artillerie et systèmes de fusées à lancements multiples. Le Ministère de la Défense russe a déclaré que les principaux objectifs de l’exercice de poste de commandement stratégique étaient de vérifier les niveaux de préparation de l’armée russe et d’améliorer l’interopérabilité.
Dès mai 2016, la Russie et la Chine avaient commencé leurs premiers exercices de simulation de défense anti-missile par ordinateur. Une annonce faite à Moscou à l’époque décrivait cet exercice comme « le premier exercice conjoint russo-chinois de défense anti-missiles à poste de commandement informatisé », qui s’est déroulé au centre de recherche scientifique des forces de défense aérospatiales russes.
Le Ministère de la Défense russe a expliqué que l’objectif principal de ces exercices était d’entraîner « les manœuvres et opérations conjointes des unités de défense anti-aérienne et anti-missile de réaction rapide de la Russie et de la Chine afin de défendre le territoire contre les frappes occasionnelles et provocantes des missiles balistiques et de croisière ». Il a déclaré : « Les parties russe et chinoise utiliseront les résultats des exercices pour discuter des propositions de coopération militaire russo-chinoise dans le domaine de la défense anti-missiles ».
Par conséquent, autant dire que le transfert du SPRN était loin d’être un événement « isolé ». En clair, il s’agit pour la Russie de fournir à la Chine un savoir-faire exclusif pour à la fois contrer les frappes de missiles américains et développer une « capacité de seconde frappe » qui est cruciale pour le maintien de l’équilibre stratégique.
Le SPRN se compose de puissants radars à longue portée capables de détecter les missiles balistiques et les ogives en approche. Si la Chine achète, en plus des S-400, le système anti-missiles S-500, plus puissant et à plus longue portée (que la Russie commence à produire et à déployer), la Russie serait en mesure d’aider la Chine à construire et à influencer l’architecture d’un futur SPRN intégré de l’ALP et d’une capacité de défense anti-missiles qui représentera pour la Chine un facteur de stabilisation stratégique par rapport aux États-Unis, en fournissant des informations fiables sur les lancements potentiels de missiles américains et en calculant leurs points d’impact possibles.
En clair, le système russe peut garantir aux dirigeants de Pékin des « dizaines de minutes » d’alerte rapide fiable en cas de frappe imminente d’un missile ennemi avant l’impact, ce qui permet de prendre les décisions appropriées pour lancer les missiles nucléaires chinois en guise de riposte.
Il s’agit clairement d’un prélude à une coopération plus approfondie de la Russie avec la Chine sur la création d’un système intégré de défense antimissile. Plus important encore, cela signifie que la Russie crée une alliance militaire avec la Chine et augmente les enjeux au cas où les États-Unis décideraient d’attaquer l’un ou l’autre. Un analyste des affaires étrangères basé à Moscou, Vladimir Frolov, a déclaré à CBS News : « Si le système d’alerte d’attaque de missiles chinois est intégré à celui de la Russie, nous obtiendrons une portée de détection accrue pour les missiles balistiques américains lancés à partir de sous-marins dans le Pacifique Sud et l’Océan Indien, où nous avons des problèmes de détection rapide ».
Il est certain que l’alliance entre la Russie et la Chine est beaucoup plus nuancée qu’il n’y paraît à première vue. Dans une rare démonstration de relations personnelles chaleureuses, Xi a déclaré dans une interview aux médias russes avant son voyage en Russie en juin de l’année dernière : « J’ai eu des interactions plus étroites avec le Président Poutine qu’avec tout autre collègue étranger. Il est mon meilleur ami. Je chéris notre profonde amitié ». Lors d’une cérémonie au Kremlin pendant la visite, marquant le 70e anniversaire des liens diplomatiques russo-chinois, Xi a déclaré à Poutine que la Chine était « prête à aller main dans la main avec vous ».
Xi a déclaré : « Les relations russo-chinoises, qui entrent dans une nouvelle phase, sont basées sur une solide confiance mutuelle et un soutien bilatéral stratégique. Nous devons chérir cette précieuse confiance mutuelle. Nous devons renforcer le soutien bilatéral dans des domaines qui sont d’une importance cruciale pour nous, afin de maintenir fermement la direction stratégique des relations russo-chinoises malgré toutes sortes d’interférences et de sabotages. Les relations russo-chinoises, qui entrent dans une nouvelle ère, sont une garantie fiable de paix et de stabilité sur le globe ».
Conclusion
Le document de la Stratégie de Sécurité Nationale des États-Unis datant de décembre 2017, le premier du genre sous la présidence de Trump, qualifiait la Russie et la Chine de puissances « révisionnistes ». Le concept de révisionnisme est suffisamment souple pour avoir plusieurs significations qui distinguent généralement les États qui acceptent la répartition des pouvoirs dans le système international selon le statu quo et ceux qui cherchent à la modifier à leur avantage.
En substance, la Russie et la Chine contestent un ensemble de pratiques néolibérales qui ont évolué dans l’ordre international de l’après-guerre, validant l’utilisation sélective des droits de l’homme comme valeur universelle pour légitimer l’intervention occidentale dans les affaires intérieures des États souverains. D’autre part, ils acceptent également et affirment continuellement leur engagement envers un certain nombre de préceptes fondamentaux de l’ordre international – en particulier, la primauté de la souveraineté des États et de l’intégrité territoriale, l’importance du droit international, et la centralité des Nations Unies et le rôle clé du Conseil de Sécurité.
La Russie et la Chine ont joué un rôle crucial dans leur participation aux institutions financières mondiales, en tant que décideurs plutôt que concurrents. La Chine est l’un des principaux acteurs de la mondialisation et du libre-échange. En résumé, la vision qu’ont la Russie et la Chine du fonctionnement du système international est en grande partie conforme aux préceptes westphaliens.
Néanmoins, en termes géopolitiques, le document de la stratégie de sécurité nationale américaine de décembre 2017 indique que « la Chine et la Russie défient la puissance, l’influence et les intérêts américains, en tentant d’éroder la sécurité et la prospérité américaines… La Chine et la Russie veulent façonner un monde contraire aux valeurs et aux intérêts des États-Unis. La Chine cherche à déplacer les États-Unis dans la région indo-pacifique… La Russie vise à affaiblir l’influence américaine dans le monde et à nous diviser de nos alliés et partenaires… La Russie investit dans de nouvelles capacités militaires, y compris des systèmes nucléaires qui restent la menace existentielle la plus importante pour les États-Unis ».
Certes, l’ancienne « alliance modèle » entre la Russie et la Chine a évolué en une « alliance réelle » aujourd’hui. La dynamique interne des relations entre la Chine et la Russie est devenue de plus en plus forte et dépasse toute influence de l’environnement international extérieur. Le partenariat stratégique en expansion a déjà apporté des avantages considérables aux deux pays et est devenu un atout stratégique commun. Dans le même temps, il renforce leur statut respectif sur la scène internationale et apporte un soutien de base à la diplomatie des deux pays.
Le cœur du problème est que l’alliance Russie-Chine ne se conforme pas aux normes d’un système d’alliance classique. Faute d’une meilleure façon de la caractériser, on peut l’appeler une alliance « plug-in ». Dans la vie courante, elle peut effectuer une série « d’options personnalisables » tout en fournissant un support pour toute fonctionnalité spécifique qui pourrait se présenter. Il jouit d’une grande flexibilité. L’alliance Russie-Chine n’a pas l’intention d’affronter militairement les États-Unis. Mais sa position est destinée à dissuader une attaque américaine contre l’un ou l’autre, ou les deux. En bref, une course à l’usure est en cours. Et cela va être de plus en plus frustrant pour les États-Unis, car la Russie est récemment entrée en scène pour contester la fameuse « stratégie indo-pacifique ».
La critique russe de la « stratégie indo-pacifique » s’est fait entendre. Cela se produit à un moment où les tensions augmentent dans le Détroit de Taïwan et la Quad prévoit de tenir une réunion pour la première fois au Japon en octobre.
Le 17 septembre, le Kremlin s’est alarmé du fait que « les activités militaires des puissances non régionales » (lire les États-Unis et leurs alliés) provoquent des tensions et le district militaire oriental basé à Khabarovsk, l’un des quatre commandements stratégiques de la Russie, a été renforcé par une unité de commandement de division d’aviation mixte et une brigade de défense aérienne.
Les États-Unis ne peuvent pas gagner cette contestation par sa nature même. La Quad est inutile puisque deux de ses quatre membres – le Japon et l’Inde – n’ont aucune raison de considérer la Russie comme une puissance révisionniste ou de lui être hostile. Certains experts américains affirment que la réponse réside dans le retour des États-Unis à leurs liens transatlantiques, que Trump a négligés, et que Biden peut dynamiser l’euro-atlantisme en Europe du jour au lendemain. Mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.
Le fait est, comme l’a écrit l’ancien Ministre des Affaires Étrangères allemand Joschka Fischer, que le « fossé » transatlantique croissant est le résultat d’une aliénation – un mélange de désaccords, de manque de confiance et de respect mutuels et de priorités divergentes – qui remonte à l’ère pré-Trump et qui ne prendra pas fin même après l’entrée d’un nouveau titulaire à la Maison Blanche. En outre, il existe de nombreux États européens qui ne partagent pas l’hostilité des États-Unis envers la Russie et la Chine.
Le paradoxe de l’alliance sino-russe se situe ici. Les États-Unis ne peuvent pas submerger cette alliance à moins qu’ils ne battent la Chine et la Russie ensemble, simultanément. L’alliance se trouve également du bon côté de l’histoire. Le temps joue en sa faveur, car le déclin des États-Unis en termes de puissance nationale relativement globale et d’influence mondiale ne cesse de progresser et le monde s’habitue au « siècle post-américain ».
Il est clair que les dirigeants de Moscou et de Pékin, sevrés du matérialisme dialectique, ont fait leurs devoirs tout en construisant une alliance en phase avec le XXIe siècle.
source : https://indianpunchline.com
traduit par Réseau International
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